Claude Ber, Épître Langue Louve, Paris, Éditions de l’Amandier, 2015, 112 p. (« Accents graves / Accents aigus »).
Claude Ber est née le 13 juillet 1948 à Nice, « du croisement libertaire d’anarchistes florentins et basques, lignée ombrageuse quant à la liberté, rétive à tout embrigadement, peu encline aux croyances », affirme-t-elle.
Elle vit à Paris, en donnant de multiples lectures et conférences en France et à l’étranger. Agrégée de Lettres, elle a enseigné les lettres et la philosophie en lycée et en université, puis a occupé des fonctions académiques et nationales. Elle est poète et auteur dramatique, surtout poète, dirais-je, du fond de son cœur et de son âme. À ce titre, entre autres, elle a obtenu le Prix de l’Académie des Sciences Lettres et Arts de Marseille pour l’ensemble de son œuvre poétique (1994) et le Prix International de Poésie Francophone Yvan Goll (2004), et a été nommée Chevalier de la Légion d'Honneur (2001).
Voici ses principaux ouvrages poétiques : Lieu des Épars, (1979), Alphabêtes (1999), Sinon la Transparence (1996, réédition en 2008), Le nombre le nom (2009),
Vues de vaches, photographies de Cyrille Derouineau (2009), L’Inachevé de soi, peintures de Pierre Dubrunquez (2010),
Le Livre, la table, la lampe (2010), La Mort n’est jamais comme , (2004, en 2011 4e édition), enfin Épître Langue Louve, en 2015.
J’adore la poésie de Claude Ber. Je l’ai entendue une fois dans un lycée de Versailles, et j’ai été foudroyé par sa façon de dire le poème, avec une entrée totale au cœur du mot. Quand je lui ai demandé un témoignage sur sa langue poétique pour l’un de mes livres, entre autres, elle a déclaré : « Chacun a sa manière. La mienne est de travail sur des blocs langagiers, matière de langage brut, où il s’agit de taille, d’ajustement, de soustraction, mes obsessions de variations lexicales, syntaxiques et rythmiques comprises. Tissu texte aussi qui se plie, se replie, se noue dans le poème, là où la prose déplie. Dans cette ‘feuillature’ pour reprendre ce mot artisan qui dit la densité du poème – couche sur couche et maximum de sens sur minimum de surface ! – et sa tension où tout (lexique, images, figures, sons, rythmes, disposition dans la page etc.) fait sens en tous sens. Dans du donné imprévisible, de l’inattendu, quelque chose qui échappe à toute illusion de maîtrise et du pesé, compté, calculé. Un dosage de faire et de ne pas faire qui vaut parcours initiatique pour le dire avec humour ! ».
Claude Ber fait donc premièrement un grand travail de langue. Le titre aussi de ce livre le rappelle. La langue est au centre, entre l’épître – le poète écrit au monde et à chaque individu – et la louve. Donc entre le ciel et la terre, la langue s’adressant aux autres et à la réalité vraie.
À chaque ligne d’Épître Langue Louve, on perçoit « un besoin de lumière dans une obscurité un sentiment d’obscurité » (p. 9). Cela me rappelle la phrase latine « lucem demonstrat umbra », « l’ombre prouve la lumière ». C’est à travers la langue que Claude ouvre un point dans l’ombre, pour faire jaillir la lumière, comme l’eau qui sourd d’un rocher. Et c’est le miracle de la langue.
Les disproportions s’annulent et le mot – pour Claude le mot est l’énergie la plus intense – pénètre les secrets du monde. Claude Ber manipule le mot comme un sculpteur, en fait une pâte dense et douce, pour entrer « entre les ombres de la caverne et les bavures d’huile sur le béton » (p. 29).
Claude Ber serait-elle futuriste ? Parfois elle écrit à la façon de Marinetti, il est vrai. En réalité, son ascendance – je l’ai écrit et je le confirme – est mallarméenne. Comme Mallarmé, elle connaît « l’envers invisible » du langage, ses horizons et se portes, ses résonnements et ses silences.
Ce livre est une « somme », provisoire sans aucun doute, mais un résultat important de la méditation et du discours sur la parole, c’est-à-dire sur la condition humaine, pour parler Montaigne.
Vers ou prose ? Claude Ber ne se pose jamais ce problème. Langue dit-elle, et agit-elle, par le souffle d’un rythme musical rappelant la jazz ou le rap. Sa parole circule comme celle d’un tribun, dans son corps vivant de poète, dans ses variations qui sont des coups de marteau et d’épée d’argent, simultanément.
Une polyphonie de voix apparaît, celle de Claude Ber et de nous tous, des voix de l’histoire et de l’écriture, des voix d’interrogation, à chaque ligne/vers. Joie et douleur, tragicomédie et comédie, densité du poème et parole au vent, afin que le point le plus lointain puisse entendre clairement.
Claude Ber utilise une sorte de dialogue théâtral poétique. C’est un choix capital, qui fait de la poésie l’arme la plus puissante du dialogue, en ce monde de plus en plus fermé : « Les portes claquent devant nous, mais nos paumes restent ouvertes » (p. 95). Le poète a secoué « le fagot de syllabes » (ibid.). C’est que « la langue bruit et / on n’écrit pas dans le /noir » (p. 102), C’est le dernier mot du livre et du poème, de l’espoir et de la parole.
GIOVANNI DOTOLI
Université de Bari Aldo Moro
SKENE, Revue de littérature française et
italienne contemporaine", n. 6, décembre 2015-janvier 2016.
Claude Ber est née le 13 juillet 1948 à Nice, « du croisement libertaire d’anarchistes florentins et basques, lignée ombrageuse quant à la liberté, rétive à tout embrigadement, peu encline aux croyances », affirme-t-elle.
Elle vit à Paris, en donnant de multiples lectures et conférences en France et à l’étranger. Agrégée de Lettres, elle a enseigné les lettres et la philosophie en lycée et en université, puis a occupé des fonctions académiques et nationales. Elle est poète et auteur dramatique, surtout poète, dirais-je, du fond de son cœur et de son âme. À ce titre, entre autres, elle a obtenu le Prix de l’Académie des Sciences Lettres et Arts de Marseille pour l’ensemble de son œuvre poétique (1994) et le Prix International de Poésie Francophone Yvan Goll (2004), et a été nommée Chevalier de la Légion d'Honneur (2001).
Voici ses principaux ouvrages poétiques : Lieu des Épars, (1979), Alphabêtes (1999), Sinon la Transparence (1996, réédition en 2008), Le nombre le nom (2009),
Vues de vaches, photographies de Cyrille Derouineau (2009), L’Inachevé de soi, peintures de Pierre Dubrunquez (2010),
Le Livre, la table, la lampe (2010), La Mort n’est jamais comme , (2004, en 2011 4e édition), enfin Épître Langue Louve, en 2015.
J’adore la poésie de Claude Ber. Je l’ai entendue une fois dans un lycée de Versailles, et j’ai été foudroyé par sa façon de dire le poème, avec une entrée totale au cœur du mot. Quand je lui ai demandé un témoignage sur sa langue poétique pour l’un de mes livres, entre autres, elle a déclaré : « Chacun a sa manière. La mienne est de travail sur des blocs langagiers, matière de langage brut, où il s’agit de taille, d’ajustement, de soustraction, mes obsessions de variations lexicales, syntaxiques et rythmiques comprises. Tissu texte aussi qui se plie, se replie, se noue dans le poème, là où la prose déplie. Dans cette ‘feuillature’ pour reprendre ce mot artisan qui dit la densité du poème – couche sur couche et maximum de sens sur minimum de surface ! – et sa tension où tout (lexique, images, figures, sons, rythmes, disposition dans la page etc.) fait sens en tous sens. Dans du donné imprévisible, de l’inattendu, quelque chose qui échappe à toute illusion de maîtrise et du pesé, compté, calculé. Un dosage de faire et de ne pas faire qui vaut parcours initiatique pour le dire avec humour ! ».
Claude Ber fait donc premièrement un grand travail de langue. Le titre aussi de ce livre le rappelle. La langue est au centre, entre l’épître – le poète écrit au monde et à chaque individu – et la louve. Donc entre le ciel et la terre, la langue s’adressant aux autres et à la réalité vraie.
À chaque ligne d’Épître Langue Louve, on perçoit « un besoin de lumière dans une obscurité un sentiment d’obscurité » (p. 9). Cela me rappelle la phrase latine « lucem demonstrat umbra », « l’ombre prouve la lumière ». C’est à travers la langue que Claude ouvre un point dans l’ombre, pour faire jaillir la lumière, comme l’eau qui sourd d’un rocher. Et c’est le miracle de la langue.
Les disproportions s’annulent et le mot – pour Claude le mot est l’énergie la plus intense – pénètre les secrets du monde. Claude Ber manipule le mot comme un sculpteur, en fait une pâte dense et douce, pour entrer « entre les ombres de la caverne et les bavures d’huile sur le béton » (p. 29).
Claude Ber serait-elle futuriste ? Parfois elle écrit à la façon de Marinetti, il est vrai. En réalité, son ascendance – je l’ai écrit et je le confirme – est mallarméenne. Comme Mallarmé, elle connaît « l’envers invisible » du langage, ses horizons et se portes, ses résonnements et ses silences.
Ce livre est une « somme », provisoire sans aucun doute, mais un résultat important de la méditation et du discours sur la parole, c’est-à-dire sur la condition humaine, pour parler Montaigne.
Vers ou prose ? Claude Ber ne se pose jamais ce problème. Langue dit-elle, et agit-elle, par le souffle d’un rythme musical rappelant la jazz ou le rap. Sa parole circule comme celle d’un tribun, dans son corps vivant de poète, dans ses variations qui sont des coups de marteau et d’épée d’argent, simultanément.
Une polyphonie de voix apparaît, celle de Claude Ber et de nous tous, des voix de l’histoire et de l’écriture, des voix d’interrogation, à chaque ligne/vers. Joie et douleur, tragicomédie et comédie, densité du poème et parole au vent, afin que le point le plus lointain puisse entendre clairement.
Claude Ber utilise une sorte de dialogue théâtral poétique. C’est un choix capital, qui fait de la poésie l’arme la plus puissante du dialogue, en ce monde de plus en plus fermé : « Les portes claquent devant nous, mais nos paumes restent ouvertes » (p. 95). Le poète a secoué « le fagot de syllabes » (ibid.). C’est que « la langue bruit et / on n’écrit pas dans le /noir » (p. 102), C’est le dernier mot du livre et du poème, de l’espoir et de la parole.
GIOVANNI DOTOLI
Université de Bari Aldo Moro
SKENE, Revue de littérature française et
italienne contemporaine", n. 6, décembre 2015-janvier 2016.