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09/02/2011



L'invité du mois

Paul de BRANCION



BIOBIBLIOGRAPHIE

Paul de BRANCION
Paul de Brancion
www.brancion.eu

Il écrit des romans et de la poésie, est rédacteur en chef et fondateur de la revue SARRAZINE (www.sarrazine.net).
Il s’implique régulièrement dans des projets artistiques transversaux notamment avec des compositeurs de musique contemporaine (Thierry Pécou, Jean-Louis Petit, Gilles Cagnard, Nicolas Prost…). Il vit et travaille entre Paris, la Corse et Nantes, où il organise et anime les Rendez-Vous du Bois Chevalier, rencontres an-nuelles consacrées à la littérature, aux sciences et à la poésie.

BIBLIOGRAPHIE

Le Château des Étoiles, étrange histoire de Tycho Brahé, astronome et grand seigneur, biographie romancée, éditions Phébus 2005. Traduit en danois, brésilien et tchèque
L’enfant de Cederfeld, roman, éditions Albin Michel 1991
Vent contraire, poésie, éditions Dumerchez 2003
Le Lit d’Alexandre, roman, éditions A Contrario 2004
Le Marcheur de l’Oubli, poésie, éditions Lanskine/Academia di i Vagabondi 2006
Tu-Rare, poésie, éditions Lanskine 2008
Alors… musique, poésie, éditions NU(e) 2008
Temps Mort, poésie, éditions Lanskine 2010
Ma Mor est morte, poésie en prose, éditions Bruno Doucey 2011
Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre, éditions Lanskine 2013

Ouvrages collectifs :
Qu’est-ce que la littérature érotique, éditions Zulma 1993
Cour intérieure, poèmes pour le numéro spécial Claude Paul-Louis Combet, éditions Corlevour 2009
Année poétique 2009, anthologie éditions Seghers
Trente comme un/trente communes, nouvelles, éditions du Petit Pavé 2010
Enfances, regards de poètes, éditions Bruno Doucey, 2012
Anthologie des poètes français et marocains, t.3,
éditions Polyglotte/C.I.C.C.A.T ( à paraître)

Livre d’artiste :
Un homme de caractères - Que ferions-nous sans ce Huin là ? Saig 2008
Béatrice Englert, dessins, éditions FVW 2009

Collabore à de nombreuses revues, récemment : La Passe, Littérales, Thauma, Nunc, Atelier de l’Agneau, Revue Place de la Sorbonne, Poézibao, Secousses, Phoenix, Coaltar, Cahiers du Sens, Polyglotte…

Président et fondateur de l’Union des poètes & Cie.


EXTRAITS DE LIVRES

L’enfant de Cederfeld – Éditions Albin Michel - 1991

" Judith vit Frau Westphal partir, sans une larme, les lèvres serrées, avec la certitude d’être flouée, trahie, laissée sur le bord. Elle en conçut une effrayante amertume qui se replia en elle comme les pattes rigides d’un crabe endormi par l’éther. À présent, elle ne pouvait qu’accepter ce ridicule sourire de la paisible femme la laissant aux soins de Mme Artzinger. Elle ne s’écroula pas en larmes quand Frau Westphal la serra contre elle. Elle laissa faire, désormais indifférente.

Judith était intelligente, elle essaya de toutes ses forces de trouver un moyen de s’adapter, de contenir sa haine, sa fureur âcre, sa solitude mordante. Elle eut la volonté tenace de conquérir Cedefeld, d’aller plus loin dans la rigueur que ce qui lui était demandé, d’abonder dans le sens de Kinderland, d’être digne de la Grande Maison qui surplombait la vallée. Elle avait sept ans et deux mois et cela lui suffisait.
Il y eut les premières camarades. Elle ne leur tendit pas la main. Elle avait besoin de toute son énergie pour elle-même. Elle ne voulait pas jouer avec les autres ; elle l’acceptait seulement lorsque cela était inévitable. Au ballon, elle lançait la balle avec violence et la balle giflait les visages, tordait les doigts, claquait sur les membres nus des enfants du Kinderland. C’est cela qui la fit respecter. Elle fut punie mais accomplit sa punition de façon exemplaire.
Vera Marx essaya de lui parler, d’établir avec elle des relations de confiance. Rien n’y fit. Judith était partie pour une longue épreuve qui la conduirait hors de Cederfeld. "



Vent contraire – Éditions Dumerchez - 2003


J’ai longtemps ressenti ce besoin de dire
le léger passage
du monde alourdi à la légèreté des choses alouettes
qui s’élèvent à la verticale dans l’éther
juste au-dessus des fils
quand il fait beau et qu’il ne pleut pas.



Le lit d’Alexandre – Éditions A Contrario - 2004

Partir
Odon Karnincski n’ignorait pas la jalousie que Gersande éprouvait pour la chambre du haut de la maison. Un jour, il accepta d’ouvrir la porte du sanctuaire où il avait toujours pénétré seul, en interdisant l’accès à quiconque. Mais cette fois… La miniature de Suzanne, une image de bateau une photographie d’Alexandre sur un cheval. Un lit d’enfant en fer forgé blanc, deux ou trois jolis meubles dont un petit secrétaire à abattant, mais surtout des jouets, beaucoup de jouets. Gersande fit un geste pour les prendre. Odon eut un mouvement de recul, puis il dit : « Va, va jouer, oui joue, cela n’a pas d’importance. »
Souvent les êtres aimés meurent deux fois. La première, quand ils nous quittent. La deuxième, lorsque nous nous rendons compte qu’ils ont disparu, que lentement la vie a pris la place et qu’une sorte d’effacement est intervenu. Ce soir-là, Odon Karnincski souffrit une deuxième fois du décès de son fils.



Le Château des étoiles – Éditions Phébus – 2005
traduit en Portugais/brésilien, Danois, Tchèque

Lecture fut donnée du testament de Tycho Brahé :
« Ceci est mon testament.
« Je nomme Jeppe mon exécuteur testamentaire.
« Mon corps ira vers les étoiles retrouver ceux qui m’ont abandonné, ma fille et mon frère aimé.
Tous mes biens iront à ma femme et à mes enfants après elle.
« Johannes Kepler recevra les manuscrits concernant mes mesures, calculs et notes astronomiques. Charge à lui de les publier et de publier les Tables rudophines. Il est tenu par un serment secret passé entre lui, moi et le Tout-Puissant. Je le considère comme mon héritier spirituel. Il est et restera un homme libre, quoi qu’il fasse.
« J’ai pu concevoir des systèmes et, bien qu’ils m’aient semblé absurdes, j’ai pu entrer dans leur logique étrangère à la raison absolue de l’expérience. Pourtant, seuls le calcul et les mesures m’ont toujours sauvé. J’ai tenu résolument tout au long de ma vie de savant à la logique de l’expérience et n’ai jamais rien accepté qui n’y fût soumis, malgré l’air du temps.
« Si je me suis trompé, mon erreur ne sera pas inutile, car j’aurai défendu la conception d’un univers où l’homme peut se sentir chez lui à la place essentielle.
« Si Dieu l’avait souhaité, j’aurais vécu bien plus et cherché l’infini. Mon système est terrestre car Dieu l’a voulu ainsi.
« Puisque je suis mortel, vivant et limité, je revendique un monde restreint à notre taille et, tant que l’éternité terrestre ne sera pas donnée ici-bas, j’exige un univers centré sur l’homme, où Dieu seul dépasse la mesure.
« Fait à Benatky au vingt-neuvième jour du mois de septembre de l’an de grâce mille six cent un.
« Tycho Brahé til Knudstrup og Maarslet.» 

Pour ses funérailles, Tycho avait souhaité être revêtu de son armure de fer, afin de mieux lutter contre les météores.
- Vous comprenez, avait-il dit avec un sourire triste à Bolivetch peu de jours avant sa mort, je ne sais où je vais, mais ainsi j’irai sans trembler.



Le marcheur de l’oubli – Éditions Lanskine/Academia di i Vagabondi – 2006
Version française - Version française/corse

L’eau ne coule plus
dans la source du bas
et j’ai peur de ne plus
jamais la voir revenir.
Les éléments ont inversé le cours des choses
en haut de la montagne tout en haut
entre les rochers
érodés roulés d’absence
le ruisseau est revenu.
Il a rempli son lit
de cailloux
asséché depuis tant d’années
Où va-t-elle ?
Où s’en va-t-elle
l’eau soudain réanimée
et le temps des choses révolues
s’éveille-t-il d’un vieux cauchemar
comme si l’envers incohérent
avait tari un instant le désespoir
de ce passage de l’eau claire qui descend mais se perd
n’arrive pas.
Il ne reste rien.
Alors j’ai saisi un
roseau plein de sève caduque
accroupi, je bats le sol tout doucement
en appelant la pluie.



Tu rare – Éditions Lanskine - 2008

Il s'invente au passage des choses,

souvenir des irrédences,

traversées de lignes, ni chaudes, ni froides

dont il ne sait que dire, sinon qu'elles griffent

paresseusement, restituent l'angoisse

et tout à la fois

l'espoir des devenir, vivant, longtemps ici.

Il n'entend que le gémissement des machines

à dérêver le monde.

Il se souvient du lourd moment des oscillations

au balancier implacable

et le cri des rayons qui brûlent silencieusement

tout l'intérieur d'un corps

rêvé différent.
De biais, il avance malgré le sol gelé, les

infractuosités, le temps dégingandé.

Le sentiment de progression demeure
sans faiblir au-delà des évidences,

des versements catastrophiques.

Il abomine l'idée du désespoir et tient

par force au geste d'exister.
Les poupées de temps assoiffées tourbillonnent

dans son ventre. Les tempes descendent plus bas

vers les tripes d'or et se tournent les pouces

avant la torture intérieure du cheminement

des viscères qui lacèrent. La tête n'y est plus

hachée s'attend à tout surtout à être déprise

ne maîtrise rien

cela se passe ailleurs.



Temps mort – Éditions Lanskine - 2010

Davantage biaiser la stratégie du crabe

qui nous sied tant, d’accumuler des denrées par essence périssables.

Pas d’oripeaux nomades, pas de vieux pièges à grimaces, les interrogations sont requises.

Nous n’avons rien à faire de ce qui nous est offert en surplus du bien-être.

Nous devons tenter de régresser vers notre âme dérangée.

Nous devons nous effacer vers le repli,

nous effacer.

le pire n’est pas attendu

le pire est arrivé.





Les nuits sont crispées de chaque côté des limites du lit,

territoire suspendu, terrain rectangulaire de mort.

Il ne peut risquer de dépasser le bord.

Amer réveil, dans le dortoir.

À qui peut-il parler, à quelle distance ?

Son interlocuteur a disparu



Ma mor et morte – Éditions Bruno Doucey - 2011

"Maman massive est partie maintenant. Cela ne me console pas. Ma tâche est devant moi. Je suis extrêmement surpris par mon émotion. Je pleure presque. Comment puis-je pleurer ainsi cette femme qui a si furieusement détruit tout autour d'elle ?"
"Certaines langues ont plus que d'autres cette faculté d'amour qui fait que le jeu de mots, "la façonnance", la polysémie aboutissent à l'idée d'un effet inattendu.
Never, never more, never Mor."



Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre – Éditions Lanskine - 2013

« Le roi des macaques
se faufile
furtif
perché
derrière la maison du feu
à l’orée de la nuit khmère

un chapeau rouge
rappelle le sang
des effrayants »



EXTRAITS DE PRESSE

Le lit d’Alexandre – Éditions A Contrario - 2004
Le mystère règne dans ce beau roman, l’ « unheimlich » également, au point qu’on n’est guère surpris de rencontrer Kafka, un Kafka simple et humain avec lequel Odon va pouvoir parler. Que ce génie soit ici dépeint comme un être humain, un homme, tout un homme et rien qu’un homme, une personne qui souffre et qui va se tuer ne surprendra personne. (Bertrand du Chambon – Le Magazine des Livres – Avril 2007)

… L’ambiance ensorcelante et les rencontres énigmatiques à l’ombre des fantômes emportent Odon loin de la réalité. Il entrevoit l’avenir, reste à se déprendre du passé. Avec son style fluide et envoûtant, Paul de Brancion a le talent d’émouvoir son lecteur, le long du chemin qui mène à la renaissance. (Ruth Valentini – Le Nouvel Observateur – août 2005)

Dans ce livre, le romancier évoque la disparition du fils du protagoniste, Odon Karnincski. Inconsolable à l’égal de sa femme Suzanne qui n’a pas survécu au drame, ce banquier et collectionneur a refondé un foyer à Paris avec Esther et la fille de celle-ci prénommée Gersande. L’obsession de reconstituer la chambre de l’enfant défunt ne lui laisse pourtant aucun répit et la quête d’un lit d’acier et de bronze doré l’amène à Prague et dans les vieux castels de Bohême. La quatrième de couverture incline à lire l’ouvrage selon le sens philosophique : la recherche du fils disparu sert-elle de prétexte au père à mieux se connaître lui-même et à découvrir la véritable signification de l’existence ? Sans doute. Il reste que cet écrivain-là possède le génie du conteur. C’est une qualité rare qui court d’un bout à l’autre du livre et en émaille les meilleurs moments. Que de rebondissements ! … Sans pousser plus loin la divulgation, disons seulement que Paul de Brancion mène son récit tambour battant. Il nous tient en haleine de bout en bout, comme savent le faire les meilleurs auteurs de série noire. (Claude Darras)



Le Château des étoiles – Éditions Phébus - 2005
Si nombre de lecteurs considèrent que Le Château des Étoiles est l’un des meilleurs romans historiques de l’époque, c’est bien sûr parce que Paul de Brancion n’y fait jouer aucune des ficelles du genre. Il nous raconte l’histoire d’un homme réel – Tycho Brahé (1546-1601) – mais plutôt que de monter un décor autour de son héros, il choisit de nous faire toucher le bois rude d’une époque encore ensauvagée, faisant revivre au jour le jour le quotidien brutal d’un homme tiraillé entre raison et magie, savant génial qui trébucha, mais de quelle émouvante façon, sur le seuil inquiétant de ce qu’on appelle la modernité.

Beau roman de Paul de Brancion sur l’histoire de l’astronome Tycho Brahé. Nous nous approchons ici, à pas de loup, d’une Bohême de rêve, aussi vaine que l’île homophone où Paul de Brancion a situé l’intrigue du Château des Étoiles. (Bertrand du Chambon – Le Magazine des Livres – Avril 2007)



Le marcheur de l’oubli – Éditions Lanskine/Academia di i Vagabondi - 2006
C’est une célébration du silence et du retrait qui semble habiter ces marges où la vie s’immobilise sous ses aspects les plus rudes et cependant les plus familiers : une campagne délaissée, le rocher nu, un chemin esseulé, l’air aride, un nid de passereaux. Le poète n’est pas ici à Saint-Germain-en-Laye, mais plus vraisemblablement sur les rives de la Méditerranée, cette mer qui lui est un perpétuel miracle, une thérapie princière, une épiphanie sans cesse renouvelée que plus d’un de ses recueils tente, depuis bientôt un demi siècle, de saisir au passage et d’enfermer dans la fragile écorce d’un vers qu’il accompagne souvent de la musique de notre temps, telles les « Cantates Profanes » de Gilles Cagnard qui enluminent l’âme du poème. (Claude Darras)



Tu rare – Éditions Lanskine - 2008
Tu-rare est formé de courts textes en prose et en vers libres qui explorent un moment de la maladie, une expérience, comme des instants arrachés à l’expérience de la division, comme ouverts, par ce qu’ils disent de la maladie, sur le moment de la guérison. De sorte qu’il ne s’agit pas d’un livre « sur » la maladie mais « dans » la maladie. (Daniel Morvan – Place Publique – Janvier 2009)



Temps mort – Éditions Lanskine - 2010
Ce livret de Paul de Brancion est le énième témoignage d’un homme engagé au plus intime de son époque, en toute conscience, et dont le destin appartient au langage et à la parole. Nul ne sort indemne du chant de révolte qui scande ces quelques versets condamnant « l’indigence infinie des mondes organisés ». Les luttes et les souffrances humaines culminent à travers le cri ultime de la supplique née de la fixité insoutenable d’une photographie prise par le reporteur Joseph Barak à Baalbek, dans la plaine de la Bekaa, au Liban :
« Un bédouin porte le corps d’un enfant, mort dans les bombardements.
Neveu, fils de son frère.
Sous le voile rouge, son regard trahit l’effroi retenu.
Il est accroupi dans un pantalon de costume mal coupé.
Pietà,
écart du temps mort et du temps vivant »
Incantation douloureuse et battement du sang profond de l’être, ces mots-là disent l’insupportable et les folies du siècle ; pure conquête de la beauté, ils ressemblent à des scintillements de cristaux, des fragments d’étoiles éclatées, des poussières d’or vif. (Claude Darras)

À propos d’une photo impressionnante de Joseph Barak où l’on voit, suite à une guerre, un enfant mort qu’un bédouin porte dans ses bras. L’auteur s’est engagé dans une voie difficile, il travaille l’instant suspendu, et on acquiesce. « La seule assurance est celle de l’esprit ». (Françoise Favretto)

Ne nous fions pas au titre, il peut paraître trompeur, car en fait de temps mort, nous sommes en présence d’une tranche de vivant, déguisé en espoir. Brancion transmet ici une chose fondamentale à nos sociétés débordées : un autre rapport au temps. Le temps dont il parle n’est mort que parce qu’il permet au cœur de battre dans l’accès immédiat à la sérénité dont nous sommes privés sous nos latitudes où le temps mort, justement, ne doit pas exister. Le temps mort, c’est ici le temps essentiel, celui permettant au poète de dire « il regarde le ciel. » « Assis sur le monde, la certitude d’une autre existence possible en lui. Les « il m’a fallu » ont servi de prétexte à jeter aux orties ce temps perdu, gagné d’aveuglement lucide. Il marchera sans voile, à visage déchiré, glabre. Demain. » Tout est là. Merci Brancion. (GGD – Le Magazine des Livres – Novembre 2010)

Un nouveau recueil de poèmes de Paul de Brancion vient de paraître, et je souhaite qu’il soit lu. C’est chez Lanskine, un éditeur que l’on devrait connaître mieux. Très belle photo tragique en ouverture. C’est une terrifiante approche de la mort que Brancion propose, la main grande ouverte : « le réveil gît, ouvert, fracassé sur le sol ». Les piles ne sont pas tombées, les chiffres continuent leurs pulsations. Il envisage une autre fin. Envisageons. (Bertrand du Chambon – Le Magazine des Livres – Novembre 2010)



Ma mor et morte – Éditions Bruno Doucey – 2011
Dans le titre, un mot déroutant : Mor. Puis une clef pour entrer dans la chambre noire où ce livre fut écrit : « En Danois, Mor = Maman, mord = meurtre ». Ainsi l’auteur nous parle de sa mère, femme puissante qui dévore ses propres enfants. Le livre s’ouvre sur une perte – « Ma Mor est morte » - et se poursuit par la volonté d’achever, aux deux sens du terme, des « souvenirs déchus ». Paul de Brancion a eu besoin de plusieurs langues pour y parvenir. Comme si la langue maternelle n’y suffisait pas, comme si Mor était la tour de Babel d’une humanité rendue étrangère à elle-même. Anglais, danois, français, trois langues entremêlées, tressées, rendues nécessaires pour parler d’une mère. Expérience sur la langue mais qui est dictée par une impossibilité. Restent les questions qui ont poussé l’éditeur à publier ce livre d’amour et de haine : Comment peut-on détruire ce que l’on aime ? Pourquoi pleure-t-on la disparition de ceux qui nous ont fait souffrir ? (Bruno Doucey)

… Mille et tre femmes ne suffisaient pas à Don Juan pour exprimer son amour inassouvi. Trois langues suffisent-elles au poète pour dire sa haine-admiration, sa fascination, sa répulsion, son amour ?
« Chacun tue ce qu’il aime, le brave avec une épée, le lâche avec un baiser » soupire Oscar Wilde dans sa « Ballade de la Geôle de Reading ». « Chacun aime ce qu’il finit par tuer » murmure Paul de Brancion, et mieux il aime mieux il tue, le barde avec sa harpe, le poète avec ses mots. Alors on écrit, le vieil enfant, orphelin depuis toujours, orphelin du destin et peut-être de vocation, il écrit soixante textes en trois langues, qu’il « traduira », plus tard, dans sa langue matern… pardon ! en langue française. « Je crains le moment où je finirai ce livre » avoue-t-il. Avec cette question : « Quand le temps sera-t-il arrêté ? » Comme si l’on finissait jamais un livre… Comme si l’on finissait jamais d’aimer et de haïr… Comme si l’on finissait jamais de naître… Comme si la mort était autre chose qu’un avortement… (Pierre Maubé)

… L’effet de ce livre est bouleversant. Il se lit à bout de bras pour ne pas être brûlé ou atteint soi-même, ne serait-ce que par ricochet ou par hypothèse. C’est par cela qu’il pourrait être éprouvant. Ce qui provoque l’émotion et la tient d’un bout à l’autre en revient au ton, à sa « propreté », à son manque absolu de chichi, à son humanité crue, confiante dans la rectitude de la parole dite – au-delà même de toutes les errances de celle-ci. La porte, de surcroît, cette dernière, un souffle que l’auteur incorpore à sa narration (car il est bien clair qu’il s’agit d’un poème et que l’adéquation du mot à ce qui est dit, même dans l’inexactitude psychologique de « l’expression des sentiments », est extrême. (Poezibao - Pierre Drogi)

… Il s’agit en apparence d’un récit et d’un récit qui porte sur l’improbable disparition d’une mère. Mais un récit qui convoque, qui invoque, révoque une multitude de langues pour effleurer le départ d’une femme qui a « furieusement détruit tout autour d’elle ». Singularité absolue d’un livre qui ne peut s’écrire qu’en déchirant sa langue ! Il se partage entre le français (en page de droite), la langue maternelle de l’auteur, et le danois, langue de l’exil, apprise sur le tard, sur le vif (en page de gauche – en vérité un innocent… et très savant mélange de danois, de français et d’anglais, comme si c’était le seul, le bon moyen pour essayer de « sauver les meubles » !
… Comment dire avec des morceaux de mots la mort inacceptable d’une femme inacceptable (avec sa propre mort clairement en ligne de mire) ? Comment pleurer, sans se lamenter, des larmes inavouables – « Maman massive est partie maintenant […] Je pleure presque » -, comment nourrir alors l’amour au sein de la haine ? Paul de Brancion s’y risque, esquissant au passage le plus implacable des récits de formation ou/et de déformation. On y découvre d’abord une poésie unique pour dire en toute franchise les vérités de l’autre – cette femme dont la proximité se révèle proprement effrayante -, l’humanité complexe d’une mère perdue, peut-être de toutes les mères du monde. (Encrage - Didier Cahen)

France Culture – Pas la peine de crier –05/01/2012
http://www.franceculture.fr/emission-pas-la-peine-de-crier-mor-est-morte-2012-01-05



Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre – Éditions Lanskine – 2013
Paul de Brancion ne veut rien oublier et il a raison. Il nous propose un texte poétique, suivi d'un livret d'opéra, dans cet objectif louable. Cela n'étonnera personne pour qui a bien voulu lire attentivement ses recueils les plus récents. Il y a de la militance permanente dans l'âme de ce poète. L'opiniâtreté du combattant à mort dénonçant la mort et l'injustice cruelle des humains. « Le Temple est déchiré / partout / l'eau s'infiltre / Seuls résistent les sourires énigmatiques / espoir suspendu »... » Qui critique est un ennemi / qui s'oppose est un cadavre »...Parfois, toute compassion pour le tortionnaire est impossible quand « les vivants sont devenus des gêneurs ».
Politique, la poésie de Paul de Brancion ? Pas seulement. Humaine, plutôt. Profondément. En dépit d'une sorte de distanciation volontaire scrupuleusement maintenue. (Le Nouvel Athanor - Jean-Luc Maxence)

C’est un livre peu banal que propose Paul de Brancion. Une plongée dans l’enfer que vivait le Cambodge, appelé Kampuchéa à l’époque des Khmers routes, entre 1975 et 1983. […] Paul de Brancion revisite aujourd’hui les fantômes du Cambodge qui hantent encore les campagnes qu’il découvre et les villes qu’il arpente, « ne reste rien debout/qu’un possible désespoir ». Il revit la haine et la désolation, il revoit l’horreur et la barbarie. Le plus difficile sans doute est de dire ce qui n’a pas de mots. Le ton poétique et la mesure du verbe conviennent à cette dénonciation contenue. (Revue Décharge n°160 - Valère Kaletka)


Lundi 2 Février 2015
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La beauté, éphéméride
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22/11/2010