BIOBIBLIOGRAPHIE
"Docteur en littérature, pianiste et compositeur de formation, Matthieu Gosztola enseigne [à] Paris la littérature. Il est le plus jeune auteur à avoir été publié dans la revue Caravanes. Dans le septième et avant-dernier numéro de cette revue publiée chez Phébus et dirigée par André Velter, Jean-Pierre Sicre et André Velter comparent Matthieu Gosztola à Rimbaud : « Quel âge avait Rimbaud ? », annonçant qu’il s’inscrit « en faux contre la mort annoncée de la poésie ».
En 2007, Sur la musicalité du vide a été couronné par le Prix des découvreurs. Matthieu Gosztola est le plus jeune poète à recevoir le Prix des découvreurs qui a récompensé nombre de poètes contemporains de renom : Pascal Commère, Gérard Noiret, Valérie Rouzeau, Mohammed Dib, Ludovic Janvier, Eugène Savitzkaya, Olivier Barbarant, Ariane Dreyfus, André Velter… Dans les Cahiers pédagogiques, Sur la musicalité du vide est cité comme étant l'un des quarante livres permettant de « découvrir la poésie d’aujourd’hui ». Des poèmes ont été lus par des comédiens sur France Culture à l’occasion de la parution du premier volume de ce diptyque. Michaël Bishop dans The French Review résume le projet de celui-ci : « Sur la musicalité du vide, premier livre de Matthieu Gosztola s’offre [...] comme un vaste réservoir d'observations et d'évocations, d'aphorismes et de notations inclassables. Fragmentation et accumulation rivalisent tensionnellement ; le continuum qui en résulte, kaléidoscopique, jamais contextualisé, ne véhicule aucune épistémologie stable; seul l’espace du poétique affirme implicitement l’idée d’une cohérence au cœur même d’une implosion textuelle qui s’avère antirationaliste, féerique, spontanément sinueuse, totalement libre, aveuglante. »
Dans le septième numéro de Cahier critique de poésie, Christophe Samarsky résume quant à lui le projet de Sur la musicalité du vide II : « Ce dont les choses sont nées, ce par quoi, une fois nées, elles vivent, ce à quoi elles font retour à la mort, tâche de comprendre », demandent les Upanishads. M. Gosztola y répond singulièrement, nullement amer, nouant ensemble la pleine transparence de l'instant, quelques rides sur l'eau, un hoquet. »
Matthieu Gosztola choisit en 2008 d'explorer la relation passionnelle et tumultueuse entre Auguste Rodin et Camille Claudel en usant de la forme poétique et de la photographie (in Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin, Editions de l’Atlantique).
En 2010, il fait paraître un livre de poèmes sur le génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994, dans lequel il fait, selon Ouest-France, entendre « l’écho inapaisé de[s] paroles suppliciées ». Il répond à cette occasion sur Poezibao à la question « écrire un recueil de poèmes à propos d’un génocide, cela a-t-il un sens ? ». Antoine Emaz (toujours dans Poezibao), après avoir rappelé qu’il n’y a « [a]ucun pathos dans le livre de Gosztola, mais […] du relief, de la rugosité de langue », souligne la « structure très forte du livre » et met en avant « l’impression […] de maîtrise (presque savante, ciselée dans le détail) » qui s’en dégage. Selon lui, cette œuvre va « poétiquement contre l’inhumain, sans concession aucune au voyeurisme morbide ou au goût pervers pour l’horreur. » Le Magazine des Livres résume quant à lui le projet de Matthieu Gosztola : « L’action poétique de Matthieu Gosztola en son livre Débris de tuer est incontestable. […] A la suite d’un Paul Celan reconstruisant une langue en dedans même du génocide des juifs et y cherchant la voie d’un chant praticable, […] Matthieu Gosztola déplie sous nos yeux décillés la carte d’un Verbe violemment démembré, y cherchant les traces d’un vivier humain de l’au-delà de la souffrance, d’un chant donnant accès à la compréhension. […] Gosztola, debout au milieu du charnier verbal, entend les saignements intérieurs qui montent depuis la terre rwandaise jusqu’à l’homme tout entier, il recueille dans sa bouche le souffle de l’agonie, faisant ainsi de sa gorge un passeur […]. »
Il ne se limite pas à des parutions d’ouvrages mais a publié ses poèmes « dans une centaine de revues littéraires », françaises comme Caravanes, Voix d'encre, Phréatique, Encres Vagabondes ou Salmigondis, belges comme L’arbre à paroles, Archipel, ou encore Ecritures, canadiennes comme Moebius ou Art le Sabord… Ses poèmes sont parus dans des anthologies, comme au Cherche Midi ou chez Donner à voir. Des numéros de revues lui ont été consacrés : Soleils et cendre et Verso. Ses poèmes ont été traduits en anglais et publiés dans la revue Silver Visions II Visions-International aux États-Unis.
Il a écrit des articles pour la Comédie-Française, pour les Presses Universitaires de Rennes... : il a fait paraître des articles sur Jarry, Valéry, Reverdy, ou encore sur le lien qui existe entre la littérature et les sciences à la fin du dix-neuvième siècle. Il a participé à l’édition critique des œuvres de Raymond Roussel et à des colloques internationaux à Paris, à Laval, en République Tchèque et en Suisse. Il prépare actuellement une édition critique des œuvres d’Alfred Jarry pour les éditions Classique Garnier. Il a été critique littéraire pour la revue Histoires Littéraires. Il est actuellement critique pour [la revue Europe]. Il publie des proses, en livre ou en revue, depuis 2009. Il est également photographe. Il a publié quelques-unes de ses photographies dans des revues comme Le Jardin d’Essai, Verso ou Contre-allées et a fait paraître un livre de photographies et de poèmes aux éditions de l'Atlantique." (Art Point France, 2010)
En 2007, Sur la musicalité du vide a été couronné par le Prix des découvreurs. Matthieu Gosztola est le plus jeune poète à recevoir le Prix des découvreurs qui a récompensé nombre de poètes contemporains de renom : Pascal Commère, Gérard Noiret, Valérie Rouzeau, Mohammed Dib, Ludovic Janvier, Eugène Savitzkaya, Olivier Barbarant, Ariane Dreyfus, André Velter… Dans les Cahiers pédagogiques, Sur la musicalité du vide est cité comme étant l'un des quarante livres permettant de « découvrir la poésie d’aujourd’hui ». Des poèmes ont été lus par des comédiens sur France Culture à l’occasion de la parution du premier volume de ce diptyque. Michaël Bishop dans The French Review résume le projet de celui-ci : « Sur la musicalité du vide, premier livre de Matthieu Gosztola s’offre [...] comme un vaste réservoir d'observations et d'évocations, d'aphorismes et de notations inclassables. Fragmentation et accumulation rivalisent tensionnellement ; le continuum qui en résulte, kaléidoscopique, jamais contextualisé, ne véhicule aucune épistémologie stable; seul l’espace du poétique affirme implicitement l’idée d’une cohérence au cœur même d’une implosion textuelle qui s’avère antirationaliste, féerique, spontanément sinueuse, totalement libre, aveuglante. »
Dans le septième numéro de Cahier critique de poésie, Christophe Samarsky résume quant à lui le projet de Sur la musicalité du vide II : « Ce dont les choses sont nées, ce par quoi, une fois nées, elles vivent, ce à quoi elles font retour à la mort, tâche de comprendre », demandent les Upanishads. M. Gosztola y répond singulièrement, nullement amer, nouant ensemble la pleine transparence de l'instant, quelques rides sur l'eau, un hoquet. »
Matthieu Gosztola choisit en 2008 d'explorer la relation passionnelle et tumultueuse entre Auguste Rodin et Camille Claudel en usant de la forme poétique et de la photographie (in Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin, Editions de l’Atlantique).
En 2010, il fait paraître un livre de poèmes sur le génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994, dans lequel il fait, selon Ouest-France, entendre « l’écho inapaisé de[s] paroles suppliciées ». Il répond à cette occasion sur Poezibao à la question « écrire un recueil de poèmes à propos d’un génocide, cela a-t-il un sens ? ». Antoine Emaz (toujours dans Poezibao), après avoir rappelé qu’il n’y a « [a]ucun pathos dans le livre de Gosztola, mais […] du relief, de la rugosité de langue », souligne la « structure très forte du livre » et met en avant « l’impression […] de maîtrise (presque savante, ciselée dans le détail) » qui s’en dégage. Selon lui, cette œuvre va « poétiquement contre l’inhumain, sans concession aucune au voyeurisme morbide ou au goût pervers pour l’horreur. » Le Magazine des Livres résume quant à lui le projet de Matthieu Gosztola : « L’action poétique de Matthieu Gosztola en son livre Débris de tuer est incontestable. […] A la suite d’un Paul Celan reconstruisant une langue en dedans même du génocide des juifs et y cherchant la voie d’un chant praticable, […] Matthieu Gosztola déplie sous nos yeux décillés la carte d’un Verbe violemment démembré, y cherchant les traces d’un vivier humain de l’au-delà de la souffrance, d’un chant donnant accès à la compréhension. […] Gosztola, debout au milieu du charnier verbal, entend les saignements intérieurs qui montent depuis la terre rwandaise jusqu’à l’homme tout entier, il recueille dans sa bouche le souffle de l’agonie, faisant ainsi de sa gorge un passeur […]. »
Il ne se limite pas à des parutions d’ouvrages mais a publié ses poèmes « dans une centaine de revues littéraires », françaises comme Caravanes, Voix d'encre, Phréatique, Encres Vagabondes ou Salmigondis, belges comme L’arbre à paroles, Archipel, ou encore Ecritures, canadiennes comme Moebius ou Art le Sabord… Ses poèmes sont parus dans des anthologies, comme au Cherche Midi ou chez Donner à voir. Des numéros de revues lui ont été consacrés : Soleils et cendre et Verso. Ses poèmes ont été traduits en anglais et publiés dans la revue Silver Visions II Visions-International aux États-Unis.
Il a écrit des articles pour la Comédie-Française, pour les Presses Universitaires de Rennes... : il a fait paraître des articles sur Jarry, Valéry, Reverdy, ou encore sur le lien qui existe entre la littérature et les sciences à la fin du dix-neuvième siècle. Il a participé à l’édition critique des œuvres de Raymond Roussel et à des colloques internationaux à Paris, à Laval, en République Tchèque et en Suisse. Il prépare actuellement une édition critique des œuvres d’Alfred Jarry pour les éditions Classique Garnier. Il a été critique littéraire pour la revue Histoires Littéraires. Il est actuellement critique pour [la revue Europe]. Il publie des proses, en livre ou en revue, depuis 2009. Il est également photographe. Il a publié quelques-unes de ses photographies dans des revues comme Le Jardin d’Essai, Verso ou Contre-allées et a fait paraître un livre de photographies et de poèmes aux éditions de l'Atlantique." (Art Point France, 2010)
TEXTES
Matthieu Gosztola (anthologie)
Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une trentaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages appartiennent aux genres suivants (autant qu’ils cherchent à les subvertir) : poème, aphorisme, prose, essai, théâtre. Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.
Site internet.
L’adolescente surprend
Son rouge à lèvres
Sur une autre
*
Il n’y a jamais assez de tendresse
Pour un homme
Rongé par l’idée du dernier voyage
*
Le soulèvement des bulbes
Contre la dureté du langage
*
L’ombre fait fuir
Le papillon de nuit,
Qui ne se reconnaît pas
Dans ce cache
*
Fragilité de l’instant
Un verre de cristal
Un chaudron de cuivre
*
C’est le printemps
La jeune fille
Interrompt sa marche
L’instant
D’une fleur
*
Afrique
Coups de machette
Sur la tête d’un enfant
Maladie de l’âme
*
Ménades Thyades musiciens
Portent le thyrse
Dansent frénétiquement
Sous un ciel
Sans lune
Jouent avec l’ombre paternelle
Puis se dissipent
Dans l’air subtil
Comme des esprits, comme des enfants
*
Des raisins oubliés
Sur une table
L’ombre
D’un grand peuplier
Tous sont
Là
Pour voir mourir
Le poème
*
L’odeur du conifère
Sous son écorce
Fine pluie
*
Elle dit :
« La tâche d’encre
Sur ma robe
Gran
Dira
Pendant
Les minutes
Qui suivront
Ton baiser »
*
Il ne pourra jamais
Dire :
« Je soumets les montagnes
Au jugement du ruisseau »
*
En avalant ce cachet
Interdit
Tu te dis que
Les oiseaux les trains les prairies
Que tout recommencera
(Tu me dis)
*
Il souffle son âme
Dans le corps
De la clarinette
S’essuie la bouche
D’un revers de main
Reprend
Depuis le début
*
Elle est belle
À en vivre
Chaque jour
Elle m’apporte l’envie
Sur sa robe
Sur la chaise
L’empreinte
De mes doigts
*
Sa main posée
Sur le rebord de la fenêtre
Au loin
Une douleur aiguë
Dans un
Lit
Un lit
Bleu
*
Tu ne marches pas
Tu glisses
Sur l’eau
De mes sens
Provoquant
Par le seul balancement
De tes hanches
Des remous
*
Je crois surprendre une éphélide
Dans les replis de ta peau
(Ce ne sont que nos corps)
*
Les jonquilles fleurissent
Je suis l’enfant
*
Plaine liquide
Encombrée d’herbes folles
Leurs têtes
À chevelure brun-rouge
Une demoiselle bleue immobile
Et les rides profondes de l’eau
*
– Quoi de neuf aujourd’hui ?
– Un pigeon écrasé
Et ses plumes
Sont des aveux
De la douceur
*
Afrique
Les chants
Deviennent flous
Dans la nuit
Les hommes se couchent
Sur la paille
Et les femmes
Continuent leur route
Bouches cousues
Avec du fil
*
Je vais vers la grille
Qui m’empêchera de passer
*
Tu étais debout
À parler avec des amis
Ce sourire soudain
Sur tes lèvres
Je l’ai senti
Au plus profond de moi
*
Je mâche un peu d’inconnu
Sous un cyprès chauve de Virginie
Enivré par les odeurs multiples
*
L’ossature sous nos sexes
Dissimulée
Patiente
*
Doucement elle s’allonge
Dans la poussière du vécu
Et s’en délecte
Elle est l’oubli
*
Fleur à l’horizontale
Elle respire
Avec mes gestes
*
Tu n’as rien à envier de la mer
De ses marées
Tu as tout ce qu’elle a
Plus ce qu’elle n’aura jamais
La possibilité de mourir
D’en finir
Avec le ressassement infini
*
Ton visage
Recommence l’attente
*
Pologne
Auschwitz
Dans un restaurant
La lumière agressive de midi
Nous montre une nappe brodée
Et quelques feuilles
De plante à figures noires
Cette nuit
L’aube naîtra dans ton ventre
Tu l’appelleras Eos
*
Elle dit :
« On me prêche la nudité de ce modèle
Je réponds avoir changé
L’ampoule plusieurs fois
Et affirme que sa peau
Repousse toujours
La lumière de la lampe »
*
Je me retire de toi
La mort suspendue
Dans la clarté trouble
De nos yeux
*
Lampe diffusant
Une copie du jour
Repos dans le déshonneur
Car je triche avec la nuit
*
L’immobilité du jour
On croit que c’est l’éternité
Mais bientôt elle retire sa main
De ma joue
*
Elle ne veut pas
Raconter
Et pourtant
Quelque chose en elle
L’encourage
À le faire
Et l’encourage
Encore
Alors
Elle dit :
« Il la réclame
Puis la déshabille
De force
Agacé par son refus
Cependant qu’elle inonde
Ses mains – ses propres mains ?
Les mains de l’homme ? – de visages »
*
Allongé sous des branchages
Mêlés au vent et aux couleurs
Du ciel
J’étudie le poids de la cendre
: Je rêve
Dans mon rêve
Les oiseaux m’appellent
Avec
Ton prénom
Je les écoute
Puis je ferme les yeux
Sur la musicalité du vide
Je t’apporte les brouillons
Des poèmes à l’hôpital
Pour que tu les lises
Si tu en as envie
Ou que tu les regardes
Simplement même sans les lire
Quand tu as reposé les feuilles
Sur la commode ou sur ton lit
Je peux les reprendre
(J’attends que tu sois assoupie)
Et je peux laisser
Les poèmes trouver tout seuls
(Petit à petit)
Ma vie et leur envol
Je ne sais pas pourquoi
Mais c’est ainsi
: La page
II faut que tu la touches
Pour que je puisse
M’y allonger
*
Je regarde
L’instant allongé
Contre ton corps doucement
Posé dans le sommeil
Copeaux de lumière
Sur le lit
Je les prends un à un
Avec ma pensée
Et referme doucement
La porte derrière moi
Après avoir déplié et posé
Ton si grand pull sur toi
Celui que tu aimais tant
Mais auquel tu ne fais
Plus jamais
Attention
*
Te regarder me fait penser
Qu’aucun geste pour toi
N’est dérisoire
Te regarder m’apprend
Qu’un doigt dans le grain du café
Peut changer l’ordre des choses
Car j’ai vu ton sourire
Quand je t’ai apporté ta robe
D’enfant toujours conservée
Après l’enfance
Ta robe d’été avec laquelle
Tu rendais le monde beau à tes yeux
Pendant tes promenades
Où chaque chose te semblait à sa place
Et où l’avenir allait avoir pour toi
Toutes les offrandes (tu le savais d’instinct
Un instinct que tu partageais
Avec les saisons)
*
J’aimerais
Que chaque instant
De la journée
Te dise ces mots
: Viens la vie
Sera rendue au souffle
Au lieu de ça
Chaque instant de la journée
Te fait penser à un homme
Que tu as bien connu
Et que tu n’as pas cessé d’aimer
Sa mort te semblait si légère
Dans ta main
Tu aurais pu souffler dessus
Et le faire apparaître
Mais ce n’était pas nécessaire
Car il était toujours là
Instant après instant
Il t’accompagnait dans tes gestes
Et tes pensées
Maintenant c’est différent tu me l’as dit
Mais je ne saurais dire en quoi exactement
*
Tu imagines ton mari
Avancer son doigt
Pour rectifier
L’ombre d’une pousse
« J’ai emprunté à la vie
Tout ce qui n’est pas elle »
Tu imagines ses mots
Se refermer dans le froid
Les murs sont délabrés
Je passe des heures à les regarder
Ainsi que le déambulateur
Tu es absente
Quand je suis avec toi
Et je plonge mes yeux des heures
Dans ton absence
Prenant chaque mouvement que tu fais
Comme une offrande
Que fait la vie vacillante à la vie continuée
(Le chat de longues heures immobile
Sur le rebord de la fenêtre)
*
Nos discussions sont
Ces tulipes
Que le muret dans le jardin
Efface de la fenêtre
Un merle sautille sur la pelouse
J’ai tourné la tête au bon moment
Pour entendre les quelques notes
De la mélodie de son geste
Mais pas toi
Je n’attends pas qu’il repasse
J’ai la vie près de moi
Tu es la vie
La mort n’existe pas
Elle ne prendra pas les dernières images
Que j’ai de toi
Je te regarde
Je continue
De lever mon bras lentement
J’ai des gestes très lents
Pour t’habiller
Il fait beau
Je suis attentif
À chaque geste que je fais
Pour ne surtout pas te heurter
Ni même le silence
Que je remercie les lèvres fermées
Pour ne pas le troubler
Que je remercie
Pour la façon
Qu’il a de nous prendre dans ses bras
Puis je te brosse les cheveux
En faisant très attention
Pour que tu n’aies jamais mal
Pendant que s’ouvre (pour nous contenir)
Silencieusement
Le poème
*
Je te parle
De mon amie
Tu as un moment
De regard
Vers moi
Quand je te dis
Que ses mains
Sur mon corps
Enlèvent
Tout le superflu
Ne laissent
Que le cœur
*
Tu cueilles une mangue
Et la manges en entier
Tu regardes
Le ciel
Dans le creux
De ta main
Ne reste
Que la saison
*
Je cherche à m’approprier
La part d’ombre
D’un chemin
Dénué de tout
*
La mort ne garde rien
Pour elle
Elle souffle
Les sourires des morts
Dans la bouche
Des enfants
*
Des noms d’arôme
L’ambivalence
D’un sursaut
Dehors
Les enfants maigrissent
Et chantent
Suivant la rigueur
Des saules
*
La nuit
La mer en secret
S’engouffre
Dans les musées
Mémorise le rythme
Des couleurs de Monet
En vue de l’instant d’aube
*
Une femme endormie
Près d’une grappe de raisin
Et rendue
Au grand balancement infini
Du bleu inaudible
Dans lequel passent les oiseaux
Jamais distraits de leur route
Cette échappée
Qui n’a d’autre fin
Qu’elle-même
*
Près du feu dans la cheminée
Sur une table basse
Une coupe de fruits
Il suffirait d’entrebâiller légèrement
La porte d’entrée
Et de laisser aller
Partout son regard
Pour comprendre
Le sommeil
Il suffirait de prendre
Dans ses mains
Les ombres
Pour comprendre
Qu’elles respirent
Le ciel
Et que vienne la neige
*
La leçon de Balthus
: Peindre
Pour faire tomber
La vie
Dans la vie
Mais dans la vie originelle
Qui est le frémissement
D’un presque silence
Contenant pourtant tout l’espace
Peindre comme un geste
Infini
: Peindre comme l’eau de source
Bute
Sur les syllabes
Comme elle échoue à trouver
Une fin
À son poème
Peindre comme vivre
*
Il y a deux certitudes
En ce monde
Pour Balthus
: Les pétales des fleurs
Sont tout le contraire
D’une signature
Et chaque fleur
Ignore la seconde
De notre regard
*
Un geste
Commencé dans l’hiver
Et continué peu à peu
Au soleil d’une rencontre
Avec toi
Guettée dans ton retrait
Et rencontrée dans ta sauvagerie
Rencontrée avec la douceur
D’un instant d’infini
Partagé
Sans que la sauvagerie soit défigurée
*
Un midi ou un soir
Peut-être
Les yeux d’un modèle
Ont gribouillé
Quelque chose
Dans les yeux du peintre
Il s’est aidé du vent
Et des chemins
De traverse
Pour ne pas
Comprendre
*
Au moment de mourir
Si des mots
S’étaient accrochés
À vous
Vous ne les auriez pas
Prononcés
Vous auriez caressé le silence
Au bout de sa corde usée
Rencontre avec Balthus
S’arranger
Suivant les termes
J’ai trébuché
Sur les visages
Ils sortent
De l’indifférence
Mouillés de sang
Au plus intime
Je me force à faire
Comme
Si je peux vivre aussi
*
Fais saillie dans
Où demeure
Une voix debout
Suis comme
Un peut-être
Deviens rouge
Dans le rapidement
*
Brûlures d’habitations
J’en ai profité
Pour m’échapper
J’anime
Le pied des bourreaux
Je pense
Que personne ne s’arrêtera
Dans tous les sens
Complètement
*
Si maigre
Qu’on ne peut plus
Faire la différence
Entre mon ventre
Et mon dos
Mon seul souhait
Est de trouver
Où faire dormir seul
Mon visage
*
Brusquement
Son premier coup
M’a rappelé
Et je me suis échappé
De son deuxième coup
(Je n’ai plus assez de répit
Pour le souffle)
*
C’est hantant
L’éparpillé des corps
: Les visages
Me font
Des haut-le-cœur
*
La mâchoire des chiens
Dedans l’entour
Des visages
*
Ils commencent à s’envoler
Pour les uns et les autres cités
: La chasse
Et on sortira
Par-dessus les cadavres
D’essence
Les contours de la malchance
Qui se montre
Tout vivre
*
Tapage en force
Dans ce même temps
Au quart de l’après-midi
Avenir rêvé
: Vivre décemment une minute
Se plaindre de brûler
Il y a une forte odeur
De violence et de rwagwa
Je n’ai plus de précisions à donner
Et dans la fin de l’après-midi
Je reçois un coup de marteau
Je tombe et je réussis
À m’implanter dans le silence
*
On veut
Rentrer chez soi
Comme si rentrer
Rentrer
Pour se recroqueviller
Dans le silence pillé
De la maison
(Ils entrent
Dans nos larmes)
*
Les humains
Je ne les connais pas
Je ne comprends pas
Je ne parle pas
Ma parole
Plus que les mots
Est aussi de neige
Pas de parole
(Je clôture mon souffle)
*
Garçons derrière une grille
Ils ont fini le travail
Pour le jour entier
Des jeunes sont déchaînés
On entend un siège
Une machette
Ils chassent
Jetant des massacres
D’abord
Je dois trois morts
Et puis j’insiste pour vivre
*
On entend aussi
Le tralala des chants
Des slogans et des rires
On monte un décor
On organise des courses
Dans nos paroles orphelines
(On garde chacun le souffle
Près du cœur)
*
On se sent
Heureux de rien
(Parce qu’on ne voit rien
De bien secourable)
*
On devine le silence
: Il mange
Tout ce qui est
À conserver
*
Comment vivre ensemble
La mort fait œuvre
En quelques séances
*
Rassemblés devant nos silences
Par petits groupes
On voit monter
Vers la chasse
Les cris
On ajoute son dernier matin
Et on se met à l’écart
Pour ne rien partager
*
Tous les gisants
Qui murmurent
Dans la boue
Sans parole
Prêtent
Pour ne pas croire
Au rien sans remède
S’opèrent les pensées
Après chaque souffle
*
Je crois
Être puis avoir
Mais l’avenir
De partout
Se tient au présent
*
Comment reconnaître "je" ?
(Sans rêve dans le sommeil
Pour caresser un peu l’en-dedans)
*
On veut rester
Un somme
On lance des malédictions
À la malchance
On gratte le sol
Sans ces éléments
: Des vêtements
Posés sur la poussière
: Des hommes
: Le chant des arbres
Qu’on sait plus denses
*
Nous sommes
Accroupis dans l’eau
En silence
J’ai déniché
Le premier silence
La première parole
: Ils ont coupé devant
*
Le "nous" qu’une personne
A sorti de sa volonté
S’expose à la machette
On a diminué
De solitude
On apprend
À mesurer notre cri
On fait nos peurs
Moins sillonnantes
Dans tous les sens
Devant la mort et ses tracas
Au premier jour
On n’avait pas les mêmes lois
On a appris
À rebrousser chemin
Dans nos murmures
Et à se contenter
Sans murmurer
De ce qui ne propose
Pus de cachette
Pardon
Espérer
*
Pourquoi une nouvelle journée
Renoncer à s’élancer
Les disparus
En parler à voix basse
Jusqu’à ce que le sommet
Nous rattrape
*
Aux jours
Déplacés
Du jeu
De retrouver ma fiancée
Aucune intimité
Pour toujours
Se trouver à pieds
Assez changés
*
Du ou des gestes
Je veux dire
L’un ou l’autre
Avant les choses
S’enfuir
De son côté du jour
*
Êtreavecquienvisageunenvolée
Je me sens en révolte
Perdant de rien
Car j’ai tout avec moi
Dans la course
(Le rien est suffisant)
*
Coupante
De ce qu’on ne pouvait pas faire
De ce qu’on ne pouvait pas savoir
Et l’amour
: On se décide
En fin de chaleur
On évite d’abord
Parce qu’on a encore mal
D’être ainsi
Puis en époux
Parce qu’on se sent
Un peu frais
Partagés
Entre la fatigue et la mort
*
Pour se réconcilier
Avec le temps d’après
On se lance
Des promesses à soi-même
(Si on devait contenter
La chance dans nos ruses)
Chacun garde
Ses mots à dire
Si jamais la chance
Est chantante
Puis chacun
Les oublie
*
On est
De futurs enfants
On s’échange
Les branches des arbres
Pour l’amusement
On se fait des envolées
Dans les mots
De la prière
On accepte
En examinant
La tranquillité
Jusqu’à ce que la mort
Ne soit pas plus couverte
Que la journée
Sans plus virer ni
Pirouetter ni
Descendre ni
Monter
*
On fait le zigzag
Que fait la peur
(Vivre en gibier
Nous désapprend de parler)
*
Chaque journée
Sans blessure
Nous allonge
Dans l’espoir fou
*
Dans la fuite
On se crée
Des passages
Pour nos fatigues
Nos silences
Font des contours
En petites assemblées
*
On maintient
Les astuces à jour
Cela est très apprécié
Et quand les tirs
Semblent vous atteindre
Quand la peur
Semble prendre possession
De vous
De tous côtés
Six personnes
Touchent
Par hasard
La corde qui s’use
*
Ça maugrée
Ça ahane
Toutes les visions d’œil
Et d’oreille
Sont à avaler
Au matin
Sur la route
Qui mène
Au bureau communal de Murama
Nous courons jusqu’à l’église
(Vœu)
Et les gens
« Qui ne coulent pas de leur sang
Coulent du sang des autres »
Entrant ainsi
Dans l’usine
De nos ruses
*
(Nous courons
Je m’avale
Ça chasse)
Enfoncés dans les latrines
Corps enfoncés dans les latrines
Coupés
Pour passer par le trou des latrines
Du monde
De l’effritement des corps
Classé silence
Plus simple
Qu’un bout de voile
*
Apprendre moi
Je pense
À tous ceux
En embuscade
Et de quelle manière
On va demander pardon
Au malheur
Je ne fléchis plus
Comme avant
Et je promets
De ne plus re
Commencer
*
On n’est pas totalement déployés
(Ordinaire lundi)
On comprend
Que ce n’est pas de la même façon
Que notre mort
Est posée
Vers les choses
Ou dans
Les choses
Selon notre âge
Ou selon le sens
Du chemin
*
La douleur et la hâte
À fuir
Le danger toujours
Crépitant
Rend les avoisinants
Étrangers
Avec leurs plus intimes
*
En ce sens
Fatigués
Par le qui-vive
Des récoltes
C’est la paume
Sur la machette
Matière
En rythme
Les coupures
Leur évitent
Toute une vie
Débris
De tuer
La mort
À se frôler
*
Le silence est inquiétant
Le bruit est inquiétant
Ce qui n’est pas inquiétant
N’existe pas
Être surpris
Être pris
: Qui viennent de loin
Débris de tuer
Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une trentaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages appartiennent aux genres suivants (autant qu’ils cherchent à les subvertir) : poème, aphorisme, prose, essai, théâtre. Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.
Site internet.
L’adolescente surprend
Son rouge à lèvres
Sur une autre
*
Il n’y a jamais assez de tendresse
Pour un homme
Rongé par l’idée du dernier voyage
*
Le soulèvement des bulbes
Contre la dureté du langage
*
L’ombre fait fuir
Le papillon de nuit,
Qui ne se reconnaît pas
Dans ce cache
*
Fragilité de l’instant
Un verre de cristal
Un chaudron de cuivre
*
C’est le printemps
La jeune fille
Interrompt sa marche
L’instant
D’une fleur
*
Afrique
Coups de machette
Sur la tête d’un enfant
Maladie de l’âme
*
Ménades Thyades musiciens
Portent le thyrse
Dansent frénétiquement
Sous un ciel
Sans lune
Jouent avec l’ombre paternelle
Puis se dissipent
Dans l’air subtil
Comme des esprits, comme des enfants
*
Des raisins oubliés
Sur une table
L’ombre
D’un grand peuplier
Tous sont
Là
Pour voir mourir
Le poème
*
L’odeur du conifère
Sous son écorce
Fine pluie
*
Elle dit :
« La tâche d’encre
Sur ma robe
Gran
Dira
Pendant
Les minutes
Qui suivront
Ton baiser »
*
Il ne pourra jamais
Dire :
« Je soumets les montagnes
Au jugement du ruisseau »
*
En avalant ce cachet
Interdit
Tu te dis que
Les oiseaux les trains les prairies
Que tout recommencera
(Tu me dis)
*
Il souffle son âme
Dans le corps
De la clarinette
S’essuie la bouche
D’un revers de main
Reprend
Depuis le début
*
Elle est belle
À en vivre
Chaque jour
Elle m’apporte l’envie
Sur sa robe
Sur la chaise
L’empreinte
De mes doigts
*
Sa main posée
Sur le rebord de la fenêtre
Au loin
Une douleur aiguë
Dans un
Lit
Un lit
Bleu
*
Tu ne marches pas
Tu glisses
Sur l’eau
De mes sens
Provoquant
Par le seul balancement
De tes hanches
Des remous
*
Je crois surprendre une éphélide
Dans les replis de ta peau
(Ce ne sont que nos corps)
*
Les jonquilles fleurissent
Je suis l’enfant
*
Plaine liquide
Encombrée d’herbes folles
Leurs têtes
À chevelure brun-rouge
Une demoiselle bleue immobile
Et les rides profondes de l’eau
*
– Quoi de neuf aujourd’hui ?
– Un pigeon écrasé
Et ses plumes
Sont des aveux
De la douceur
*
Afrique
Les chants
Deviennent flous
Dans la nuit
Les hommes se couchent
Sur la paille
Et les femmes
Continuent leur route
Bouches cousues
Avec du fil
*
Je vais vers la grille
Qui m’empêchera de passer
*
Tu étais debout
À parler avec des amis
Ce sourire soudain
Sur tes lèvres
Je l’ai senti
Au plus profond de moi
*
Je mâche un peu d’inconnu
Sous un cyprès chauve de Virginie
Enivré par les odeurs multiples
*
L’ossature sous nos sexes
Dissimulée
Patiente
*
Doucement elle s’allonge
Dans la poussière du vécu
Et s’en délecte
Elle est l’oubli
*
Fleur à l’horizontale
Elle respire
Avec mes gestes
*
Tu n’as rien à envier de la mer
De ses marées
Tu as tout ce qu’elle a
Plus ce qu’elle n’aura jamais
La possibilité de mourir
D’en finir
Avec le ressassement infini
*
Ton visage
Recommence l’attente
*
Pologne
Auschwitz
Dans un restaurant
La lumière agressive de midi
Nous montre une nappe brodée
Et quelques feuilles
De plante à figures noires
Cette nuit
L’aube naîtra dans ton ventre
Tu l’appelleras Eos
*
Elle dit :
« On me prêche la nudité de ce modèle
Je réponds avoir changé
L’ampoule plusieurs fois
Et affirme que sa peau
Repousse toujours
La lumière de la lampe »
*
Je me retire de toi
La mort suspendue
Dans la clarté trouble
De nos yeux
*
Lampe diffusant
Une copie du jour
Repos dans le déshonneur
Car je triche avec la nuit
*
L’immobilité du jour
On croit que c’est l’éternité
Mais bientôt elle retire sa main
De ma joue
*
Elle ne veut pas
Raconter
Et pourtant
Quelque chose en elle
L’encourage
À le faire
Et l’encourage
Encore
Alors
Elle dit :
« Il la réclame
Puis la déshabille
De force
Agacé par son refus
Cependant qu’elle inonde
Ses mains – ses propres mains ?
Les mains de l’homme ? – de visages »
*
Allongé sous des branchages
Mêlés au vent et aux couleurs
Du ciel
J’étudie le poids de la cendre
: Je rêve
Dans mon rêve
Les oiseaux m’appellent
Avec
Ton prénom
Je les écoute
Puis je ferme les yeux
Sur la musicalité du vide
Je t’apporte les brouillons
Des poèmes à l’hôpital
Pour que tu les lises
Si tu en as envie
Ou que tu les regardes
Simplement même sans les lire
Quand tu as reposé les feuilles
Sur la commode ou sur ton lit
Je peux les reprendre
(J’attends que tu sois assoupie)
Et je peux laisser
Les poèmes trouver tout seuls
(Petit à petit)
Ma vie et leur envol
Je ne sais pas pourquoi
Mais c’est ainsi
: La page
II faut que tu la touches
Pour que je puisse
M’y allonger
*
Je regarde
L’instant allongé
Contre ton corps doucement
Posé dans le sommeil
Copeaux de lumière
Sur le lit
Je les prends un à un
Avec ma pensée
Et referme doucement
La porte derrière moi
Après avoir déplié et posé
Ton si grand pull sur toi
Celui que tu aimais tant
Mais auquel tu ne fais
Plus jamais
Attention
*
Te regarder me fait penser
Qu’aucun geste pour toi
N’est dérisoire
Te regarder m’apprend
Qu’un doigt dans le grain du café
Peut changer l’ordre des choses
Car j’ai vu ton sourire
Quand je t’ai apporté ta robe
D’enfant toujours conservée
Après l’enfance
Ta robe d’été avec laquelle
Tu rendais le monde beau à tes yeux
Pendant tes promenades
Où chaque chose te semblait à sa place
Et où l’avenir allait avoir pour toi
Toutes les offrandes (tu le savais d’instinct
Un instinct que tu partageais
Avec les saisons)
*
J’aimerais
Que chaque instant
De la journée
Te dise ces mots
: Viens la vie
Sera rendue au souffle
Au lieu de ça
Chaque instant de la journée
Te fait penser à un homme
Que tu as bien connu
Et que tu n’as pas cessé d’aimer
Sa mort te semblait si légère
Dans ta main
Tu aurais pu souffler dessus
Et le faire apparaître
Mais ce n’était pas nécessaire
Car il était toujours là
Instant après instant
Il t’accompagnait dans tes gestes
Et tes pensées
Maintenant c’est différent tu me l’as dit
Mais je ne saurais dire en quoi exactement
*
Tu imagines ton mari
Avancer son doigt
Pour rectifier
L’ombre d’une pousse
« J’ai emprunté à la vie
Tout ce qui n’est pas elle »
Tu imagines ses mots
Se refermer dans le froid
Les murs sont délabrés
Je passe des heures à les regarder
Ainsi que le déambulateur
Tu es absente
Quand je suis avec toi
Et je plonge mes yeux des heures
Dans ton absence
Prenant chaque mouvement que tu fais
Comme une offrande
Que fait la vie vacillante à la vie continuée
(Le chat de longues heures immobile
Sur le rebord de la fenêtre)
*
Nos discussions sont
Ces tulipes
Que le muret dans le jardin
Efface de la fenêtre
Un merle sautille sur la pelouse
J’ai tourné la tête au bon moment
Pour entendre les quelques notes
De la mélodie de son geste
Mais pas toi
Je n’attends pas qu’il repasse
J’ai la vie près de moi
Tu es la vie
La mort n’existe pas
Elle ne prendra pas les dernières images
Que j’ai de toi
Je te regarde
Je continue
De lever mon bras lentement
J’ai des gestes très lents
Pour t’habiller
Il fait beau
Je suis attentif
À chaque geste que je fais
Pour ne surtout pas te heurter
Ni même le silence
Que je remercie les lèvres fermées
Pour ne pas le troubler
Que je remercie
Pour la façon
Qu’il a de nous prendre dans ses bras
Puis je te brosse les cheveux
En faisant très attention
Pour que tu n’aies jamais mal
Pendant que s’ouvre (pour nous contenir)
Silencieusement
Le poème
*
Je te parle
De mon amie
Tu as un moment
De regard
Vers moi
Quand je te dis
Que ses mains
Sur mon corps
Enlèvent
Tout le superflu
Ne laissent
Que le cœur
*
Tu cueilles une mangue
Et la manges en entier
Tu regardes
Le ciel
Dans le creux
De ta main
Ne reste
Que la saison
*
Je cherche à m’approprier
La part d’ombre
D’un chemin
Dénué de tout
*
La mort ne garde rien
Pour elle
Elle souffle
Les sourires des morts
Dans la bouche
Des enfants
*
Des noms d’arôme
L’ambivalence
D’un sursaut
Dehors
Les enfants maigrissent
Et chantent
Suivant la rigueur
Des saules
*
La nuit
La mer en secret
S’engouffre
Dans les musées
Mémorise le rythme
Des couleurs de Monet
En vue de l’instant d’aube
*
Une femme endormie
Près d’une grappe de raisin
Et rendue
Au grand balancement infini
Du bleu inaudible
Dans lequel passent les oiseaux
Jamais distraits de leur route
Cette échappée
Qui n’a d’autre fin
Qu’elle-même
*
Près du feu dans la cheminée
Sur une table basse
Une coupe de fruits
Il suffirait d’entrebâiller légèrement
La porte d’entrée
Et de laisser aller
Partout son regard
Pour comprendre
Le sommeil
Il suffirait de prendre
Dans ses mains
Les ombres
Pour comprendre
Qu’elles respirent
Le ciel
Et que vienne la neige
*
La leçon de Balthus
: Peindre
Pour faire tomber
La vie
Dans la vie
Mais dans la vie originelle
Qui est le frémissement
D’un presque silence
Contenant pourtant tout l’espace
Peindre comme un geste
Infini
: Peindre comme l’eau de source
Bute
Sur les syllabes
Comme elle échoue à trouver
Une fin
À son poème
Peindre comme vivre
*
Il y a deux certitudes
En ce monde
Pour Balthus
: Les pétales des fleurs
Sont tout le contraire
D’une signature
Et chaque fleur
Ignore la seconde
De notre regard
*
Un geste
Commencé dans l’hiver
Et continué peu à peu
Au soleil d’une rencontre
Avec toi
Guettée dans ton retrait
Et rencontrée dans ta sauvagerie
Rencontrée avec la douceur
D’un instant d’infini
Partagé
Sans que la sauvagerie soit défigurée
*
Un midi ou un soir
Peut-être
Les yeux d’un modèle
Ont gribouillé
Quelque chose
Dans les yeux du peintre
Il s’est aidé du vent
Et des chemins
De traverse
Pour ne pas
Comprendre
*
Au moment de mourir
Si des mots
S’étaient accrochés
À vous
Vous ne les auriez pas
Prononcés
Vous auriez caressé le silence
Au bout de sa corde usée
Rencontre avec Balthus
S’arranger
Suivant les termes
J’ai trébuché
Sur les visages
Ils sortent
De l’indifférence
Mouillés de sang
Au plus intime
Je me force à faire
Comme
Si je peux vivre aussi
*
Fais saillie dans
Où demeure
Une voix debout
Suis comme
Un peut-être
Deviens rouge
Dans le rapidement
*
Brûlures d’habitations
J’en ai profité
Pour m’échapper
J’anime
Le pied des bourreaux
Je pense
Que personne ne s’arrêtera
Dans tous les sens
Complètement
*
Si maigre
Qu’on ne peut plus
Faire la différence
Entre mon ventre
Et mon dos
Mon seul souhait
Est de trouver
Où faire dormir seul
Mon visage
*
Brusquement
Son premier coup
M’a rappelé
Et je me suis échappé
De son deuxième coup
(Je n’ai plus assez de répit
Pour le souffle)
*
C’est hantant
L’éparpillé des corps
: Les visages
Me font
Des haut-le-cœur
*
La mâchoire des chiens
Dedans l’entour
Des visages
*
Ils commencent à s’envoler
Pour les uns et les autres cités
: La chasse
Et on sortira
Par-dessus les cadavres
D’essence
Les contours de la malchance
Qui se montre
Tout vivre
*
Tapage en force
Dans ce même temps
Au quart de l’après-midi
Avenir rêvé
: Vivre décemment une minute
Se plaindre de brûler
Il y a une forte odeur
De violence et de rwagwa
Je n’ai plus de précisions à donner
Et dans la fin de l’après-midi
Je reçois un coup de marteau
Je tombe et je réussis
À m’implanter dans le silence
*
On veut
Rentrer chez soi
Comme si rentrer
Rentrer
Pour se recroqueviller
Dans le silence pillé
De la maison
(Ils entrent
Dans nos larmes)
*
Les humains
Je ne les connais pas
Je ne comprends pas
Je ne parle pas
Ma parole
Plus que les mots
Est aussi de neige
Pas de parole
(Je clôture mon souffle)
*
Garçons derrière une grille
Ils ont fini le travail
Pour le jour entier
Des jeunes sont déchaînés
On entend un siège
Une machette
Ils chassent
Jetant des massacres
D’abord
Je dois trois morts
Et puis j’insiste pour vivre
*
On entend aussi
Le tralala des chants
Des slogans et des rires
On monte un décor
On organise des courses
Dans nos paroles orphelines
(On garde chacun le souffle
Près du cœur)
*
On se sent
Heureux de rien
(Parce qu’on ne voit rien
De bien secourable)
*
On devine le silence
: Il mange
Tout ce qui est
À conserver
*
Comment vivre ensemble
La mort fait œuvre
En quelques séances
*
Rassemblés devant nos silences
Par petits groupes
On voit monter
Vers la chasse
Les cris
On ajoute son dernier matin
Et on se met à l’écart
Pour ne rien partager
*
Tous les gisants
Qui murmurent
Dans la boue
Sans parole
Prêtent
Pour ne pas croire
Au rien sans remède
S’opèrent les pensées
Après chaque souffle
*
Je crois
Être puis avoir
Mais l’avenir
De partout
Se tient au présent
*
Comment reconnaître "je" ?
(Sans rêve dans le sommeil
Pour caresser un peu l’en-dedans)
*
On veut rester
Un somme
On lance des malédictions
À la malchance
On gratte le sol
Sans ces éléments
: Des vêtements
Posés sur la poussière
: Des hommes
: Le chant des arbres
Qu’on sait plus denses
*
Nous sommes
Accroupis dans l’eau
En silence
J’ai déniché
Le premier silence
La première parole
: Ils ont coupé devant
*
Le "nous" qu’une personne
A sorti de sa volonté
S’expose à la machette
On a diminué
De solitude
On apprend
À mesurer notre cri
On fait nos peurs
Moins sillonnantes
Dans tous les sens
Devant la mort et ses tracas
Au premier jour
On n’avait pas les mêmes lois
On a appris
À rebrousser chemin
Dans nos murmures
Et à se contenter
Sans murmurer
De ce qui ne propose
Pus de cachette
Pardon
Espérer
*
Pourquoi une nouvelle journée
Renoncer à s’élancer
Les disparus
En parler à voix basse
Jusqu’à ce que le sommet
Nous rattrape
*
Aux jours
Déplacés
Du jeu
De retrouver ma fiancée
Aucune intimité
Pour toujours
Se trouver à pieds
Assez changés
*
Du ou des gestes
Je veux dire
L’un ou l’autre
Avant les choses
S’enfuir
De son côté du jour
*
Êtreavecquienvisageunenvolée
Je me sens en révolte
Perdant de rien
Car j’ai tout avec moi
Dans la course
(Le rien est suffisant)
*
Coupante
De ce qu’on ne pouvait pas faire
De ce qu’on ne pouvait pas savoir
Et l’amour
: On se décide
En fin de chaleur
On évite d’abord
Parce qu’on a encore mal
D’être ainsi
Puis en époux
Parce qu’on se sent
Un peu frais
Partagés
Entre la fatigue et la mort
*
Pour se réconcilier
Avec le temps d’après
On se lance
Des promesses à soi-même
(Si on devait contenter
La chance dans nos ruses)
Chacun garde
Ses mots à dire
Si jamais la chance
Est chantante
Puis chacun
Les oublie
*
On est
De futurs enfants
On s’échange
Les branches des arbres
Pour l’amusement
On se fait des envolées
Dans les mots
De la prière
On accepte
En examinant
La tranquillité
Jusqu’à ce que la mort
Ne soit pas plus couverte
Que la journée
Sans plus virer ni
Pirouetter ni
Descendre ni
Monter
*
On fait le zigzag
Que fait la peur
(Vivre en gibier
Nous désapprend de parler)
*
Chaque journée
Sans blessure
Nous allonge
Dans l’espoir fou
*
Dans la fuite
On se crée
Des passages
Pour nos fatigues
Nos silences
Font des contours
En petites assemblées
*
On maintient
Les astuces à jour
Cela est très apprécié
Et quand les tirs
Semblent vous atteindre
Quand la peur
Semble prendre possession
De vous
De tous côtés
Six personnes
Touchent
Par hasard
La corde qui s’use
*
Ça maugrée
Ça ahane
Toutes les visions d’œil
Et d’oreille
Sont à avaler
Au matin
Sur la route
Qui mène
Au bureau communal de Murama
Nous courons jusqu’à l’église
(Vœu)
Et les gens
« Qui ne coulent pas de leur sang
Coulent du sang des autres »
Entrant ainsi
Dans l’usine
De nos ruses
*
(Nous courons
Je m’avale
Ça chasse)
Enfoncés dans les latrines
Corps enfoncés dans les latrines
Coupés
Pour passer par le trou des latrines
Du monde
De l’effritement des corps
Classé silence
Plus simple
Qu’un bout de voile
*
Apprendre moi
Je pense
À tous ceux
En embuscade
Et de quelle manière
On va demander pardon
Au malheur
Je ne fléchis plus
Comme avant
Et je promets
De ne plus re
Commencer
*
On n’est pas totalement déployés
(Ordinaire lundi)
On comprend
Que ce n’est pas de la même façon
Que notre mort
Est posée
Vers les choses
Ou dans
Les choses
Selon notre âge
Ou selon le sens
Du chemin
*
La douleur et la hâte
À fuir
Le danger toujours
Crépitant
Rend les avoisinants
Étrangers
Avec leurs plus intimes
*
En ce sens
Fatigués
Par le qui-vive
Des récoltes
C’est la paume
Sur la machette
Matière
En rythme
Les coupures
Leur évitent
Toute une vie
Débris
De tuer
La mort
À se frôler
*
Le silence est inquiétant
Le bruit est inquiétant
Ce qui n’est pas inquiétant
N’existe pas
Être surpris
Être pris
: Qui viennent de loin
Débris de tuer