BIOBIBLIOGRAPHIE
MLASH PERSONNAGE D’ÉBAUCHES, Tarabuste, 1996.
DES RÉFÉRENCES EN CHEMIN DE FER, Tarabuste, 1997
TOUT MLASH, Tarabuste, 1999
UN JOURNAL ÉPISODIQUE, Tarabuste, 2004
MLASH OU ENCORE, Tarabuste, 2006
QUELQUES MESURES DANS LÉPOQUE, Voix d’encre, 2008
51 PARTITIONS DE DOMINIQUE LEMAÎTRE, Tarabuste, 2009
PSALMLASH, Vincent Rougier, 2012
COMMENT QUELQUE CHOSE suivi de QUEL EFFACEMENT, L’Escampette, 2012
COMMENT ÇA S’APPELLE, Tarabuste, 2012
MAINS TENUES, Éditions de l’Amandier, 2013
DU SILENCE ET DE QUELQUES SPECTRES, éditions Clarisse, 2014,
TROIS ENTRAÎNEMENTS À LA LUMIÈRE, Tarabuste, 2016
LES MOIRES / SLAMLASH, Vincent Rougier, 2018
LE PRÉSENT DU PRÉSENT précédé d’IL FAUT QUE TU ME SUIVES, Tarabuste, 2020
DES RÉFÉRENCES EN CHEMIN DE FER, Tarabuste, 1997
TOUT MLASH, Tarabuste, 1999
UN JOURNAL ÉPISODIQUE, Tarabuste, 2004
MLASH OU ENCORE, Tarabuste, 2006
QUELQUES MESURES DANS LÉPOQUE, Voix d’encre, 2008
51 PARTITIONS DE DOMINIQUE LEMAÎTRE, Tarabuste, 2009
PSALMLASH, Vincent Rougier, 2012
COMMENT QUELQUE CHOSE suivi de QUEL EFFACEMENT, L’Escampette, 2012
COMMENT ÇA S’APPELLE, Tarabuste, 2012
MAINS TENUES, Éditions de l’Amandier, 2013
DU SILENCE ET DE QUELQUES SPECTRES, éditions Clarisse, 2014,
TROIS ENTRAÎNEMENTS À LA LUMIÈRE, Tarabuste, 2016
LES MOIRES / SLAMLASH, Vincent Rougier, 2018
LE PRÉSENT DU PRÉSENT précédé d’IL FAUT QUE TU ME SUIVES, Tarabuste, 2020
EXTRAITS
Il y en a qui écrivent
des poèmes sur les oiseaux
sans bien savoir pourquoi
d’autres qui font de leur vie
la matière même de ce qu’ils
gribouillent
Trop timide pour cela
je me suis une fois pour toutes
rendu compte que ma
vie ne valait rien
*
Le pénis est chez l’homme
son centre de gravité
je voudrais être dieu
pour alors le transformer en toupie
*
Arriverai-je à savoir pourquoi
les poètes passent à la ligne
*
Suis-je seul à avoir l’impression
qu’un mot peut contenir à lui seul
un poème infini
*
J’ai horreur des aphorismes
écriture qui se prend toujours au sérieux
un côté spleen l’ancien
*
Plein de gens pour dire comment
écrire et pourquoi c’est casse gueule
de commencer un livre comme ça
ou de le finir
Pourquoi alors ne disent-ils qu’ils sont
dans le mythe
jusqu’au cou dedans
et comment alors garder tête haute
*
Je cherche depuis longtemps ce qui n’est pas
illusion et jusqu’à présent seul ce qui s’offre
comme illusion m’a semblé bien coller
*
C’est quoi la politesse extrême
si ce n’est un moyen élaboré
pour qu’on me fiche la paix
Extraits de Mlash ou encore, Tarabuste 2006
Il y a des moments où je voudrais
que ça s’arrête le temps et pouvoir
faire quelque chose comme le point
mais l’acceptation du monde
c’est celui d’un mouvement qui nous
échappe
et nous voilà devant les vagues
un matin sur la plage de ton enfance
à moins que ce ne soit la plage d’enfance
une grande plage d’enfance et je t’épargne
le trop facile jeu de mots
le rythme est très régulier et les vagues sont assez fortes
ce qui permet de se baigner plus vite
et la mer a remplacé dans mon poème
l’image du fleuve et Marbeuf n’est pas loin
qui s’abîme en la mer aussi bien qu’en l’amour
le maniérisme à la lettre
quand la mer descend et qu’elle suce
et que les galets dans les rouleaux deviennent
le potentiel écueil du matin
Quelle raison alors de ne pas nous accorder au monde
ou de nous perdre dans les élucubrations
de la présence
nommer les choses c’est les appeler n’est-ce pas
et comment existeraient-elles pour nous
sans les mots et très matériellement en eux
et qu’importe parfois que notre époque
les démédulle puisqu’il y va de notre acceptation
je veux nommer ce qui la rend possible
et ça rebondit aussitôt sur un catalogue
Liste de quel monde et pour quelle histoire
usée par la reprise de tous les lieux
communs à croire que chaque moment choisi
instille une force nouvelle à
entendre se répéter la déclinaison du
neutre quand je veux te donner le mot
amour parce que des bombes explosent au
risque de la vie d’innocents un peu partout dans le monde
s’il te plaît écoute-moi toujours
encore ma parole n’existe pas sans toi
ni mon poème troué par sa limite
et impuissant même dans son constat
Alors il faut partir
alors nous sommes saisis par une mélodie
le son d’un accordéon ou la merveille
d’un tableau de Rembrandt
Y a-t-il quelque chose de plus pénétrant
que les effets de matière sur la toile
entre giclures et grattages
dans l’union d’Isaac et Rébecca
et voir cela comme saisir les inflexions
d’une phrase n’est-ce pas une alerte
sur le monde peut-être
permettant si ce n’est de regarder l’époque
tout au moins de percevoir la vanité
d’une pensée qui se voudrait englobante
et celui qui verrait là du dandysme est un connard
un poème c’est là pour s’autoriser tous les mots
un étonnement comme un sourire une insulte
une hargne pour que ce qui démarre sans
doute reste en puissance ou
en attente comme s’il en était de s’accrocher
je ne sais pas très bien à quoi
quatre vers de Reverdy
Effacer étouffer l’image le souvenir
Le bruit
Ne plus rien entendre
Ni voir
Une sorte de vœu impossible
inaccessible et sans doute non
souhaitable je vois que tu te déshabilles
et j’aime particulièrement surprendre
ton geste au moment où tu ne t’y attends pas
il y a une liberté imprévue
un laps où la mort n’existe pas
la voix d’Elisabeth Schwarzkopf à la fin
du dernier lied un peu sucré de Richard Strauss
Est-ce bien la mort cela ?
et si je pleure c’est sur quoi
une sorte de trapèze renvoyant à l’adolescence
même pas et plus vraisemblablement
sur rien et pour rien
je ne sais pas ça n’a pas grand sens
tout cela peut-être
et c’est l’image de l’époque
en quel mode suis-je passé
nous avançons ensemble n’est-ce pas
c’est trop bien
Donne-moi la main pour l’inquiétude
avec l’exceptionnelle diérèse qui fait
tout le calme et le rythme de ce vers d’Aragon
je suis repris encore par cette maladie des références
Mais en est-il autrement pour tout amour
Mon amour
et dans la mort de quelqu’un
qu’est
ce qu’on projette ou ce
qu’on imagine et l’impossibilité de
dormir sans toi ça heurte
l’un de nous deux devra le faire
pourtant est-ce que je peux
penser qu’un jour ça s’arrête ou pour toi ou pour moi
est-ce que je peux dire l’instant de la mort
et que tout cela véritablement ait un sens
Et je pense aussi à Claire de Tonnac
avec des vers entiers des Références en chemin de fer
qui reviennent d’un espace oublié presque
alors que plus tard relisant ce poème
j’aurai encore le goût d’inachevé de l’écriture
et la vacuité d’avoir continué comme si
une grande page de silence était toujours
à l’œuvre dans les mots ou plus simplement
dans le mot époque avec en arrière-plan
la question toute simple de la limite
Dire n’est-ce pas mais quoi sur la vie
elle pourrait être ce qui dans la mort
ne peut que résister au-delà d’elle
instinctivement presque et toujours
sans dieu pour moi
Et tu as l’impression que cela touche à une fin
et c’est déjà autre chose presque en train
de se finir aussi
en perpétuel déport
tu crois toucher quelque chose
et cela t’échappe
L’époque serait à l’image des vagues
sans véritable régularité bien que certains
s’escriment à découvrir des cycles
ou à noter les variations d’une vague à l’autre
Nous voici
dans le balbutiement d’une pensée du temps
Je voudrais que notre amour soit
effectivement sans limite aucune
et au-delà de la moindre faiblesse
et je me heurte à celle de la fin
parce que certains la disent écrite
dans les livres ou inscrite dans les mots
à moins que justement pour d’autres
ce ne soit dans l’époque
Les physiciens parlent je crois d’au moins
trois temps dont je sais qu’ils ne forment pas
une valse mais dont je ne peux affirmer
les profondes différences
car en effet qui est premier du temps
thermodynamique ou psychologique ou cosmologique
et qu’est ce quatrième mousquetaire
le temps imaginaire
Comment savoir ce qu’est le temps et
donc ce qu’est l’époque
je veux dire notre époque
puisque l’hésitation demeure
le moment où je parle est déjà loin de moi
la grammaire transforme en passé toute proposition
future alors que je scrute tes yeux avant qu’ils se ferment
espérant toujours demain les revoir
et le présent n’existe pas
et la mort non plus
je veux dire la mort dans la langue
ma propre mort ou la tienne
Le sable est mou la mer vient de se retirer
combien savent réellement expliquer tout ce fonctionnement
L’époque peut-être ce serait dans l’infini
la matière immense qui s’offre à nous
par les mots et ouvre tous les espaces
du rêve de l’amour ou de la haine
en passant simplement par le pouvoir des sons
avec par exemple ces lignes traduites de Stephen Hawking
il semble qu’une nouvelle possibilité apparaisse à l’horizon : que l’espace et le temps forment ensemble un espace fini, à quatre dimensions, sans singularité et sans bord, comme la surface de la Terre mais avec plus de dimensions.
Et c’est un poème infini qui s’entrevoit
comme s’il en était de s’accrocher
je ne sais pas très bien à quoi
Fin du recueil, Quelques mesures dans l’époque, Voix d’encre, 2008
Et quelle voix dans les mots si ce n’est
celle d’une suite d’interrogations
de citations avec à peine prises en note
les contradictions pour se taire
C’est un travail de danseur
danser avec une phrase qui se doit aussi
de danser pour éviter quoi
le mur où tu ne m’entendrais plus
Un jeu peut-être avec des forces physiques
contradictoires
un plein du corps
c’est ainsi n’est-ce pas que tu écoutes
Orante
Mais c’est quelle langue dis-tu
celle d’avant toute langue
une plongée comme un peu le chant
le cri des oiseaux et celui que je m’efforce
de t’offrir quelque chose d’une
prière mais prise dans la pierre et
si ce n’est sans dieu alors d’aucun rituel
à part notre jeu de mémoire
celui qui doit se taire aussi pour entendre
la voix sans mot un autre
silence je ne sais pas mais
ça m’a l’air d’être centré encore autour de lui
Et presque j’ai l’impression que ça se
développe horizontalement depuis lui
et avec lui le désir et la nudité
c’est-à-dire peut-être les
nôtres
Un peu comme s’il y avait en jeu
les métamorphoses du silence
c’est-à-dire l’existence de plusieurs silences
dans le silence même
voire une versatilité de celui-ci de l’instant magique à
l’effroi
et c’est aussi à l’intérieur du son que
tu le creuses
le don du corps devenant plénitude à l’épreuve
de ce risque
Cantus
Et que vient faire la voix quand il n’y a pas de voix
puisque celle-ci même s’absente ou plutôt
muette accompagne comme en retrait
je veux dire dans le silence
le chant percussif ou celui de la flûte
en même temps que cette absence
nous conduit vers ce silence
celui nourri de toutes les épreuves
innommables qu’autrefois les dieux
faisaient subir aux hommes et maintenant
le vide en lui-même
La voix même absente et même
sans mot dit la présence plus ou moins proche
de la fable et quelque chose toujours se raconte
mais quoi
faut-il nécessairement que nous le sachions
je l’ignore il y a parfois comme de grandes
vagues qui sous-tendent un discours
en même temps qu’elles le brouillent
pour créer l’existence d’une mythologie
vocale
extrait de 51 partitions de Dominique Lemaître, Tarabuste 2009
Tu es là
qui es-tu dans la langue
et quelle langue sur tes mots
quelle part de toi dans ma langue
et comment ta présence déshabille le réel
De lui je ne veux retenir que le corps
et en lui la vie jusqu’au bout
surtout depuis que maintenant la parure
tu sais le lien de ce mot avec le cosmos
en est absolument régressive
La vie jusqu’au bout
en ce qu’elle ne demande aucune maîtrise
et c’est d’être là en toi en nous
qui paraît la seule injonction du réel
Mais puisque c’est le mot injonction
qui vient de surgir pour marquer
notre révolte contre l’époque
contre la farce politique de celle-ci
et je n’ai pas confondu avec le mot force
tu me permettras une autre référence
presque neuve pour moi et c’est
le poète finnois Pentti Holappa
Dans le quatrième poème du recueil Cinquante-deux
publié en 1979 son traducteur lui fait dire
La patrie est un lieu nécessaire
je veux bien accepter ce constat d’autant
qu’il émane d’un homme à l’écoute
mais si c’était une matrie je pense
que personne ne viendrait encore flirter avec
des formes aussi ringardes que les drapeaux
ou le bon dieu ça nous guérirait de quelques névroses
Sans attachement sans fixation
au père que je suis aussi
à la mère perdue depuis la naissance
sans attachement jamais si ce n’est à ce qui
déroute ou qui impose de modifier le plus
souvent possible le regard sur
quoi
le monde
je ne sais pas dire autrement
pour avancer en aveugle
avec toi je veux bien quelque chose comme
un lieu commun
Et voici comme pour l’injonction
un nouveau carrefour où il sera
facile de faire une digression sur
lieu commun en étalant une sorte de savoir
depuis les sources ordonnées et critiquées
de la théologie jusqu’à la banalité
qui participe d’une certaine tenue
je ne sais pas si c’est du
ou au monde
Le monde le monde un pour chacun
les autres en partage mésanges vérité craie tumulte
la liste s’allonge c’est toujours là que nous sommes
fleurs lumière stupéfaction et cendres aussi
le refrain sur l’époque où tout échappe
où cet échappement notre chance
conduit à l’accueil comme au discernement
dans l’ombre ce qui fait notre tenue
maintenant c’est-à-dire en tenant ta main
La mésange d’ailleurs c’est d’abord la charbonnière
avec les variantes de sa voix
deux ou trois syllabes brèves répétées
ou bien comme le pinson
ou plus nasillard
une voix multiple à l’usage du monde donc
et pourquoi ne puis-je empêcher que les oiseaux
reviennent dans les mots
Les oiseaux c’est quoi
un vol une voix
l’union manifeste du temps et de l’espace
dans un lieu qui précède non seulement les mots
mais le sens et par là une plongée dans un arrière monde
exempt de toute nostalgie et où sans doute il y a
un tracé possible à la liberté
Extrait de Quelque chose à dire encore, in Cahiers intempestifs, n°23, 2009
NOUVEAUX EXTRAITS
LE PRÉSENT DU PRÉSENT
précédé d’IL FAUT QUE TU ME SUIVES
Ed Tarabuste 2020
IL FAUT QUE TU ME SUIVES
PLACER UNE VOIX
Placer une voix dans un mot
dans un moment
une voix dans un moment sans placement
déplacé raturant l’espace
avec un brouhaha diffus
là où presque dans l’indifférence
quelque chose vient
qui tient comme par l’extrémité du son
et du silence par exemple
dans la fin de l’après-midi
Placer une voix
ou peut-être plusieurs voix dans une voix
entendre ce qui parle dans ce qui est dit
quelque chose d’un silence impossible
parce que tout est absolument flou
SI JAMAIS UNE ORIGINE
Il y a un petit bruit dans la langue
Ça a toujours été là dans la phrase peut-être
en arrière comme une voix intérieure
et maintenant j’ai presque l’impression
que ça me touche à chaque fois que
je regarde en arrière
en tournant la tête vers la droite
Je suis incapable de dire
quand je m’en suis rendu compte
ou quand ça s’est imposé à moi
Je peux imaginer que c’était pendant une promenade
à Paris par exemple et j’ai
une très vive sensation des parcours que je répétais
j’en pourrais nommer presque le nombre de pas
que je comptais
avec en arrière-plan donc
ce bruit
presque rien si tu penses à la circulation et
aux cris de la ville avec ou sans Clément Jannequin
Ce petit bruit n’a donc pas vraiment commencé
ou plutôt il était déjà là quand j’en ai pris conscience
Je dis que c’est dans les promenades adolescentes
à Paris
mais c’est une autre fiction
autour des lieux
un martin-pêcheur passant en trombe
sous le Pont de Neuilly
les toits bombés de la rue de Rivoli
sur lesquels on pouvait grimper avant
la généralisation des codes d’accès
les voûtes de la place des Vosges
un tour parmi les animaux naturalisés
chez Deyrolle
et d’autres instants où parfois
dans la langue
quelque chose d’un frottement
ou plus exactement
dans les mots c’est-à-dire derrière eux
mais est-ce que cela peut avoir un sens
Quoi encore
C’est toujours le même signal
cela réveille
ou cela place en dehors un très léger instant de la situation présente
et tout déboule en un éclair
je vois le livre tel qu’il pourrait être et ne sera jamais
cela me place dans un état presque de satisfaction
j’y suis enfin arrivé
j’ai pu saisir une image
de tout ce qui m’entoure
qui soit si ce n’est satisfaisante du moins la plus complète
Alors je m’y mets
je recommence une fois
et aussitôt ça bloque
parce que je ne sais pas dire ce que je recommence
ni pourquoi d’ailleurs
Et pourtant une chose s’est enclenchée
Il s’agira peut-être de nommer
tout ce qui fait que ça bloque
et avant aussi l’idée
qu’il ne faut pas se prendre au sérieux et croire
par exemple qu’on peut écrire sans masque ou
qu’on ne va écrire que ce qu’on pense
ou toutes les autres fadaises de celles et ceux qui
croient avoir quelque chose à dire et
qu’on les lira avec attention
Au fur de la phrase ou du vers
je ne sais plus la différence entre
Au fur des mots donc
une série de bifurcations possibles
se pointe sur le mot sérieux par exemple
ou sur le mot masque
ou encore attention
et voilà qu’en les reprenant c’est
l’italique qui me retient et
que je suis dans l’écrit dépassé
par ce que je voudrais
bientôt comme épuisé
c’est toujours le même signal
Alors quelque chose continue et
quelque chose s’arrête en même temps
je ne sais pas si tu vas me comprendre
Parce qu’avec le retour du même signal
c’est la question de la composition ou
la question de la manière
voire celle du maniérisme et encore le terme question
est superflu parce que je ne cherche ici à dire qu’une seule idée simple
et qui se limite à ne pas savoir dans quelle mesure
la répétition est ou non une béquille
Et si je relève la tête je vois par la fenêtre
les maisons qui sont sur la colline d’en face
c’est la brique qui domine le quartier
avec des constructions le plus souvent faites
de rajouts successifs et
d’agrandissements qui supposent
des organisations un peu tordues
Suis-je en train de reprendre mon souffle
pour nommer le monde
et comment de la brique passer à
l’impression que tout échappe et
qu’il y a une sorte de course
à la catastrophe ou à l’abîme
pour la faire alla Berlioz dans notre époque
Et mentalement de repasser tout ce qui a posé les jalons de l’abîme
et presque dérouler toute la litanie ensuite
constatant que ça boite déjà et tout excède
Il faut que tu me suives
LE COMMUN
Pour Diagonales
Est-ce qu’on sait quand ça commence
On est assis
on est là
on regarde
on est ensemble
et pourtant l’esprit ou le corps
– y a-t-il entre ces deux mots
une différence réelle –
disent le plus souvent des choses
si différentes
que c’est toujours inattendu
cet ensemble
On attend peut-être
on se demande s’il va se passer quelque chose
on a été convié là
on a décidé de venir
on ne sait jamais très bien ce qu’on fait
quand on ne fait rien
on attend
on peut avoir peur
pas sûr en effet qu’on y arrivera
On se demande ce que c’est
ce quelque chose
si cela a un poids
si cela concerne l’espace
ou le temps
et ça y est avec des mots
comme espace et temps
on a fait venir à nous
des choses si graves
que le poids a saisi nos corps
On regarde
on se regarde
on attend
on est ensemble et peut-être là
dans la rue
on se dit que les mots
ont peut-être trop de poids
ou alors on s’en passe
On attend
on se met à marcher
est-ce qu’on doit compter les pas
et s’y tenir
et qui décide qu’on tourne
à droite à gauche
on revient sur ses pas
À quels moments on est vraiment ensemble
et si on y arrive jamais
exactement la même intention
la même émotion
c’est si fragile l’espace dans le corps
On est ensemble et peut-être là
dans l’herbe ou dans la cour
On se regarde
et c’est une manière
ensemble de se garder complètement
peut-être mais jusqu’à quand
jusqu’à quel point
est-ce qu’on sait quand ça a commencé
et pourquoi à certains moments
ça y est on est pris
on y va
c’est la bonne énergie
et le sens vient
du regard des autres
ou plus exactement
de nos regards ensemble
un peu comme s’ils modelaient
le monde
Parfois on écoute les corps
parfois le silence
sans se prendre trop au sérieux
et c’est toujours très petit
presque insensible et diffus
avec souvent l’impression de passer à côté
De quoi
on ne sait pas trop bien
Un petit bruit qui ne serait pas dans les mots
mais peut-être dans la relation
entre le corps et l’espace
et de celle-ci
que retenir exactement
On regarde
on se regarde
on n’attend plus
parce qu’on est ensemble
et qu’ensemble se dessine l’espace
aussi bien pour nous
que pour les autres
sans hiérarchie
sinon l’écoute des souffles
ou des corps
On compte
on avance
et quand on se laisse tomber
on sait que l’autre est là
et quand on court
on ne se demande plus rien
on n’existe que parce que la course
engage aussi les autres
elle n’existe que parce que les autres
sont là
dans la rue la cour ou l’herbe
On regarde
on se regarde
on construit l’espace
qui construit l’ensemble à mesure
et c’est toujours quelque chose
qui commence et qui n’en finit pas
Est-ce qu’on sait quand ça commence
PLACER UNE VOIX
Quelle direction et quel souffle
quelle histoire et quelle force
aurait la voix
quelle intensité
comme à l’extrémité
du sens
et quand tout échappe
sauf le sourire que tu m’adresses
au bord de la mer
et dans ce poème
où j’ai voulu que chacun te parle
au moment même de dire
que ça ne raconte rien
et que peut-être ainsi
c’est l’image de la vie
Jamais rien dans ce qui se tait
quelque chose qui fait face
et quand tout échappe
la voix se déplace encore au loin
LE PRÉSENT DU PRÉSENT
V
[…]
le présent du présent
est-ce l’impression
qui domine d’être au bord
d’être toujours déjà
dans l’inécriture comme dans l’écrit
presque au moment d’accueillir
et de ne plus accueillir
de se confronter et de ne plus faire face
aux mots
de les voir se découdre
comme ain
si
les mo
ts
platitude
balancer des lettres sur la feuille
quelle cristallisation
christ stalinisation
de notre époque mac(a)ron
pas autre chose qu’un jeu
de mots
n’en plus pouvoir mais
lourdeur chaleur
abandon
la fin de l’humanité en cours
l’incondition humaine
donne-moi tes mains
pour mesurer avec la sueur
le poids qui est
en puissance dans chaque mot
et peut-être de refuser
de faire face
tout disparaît
aucun mot à venir
plus rien
si ce n’est
avec tes mains
la mesure du temps qui passe
et dans cette sensation presque
tout le monde qui vient avec elle
dans le sans mot
instant
quelque chose
peut se passer
mais la difficulté est d’arriver
à ne pas mimer la situation
puisque nous devons
par ce désir sans fin
écouter ou prendre avec nous
– est-ce encore la musique –
tout ce qui s’obstine
non pas à dire non
mais à refuser la tranquillité
d’une avancée paisible
rien n’est de l’ordre de l’évidence
et si certes demain sera parti
avec lui sais-je encore
si tu seras là
si quelque chose pourra encore
s’ouvrir du côté de l’attente
si j’entrerai plusieurs fois
dans la même mer
le présent du présent
tient de l’éphémère plaisir
de tenir tes mains et d’apercevoir
l’inconnu en te sachant
toujours autre que ce que je sais de toi
un mot vient
c’est celui de nécessité
parce que je dis
qu’écrire des poèmes
m’est nécessaire
ou qu’il faut faire les choses
quand on sent que ça brûle
et ce que ça signifie
véritablement
si ce n’est une construction personnelle
et comment celle-ci
certes je peux réciter
les étapes d’un attachement au poème
et comment de l’obélisque de Gautier
c’est passé à Verlaine
Sagesse, La Bonne chanson et surtout
Romances sans parole
dans une édition jaune du Livre de poche
puis Rimbaud et Apollinaire
avec des classiques Larousse
et le début d’essai d’écriture
et la rencontre un peu plus tard
je crois en terminale
des poètes surréalistes
jusqu’aux premiers poètes contemporains lus
Guillevic du Bouchet
les étapes d’un mythe ou d’un mensonge personnel
une sorte de dit du poème pour moi
et quel intérêt sinon
ce qui est enfoui de soi
qui n’était en rien une nécessité
mais un plaisir
et peut-être aussi l’idée de quelque chose à tenir
ou plutôt quelque chose qui tient
alors c’est tenir qui devient curieux
parce qu’aussi bien c’est de l’ordre du rôle
et ça implique un j’écris-parce-que-je-me-la-pète
tout en désignant aussi
quelque chose qui participe
de la vérité
or lâcher un tel mot
tu vois bien tout ce que ça convoque
de références et d’angoisse
de lumières rouges dans le cerveau
et dans l’écriture même
avec très fortement un arrêt
d’adolescence quand la remarque vient
que Jésus arrêté et conduit devant Pilate
ne répond pas à cette question
même si les commentateurs éclairés
font remarquer que Pilate tourne le dos
avant la réponse
s’il s’agit de vérité
pourquoi depuis longtemps ai-je
l’impression qu’elle se présente
sans qu’on le sache
dans l’écoute au matin
du chant des merles
qui se répondent
s’imitent et déforment
dans chaque répétition
le thème entrevu
ça me renvoie
au début des années 1990
l’écoute du chant des merles
particulièrement en hiver
qui m’enveloppait
d’une émotion
avec laquelle
j’ai l’impression de n’avoir pas fini
c’est cela donc
la vérité n’a pas de fin
et à la messe enfant
je ne comprenais pas ce que je disais
mais je crois que la formule
me procurait une jouissance indéniable
et son règne n’aura pas de fin
la vérité n’est d’aucun règne
elle tient d’une parole
qui se dit en méfiance des références
tout en assumant un héritage
qui se confronte à ce que peut-être
je peux appeler le réel
en tout cas
le labeur qui provient de lui
intact et souverain
de nouveau avec ces deux adjectifs
la petite histoire de mon poème
paie sa dette à René Char
c’est bien elle
la vérité qui
attend l’aurore à côté d’une bougie
quand
poésie et vérité sont synonymes
le présent du présent
cela dit
le côté pythie pléthorique
me place aussitôt hors du poème
et à le relire
c’est comme un mal de tête
après une bonne cuite
aussitôt dite
la vérité disparaît
cela peut-être tout
qui intervient dans la proximité
avec Mallarmé
je ne sais pas
et le plus étrange peut-être
c’est que dans la rencontre
entre le trivial le sublime du père Longin
ce qui expulse hors du poème
peut parfois permettre d’y demeurer
je sais bien que la figure de l’antithèse
la contradiction ou la double négation
ça reste un peu potache qui commence
à penser
mais souvent le matin
tout ça dans le corps
et presque ce qui me réveille
vers 5 heures du matin
trop mal à la tête après
champagne chassagne-montrachet
irancy médoc
faut-il préciser les millésimes
fondamentalement
même si l’écriture est
expérience de dépersonnalisation
je passe mon temps
à transposer ce qui est moi
et dans l’absence
la solitude ou la fugacité
des mots
c’est une douleur profonde
comme un abandon qui se lit
je sais depuis longtemps
que mon écriture
ou plutôt ce que j’appelle
mes gribouilleries
peuvent t’être parfaitement indifférentes
j’y trouve l’énergie
d’essayer de continuer
dans cette indifférence même
qui signe l’aspect dérisoire
mais indispensable
de cette application
tout en sachant
qu’il n’est aucun point d’application
et c’est là sans doute
que l’écriture devient ce que
toujours j’ai cru
qu’elle ne devait pas être
un refuge
contre l’aspérité du vivre
contre l’échec du temps
et ma propre ânerie
ma suffisance
avec aussi des moments légers
sans hésitation
où tout coïncide avec le dire
ou avec le temps qui passe
et toujours des moments instables
puisque quelque chose comme un écart
menace de passer à côté
de raviver les tensions
et s’il y a
à côté d’eux
ou plutôt contre
à moins que ce ne soit en eux
quelque chose qui peut être appelé
fantaisie ou encore
apparition
toutefois sans donner
un sens chrétien à ce dernier mot
ni une force romantique et pathétique
à la fantaisie
ce n’est pas une invention sans forme
mais une capacité à recevoir
des apparitions tout en parvenant
dans la même énergie des vocables
à les susciter chez autrui
et je voudrais tant que ce fût chez toi
dans ton corps
et voilà que je retombe
sur la familiarité
entre l’instant et l’instable
mon présent au présent dans les faits
familiarité sonore
le monde dans les oreilles
en même temps que dans les yeux
impossible de fermer les oreilles
en haine de la musique
c’est la simultanéité des sens
et le déséquilibre de la perception
qui participe de l’instabilité
de l’instant
tu vois mieux que moi
qui entends mieux que lui
qui goûte mieux qu’elle
etc.
peut-être n’y a-t-il pas d’instant
dans le présent
ou alors parfois
c’est le présent de l’instant
qui n’existe pas
voire simplement
le présent
toujours la manière
de se heurter à cela
quand quelqu’un meurt
il ne l’est pas encore
et s’il est mort
alors c’est déjà fait
le présent de la mort est
une béance
mot dont je me méfie
toujours parce qu’il a
sa part de pathos
le trou de ce présent
n’est pas une douleur
mais plutôt la chance
de se confronter à l’impossible
présent du présent
et c’est suffisant pour motiver
l’écrit en dehors
des attentes
ce qui existe
le plus souvent
pas grand-chose
et c’est là qu’est
le divin sans dieu
ce qui fait tenir
au désir
et si tu demandes
une définition
de celui-ci
tu sais que cela commence
et finis par toi
dans ce présent du présent
avec
l’incondition humaine
précédé d’IL FAUT QUE TU ME SUIVES
Ed Tarabuste 2020
IL FAUT QUE TU ME SUIVES
PLACER UNE VOIX
Placer une voix dans un mot
dans un moment
une voix dans un moment sans placement
déplacé raturant l’espace
avec un brouhaha diffus
là où presque dans l’indifférence
quelque chose vient
qui tient comme par l’extrémité du son
et du silence par exemple
dans la fin de l’après-midi
Placer une voix
ou peut-être plusieurs voix dans une voix
entendre ce qui parle dans ce qui est dit
quelque chose d’un silence impossible
parce que tout est absolument flou
SI JAMAIS UNE ORIGINE
Il y a un petit bruit dans la langue
Ça a toujours été là dans la phrase peut-être
en arrière comme une voix intérieure
et maintenant j’ai presque l’impression
que ça me touche à chaque fois que
je regarde en arrière
en tournant la tête vers la droite
Je suis incapable de dire
quand je m’en suis rendu compte
ou quand ça s’est imposé à moi
Je peux imaginer que c’était pendant une promenade
à Paris par exemple et j’ai
une très vive sensation des parcours que je répétais
j’en pourrais nommer presque le nombre de pas
que je comptais
avec en arrière-plan donc
ce bruit
presque rien si tu penses à la circulation et
aux cris de la ville avec ou sans Clément Jannequin
Ce petit bruit n’a donc pas vraiment commencé
ou plutôt il était déjà là quand j’en ai pris conscience
Je dis que c’est dans les promenades adolescentes
à Paris
mais c’est une autre fiction
autour des lieux
un martin-pêcheur passant en trombe
sous le Pont de Neuilly
les toits bombés de la rue de Rivoli
sur lesquels on pouvait grimper avant
la généralisation des codes d’accès
les voûtes de la place des Vosges
un tour parmi les animaux naturalisés
chez Deyrolle
et d’autres instants où parfois
dans la langue
quelque chose d’un frottement
ou plus exactement
dans les mots c’est-à-dire derrière eux
mais est-ce que cela peut avoir un sens
Quoi encore
C’est toujours le même signal
cela réveille
ou cela place en dehors un très léger instant de la situation présente
et tout déboule en un éclair
je vois le livre tel qu’il pourrait être et ne sera jamais
cela me place dans un état presque de satisfaction
j’y suis enfin arrivé
j’ai pu saisir une image
de tout ce qui m’entoure
qui soit si ce n’est satisfaisante du moins la plus complète
Alors je m’y mets
je recommence une fois
et aussitôt ça bloque
parce que je ne sais pas dire ce que je recommence
ni pourquoi d’ailleurs
Et pourtant une chose s’est enclenchée
Il s’agira peut-être de nommer
tout ce qui fait que ça bloque
et avant aussi l’idée
qu’il ne faut pas se prendre au sérieux et croire
par exemple qu’on peut écrire sans masque ou
qu’on ne va écrire que ce qu’on pense
ou toutes les autres fadaises de celles et ceux qui
croient avoir quelque chose à dire et
qu’on les lira avec attention
Au fur de la phrase ou du vers
je ne sais plus la différence entre
Au fur des mots donc
une série de bifurcations possibles
se pointe sur le mot sérieux par exemple
ou sur le mot masque
ou encore attention
et voilà qu’en les reprenant c’est
l’italique qui me retient et
que je suis dans l’écrit dépassé
par ce que je voudrais
bientôt comme épuisé
c’est toujours le même signal
Alors quelque chose continue et
quelque chose s’arrête en même temps
je ne sais pas si tu vas me comprendre
Parce qu’avec le retour du même signal
c’est la question de la composition ou
la question de la manière
voire celle du maniérisme et encore le terme question
est superflu parce que je ne cherche ici à dire qu’une seule idée simple
et qui se limite à ne pas savoir dans quelle mesure
la répétition est ou non une béquille
Et si je relève la tête je vois par la fenêtre
les maisons qui sont sur la colline d’en face
c’est la brique qui domine le quartier
avec des constructions le plus souvent faites
de rajouts successifs et
d’agrandissements qui supposent
des organisations un peu tordues
Suis-je en train de reprendre mon souffle
pour nommer le monde
et comment de la brique passer à
l’impression que tout échappe et
qu’il y a une sorte de course
à la catastrophe ou à l’abîme
pour la faire alla Berlioz dans notre époque
Et mentalement de repasser tout ce qui a posé les jalons de l’abîme
et presque dérouler toute la litanie ensuite
constatant que ça boite déjà et tout excède
Il faut que tu me suives
LE COMMUN
Pour Diagonales
Est-ce qu’on sait quand ça commence
On est assis
on est là
on regarde
on est ensemble
et pourtant l’esprit ou le corps
– y a-t-il entre ces deux mots
une différence réelle –
disent le plus souvent des choses
si différentes
que c’est toujours inattendu
cet ensemble
On attend peut-être
on se demande s’il va se passer quelque chose
on a été convié là
on a décidé de venir
on ne sait jamais très bien ce qu’on fait
quand on ne fait rien
on attend
on peut avoir peur
pas sûr en effet qu’on y arrivera
On se demande ce que c’est
ce quelque chose
si cela a un poids
si cela concerne l’espace
ou le temps
et ça y est avec des mots
comme espace et temps
on a fait venir à nous
des choses si graves
que le poids a saisi nos corps
On regarde
on se regarde
on attend
on est ensemble et peut-être là
dans la rue
on se dit que les mots
ont peut-être trop de poids
ou alors on s’en passe
On attend
on se met à marcher
est-ce qu’on doit compter les pas
et s’y tenir
et qui décide qu’on tourne
à droite à gauche
on revient sur ses pas
À quels moments on est vraiment ensemble
et si on y arrive jamais
exactement la même intention
la même émotion
c’est si fragile l’espace dans le corps
On est ensemble et peut-être là
dans l’herbe ou dans la cour
On se regarde
et c’est une manière
ensemble de se garder complètement
peut-être mais jusqu’à quand
jusqu’à quel point
est-ce qu’on sait quand ça a commencé
et pourquoi à certains moments
ça y est on est pris
on y va
c’est la bonne énergie
et le sens vient
du regard des autres
ou plus exactement
de nos regards ensemble
un peu comme s’ils modelaient
le monde
Parfois on écoute les corps
parfois le silence
sans se prendre trop au sérieux
et c’est toujours très petit
presque insensible et diffus
avec souvent l’impression de passer à côté
De quoi
on ne sait pas trop bien
Un petit bruit qui ne serait pas dans les mots
mais peut-être dans la relation
entre le corps et l’espace
et de celle-ci
que retenir exactement
On regarde
on se regarde
on n’attend plus
parce qu’on est ensemble
et qu’ensemble se dessine l’espace
aussi bien pour nous
que pour les autres
sans hiérarchie
sinon l’écoute des souffles
ou des corps
On compte
on avance
et quand on se laisse tomber
on sait que l’autre est là
et quand on court
on ne se demande plus rien
on n’existe que parce que la course
engage aussi les autres
elle n’existe que parce que les autres
sont là
dans la rue la cour ou l’herbe
On regarde
on se regarde
on construit l’espace
qui construit l’ensemble à mesure
et c’est toujours quelque chose
qui commence et qui n’en finit pas
Est-ce qu’on sait quand ça commence
PLACER UNE VOIX
Quelle direction et quel souffle
quelle histoire et quelle force
aurait la voix
quelle intensité
comme à l’extrémité
du sens
et quand tout échappe
sauf le sourire que tu m’adresses
au bord de la mer
et dans ce poème
où j’ai voulu que chacun te parle
au moment même de dire
que ça ne raconte rien
et que peut-être ainsi
c’est l’image de la vie
Jamais rien dans ce qui se tait
quelque chose qui fait face
et quand tout échappe
la voix se déplace encore au loin
LE PRÉSENT DU PRÉSENT
V
[…]
le présent du présent
est-ce l’impression
qui domine d’être au bord
d’être toujours déjà
dans l’inécriture comme dans l’écrit
presque au moment d’accueillir
et de ne plus accueillir
de se confronter et de ne plus faire face
aux mots
de les voir se découdre
comme ain
si
les mo
ts
platitude
balancer des lettres sur la feuille
quelle cristallisation
christ stalinisation
de notre époque mac(a)ron
pas autre chose qu’un jeu
de mots
n’en plus pouvoir mais
lourdeur chaleur
abandon
la fin de l’humanité en cours
l’incondition humaine
donne-moi tes mains
pour mesurer avec la sueur
le poids qui est
en puissance dans chaque mot
et peut-être de refuser
de faire face
tout disparaît
aucun mot à venir
plus rien
si ce n’est
avec tes mains
la mesure du temps qui passe
et dans cette sensation presque
tout le monde qui vient avec elle
dans le sans mot
instant
quelque chose
peut se passer
mais la difficulté est d’arriver
à ne pas mimer la situation
puisque nous devons
par ce désir sans fin
écouter ou prendre avec nous
– est-ce encore la musique –
tout ce qui s’obstine
non pas à dire non
mais à refuser la tranquillité
d’une avancée paisible
rien n’est de l’ordre de l’évidence
et si certes demain sera parti
avec lui sais-je encore
si tu seras là
si quelque chose pourra encore
s’ouvrir du côté de l’attente
si j’entrerai plusieurs fois
dans la même mer
le présent du présent
tient de l’éphémère plaisir
de tenir tes mains et d’apercevoir
l’inconnu en te sachant
toujours autre que ce que je sais de toi
un mot vient
c’est celui de nécessité
parce que je dis
qu’écrire des poèmes
m’est nécessaire
ou qu’il faut faire les choses
quand on sent que ça brûle
et ce que ça signifie
véritablement
si ce n’est une construction personnelle
et comment celle-ci
certes je peux réciter
les étapes d’un attachement au poème
et comment de l’obélisque de Gautier
c’est passé à Verlaine
Sagesse, La Bonne chanson et surtout
Romances sans parole
dans une édition jaune du Livre de poche
puis Rimbaud et Apollinaire
avec des classiques Larousse
et le début d’essai d’écriture
et la rencontre un peu plus tard
je crois en terminale
des poètes surréalistes
jusqu’aux premiers poètes contemporains lus
Guillevic du Bouchet
les étapes d’un mythe ou d’un mensonge personnel
une sorte de dit du poème pour moi
et quel intérêt sinon
ce qui est enfoui de soi
qui n’était en rien une nécessité
mais un plaisir
et peut-être aussi l’idée de quelque chose à tenir
ou plutôt quelque chose qui tient
alors c’est tenir qui devient curieux
parce qu’aussi bien c’est de l’ordre du rôle
et ça implique un j’écris-parce-que-je-me-la-pète
tout en désignant aussi
quelque chose qui participe
de la vérité
or lâcher un tel mot
tu vois bien tout ce que ça convoque
de références et d’angoisse
de lumières rouges dans le cerveau
et dans l’écriture même
avec très fortement un arrêt
d’adolescence quand la remarque vient
que Jésus arrêté et conduit devant Pilate
ne répond pas à cette question
même si les commentateurs éclairés
font remarquer que Pilate tourne le dos
avant la réponse
s’il s’agit de vérité
pourquoi depuis longtemps ai-je
l’impression qu’elle se présente
sans qu’on le sache
dans l’écoute au matin
du chant des merles
qui se répondent
s’imitent et déforment
dans chaque répétition
le thème entrevu
ça me renvoie
au début des années 1990
l’écoute du chant des merles
particulièrement en hiver
qui m’enveloppait
d’une émotion
avec laquelle
j’ai l’impression de n’avoir pas fini
c’est cela donc
la vérité n’a pas de fin
et à la messe enfant
je ne comprenais pas ce que je disais
mais je crois que la formule
me procurait une jouissance indéniable
et son règne n’aura pas de fin
la vérité n’est d’aucun règne
elle tient d’une parole
qui se dit en méfiance des références
tout en assumant un héritage
qui se confronte à ce que peut-être
je peux appeler le réel
en tout cas
le labeur qui provient de lui
intact et souverain
de nouveau avec ces deux adjectifs
la petite histoire de mon poème
paie sa dette à René Char
c’est bien elle
la vérité qui
attend l’aurore à côté d’une bougie
quand
poésie et vérité sont synonymes
le présent du présent
cela dit
le côté pythie pléthorique
me place aussitôt hors du poème
et à le relire
c’est comme un mal de tête
après une bonne cuite
aussitôt dite
la vérité disparaît
cela peut-être tout
qui intervient dans la proximité
avec Mallarmé
je ne sais pas
et le plus étrange peut-être
c’est que dans la rencontre
entre le trivial le sublime du père Longin
ce qui expulse hors du poème
peut parfois permettre d’y demeurer
je sais bien que la figure de l’antithèse
la contradiction ou la double négation
ça reste un peu potache qui commence
à penser
mais souvent le matin
tout ça dans le corps
et presque ce qui me réveille
vers 5 heures du matin
trop mal à la tête après
champagne chassagne-montrachet
irancy médoc
faut-il préciser les millésimes
fondamentalement
même si l’écriture est
expérience de dépersonnalisation
je passe mon temps
à transposer ce qui est moi
et dans l’absence
la solitude ou la fugacité
des mots
c’est une douleur profonde
comme un abandon qui se lit
je sais depuis longtemps
que mon écriture
ou plutôt ce que j’appelle
mes gribouilleries
peuvent t’être parfaitement indifférentes
j’y trouve l’énergie
d’essayer de continuer
dans cette indifférence même
qui signe l’aspect dérisoire
mais indispensable
de cette application
tout en sachant
qu’il n’est aucun point d’application
et c’est là sans doute
que l’écriture devient ce que
toujours j’ai cru
qu’elle ne devait pas être
un refuge
contre l’aspérité du vivre
contre l’échec du temps
et ma propre ânerie
ma suffisance
avec aussi des moments légers
sans hésitation
où tout coïncide avec le dire
ou avec le temps qui passe
et toujours des moments instables
puisque quelque chose comme un écart
menace de passer à côté
de raviver les tensions
et s’il y a
à côté d’eux
ou plutôt contre
à moins que ce ne soit en eux
quelque chose qui peut être appelé
fantaisie ou encore
apparition
toutefois sans donner
un sens chrétien à ce dernier mot
ni une force romantique et pathétique
à la fantaisie
ce n’est pas une invention sans forme
mais une capacité à recevoir
des apparitions tout en parvenant
dans la même énergie des vocables
à les susciter chez autrui
et je voudrais tant que ce fût chez toi
dans ton corps
et voilà que je retombe
sur la familiarité
entre l’instant et l’instable
mon présent au présent dans les faits
familiarité sonore
le monde dans les oreilles
en même temps que dans les yeux
impossible de fermer les oreilles
en haine de la musique
c’est la simultanéité des sens
et le déséquilibre de la perception
qui participe de l’instabilité
de l’instant
tu vois mieux que moi
qui entends mieux que lui
qui goûte mieux qu’elle
etc.
peut-être n’y a-t-il pas d’instant
dans le présent
ou alors parfois
c’est le présent de l’instant
qui n’existe pas
voire simplement
le présent
toujours la manière
de se heurter à cela
quand quelqu’un meurt
il ne l’est pas encore
et s’il est mort
alors c’est déjà fait
le présent de la mort est
une béance
mot dont je me méfie
toujours parce qu’il a
sa part de pathos
le trou de ce présent
n’est pas une douleur
mais plutôt la chance
de se confronter à l’impossible
présent du présent
et c’est suffisant pour motiver
l’écrit en dehors
des attentes
ce qui existe
le plus souvent
pas grand-chose
et c’est là qu’est
le divin sans dieu
ce qui fait tenir
au désir
et si tu demandes
une définition
de celui-ci
tu sais que cela commence
et finis par toi
dans ce présent du présent
avec
l’incondition humaine
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