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09/02/2011



L'invité du mois

Frédérique GUETAT-LIVIANI

Je n’ai jamais réussi ou peut-être jamais tenté de faire exister mon travail dans un espace bien défini. Je déambule dans divers lieux, celui de la Performance, celui des Arts Plastiques, celui du livre. Souvent seule, parfois accompagnée.

Au début, l’expérience d’Intime Conviction a été déterminante dans mon travail. Intime Conviction était un regroupement d’artistes, de poètes qui refusaient la fixité d’un lieu et tentaient d’interroger l’espace intime de la création, de toute création. Ce qui nous intéressait, ce n’était pas de montrer, d’avoir un lieu d’exposition, une maison d’édition. Ce qui nous guidait, c’était de poser la question : « Comment faire une poésie si totale qu’elle déborde partout ? » « Comment lui faire mener une guérilla urbaine afin qu’elle envahisse tous les domaines, du mystique au politique ? »

Nous jeûnions, nous nous enfermions dans des chambres d’hôtel, creusions des trous, fleurissions des noms oubliés au coin des rues. Nous interrogions notre séquestration, notre précarité, notre fatigue.
Ce n’était pas audible, pas visible, alors pour laisser une trace, une tentative d’objection, nous fabriquions une publication, elle prenait la forme d’un album, quelque chose de blanc où nous nous inscrivions.
Ce que nous cherchions, c’était l’acte en poésie et nos albums transcrivaient notre lecture du monde, notre façon de réécrire.

Trois poètes furent déterminants dans ce cheminement, parce qu’ils nous rappelaient que l’espace du visuel, du sonore et du corps, sont indispensables au débordement de la poésie. Julien Blaine, celui qui interroge le poème avec son propre corps, corps fini, corps mortel, et parvient à repousser les frontières de l’inachevé.
Pierre Garnier qui, avec une extrême lucidité, ne cesse de récolter, par l’écrit, le dessin, des morceaux d’invisible, sachant qu’aussitôt saisis, ils disparaîtront.
Bernard Heidsieck, dont la parole échoue dans la saturation du son, le noyau des voix anonymes, et qui pourtant, nous fait entendre l’inaudible.

Hors l’espace du livre, il y a également mon travail plastique.
Mes installations utilisent des objets, des images, des mots, ordonnant un autre alphabet. Le support en est souvent le tissu, parce que le tissu c’est léger, ça se plie, se découpe, se transporte, c’est infime et terriblement robuste. Et puis le tissu c’est pour tout le monde, alors que les livres, tout le monde n’en a pas. Sur le tissu je brode des signes, c’est aussi de l’écriture. C’est comme un va et vient entre deux langues, j’écris dans ces deux langues, sans arrêter mon choix sur l’une ou l’autre.

Le passage entre ces deux lieux, c’est la lecture, la performance.
Un livre, une installation, ça reste et même si ça ne reste pas longtemps, c’est conçu pour durer. Alors que la lecture, c’est un moment inouï, quelque chose qui n’existait pas avant, qui n’existera plus après. Durant un temps très court, les mots prennent corps. Tout est livré dans la précarité absolue.

Aujourd’hui, le capitalisme a un nouveau look, il a récupéré les slogans révolutionnaires, les jeux typographiques, les ready-made, etc. Finalement, avec l’aide involontaire des artistes, il a accru son pouvoir.
Alors si comme l’affirmaient les Situationnistes, le seul espace révolutionnaire qui nous reste est l’espace de la poésie, nous n’en profitons pas assez.
Continuer à pourfendre le sentimentalisme et le pathétique en poésie n’a plus grand intérêt. C’est le poème tout entier qu’il nous faut déménager. Puis provoquer des échauffourées entre les lignes. Mener des révoltes alphabétiques.
Mais l’immeuble-poésie n’est pas à l’abri du climat ambiant, il sécurise ses entrées.
Il serait préférable au contraire d’ouvrir toutes les issues et de faire entrer au dedans le Dehors.

Puis procéder à l’emportement des meubles, ne pas craindre qu’ils soient saisis.
Il n’y a que le tumulte, le tohu et le bohu, qui engendreront l’explosion du langage.
Pourquoi tenter de sauver les meubles ?


Frédérique Guétat-Liviani



BIOBIBLIOGRAPHIE

PUBLICATIONS :

1988: Et hier et ailleurs in Doc(k)s
Regarder les étoiles in Doc(k)s

1989: Ariane la mort de l'ouvreuse in Doc(k)s

1990: Blasons du corps masculin Editions Nèpe et Spectres Familiers
Pénitence les 100 rouges différents Editions Tore et Intime Conviction

1991: Les 4 valets in Banana Split
Que sont devenus les enfants? in Doc(k)s
7 lumières in 7° Rencontres Internationales de Poésie AGRIPPA

1992: L'Omise in Quai des Arachides

1993: L'herbe aux chats Editions Printemps culturel du Valenciennois
L'histoire vraie d'Hervé Glenn in Doc(k)s
Saint Petersbourg / Marseille catalogue
Par les yeux du langage Art Transit
30 écrivains à Marseille Fnac/ If / Taktik

1994: 10 ans de poésie directe Réunion des Musées Nationaux

1995: Sommaire in l'Oeil du Poulpe

1996: Grammaire parfumée in Doc(k)s
Noyer le poisson in l'Oeil du Poulpe

1997: A contre sens in Numero Revue Murale Casa Factori
Le livre d'heurts in Action Poétique n°147

1998: 7 x disparue in Raddle Moon n°16 Vancouver Canada
Mallarmé Millionnaire in Action Poétique n°152
Poesia Totale Mantova Italie
Spirit/u-elles Editions Nèpe
Formica Editions Fax
Les acousmatiques in If n°13
Passage and Co Hambourg Marseille CIPm/Passage
00H07 in l'Oeil du Poulpe

1999: Le manger in Cornaway
Spirit/u-elles (récidive) Fax/Plaine Page


2000: Le Petit Véhicule n°47
Petite n°8
L'Anthologie 2000 éditions farrago

2001: Les comptes rouges et ronds in Action Poétique n°162
Estivales de Bandol S.et R.Ricciotti
Poèmes épars avec Julien Blaine éditions Collodion
Olympic Café Apegac Poésie sonore CD

2002: Revue Anartiste n°1
(Appareils) éditions Farrago.
Les inclassables éditions du VAC

2003: Setart 2003 catalogue
Cahier Biennale internationale des poètes n°31
Nouveau(x) poète(s) éditions Plaine Page
Niño éditions Plaine Page
DOC(K)S Action
Le dortoir des filles Fidel Anthelme X

2004 : Echanges de mains éditions Plaine Page
Oculus Visual Poetry (catalogue)

2005 : Revue Hiems n°11
Revue Dirigeable Nijni Novgorod Russie

2006 : Texto édition Montagne Froide collection Confettis
Les auxiliaires in La République Mondiale des Lettres
Revue électronique de Recherche en écriture

2008 : éditions Plaine Page collection Plurielles
Revue DOC(K)S « Le son d’amour »
extraits de « Premier arrondissement » in Action Poétique 194

2009 : Monsieur Raphaël in Althæa Et pourtant elle tourne.
Poésie Espace Public Autres et Pareils La Revue n°31

2010 : En aller Shoes or no shoes Museum en ligne
Tan in Les Entre Peaux éditions Plaine Page



2011 : Les Petites Sirènes Editions Plaine Page
Prières de. In Action Poétique n°205
Doc(k)s n°13-14-15-16
La chambre de Louise in Revue Art et Anarchie (2)

2012 : La lettre de refus Regards croisés avec Claudine Galéa in Revue Dazibao
Art-matin n°4 Premières Pages
Art-matin n°5 Les Eauditives
Anthologie Sète 2012 Voix Vives
Prière de. éditions Plaine Page
Carnets in Revue un camion, 1.
Espèces d’Animales in Sitaudis

2013 : La Gazette des Jockeys Camouflés n°5
Le premier arrondissement Les éditions Sitaudis
Le banc de Giotto éditions Fidel Anthelme X
Sometimes I think Publication de Frank Smith dans le cadre de sa résidence à Chamarande
Mineurs venus d’ailleurs Catalogue du musée des Gueules Rouges
4 poèmes in Art et Anarchie n°4
Extrait (Appareils) in catalogue La Provence terre de rencontres entre artistes et écrivains
Musée Regards de Provence.

Bourse de soutien à l’écriture Ville de Marseille (1994)
Bourse d’encouragement du CNL (2001)
Bourse d’encouragement du CNL (2005)
Résidence d’écriture Les Avocats du Diable Vauvert (2010)

Co-fondatrice d'INTIME CONVICTION espace de recherche et de création artistique (1987-1994).
Co-fondatrice de FIDEL ANTHELME X en 1995, dirige la collection de la Motesta.


LECTURES PUBLIQUES :

1990: Rencontres Internationales de Poésie Tarascon

1991: La Nouvelle B.S au Centre International de Poésie Marseille

1992: Rencontres Internationales de Poésie Tarascon
Fuga Mundi au Centre International de Poésie Marseille
Milano Poesia Italie

1993: Le vrai faux groupe La Nouvelle B.S au Centre International de Poésie
Marseille
Rencontres poétiques franco-russes Saint -Pétersbourg
Récital Franco-italien Villa Medici Rome



1994: Le Trou Intime Conviction Centre International de Poésie Marseille
La déposition des 7 phylactères La Galerie de Marseille

1995: Le Théatre des Egarés La Nouvelle B.S Centre International de Poésie
Marseille
13 poètes pour Marseille dans le cadre de l'exposition de Gianluca Balocco
Parma Poesia Italie
Choses qui voyagent Hommage à Franco Beltrametti Fondation Stampalia
Querini Venise Italie

1996: 30 ans de Doc(k)s Friche de la Belle de Mai Marseille

1997: Muses dans les musées Musée Cantini Marseille
Literaturhaus Hamburg Allemagne

1998: La poésie contemporaine dans tous ses états Librairie Télo Martius La Seyne
Festival franco-japonais Ventabren Art Contemporain
L'Ecrit-Parade Bibliothèque de la Part-Dieu Lyon
Institut Culturel Français Hambourg

1999: Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne

2000: Universelle 53° Festival Cannes
La fin d'un millénaire au VAC (Ventabren Art Contemporain)
Olympic Café Paris Apegac J.Donguy

2001: Festival Polyphonix Caen
Rencontres estivales de Bandol
Musée des Beaux-Arts Marseille

2002: Printemps des Poètes Centre Pompidou Paris
Ajaccio soirée performance organisée par la revue Doc(k)s
Expoésie Périgueux
Festival Voix de la Méditerranée Lodève
Rencontres Germain Nouveau Pourrières
2003: Printemps des Poètes Marseille
Rencontres Germain Nouveau Pourrières 2ème édition
Ventabren Art Contemporain

2004 : Nuit Blanche France Culture Paris
Musée d’Art Contemporain Marseille
Cotignac France
Adieu la Perf…Julien Blaine Friche de la Belle de Mai Marseille

2005 : Festival de Monza Italie
Librairie Page 22 Barjols France
Bibliothèque Lénine Nijni Novgorod Russie


2006 : Galerie des Grands Bains Douches de la Plaine Marseille
Galerie Librairie Page 22 Barjols

2007 : Hiems La Station Nice
Le Printemps des Poètes Université 2 Rennes
Le Lieu Québec Canada
Le Garage Villeneuve-lès-Avignon
Librairie l’Odeur du Temps Marseille

2008 : Sons de Plateaux Montevideo Marseille
Printemps des Poètes IUFM Marseille

2009 : Chauffe, Marcel ! Performance Plaine Page Barjols Var
Les Chantiers de la lune La Seyne sur Mer
Anniversaire de l’Art Performance Sauve Gard
Les éditions Contre-Pied Librairie l’Odeur du Temps Marseille
Althæa Et pourtant elle tourne Marseille
Les Eauditives Zone d’Intérêt Poétique Barjols

2010 : Prières de. Fidel Anthelme X Marseille
éditions Plaine Page LibrairieLe Corbusier Marseille
Les Marseillaises Médiathèque Septèmes-les-Vallons

2011 : Galerie Mourlot Jeu de Paume Marseille
Médiathèque Vitrolles
Déclamons la poésie ! Université de Rennes
Festival Les Eauditives Barjols

2012 : Présentation de la revue « un camion, » Librairie Le lièvre de Mars Marseille
Festival de poésie Voix Vives Sète
Festival Préavis de désordre urbain Marseille

2013 : Les Petits toits du monde 13ème Rencontre d’écriture-s Alpes de Haute-Provence
Les Marseillaises Invitées du festival de Lodève au cours de ces 16 années Théâtre de Lenche Marseille
Le banc de Giotto Le Grand Domaine Marseille
Musée des Gueules Rouges Tourves (83)


TRADUCTIONS :
-Echanges franco-allemands organisés par Passage § Co en 1997 et 1998.
Poète traduit: Fahrad SHOWGHI. Langue: allemand
-Un bureau sur l'Atlantique sous la direction d'E.Hocquard (1998).
Poète traduit: Ray DI PALMA. Langue: anglo-américain
-Sous la direction de Michel Eckart-Elial (1998).
Poète traduit: Mordechaï GELMAN. Langue: hébreu.
-Le Comptoir, atelier de traduction collective sous la direction de L.Giraudon et J.J.Viton.(2001) Poète traduit: Carpanin MARIMOUTOU. Langue: créole réunionnais.
-Le Comptoir (2002) Poète traduit : Andrea RAOS. Langue : italien.


EXTRAITS

Les étoiles au sol.
Nous marchons sur les étoiles.
Des siècles d’étoiles en poussière.
J’ai lu puis j’ai dormi puis j’ai lu. L’histoire d’une princesse turque. J’ai regardé les photos.
Des jeunes filles brunes et un effort de mémoire
pour se souvenir de l’ordre d’arrivée des sœurs.
A l’étage des nids d’hirondelle un oisillon dans le nid. La mère vient le nourrir.
Au loin la prière. Le chat roux et blanc dort dans la cour.
A l’étage la vieille dame qui aime les chats.
La sœur sur la chaise à l’entrée.
Elle est sage rit beaucoup rit de tout.
Rit de rien. Rit surtout du rien.
23 juin à Alger.

***

Hier soir à la télé un reportage sur la guerre.
Vue d’ici.
Des documents d’époque les populations déplacées pour laisser place aux français à qui l’on a donné leurs terres.
En France on verra dans quelques jours certainement un reportage sur ces mêmes français chassés de leurs terres.
Nulle part on ne dit la vérité on se limite à reconnaître celle des autres.
Demain nous irons nous promener à Tipaza.
Mettre un pantalon et ne pas se donner la main.
Ce soir dans la rue Isabelle Eberahrdt un homme nous croise.
Il dit qu’il regrette la disparition de cette plaque-là que l’ignorance fait des ravages ici comme ailleurs qu’il faut résister.
Ici comme ailleurs.
Les magasins sont comme ceux de l’enfance.
Une autre inquiétude pas la même.

***

Sur la plage vide nous nous allongeons.
Seules à se baigner.
Le ciel est parfaitement voilé. Le sable a engrangé la chaleur. Le corps se délasse.
Je dis que cela fait si longtemps que je ne me suis pas ainsi reposée.
Juste cela se reposer.
En face S. me montre. C’est là que les français sont arrivés.
Elle le dit froidement sans ressentiment sans sentiment.
Elle dit cela c’est une constatation.
Je dis les Français comme je dirais les Allemands.
Je dis le peuple algérien.
Un pays qui se soulève forme un peuple.
Le peuple français a fait la révolution.
Les Français ont colonisé l’Algérie
Je n’ai pas fait la révolution je n’ai colonisé personne.

***

La guerre nous l’avons oubliée quelques jours.
Dans cette langue-là nous ne savions pas lire les journaux alors c’était plus facile.
C’est dans le musée tout à coup face à la petite fille minuscule déguisée en adulte
que le réel est réapparu.
Oui cette petite fille vieille de trois siècles me fixait douloureusement.
Ses yeux n’étaient pas ceux d’une enfant mais d’un vieillard pas n’importe quel vieillard celui que j’avais vu à la télévision perdu au milieu de cette guerre allongé ne comprenant plus rien à rien.
Les yeux d’un animal plus rien d’humain dans le regard.
Les yeux de la bête que nous avons tenté de domestiquer dans notre propre corps.
Et tout à coup l’animal jaillit car rien de ce que nous avons bâti ne peut plus le contenir.
La petite fille déguisée a les mêmes yeux. Des yeux de petite bête de vieille bête.
Prête à l’échappée. Parquée dans le cadre rectangulaire aux aguets.
Rien autour d’elle pas le semblant d’un décor. La création n’a pas encore eu lieu.
Et la lumière elle en est la source. L’immanence c’est elle sans D ieu ni Maître.
Malgré son bonnet grotesque sa robe empesée son visage maigre c’est elle qui éclaire l’œuvre hors de toute anecdote.
Elle n’attend rien ne promet rien.
Au rendez-vous sans impatience sans lassitude connaissant l’heure de notre nécessaire visite.

***

Pas de nouvelles depuis le début de la guerre.
Le poète a répondu Dépression Totale.
Je n’ai écrit que quelques mots juste pour dire « Si vous avez besoin de moi »
A quoi servent les paroles prononcées ? La guerre nous anéantit encore une fois.
Cette fois-ci nous sommes les bourreaux. Les enfants meurent en direct.
Les femmes attendent qu’on vienne les chercher.
Les pauvres ne partent pas.
Quand on est vraiment pauvre on ne part pas. Au mieux on s’exile.
Ceux qui partent savent où aller savent qu’ils reviendront.
Les pauvres ne savent pas où aller.
Ceux qui n’ont rien à perdre restent là accrochés à ce qu’ils ne possèdent pas.
Les enfants sont pauvres par définition.
Les enfants reçoivent des bombes n’en lancent pas.
Bagdad brûle Beyrouth s’effondre.
Aucun rêve n’est venu m’avertir je ne suis plus visitée.
Je visionne l’anéantissement sur petit écran.

***

Chaque jour depuis le 12 je fais le compte de mes enfants perdus.
Je découpe les visages dans la presse.
Des visages sans nom je les nomme.
Ainsi prennent-ils vie.
Je leur invente une chambre un lit une chanson fredonnée.
Je m’endors avec eux les berce ils me bercent.
J’en perds sur la route ils courent je cours tente de les rattraper.
Ils disparaissent à leur place une tâche rouge.
Il faut vite recouvrir le sang avec la terre éviter l’épidémie chercher à manger pour le soir.
Et puis il fait si chaud la soif intenable.
Je découpe les articles classe les photos.
Le nom des enfants ne sera plus prononcé le désordre alphabétique règne.
Je n’ai pas le droit de les compter ce sont mes enfants.
Mes enfants ne sont pas un troupeau.
Ça coule à flot sur eux. Ils se réfugient sous les arbres. Les branches les protègent.
Maintenant c’est la sève qui s’écoule à son tour se mélange à leur sang.
Comment vais-je faire ? Demain j’aurai encore proliféré.
Je découperai encore leur image. L’ombre sur l’image.
Et je leur préparerai un bon petit goûter.
Dans le monde entier les enfants aiment goûter.

***


Le long du fleuve nous avons roulé.
La terre était sans guerre sans bruit sans enfants.
Les guerres tuent les enfants. On ne déclare pas une guerre à une terre sans enfants.
Les retraités tondent la pelouse. Personne ne leur cherche querelle.
L’eau coule à flot le sol est humide.
Par en dessous on trouve des plumes des os des armes.
Par dessus on pose le gazon on dispose les oiseaux blancs en résine pour la décoration.
Dans la Pontiac nous avons roulé encore vers les sept chutes.
Chacune avait un nom.
La nôtre nous ne l’avons pas nommée.
Sur l’île nous avons acheté un sombre sirop.
Et au bar laitier nous avons bu de la soupe et du chocolat.
La serveuse était pacifique elle nous a vanté les vertus des baies sauvages.
La vendeuse de sirop était une guerrière dans le hangar la peau des renards était pendue.
Pour cueillir la fourrure des uns le silence des autres il faut faire saigner arbres et bêtes.
Le printemps était improbable nous avons dérangé les écureuils nous nous sommes immiscés dans le nid des pics-verts.
Ils se sont enfuis.
A quoi ressemble la paix lorsque les enfants la désertent ?

***


Un peu partout les étrangers deviennent indésirables.
Auparavant nous n’étions étrangers qu’à nous-mêmes.
Aux autres aussi maintenant.
Peut-être n’y remettrai-je jamais les pieds.
Pourtant j’aurais voulu retourner me promener dans la petite rue derrière la maison.
La rue de la venue au monde.
Je continuerai cependant à lire des livres qui parlent d’elle.
Et à envoyer des lettres à la vieille dame.
La miséricordieuse celle qui nourrit les chats au-delà des guerres
des trahisons des collaborations.
Celle dont le salon est une mosquée au sol couvert d’étoiles.
Recluse volontaire dans la forteresse en ruines.
C’est à celle-là que j’écrirai car sa courbure ressemble au cercle de silence
qui feint d’enfermer les femmes et ne trompe que les sots accapareurs de langue
pour l’accomplissement des basses œuvres.


Jeudi 5 Juin 2014
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Effraction/ diffraction/
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mars 2018.

Pour avoir vu un soir
la beauté passer

Anthologie du Printemps
des poètes,
Castor Astral, 2019

La beauté, éphéméride
poétique pour chanter la vie
,
Anthologie
Editions Bruno Doucey, 2019.

Le désir aux couleurs du poème,
anthologie éd
Bruno Doucey 2020.







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