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09/02/2011



L'invité du mois

Gérard CARTIER



BIOBIBLIOGRAPHIE

Gérard CARTIER
BIOBIBLIOGRAPHIE

Né en 1949 à Grenoble. Ingénieur, diplômé de l’École Centrale, a participé jusqu’en 2009 à de nombreux grands projets d’infrastructures (ports, tunnel sous la Manche, métros, autoroutes, tunnel international Lyon-Turin). Près de vingt ans de vie errante (Angleterre, Italie).

A mené en parallèle une activité de poète.
Traducteur du poète irlandais Seamus Heaney, Prix Nobel de littérature 1995 (La lanterne de l’aubépine).
A été, avec Francis Combes, l’initiateur et le maître d’œuvre de l’affichage de poèmes dans le métro parisien qui s’est poursuivi de 1993 à 2007.
A été membre du comité littéraire de la revue de poésie Le Mâche Laurier (dernier numéro en 2008), et est depuis 2010 le coordinateur de la revue électronique de littérature Secousse.

Ses livres, qui tirent souvent leur motif de l’histoire récente et contemporaine, témoignent de l’ambition de renouer avec une poésie sensible au mouvement des peuples – une poésie « épique ». Plusieurs livres de poèmes inspirés de la période de la seconde guerre mondiale : la déportation de Robert Desnos (Alecto !) et l’épopée du Vercors, au pied duquel il a longtemps vécu (Introduction au désert, puis Le désert et le monde, prix Tristan-Tzara). D’autres livres se font l’écho des turbulences du dernier demi-siècle (guerre d’Algérie, Palestine : Le hasard ; l’Irlande : Tristran).
Les derniers livres prennent souvent la forme d'une « autobiographie fantasmatique, qui ne coïncide pas avec sa propre existence mais en est comme l'image mythique ou la projection rêvée » (Yves di Manno) : Le hasard ; Méridien de Greenwich (prix Max-Jacob) ; Le petit séminaire.
Un recueil de récits célébrant les auteurs classiques et modernes, en hommage aux saints Lagarde et Michard (Cabinet de société).

Poésie
• Le montreur d’images, Saint-Germain-des-prés, 1978
• Passage d’Orient, Temps Actuels, coll. Digraphe, 1984
• La nature à Terezin, Europe Poésie, 1992 (Encres de Michel Harchin)
• Alecto !, Obsidiane, 1994
• Introduction au désert, Obsidiane, 1996
• Le désert et le monde, Flammarion, 1997 (prix Tristan-Tzara, 1998)
• Méridien de Greenwich, Obsidiane, 2000 (prix Max-Jacob, 2001)
• Le hasard, Obsidiane, 2004
• Le petit séminaire, Flammarion, 2007
• Tristran, Obsidiane, 2010
• Le banquet, (à paraître : Flammarion, 2014)

Récits
• Cabinet de société, Éd. Henry / Écrits du Nord, 2011

Pièce radiophonique
• La déportation d’Hermès, France Culture, 1987 (Nouveau Répertoire Dramatique, réalisation Claude Roland-Manuel)

Traduction
• La lanterne de l’aubépine de Seamus Heaney, Le Temps des cerises, 1996

EXTRAITS

Le Voyage de Bougainville
(inédit)




Charmer de couleurs vives l’œil délicieux
Bénir la bouche s’enivrer au jardin
Des vents épicés délicieux flatter
De chants l’oreille et au cœur de la nuit
La main la main légère et tout le corps
À la suivre insatiable humide
À l'intérieur de miel et dehors de sueur
Étreignant sans trouver de salut
Convulsivement la chair une sœur
Douce à la bouche à l’œil enivrante
Qui doucement se plaint souple et mobile
Dans chaque pli des épices puissantes
Dont l’esprit défaille s’épanchant dans la nuit
Et rien ne peut plus nous reprendre l’œil
Obscurci la main tremblante à louer
La forme glorieuse qui nous révèle
Et tous les sens embarrassés pourtant
Rien qui d’eux ne vienne rien qui échappe
À ces tyrans d’où naissent tous les arts
Et les chants



Vertu de solitude Han Shan Cinquante ans
Face à la Montagne Froide Une hutte
Au-dessus des brouillards et un jardin penché
Des fleurs à la saison et de longues neiges
Sans un mot pour louer ni se plaindre sans
Une pensée qui poigne Oubliant d’être homme
Ambition ni gloire Ni l’amour des femmes
Plus insoucieux que l’eau des sources
Qu’à la borne du seuil l’érable
Qui froisse au vent son ombre pourpre
Je l’ai envié parfois assis face au Grand Som
Écoutant jusqu’au soir les cloches régulières
Rêvant l’atelier la cellule et le jardin clos
Où très haut le vent bruisse immobile
Un chant monocorde sept fois le jour
Dans une langue vaine Si un dieu bienveillant
Me parlait à l’oreille je quitterais ce siècle
Mais incrédule il faut bien se mêler
Et malgré soi livré à ses infirmités
Tenir sa partie dans le monde



Tristran
(Obsidiane, 2010)



Loin des provinces maritimes Loin des routes
Ghuagán Barra Deux montagnes pour clôture
Et un lac étiré où une île vacille
Dérivant au vent sur son lit de roseaux
Ici se contenter exaspérant sa pénitence
L’ombre qui passe et la conversation des bêtes
Un chien nu quelques truies poitrinaires
Et trois rangs de pois sur leurs hampes graciles
Louant le passé sous un houx centenaire
Blessé chaque mois d’une pièce de cuivre
Aveugle dévotion martelée dans l’aubier
Le silence grandit Les monts glissent au pas
Les pentes se couvrent de mousse et de neige
Et le sang suppure comme aux plaies d’un lépreux
Ici oublier et être oublié
À peine rattaché au monde d’autrefois
Par quelques signes connus de soi seul Un rosier
Et une vigne mêlés Une loge sous les arbres
Percée par l’éclair du matin Sur une croix
Un nom rongé par les pluies...



Ils ont menti pour nous éblouir nouant en tresses les passions des couronnes éclatantes et longuement nous ont tentés un jardin loin des murs où se joindre aux amants enfiévrés puis ils saccagent tout et nomment faute le désir une lèpre qui consume la chair et n’a pas de fin sinon ce vêtement de terre qu’il faut revêtir enfin et même là embrassés comme deux tiges mêlant leurs racines


Ils morigènent les amants ils ravalent leur nom redoublant ce que tous ont dit chacun son mot sa graine dans la terre commune l’orthographe change et les pays un pré fondant dans la maremme ou une île bruissante mais toujours au bout du chemin ce trou dans la terre à quoi le désir conduit et la folie d’aimer même sans cesser peut-être en secret de la louanger…


Le petit séminaire
(Flammarion, 2007)


(Les louanges)

Ils élèvent des temples. Ils dressent des autels où ils font la nuit brûler des parfums. Ils prient et ils macèrent. Ils écrivent sur des feuilles légères que la plume déchire. Ils louent, ils se blessent, ils invoquent le vent et la fumée. Elle reste distante. Ils lui donnent des noms inconnus des états-civils et la flattent sous un masque emprunté. Elle se moque mais les laisse espérer. Ils se plaignent : Qui va plutôt que la fumée... Elle les console et s’échappe aussitôt. Plutôt que la flamme, le vent ? Ils en remplissent des livres, répétés de siècle en siècle. Plutôt que le vent, c’est la femme...

Puis ils brûlent tout, les Stances à l’inconstance et la Défense de l’infini. Ils loueront désormais un visage imparfait et un nom ordinaire. Elle ne sera qu’elle-même, fragile et changeante, non plus cette statue de sel à l’implacable beauté, mais soumise au feu des années, lourde et fertile, protectrice, grisonnante : Juliette, Mathilde, Elsa... Ils remontent longuement le courant qui pourtant les emporte, regardant sans frémir le ciel qui s’assombrit. Puis leur vœu n’est plus que d’une tombe, une pierre sous un bouquet d’arbres où leurs noms se confondent :

Dormir du sommeil de tes bras
Dans le pays sans nom sans éveil et sans rêves...

Je n’ai pas brûlé ce qui n’était pas elle. Et longtemps, feignant d’aimer un être plus parfait, je l’ai louée sous des noms frauduleux. Mais les années qui éliment les corps et gâtent les pages, les années ont passé sans nous user. Nous suivons sans nous hausser la trace de ceux qui ont fait tant de bruit. Nous disons parfois leur nom, nous venons parfois écouter sur leur tombe les oiseaux se plaindre et le vent frotter sa corde dans les branches. Nous les envions, comme d’autres, peut-être, nous envieront un jour, rêvant à leur tour devant le lieu de nous où toute chose se dénoue...


Le hasard
(Obsidiane, 2004)




Traçant la route à travers la montagne seul
Entre rivière et ciel (le chantier perdu
Dans les méandres de l’arrière
Un feu parfois ou l’écho d’une explosion)
Les liasses de plans repliées inspectant
Au théodolite les vallées j’ai trouvé le makam
Un dôme sec d’où monte au milieu des couleurs
Un nuage en spirale la géométrie
N’enferme pas le ciel des soufis...

Plus tard sur le plateau de la camionnette
Le casque sous la nuque et les pieds débottés
Je cherche dans un mauvais anglais le cœur
De Yunus Amre dont l’un des vingt tombeaux
Accueille le soir au milieu des joncs
Et je m’enivre comme un bourdon dans la ruche
Soulever la poussière et fendre la montagne
Peuvent moins que quatre vers noués en tresse :
Que le poète amoureux verse le vin le miel
Et que dans le sommeil je me joigne aux parfaits...



Lucrèce

D’où vient si l’air les a faites la gravité des choses
Si c’est le feu pourquoi la mer et les jardins...
L’ombre tourne sur une urne paisible les roseaux
Prennent tout l’arrière puis les pins les cyprès
Et un mont sévère comme une élégie latine
Sur un banc de pierre blanche assis de biais
Tout un dimanche seul devant un fragment
De l’éternité chanter insoucieux


Méridien de Greenwich
(Obsidiane, 2000)




Loin de la côte Dans ces landes qui mieux
Approchent le sens que les graves énigmes
Une croix vide sur un rocher les nuages
Qui passent le col Je monte vers le nord Ici
Pas de vaines promesses mousses et fougères
Minuscules fleurs de pourpre Les ruisseaux
Entaillent la tourbe Le pied des chèvres sauvages
Courir sur la pente les bras dépliés Peut-on
Ne pas voler ? Puis couché sur le coude
Buvant le résiné Faut-il envier celui
Qui possède les cieux ? Non un étroit domaine
Mais le haut et le bas et les quatre côtés
Bonheur qui ne se laisse pas embrasser
L’âme une gousse verte dont les graines
N’ont souci de mûrir...



Passé l’Oykel plus de vie Ici l’âme est inutile
Emoussée comme le harpon des derniers Pictes
Tendue vers un but qu’on ne saurait atteindre...
Aller et se perdre dans le nord Un hiver constant
Qui confond les apparences Le corps n’y est rien
S’il n’est pas soutenu par un ressort puissant
Landes défleuries courant jusqu’à la mer
Rochers gluants trous d’eau rien à quoi s’accrocher
L’infini toujours qui semble à la portée
Et n’est qu’un leurre Je pense à toi parfois
Est-ce cela aimer Une longue exigence
Qui allège le fardeau de l’être Le vent
Les nuages des îles septentrionales
Et les oiseaux pillards qui tournent en criant
Dans le brouillard...


Le désert et le monde
(Flammarion, 1997)




Le ciel ne porte pas tous les destins les plaintes
Peuvent rester vaines le sang se perdre dans la pierre
Et ne croître jamais en fleurs et en fruits le vent
A dispersé leur bruit abandonnés aux saisons
Sous les processions d’air qui usent la montagne
Ils connaissent enfin l’infaillible leçon
Rien n’est chargé de savoir comme le silence
Et dans la fraîcheur des tombeaux ils lisent comme
Dans un livre... et bien que plusieurs
En aient avant nous entrepris le récit Quoniam
Quidam multi conati sunt ordinare...
Si nous nous enfermons à notre tour dans le froid
Et la macération c’est qu’une ombre timide
Dans la nuit parfois descend nous visiter
Car rien n’est accompli les noms sont muets
Les amants séparés même dans la mort...


Lundi 7 Octobre 2013
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22/11/2010