BIOBIBLIOGRAPHIE
BIO-BIBLIOGRAPHIE
Serge Pey, né en 1950 à Toulouse, est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages parmi lesquels : De la ville et du Fleuve, Prophéties, (TRIBU) La Définition de l’Aigle, L’Enfant archéologue (J.BREMOND), Notre Dame la Noire ou l’Évangile du Serpent, Couvre-feu, Poème pour un peuple mort, La Mère du cercle, (TRAVERS) La main et le couteau (PAROLE D’AUBE) Pour libérer les vivants il faut savoir aussi libérer les morts, (VOIX EDITIONS) Lettres posthumes à Octavio Paz, (JEAN-MICHEL PLACE), Traité des chemins et des bâtons, (BOIS D’ORION) Le Millier de l’air, (FATA MORGANA) Nihil et Consolamentum, ( DELIT EDITION) Poésie secrète, poésie publique (CASTOR ASTRAL) Visages de l’échelle, de la chaise et du feu, ( DUMERCHEZ) Bâtons de la différence entre les bruits, (LA PART COMMUNE) Droit de voirie, Appel aux Survenants, (MAELSTRÖM) Ne sois pas un poète sois un corbeau, Les Chants électro-néolithiques pour Chiara Mulas, Dialectique de la Tour de Pise, (DERNIER TELEGRAMME) Ahuc poèmes stratégiques (FLAMMARION) …
Ses textes figurent dans l’anthologie Orphée Studio , Poèmes à dire du XXe siècle, Des poètes pour l’espérance , Éros émerveillé (GALLIMARD), les Techniciens du sacré, ( anthologie réunie par Yves di Mano, autour de Jerome Rothemberg aux Éditions J. Corti).
De nombreuses revues comme Incidence, Travers, la Maison de la Poésie Rhône-Alpes, Docks… lui ont réservé leur espace d’expression. L’Atelier des Grames, Artcib-Lab, Incidences, Gruppen… ont publié ses poèmes de créations sonores.
Il est membre du comité de lecture de la revue d’art action, Inter de Québec.
En 1975, Serge Pey fonde la revue ÉMEUTE, puis TRIBU. En 1981. Il crée la revue CENT148 qu’il ouvre à la jeune poésie contemporaine entre l’université et le quartier du Mirail de Toulouse.
Coopérative d’édition à la distribution nomade, TRIBU a publié sous sa direction des auteurs comme Bernard Manciet, Jean-Luc Parant, Gaston Puel, Rafaël Alberti, Dominique Pham Cong Thien, les Poèmes du Sixième Dalaï-Lama… Avec Jacques Donguy, il réalise l’anthologie des poètes polonais sous l’état de siège (Tribu).
La revue TRIBU, qu’il publiait au Centre de promotion culturelle de l’Université du Mirail, a été l’expression d’un moment éblouissant de l’aventure contemporaine de la poésie.
Des auteurs comme Allen Ginsberg, Ernesto Cardenal, Henri Miller, Armand Gatti… écrivent alors dans ses éditions. Il fut l’éditeur de Jaroslav Seifert, prix Nobel de littérature en 1984.
Dans son anthologie, Les funambules de Prague, réalisée avec son ami Karel Bartocek, figure du Printemps de 1968 en Tchécoslovaquie, il donna à lire en France des auteurs comme le philosophe Karel Kosik ou Vaclav Havel, dont il participa à la campagne internationale pour sa libération.
Sous la direction d’Andreas Pfersmann, l’université Sophia Antipolis de Nice, organisa en 2002, un colloque international : Serge Pey et l’Internationale du rythme. Cet ouvrage majeur rassemble des dizaines de témoignages de son aventure poétique, comme ceux de Bernard Noël, Henri Meschonnic, Jean-Jacques Lebel, Adonis, Henri Chopin, Abdellatif Laabi, Jean-Luc Parant, André Benedetto, Patrick Quillier, Michael Lowy, Pierre Ouellet, Charles Pennequin… Compagnons de route du poète, ils saluent ici, son engagement et son aventure de la poésie dans le corps, la voix et la vie.
Poète visuel, Serge Pey rédige ses textes sur des bâtons avec lesquels il réalise ses scansions et ses performances, ainsi que des installations qu’il nomme « pièges à infini ».
Artiste plasticien, de nombreux lieux ont accueilli ses œuvres: la Galerie Lara Vincy de Paris, le Moulin de Ventabren de Julien Blaine, la galerie mythique de Jacques Donguy à la Bastille, le Centre d’art et de littérature de l’Échelle, la Coopérative de Montolieu, la Médiathèque de la Roche sur Yon, le Parc de la préhistoire de Tarascon, la galerie Louise Michel de Poitiers ou l’espace du Lieu à Québec…
Le Musée d’art contemporain de la ville de Toulouse lui a consacré, dans le cadre de Dream Time, une exposition de mai à décembre 2009, sous le titre de « Tombeau pour Saartje Baartman ».
La même année il réalisa une installation consacrée à Antonio Gramsci, en Sardaigne. Ses écritures du courage, hommage rendu à la résistance de la pensée, sont exposées comme œuvre permanente au Conseil régional de Midi-Pyrénées.
D’autres plasticiens ont collaboré avec lui, comme le peintre Corneille fondateur du mouvement COBRA (qui illustra pour lui l’évangile du serpent), Joan Jorda, Jean Capdeville (le Millier de l’air Fata Morgana) Jacques Brianti, Jiri Kolar, José Luis Cuevas… Antoni Tapies réalisa pour lui l’affiche des premières rencontres de poésie contemporaine qu’il créa à Toulouse en 1981.
Serge Pey mène un travail singulier dans la poésie contemporaine française. Sa pratique de la poésie directe l’a conduit à approfondir les phénomènes de possession et de dépossession dans la pratique orale du poème ainsi qu’un nouveau rapport à la diction du poème et à sa réalisation physique.
Son poème, dédié aux Indiens huicholes, Nierika ou les mémoires du cinquième soleil, est un ouverture des langues de la vision à la poésie contemporaine.
Il est le cofondateur du groupe de poésie d’action-Flamenco, Los « Afiladores »..
Concepteur du premier livre immédiat du Monde à Mexico, en 1984, il est aussi un des principaux acteurs du groupe international de la poésie directe.
En France ses performances ont été présentées à Beaubourg, au Marché de la poésie à Paris, à l’Odéon, aux Parvis poétiques de Marc Delouze, à la Mutualité, aux Bouffes du Nord, à la Maison de la poésie de Paris et dans la plupart des villes françaises…
Le travail scénique de Serge Pey se déploie autour de la performance ou des formes hybrides qu’il affectionne.
Poète de la mise en espace et de la langue une partie de son œuvre a été montée au théâtre par le Cornet à dès (Déluge de Jérôme Bosch, Féérie pour une autre fois, Toromagie / Coplas infinies pour les Hommes-taureaux du dimanche) , par le Théatre de l’acte avec Tchernobyl, et d’autres troupes françaises et étrangères.
Avec le Théâtre du Riel, il écrivit une adaptation scénique des Chants de Maldoror de Lautréamont, à Mexico en 1979. En 2009 il présenta Les os déterrés de Garcia Lorca, œuvre qui allie, selon sa singularité, la performance et le flamenco. Son livre de nouvelles « Le Trésor de la guerre d’Espagne » (Zulma) fait l’objet d’une adaptation théâtrale cette année.
Performeur, il est un des représentants déterminants de la poésie d’action. Son art particulier mêle à la fois certains aspects du happening, de la poésie sonore, de l’installation… Créateur de situations, il déplace le poème hors du livre jusqu’à ses plus ultimes conséquences.
Invité régulièrement à Polyphonix, aux Parvis Poétiques, au Marché de la poésie, à la Parole errante, et dans tous les lieux de résistance de la poésie, son œuvre est présentée régulièrement à Beaubourg et dans les centres d’art alternatif du monde de l’art-action, comme le Lieu à Québec.
Avec Marcos Kurktykz, il réalisa à Mexico, en France et en Espagne, de nombreuses performances et poésies de rue.
Sa poésie d’action fut partagée sur les mêmes scènes avec Allen Ginsberg, Ferlinghetti, Ghérasim Luca, Esther Ferrer, Richard Martel, Boris Nieslosny, Seiji Shimoda, Tokio Marumaya, Bartolomé Ferrando, Jean-Jacques Lebel, Valentin Torrens, Jerome Rothemberg…
Homme de plusieurs exils, son œuvre française est traversée par les langues de son enfance, comme l’Espagnol ou l’Occitan.
Marqué par son aventure mexicaine, dans laquelle il fit la rencontre de Jean Clarence Lambert, il a consacré un ouvrage à Octavio Paz autour d’une vingtaine de lettres qu’il rédigea dans les années quatre-vingt. Nierika ou les mémoires du cinquième soleil, son livre mythique sur le peyotl et les Indiens huicholes, retrace l’expérience visionnaire d’une littérature de l’extase. Le livre immédiat de Tepoztlan, village mexicain, dans lequel il séjourna durant de longues années est le témoignage d’une des expériences les plus singulières d’un happening de poésie contemporaine en Amérique latine.
Ses poèmes ont été diffusés diverses fois par France-Culture : Poésie sur Parole, Les Poétiques d’André Velter, Ça rime à quoi (Sophie Nauleau) Demain la poésie. Le Théâtre du rond point, l’Odéon, les Bouffes du Nord, le TNT de Toulouse, lui ont ouvert leur scène centrale. Les Ateliers de création radiophonique de René Farabet ont produit son œuvre sonore autour du Peyotl et du flamenco, lors d’un hommage à La Joselito. Il est le premier poète occidental a avoir été accueilli sur la place Djama el Fana à Marrakech, avec Michel Raji, en 2001 par la confrérie des conteurs.
Son œuvre écrite connaît aussi une diffusion sonore : L’Évangile du serpent, Nihil et Consolamentum, Les diseurs de musique, la Mère du cercle, Poème de l’urine, le Complexe de la viande… Proférateur et rythmeur, à la suite de nombreux récitals communs avec son ami Allen Ginsberg et Yves Le Pellec, il produisit un disque dans lequel, ensemble, ils récitent Howl et Kaddish…
Plusieurs DVD lui sont consacrés associés à l’Internationale du rythme (Atelier des brisants) Ahuc, poèmes stratégiques (FLAMMARION) Pourquoi j’écrase des tomates en disant la plupart de mes poèmes (DOCKS).
Michel Doneda, Lee Quan Nhin, Bernard Lubat, Marc Peronne, Jean Pierre Lafitte, Daunick Lazro, Beñat Achiary, Ahmed Bend Diab, étage 34, Mariano Zamora, Michel Raji, Dominique Répequeau, Laurent Dailleau, Pedro Soler, Dominique Regef, Beñat Achiary, Mixel Echecopart…ont accompagné son travail.
Il convient de souligner les mythiques concerts qu’il réalisa avec son ami André Minvielle et le disque qu’ils publièrent ensemble : « Nous sommes cernés par les cibles ».
Dans les années quatre-vingt, Serge Pey créa une éphémère Internationale de la poésie acrylique dans laquelle il publia l’écriture secrète des « panchitos » de Mexico.
Rattaché au mouvement de la poésie sonore Serge Pey reste un inclassable.
En 1989, Serge Pey lance le mouvement de la philosophie directe, rompant avec les cloisonnements qui cantonnent le poème uniquement dans un travail sur le langage. Il donne en ce sens une nouvelle définition de la performance, face à son éclosion actuelle sous forme de divertissement.
La pensée du poème se faisant acte, il fait remonter le courant qu’il représente au mouvement des cyniques grecs, les premiers inventeurs pour lui du happening et de la poésie directe.
Il est le fondateur et l’initiateur du mouvement des marches internationales de la Poésie depuis 1981.
Avec le Centre d’initiatives de l’Université du Mirail, Serge Pey lança une série d’événements internationaux importants de performance et de poésie directe parmi lesquels on peut relever les Rencontres internationales de poésie contemporaines, les Continents de la parole ou le Rassemblement contre toutes les inquisitions.
L’œuvre de Serge Pey est indissociable de son combat pour la libération de l’humanité. Son chemin de combattant et de poète la mener à partager les luttes des peuples du monde. Dans la revue ÉMEUTE, qui posait les problèmes relationnels entre de la libération des peuples et la littérature, il publie des ensembles consacrés à la Poésie Palestinienne, ou à de solidarité à l’Espagne antifranquiste.
Avec Karel Bartosek, héros du Printemps tchécoslovaque, il fait paraître les Funambules de Prague. Membre du collectif pour la libération de Vaclav Havel, il créa diverses actions sous le mot d’ordre permanent de Maïakovski : Je dévorerai la bureaucratie comme un loup.
Il publie en 1975 avec Jacques Donguy une anthologie de la poésie polonaise sous l’état de siège.
On rencontre Serge Pey Chili sous la dictature, à Isla Negra pour Pablo Neruda, en Algérie en solidarité avec les progressistes victimes de la terreur, et dans d’autres pays du monde. De nombreux livres parsèment son mouvement solidaire et engagé. En 1977, il rédige Minute hurlée sur l’Agenda de la résistance chilienne du MIR, puis Couvre-feu.
Interrogatoire (CIPM) est dédié aux assassins de Tahar Djaoud en Algérie.
Partisan de la lutte des zapatistes mexicains, il consacra plus d’une centaine d’action et d’installations dans le monde à leur mouvement
En 2009, il dédie une exposition de dessins et de bâtons au peuple sud-africain. Son Tombeau pour Saartje Baartman, est une dénonciation du colonialisme et de l’esclavage.
À Beaubourg, et dans diverses villes de France, associé à Oreste Scalzone, il organisa une série d’actions contre l’expulsion de France des militants italiens des années de plomb comme Paolo Persichetti, Cesare Battisti puis Marina Petrella.
À la Cave poésie de Toulouse, il donne voix, chaque lundi depuis le début des années quatre-vingt, à l’aventure de la jeune poésie dans le cadre d’une université populaire de poésie directe et de ses chantiers d’art provisoire
Universitaire au parcours atypique, Serge Pey soutint une thèse en 1973, sur l’agitation et la propagande, sous la direction de Rolande Trempé, Georges Mailhos, Pierre Broué et Madeleine Rebérioux.
Théoricien de la poésie d’action, disciple d’Henri Meschonnic, il est l’auteur d’une seconde thèse sur la poésie contemporaine : La langue arrachée, critique de la raison poétique .
Lèpres à un jeune poète, principes élémentaires de philosophie directe (DÉLIT ÉDITION) est un apport théorique fondamental à la théorie de l’art-action d’action du XXI° siècle.
Maître de conférences, membre de l’UNITÉ MIXTE DE RECHERCHE A.C.T.E (Art, Création, Théorie, Esthétique) SORBONNE-CNRS, il dirige l’atelier/séminaire de l’Université de Toulouse 2-Le Mirail. Membre du collège de pataphysique, il fonde avec Thieri Foulc, Chiara Mulas et le Théatre sarde, Fueddu e gestu, la section sardonique du collège à Villasor (Sardaigne), en 2009.
Les prix internationaux de poésie francophone, Wallonie Bruxelles et Yvan Goll, lui ont été décernés en 1989 et 2001.
Poésie et magie chez Serge Pey
Ahuc, poèmes stratégiques
Flammarion, 2012
Chants électro-néolithiques
Dernier Télégramme, 2012
Rares sont les poètes contemporains qui revendiquent la nature magique de leur art. Serge Pey est de ceux-là. Les liens entre poésie et magie sont certes anciens, mais tellement dilués ou dissolus aujourd’hui que l’on a peine à en croire ses yeux et ses oreilles lorsqu’un Serge Pey n’hésite pas à brandir ses bâtons peints et à proférer ses chants litaniques lors de performances qui s’apparentent à quelque rituel chamanique. Par « magie », j’entends non quelque féerie illusionniste mais bien la recherche d’une efficace, d’une dimension opératoire de la poésie, une pensée magique qui soit une appréhension transformatrice de la réalité. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit, très au-delà d’une soi-disant « poésie-action » dans laquelle on a pu vouloir le situer sinon l’enfermer. Pour ne pas le cantonner dans ces dispositifs finalement souvent assez conventionnels de la scène artistique que sont les performances, mieux vaut revenir aux textes et l’on s’apercevra de la richesse et de la cohérence de son œuvre. Le fort volume (accompagné d’ailleurs d’un DVD) que proposent les éditions Flammarion et celui des éditions Dernier Télégramme permettent de prendre la mesure de l’ampleur et de l’amplitude d’une inspiration qui puise à toutes sortes de traditions et de mythes primitifs ou autres (sardes, cathares, amérindiens, cabalistiques, etc.).
Si la pensée magique est l’une des constantes de sa poésie, c’est d’abord en ce que celle-ci explore les pouvoirs du langage. Qu’elle tend à abolir la disjonction du mot et de la chose[1]. Que la représentation y est volonté de puissance. Que le signe n’est plus arbitraire mais lieu du passage vers le référent. Serge Pey a raconté qu’un moment fondateur pour lui fut le jour où son père sortit une porte de ses gonds (littéralement et dans tous les sens, sans doute) et la renversa sur deux tréteaux pour en faire usage de table. Geste magique et ô combien héroïque ! Une chose était devenue le signe d’autre chose. Ou plutôt, la chose avait conservé en se renversant son pouvoir de signe, sa vertu infiniment ouvrante. La porte en devenant table avait introduit superbement à ce rituel qu’est le repas. La porte, jusque là banale, s’était comme communiquée à la table, redevenant ainsi alors plus porte que la porte, la table avait invité et accueilli la porte, ainsi qu’il se peut d’une vraie table, comme si ces deux choses avaient fusionné, s’hypostasiant l’une l’autre en quelque sorte, réifiant le signe et tournant la chose en symbole. La métamorphose fut une révélation. Une porte qui devient table agrandit son sens et ne cesse plus de battre, de se partager. On imagine combien un tel événement peut être marquant pour un enfant qui sera poète.
Les figures de l’inversion sont très présentes dans les poèmes de Pey. Elles servent à réactiver le signe, à décupler sa force et sa capacité à faire rejoindre la chose. Qu’on en juge par ces quelques extraits des poèmes stratégiques :
« Qu’un fleuve
coule toujours
contre lui-même » ;
« Que penser
c’est émettre
une image
sans miroir » ;
« Que
l’on se déguise
dans le vêtement absolu
de notre disparition »
On voit bien ce que cette pensée magique doit à la mise en place d’un système analogique : celui-ci soustrait chaque objet à son signe, le débarrasse de son atavisme sémantique, l’émancipe de lui-même pour le relancer vers lui-même :
« Tout bâton gît
sur la terre
comme une soustraction
abandonnée par ses nombres »
Et Pey, avec les éléments les plus simples (l’échelle, la tomate, la photographie, etc.), compose une combinatoire où tournoient et se mélangent sans cesse les attributs de chaque élément (le barreau, le jus qui est du sang, la duplication, etc.). Il les oblige à une sorte de transe, une extase qui les place sur un plan magique où le signe ne se contente pas seulement de représenter la chose, mais l’engendre. D’où de multiples images et visions, où le cercle par exemple deviendra rien de moins que « la mère du cercle » et le moindre objet un « piège à infini ».
Un autre élément montre le caractère magique de sa poésie, c’est l’utilisation constante du registre guerrier. Serge Pey – il le dit assez – est un combattant, un résistant, un partisan de « l’Internationale du rythme ». Les poèmes stratégiques se donnent pour un véritable petit traité d’art de la guerre. Il y a chez lui une volonté de dépasser le statut littéraire et scriptural du poème pour en faire un acte, un geste qui aura son efficacité propre dans le monde. Le recours à un vocabulaire politique, insurrectionnel, à un clivage marqué des oppositions, l’appel à la lutte par le poème, tout cela dénote un désir de sortir le poème du poème et de lui conférer (magiquement, dans une certaine invocation auto-persuasive) un pouvoir de nuisance ou au contraire de réenchantement. On pourra éventuellement s’agacer de ce blanc-seing révolutionnaire que le poème se donne automatiquement, trouver que le poème politique de Serge Pey se paye de mots à peu de frais. Il n’empêche que cette voie (ou voix) guerrière qu’adopte souvent sa poésie introduit des enjeux et une dialectique[2] extrêmement fertiles à l’intérieur des poèmes et qui tendent à faire comme pencher les poèmes hors des poèmes, vers le réel, selon cette efficience magique recherchée.
Les emprunts aux lexiques juridique ou mathématique encore montrent bien ce souci de la rigueur et de l’efficacité qui est au cœur de sa poésie. De même que les références nombreuses à des thèmes qui sont ceux de la tradition alchimique indiquent que la magie est ici plus proche de son origine scientifique ou proto-scientifique que de son pôle religieux. La poésie revient finalement à développer une technique de la vision. Il y a dans les poèmes de Pey une sorte de savoir-faire visionnaire, de procédé prophétique, si l’on peut dire. Nous connaissons ce très simple exercice méditatif qui consiste à couper une pomme par l’équateur pour faire apparaître une étoile en son milieu (si on la coupe verticalement, comme on le fait habituellement, c’est un sexe féminin qui s’y montre). De la même façon, la poésie à laquelle Serge Pey se voue cherche à voir l’étoile de la chose dans le nom, à le marquer d’un stigmate d’infini. Pour ce faire il faut avoir un usage symbolique ou ésotérique du mot, opposé à ce que serait un usage commun, prosaïque et exotérique. Inverser systématiquement les rapports, déplacer une équivalence sur un plan second, redéfinir les choses magiquement selon un principe de similarité (le semblable agit sur le semblable) ou de contiguïté (la partie contient le tout, le proche détient un pouvoir de contagion sur le proche), introduire dans les mots une cassure qui soit ce que le poète appelle une « bifurcation élastique », voilà quelques-unes des techniques et des connaissances qui permettent à cette poésie, dans des poèmes qui sont autant d’amulettes et de tables de correspondances, de faire exister un envers du monde où le monde circule plus et mieux entre cet envers et lui-même. Il s’agit en effet de provoquer l’autre des choses, de condenser dans la chose l’ombre abyssale qui s’ouvre à son côté :
« Vivre
c’est serrer
un trou
dans sa main
jusqu’à ce qu’il
sorte
de l’autre côté
de la main
et rencontre
un autre trou
qui fera
une contre-main
sur le monde. »
Comme si tout avait un pendant métaphysique qui ne serait pas moins agissant, comme si toute chose était le résultat (provisoire) d’une réciprocité vivante.
L’écriture de Serge Pey semble en permanence inventer un double aux choses, un double qui leur est intérieur en même temps qu’explosif. Sur la paroi de sa caverne, il appose sans arrêt les mains positives et les mains négatives qui bâtissent son allégorie de la vision, où la vision est une incessante projection, un infini renversement.
Laurent Albarracin
Serge Pey, né en 1950 à Toulouse, est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages parmi lesquels : De la ville et du Fleuve, Prophéties, (TRIBU) La Définition de l’Aigle, L’Enfant archéologue (J.BREMOND), Notre Dame la Noire ou l’Évangile du Serpent, Couvre-feu, Poème pour un peuple mort, La Mère du cercle, (TRAVERS) La main et le couteau (PAROLE D’AUBE) Pour libérer les vivants il faut savoir aussi libérer les morts, (VOIX EDITIONS) Lettres posthumes à Octavio Paz, (JEAN-MICHEL PLACE), Traité des chemins et des bâtons, (BOIS D’ORION) Le Millier de l’air, (FATA MORGANA) Nihil et Consolamentum, ( DELIT EDITION) Poésie secrète, poésie publique (CASTOR ASTRAL) Visages de l’échelle, de la chaise et du feu, ( DUMERCHEZ) Bâtons de la différence entre les bruits, (LA PART COMMUNE) Droit de voirie, Appel aux Survenants, (MAELSTRÖM) Ne sois pas un poète sois un corbeau, Les Chants électro-néolithiques pour Chiara Mulas, Dialectique de la Tour de Pise, (DERNIER TELEGRAMME) Ahuc poèmes stratégiques (FLAMMARION) …
Ses textes figurent dans l’anthologie Orphée Studio , Poèmes à dire du XXe siècle, Des poètes pour l’espérance , Éros émerveillé (GALLIMARD), les Techniciens du sacré, ( anthologie réunie par Yves di Mano, autour de Jerome Rothemberg aux Éditions J. Corti).
De nombreuses revues comme Incidence, Travers, la Maison de la Poésie Rhône-Alpes, Docks… lui ont réservé leur espace d’expression. L’Atelier des Grames, Artcib-Lab, Incidences, Gruppen… ont publié ses poèmes de créations sonores.
Il est membre du comité de lecture de la revue d’art action, Inter de Québec.
En 1975, Serge Pey fonde la revue ÉMEUTE, puis TRIBU. En 1981. Il crée la revue CENT148 qu’il ouvre à la jeune poésie contemporaine entre l’université et le quartier du Mirail de Toulouse.
Coopérative d’édition à la distribution nomade, TRIBU a publié sous sa direction des auteurs comme Bernard Manciet, Jean-Luc Parant, Gaston Puel, Rafaël Alberti, Dominique Pham Cong Thien, les Poèmes du Sixième Dalaï-Lama… Avec Jacques Donguy, il réalise l’anthologie des poètes polonais sous l’état de siège (Tribu).
La revue TRIBU, qu’il publiait au Centre de promotion culturelle de l’Université du Mirail, a été l’expression d’un moment éblouissant de l’aventure contemporaine de la poésie.
Des auteurs comme Allen Ginsberg, Ernesto Cardenal, Henri Miller, Armand Gatti… écrivent alors dans ses éditions. Il fut l’éditeur de Jaroslav Seifert, prix Nobel de littérature en 1984.
Dans son anthologie, Les funambules de Prague, réalisée avec son ami Karel Bartocek, figure du Printemps de 1968 en Tchécoslovaquie, il donna à lire en France des auteurs comme le philosophe Karel Kosik ou Vaclav Havel, dont il participa à la campagne internationale pour sa libération.
Sous la direction d’Andreas Pfersmann, l’université Sophia Antipolis de Nice, organisa en 2002, un colloque international : Serge Pey et l’Internationale du rythme. Cet ouvrage majeur rassemble des dizaines de témoignages de son aventure poétique, comme ceux de Bernard Noël, Henri Meschonnic, Jean-Jacques Lebel, Adonis, Henri Chopin, Abdellatif Laabi, Jean-Luc Parant, André Benedetto, Patrick Quillier, Michael Lowy, Pierre Ouellet, Charles Pennequin… Compagnons de route du poète, ils saluent ici, son engagement et son aventure de la poésie dans le corps, la voix et la vie.
Poète visuel, Serge Pey rédige ses textes sur des bâtons avec lesquels il réalise ses scansions et ses performances, ainsi que des installations qu’il nomme « pièges à infini ».
Artiste plasticien, de nombreux lieux ont accueilli ses œuvres: la Galerie Lara Vincy de Paris, le Moulin de Ventabren de Julien Blaine, la galerie mythique de Jacques Donguy à la Bastille, le Centre d’art et de littérature de l’Échelle, la Coopérative de Montolieu, la Médiathèque de la Roche sur Yon, le Parc de la préhistoire de Tarascon, la galerie Louise Michel de Poitiers ou l’espace du Lieu à Québec…
Le Musée d’art contemporain de la ville de Toulouse lui a consacré, dans le cadre de Dream Time, une exposition de mai à décembre 2009, sous le titre de « Tombeau pour Saartje Baartman ».
La même année il réalisa une installation consacrée à Antonio Gramsci, en Sardaigne. Ses écritures du courage, hommage rendu à la résistance de la pensée, sont exposées comme œuvre permanente au Conseil régional de Midi-Pyrénées.
D’autres plasticiens ont collaboré avec lui, comme le peintre Corneille fondateur du mouvement COBRA (qui illustra pour lui l’évangile du serpent), Joan Jorda, Jean Capdeville (le Millier de l’air Fata Morgana) Jacques Brianti, Jiri Kolar, José Luis Cuevas… Antoni Tapies réalisa pour lui l’affiche des premières rencontres de poésie contemporaine qu’il créa à Toulouse en 1981.
Serge Pey mène un travail singulier dans la poésie contemporaine française. Sa pratique de la poésie directe l’a conduit à approfondir les phénomènes de possession et de dépossession dans la pratique orale du poème ainsi qu’un nouveau rapport à la diction du poème et à sa réalisation physique.
Son poème, dédié aux Indiens huicholes, Nierika ou les mémoires du cinquième soleil, est un ouverture des langues de la vision à la poésie contemporaine.
Il est le cofondateur du groupe de poésie d’action-Flamenco, Los « Afiladores »..
Concepteur du premier livre immédiat du Monde à Mexico, en 1984, il est aussi un des principaux acteurs du groupe international de la poésie directe.
En France ses performances ont été présentées à Beaubourg, au Marché de la poésie à Paris, à l’Odéon, aux Parvis poétiques de Marc Delouze, à la Mutualité, aux Bouffes du Nord, à la Maison de la poésie de Paris et dans la plupart des villes françaises…
Le travail scénique de Serge Pey se déploie autour de la performance ou des formes hybrides qu’il affectionne.
Poète de la mise en espace et de la langue une partie de son œuvre a été montée au théâtre par le Cornet à dès (Déluge de Jérôme Bosch, Féérie pour une autre fois, Toromagie / Coplas infinies pour les Hommes-taureaux du dimanche) , par le Théatre de l’acte avec Tchernobyl, et d’autres troupes françaises et étrangères.
Avec le Théâtre du Riel, il écrivit une adaptation scénique des Chants de Maldoror de Lautréamont, à Mexico en 1979. En 2009 il présenta Les os déterrés de Garcia Lorca, œuvre qui allie, selon sa singularité, la performance et le flamenco. Son livre de nouvelles « Le Trésor de la guerre d’Espagne » (Zulma) fait l’objet d’une adaptation théâtrale cette année.
Performeur, il est un des représentants déterminants de la poésie d’action. Son art particulier mêle à la fois certains aspects du happening, de la poésie sonore, de l’installation… Créateur de situations, il déplace le poème hors du livre jusqu’à ses plus ultimes conséquences.
Invité régulièrement à Polyphonix, aux Parvis Poétiques, au Marché de la poésie, à la Parole errante, et dans tous les lieux de résistance de la poésie, son œuvre est présentée régulièrement à Beaubourg et dans les centres d’art alternatif du monde de l’art-action, comme le Lieu à Québec.
Avec Marcos Kurktykz, il réalisa à Mexico, en France et en Espagne, de nombreuses performances et poésies de rue.
Sa poésie d’action fut partagée sur les mêmes scènes avec Allen Ginsberg, Ferlinghetti, Ghérasim Luca, Esther Ferrer, Richard Martel, Boris Nieslosny, Seiji Shimoda, Tokio Marumaya, Bartolomé Ferrando, Jean-Jacques Lebel, Valentin Torrens, Jerome Rothemberg…
Homme de plusieurs exils, son œuvre française est traversée par les langues de son enfance, comme l’Espagnol ou l’Occitan.
Marqué par son aventure mexicaine, dans laquelle il fit la rencontre de Jean Clarence Lambert, il a consacré un ouvrage à Octavio Paz autour d’une vingtaine de lettres qu’il rédigea dans les années quatre-vingt. Nierika ou les mémoires du cinquième soleil, son livre mythique sur le peyotl et les Indiens huicholes, retrace l’expérience visionnaire d’une littérature de l’extase. Le livre immédiat de Tepoztlan, village mexicain, dans lequel il séjourna durant de longues années est le témoignage d’une des expériences les plus singulières d’un happening de poésie contemporaine en Amérique latine.
Ses poèmes ont été diffusés diverses fois par France-Culture : Poésie sur Parole, Les Poétiques d’André Velter, Ça rime à quoi (Sophie Nauleau) Demain la poésie. Le Théâtre du rond point, l’Odéon, les Bouffes du Nord, le TNT de Toulouse, lui ont ouvert leur scène centrale. Les Ateliers de création radiophonique de René Farabet ont produit son œuvre sonore autour du Peyotl et du flamenco, lors d’un hommage à La Joselito. Il est le premier poète occidental a avoir été accueilli sur la place Djama el Fana à Marrakech, avec Michel Raji, en 2001 par la confrérie des conteurs.
Son œuvre écrite connaît aussi une diffusion sonore : L’Évangile du serpent, Nihil et Consolamentum, Les diseurs de musique, la Mère du cercle, Poème de l’urine, le Complexe de la viande… Proférateur et rythmeur, à la suite de nombreux récitals communs avec son ami Allen Ginsberg et Yves Le Pellec, il produisit un disque dans lequel, ensemble, ils récitent Howl et Kaddish…
Plusieurs DVD lui sont consacrés associés à l’Internationale du rythme (Atelier des brisants) Ahuc, poèmes stratégiques (FLAMMARION) Pourquoi j’écrase des tomates en disant la plupart de mes poèmes (DOCKS).
Michel Doneda, Lee Quan Nhin, Bernard Lubat, Marc Peronne, Jean Pierre Lafitte, Daunick Lazro, Beñat Achiary, Ahmed Bend Diab, étage 34, Mariano Zamora, Michel Raji, Dominique Répequeau, Laurent Dailleau, Pedro Soler, Dominique Regef, Beñat Achiary, Mixel Echecopart…ont accompagné son travail.
Il convient de souligner les mythiques concerts qu’il réalisa avec son ami André Minvielle et le disque qu’ils publièrent ensemble : « Nous sommes cernés par les cibles ».
Dans les années quatre-vingt, Serge Pey créa une éphémère Internationale de la poésie acrylique dans laquelle il publia l’écriture secrète des « panchitos » de Mexico.
Rattaché au mouvement de la poésie sonore Serge Pey reste un inclassable.
En 1989, Serge Pey lance le mouvement de la philosophie directe, rompant avec les cloisonnements qui cantonnent le poème uniquement dans un travail sur le langage. Il donne en ce sens une nouvelle définition de la performance, face à son éclosion actuelle sous forme de divertissement.
La pensée du poème se faisant acte, il fait remonter le courant qu’il représente au mouvement des cyniques grecs, les premiers inventeurs pour lui du happening et de la poésie directe.
Il est le fondateur et l’initiateur du mouvement des marches internationales de la Poésie depuis 1981.
Avec le Centre d’initiatives de l’Université du Mirail, Serge Pey lança une série d’événements internationaux importants de performance et de poésie directe parmi lesquels on peut relever les Rencontres internationales de poésie contemporaines, les Continents de la parole ou le Rassemblement contre toutes les inquisitions.
L’œuvre de Serge Pey est indissociable de son combat pour la libération de l’humanité. Son chemin de combattant et de poète la mener à partager les luttes des peuples du monde. Dans la revue ÉMEUTE, qui posait les problèmes relationnels entre de la libération des peuples et la littérature, il publie des ensembles consacrés à la Poésie Palestinienne, ou à de solidarité à l’Espagne antifranquiste.
Avec Karel Bartosek, héros du Printemps tchécoslovaque, il fait paraître les Funambules de Prague. Membre du collectif pour la libération de Vaclav Havel, il créa diverses actions sous le mot d’ordre permanent de Maïakovski : Je dévorerai la bureaucratie comme un loup.
Il publie en 1975 avec Jacques Donguy une anthologie de la poésie polonaise sous l’état de siège.
On rencontre Serge Pey Chili sous la dictature, à Isla Negra pour Pablo Neruda, en Algérie en solidarité avec les progressistes victimes de la terreur, et dans d’autres pays du monde. De nombreux livres parsèment son mouvement solidaire et engagé. En 1977, il rédige Minute hurlée sur l’Agenda de la résistance chilienne du MIR, puis Couvre-feu.
Interrogatoire (CIPM) est dédié aux assassins de Tahar Djaoud en Algérie.
Partisan de la lutte des zapatistes mexicains, il consacra plus d’une centaine d’action et d’installations dans le monde à leur mouvement
En 2009, il dédie une exposition de dessins et de bâtons au peuple sud-africain. Son Tombeau pour Saartje Baartman, est une dénonciation du colonialisme et de l’esclavage.
À Beaubourg, et dans diverses villes de France, associé à Oreste Scalzone, il organisa une série d’actions contre l’expulsion de France des militants italiens des années de plomb comme Paolo Persichetti, Cesare Battisti puis Marina Petrella.
À la Cave poésie de Toulouse, il donne voix, chaque lundi depuis le début des années quatre-vingt, à l’aventure de la jeune poésie dans le cadre d’une université populaire de poésie directe et de ses chantiers d’art provisoire
Universitaire au parcours atypique, Serge Pey soutint une thèse en 1973, sur l’agitation et la propagande, sous la direction de Rolande Trempé, Georges Mailhos, Pierre Broué et Madeleine Rebérioux.
Théoricien de la poésie d’action, disciple d’Henri Meschonnic, il est l’auteur d’une seconde thèse sur la poésie contemporaine : La langue arrachée, critique de la raison poétique .
Lèpres à un jeune poète, principes élémentaires de philosophie directe (DÉLIT ÉDITION) est un apport théorique fondamental à la théorie de l’art-action d’action du XXI° siècle.
Maître de conférences, membre de l’UNITÉ MIXTE DE RECHERCHE A.C.T.E (Art, Création, Théorie, Esthétique) SORBONNE-CNRS, il dirige l’atelier/séminaire de l’Université de Toulouse 2-Le Mirail. Membre du collège de pataphysique, il fonde avec Thieri Foulc, Chiara Mulas et le Théatre sarde, Fueddu e gestu, la section sardonique du collège à Villasor (Sardaigne), en 2009.
Les prix internationaux de poésie francophone, Wallonie Bruxelles et Yvan Goll, lui ont été décernés en 1989 et 2001.
Poésie et magie chez Serge Pey
Ahuc, poèmes stratégiques
Flammarion, 2012
Chants électro-néolithiques
Dernier Télégramme, 2012
Rares sont les poètes contemporains qui revendiquent la nature magique de leur art. Serge Pey est de ceux-là. Les liens entre poésie et magie sont certes anciens, mais tellement dilués ou dissolus aujourd’hui que l’on a peine à en croire ses yeux et ses oreilles lorsqu’un Serge Pey n’hésite pas à brandir ses bâtons peints et à proférer ses chants litaniques lors de performances qui s’apparentent à quelque rituel chamanique. Par « magie », j’entends non quelque féerie illusionniste mais bien la recherche d’une efficace, d’une dimension opératoire de la poésie, une pensée magique qui soit une appréhension transformatrice de la réalité. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit, très au-delà d’une soi-disant « poésie-action » dans laquelle on a pu vouloir le situer sinon l’enfermer. Pour ne pas le cantonner dans ces dispositifs finalement souvent assez conventionnels de la scène artistique que sont les performances, mieux vaut revenir aux textes et l’on s’apercevra de la richesse et de la cohérence de son œuvre. Le fort volume (accompagné d’ailleurs d’un DVD) que proposent les éditions Flammarion et celui des éditions Dernier Télégramme permettent de prendre la mesure de l’ampleur et de l’amplitude d’une inspiration qui puise à toutes sortes de traditions et de mythes primitifs ou autres (sardes, cathares, amérindiens, cabalistiques, etc.).
Si la pensée magique est l’une des constantes de sa poésie, c’est d’abord en ce que celle-ci explore les pouvoirs du langage. Qu’elle tend à abolir la disjonction du mot et de la chose[1]. Que la représentation y est volonté de puissance. Que le signe n’est plus arbitraire mais lieu du passage vers le référent. Serge Pey a raconté qu’un moment fondateur pour lui fut le jour où son père sortit une porte de ses gonds (littéralement et dans tous les sens, sans doute) et la renversa sur deux tréteaux pour en faire usage de table. Geste magique et ô combien héroïque ! Une chose était devenue le signe d’autre chose. Ou plutôt, la chose avait conservé en se renversant son pouvoir de signe, sa vertu infiniment ouvrante. La porte en devenant table avait introduit superbement à ce rituel qu’est le repas. La porte, jusque là banale, s’était comme communiquée à la table, redevenant ainsi alors plus porte que la porte, la table avait invité et accueilli la porte, ainsi qu’il se peut d’une vraie table, comme si ces deux choses avaient fusionné, s’hypostasiant l’une l’autre en quelque sorte, réifiant le signe et tournant la chose en symbole. La métamorphose fut une révélation. Une porte qui devient table agrandit son sens et ne cesse plus de battre, de se partager. On imagine combien un tel événement peut être marquant pour un enfant qui sera poète.
Les figures de l’inversion sont très présentes dans les poèmes de Pey. Elles servent à réactiver le signe, à décupler sa force et sa capacité à faire rejoindre la chose. Qu’on en juge par ces quelques extraits des poèmes stratégiques :
« Qu’un fleuve
coule toujours
contre lui-même » ;
« Que penser
c’est émettre
une image
sans miroir » ;
« Que
l’on se déguise
dans le vêtement absolu
de notre disparition »
On voit bien ce que cette pensée magique doit à la mise en place d’un système analogique : celui-ci soustrait chaque objet à son signe, le débarrasse de son atavisme sémantique, l’émancipe de lui-même pour le relancer vers lui-même :
« Tout bâton gît
sur la terre
comme une soustraction
abandonnée par ses nombres »
Et Pey, avec les éléments les plus simples (l’échelle, la tomate, la photographie, etc.), compose une combinatoire où tournoient et se mélangent sans cesse les attributs de chaque élément (le barreau, le jus qui est du sang, la duplication, etc.). Il les oblige à une sorte de transe, une extase qui les place sur un plan magique où le signe ne se contente pas seulement de représenter la chose, mais l’engendre. D’où de multiples images et visions, où le cercle par exemple deviendra rien de moins que « la mère du cercle » et le moindre objet un « piège à infini ».
Un autre élément montre le caractère magique de sa poésie, c’est l’utilisation constante du registre guerrier. Serge Pey – il le dit assez – est un combattant, un résistant, un partisan de « l’Internationale du rythme ». Les poèmes stratégiques se donnent pour un véritable petit traité d’art de la guerre. Il y a chez lui une volonté de dépasser le statut littéraire et scriptural du poème pour en faire un acte, un geste qui aura son efficacité propre dans le monde. Le recours à un vocabulaire politique, insurrectionnel, à un clivage marqué des oppositions, l’appel à la lutte par le poème, tout cela dénote un désir de sortir le poème du poème et de lui conférer (magiquement, dans une certaine invocation auto-persuasive) un pouvoir de nuisance ou au contraire de réenchantement. On pourra éventuellement s’agacer de ce blanc-seing révolutionnaire que le poème se donne automatiquement, trouver que le poème politique de Serge Pey se paye de mots à peu de frais. Il n’empêche que cette voie (ou voix) guerrière qu’adopte souvent sa poésie introduit des enjeux et une dialectique[2] extrêmement fertiles à l’intérieur des poèmes et qui tendent à faire comme pencher les poèmes hors des poèmes, vers le réel, selon cette efficience magique recherchée.
Les emprunts aux lexiques juridique ou mathématique encore montrent bien ce souci de la rigueur et de l’efficacité qui est au cœur de sa poésie. De même que les références nombreuses à des thèmes qui sont ceux de la tradition alchimique indiquent que la magie est ici plus proche de son origine scientifique ou proto-scientifique que de son pôle religieux. La poésie revient finalement à développer une technique de la vision. Il y a dans les poèmes de Pey une sorte de savoir-faire visionnaire, de procédé prophétique, si l’on peut dire. Nous connaissons ce très simple exercice méditatif qui consiste à couper une pomme par l’équateur pour faire apparaître une étoile en son milieu (si on la coupe verticalement, comme on le fait habituellement, c’est un sexe féminin qui s’y montre). De la même façon, la poésie à laquelle Serge Pey se voue cherche à voir l’étoile de la chose dans le nom, à le marquer d’un stigmate d’infini. Pour ce faire il faut avoir un usage symbolique ou ésotérique du mot, opposé à ce que serait un usage commun, prosaïque et exotérique. Inverser systématiquement les rapports, déplacer une équivalence sur un plan second, redéfinir les choses magiquement selon un principe de similarité (le semblable agit sur le semblable) ou de contiguïté (la partie contient le tout, le proche détient un pouvoir de contagion sur le proche), introduire dans les mots une cassure qui soit ce que le poète appelle une « bifurcation élastique », voilà quelques-unes des techniques et des connaissances qui permettent à cette poésie, dans des poèmes qui sont autant d’amulettes et de tables de correspondances, de faire exister un envers du monde où le monde circule plus et mieux entre cet envers et lui-même. Il s’agit en effet de provoquer l’autre des choses, de condenser dans la chose l’ombre abyssale qui s’ouvre à son côté :
« Vivre
c’est serrer
un trou
dans sa main
jusqu’à ce qu’il
sorte
de l’autre côté
de la main
et rencontre
un autre trou
qui fera
une contre-main
sur le monde. »
Comme si tout avait un pendant métaphysique qui ne serait pas moins agissant, comme si toute chose était le résultat (provisoire) d’une réciprocité vivante.
L’écriture de Serge Pey semble en permanence inventer un double aux choses, un double qui leur est intérieur en même temps qu’explosif. Sur la paroi de sa caverne, il appose sans arrêt les mains positives et les mains négatives qui bâtissent son allégorie de la vision, où la vision est une incessante projection, un infini renversement.
Laurent Albarracin
EXTRAIT DE TEXTE 1
1
Les heures se réparent la nuit
quand on ne les regarde pas
Le paradis se vide de ses anges tordus
Échafaudage de souliers et de croix
Poutres de fleurs
Marteaux faits avec de l’eau
Clous de sable
Le vent n’achète rien
à la vente aux enchères du ciel
Le marchand au milieu du chemin
vend encore des cailloux
Les prisonniers
lui remboursent en partie le chemin
en le payant avec des chaînes
Le fleuve bout
Deux couleurs s’attachent
l’une à l’autre et font une corde
où se pend la nuit
Une tête s’en va dans la crue
et vient buter contre une pile du pont
comme un second soleil jaune
La voix du chanteur
traverse le fleuve
Le soir
comme un taureau
lui mange dans sa main
les photos de sa douleur
2
Vieille voix dans la rivière
Cigarette éteinte dans le miel
On attache une photo
à la chaîne d’un chien
La poésie est une valise
qui attend toute la gare
Quand les voyageurs sont partis
l’horloge arrêtée est un cercle de chiffres
que nul horloger ne veut réparer
car il doit d’abord enlever
les aiguilles
L’empressement des heures
à revenir
même si l’horloge
est arrêtée donne l’heure juste
deux fois par jour
À ses pieds une bouteille
n’a nul pressentiment
de celui qui va la boire
Ici on ne confond pas les anges
et les oiseaux
Les anges écrivent des lettres
avec les aiguilles arrachées des horloge
et les oiseaux sont tués
par les aiguilles
que les hommes tirent
avec les arcs
Mais ceci arrive peu
Le vol des anges et des oiseaux
règne dans la gare
et l’horloge arrêtée donne
l’heure juste deux fois par jour
3
La voix regarde à l’intérieur
de la bouche
comme un dentiste de l’infini
Elle sait que les dents sont des lettres
que la langue va mélanger
Une croûte tombe du genou
blessé du chant
Les instants sont des cœurs
qui palpitent dans les choses
Des soldats renversent une lampe
et choisissent des bouches pour boire
l’infini
Une pluie de verre tombe dans la pluie
Il est minuit au milieu de minuit
La nuit est longue de ses pas
L’agenda ensanglanté
ne sait rien de son accident
La lune cache son infini
dans un piège où personne
ne tombe car personne ne le voit
4
Je pardonne à mes dents
d’avoir abandonné ma bouche
Le sergent tire une balle dans le feu
comme sur la nuque
d’un soldat fusillé
pour s’assurer de sa mort
Le ciel envoie une lettre d’explication
aux mortes
La lune procède uniquement à l’autopsie
des jeunes filles et des bébés
Les tourne-disques accompagnent
le vol de colombes peintes en rouge
Nous semons des miroirs déchirés
dans les sillons et nous attendons
l’automne pour voir pousser
des photos jaunies
à côté des pommes de terre
Nous ne faisons pas de différences
avec ce que nous mangeons
5
Le fleuve
veut épouser la pluie
et prépare des noces
d’échelles et de pont
Un nuage digère un autre nuage
La nuit est arrivée en retard d’une nuit
Mais sa sœur
une autre nuit
est déjà arrivée
avec son sac à main et son rouge à lèvres
Elle s’attend elle-même dans le lac
comme un pêcheur qui pécherait
son image
La nuit grelotte de froid autour du feu
où les renards maintenant se chauffent
avec les chiens
Une main cherche un mort
Elle le trouve
Lui vole ses bagues
La nuit a ramassé des doigts
uniquement pour lui
mais elle a gardé les ongles
dans un tiroir de l’aube
Les mariages sans anneau
font force de loi
dans le cimetière
où rient des chapelets dégrainés
qui protège ses petits chiens
7
Deux mains
Palmas rouges dans le vin
Battement de marteau
Battement de pieds
Une main s’est arrêtée et bat seule
contre l’air et le marteau des cloches
Elle donne une gifle à la lumière
et celle-ci ne lui rend pas
La voix fait deux voix quand elle se regarde
La voix est double
La voix regarde avec deux yeux
Parole dans la main de l’œil
Parole dans le pied de l’œil
L’œil s’enroule dans les dents
Le dernier troubadour est mort
dans un journal renversé par un ange
et la police a relevé ses empreintes
car on ne savait pas qui s’était
8
La peur a peur des choses provisoires
La peur a une mère qui ne sait pas son nom
La peur chante la dictature des tourterelles
Le présent nourrit sa cousine la réalité
avec des morceaux de chaises cassées
L’espérance distribue des lettres de suicide
au bonheur des idiots
La lune est un ballon
que l’on crève avec des pierres
Ne nous éloignons pas trop
à l’intérieur des maisons
Les chiens grondent
et nous préviennent
Quelqu’un rôde
et nous savons tous qui c’est
On s’arrête alors de dire des prières
et l’on charge des fusils avec du sel
Sur les tapisseries des visages
apparaissent
Les murs suintent de leurs voix
Dans nos lits nous leur laissons
l’empreinte de nos jambes
car il faut savoir aussi laisser
marcher le sommeil
9
Le présent descend dans le présent
et le paysage contemple la fenêtre
où les rideaux sont tirés
Les arbres scintillent dans leurs uniformes
Ils sont des généraux décorés par les morts
Le jour est un sucre qui tombe
dans le café bouillant
que nous servons à une photo de Dieu
qui n’en veut pas
Nous ouvrons la fenêtre
La neige a mille ans
La neige ruisselle dans notre sang
Le temps est à la guerre et certains
mutilés lisent les journaux
avec des bras articulés
Le sommeil rampe dans les escaliers
Nous fermons la fenêtre
Nous trempons un morceau de pain
dans notre café
mais c’est le pain qui boit à notre place
10
La lune parfois partage les couteaux
Le futur à l’envers n’est pas un passé
Il se tord dans les chiffres et les bicyclettes
Midi arrive invariablement à onze heures
tous les jours
L’heure se trompe d’heure
On regarde des avions
qui bombardent des exemples
de participes passés dans les champs
Les piliers de ciment ne sont pas des héros
Le pain est anéanti
dans les poubelles
Le ciel est énorme de ses hommes
Les îles du suicide ceinturent la mer
Le soleil arrive avec des seaux d’eau
pour laver les taches qu’ont laissé
les enfants en naissant
Dans ma valise j’enferme
toute ma chambre
et je piétine mon appareil de photo
pour ne laisser aucun témoin
11
Entends l’eau qui remonte
à l’envers dans la pluie
J’ai appris à ne plus parler avec les mots
ni avec les ponctuations
ni même avec les lettres
Les articles ne désignent rien
Les verbes sont trop fluides
Les muscles du sommeil travaillent la nuit
à de nouveaux alphabets
Le soleil se suspend à sa cravate
dans sa cellule
Je crois que je vais mourir
Je bois un verre avec une mouche
Les heures se réparent la nuit
quand on ne les regarde pas
Le paradis se vide de ses anges tordus
Échafaudage de souliers et de croix
Poutres de fleurs
Marteaux faits avec de l’eau
Clous de sable
Le vent n’achète rien
à la vente aux enchères du ciel
Le marchand au milieu du chemin
vend encore des cailloux
Les prisonniers
lui remboursent en partie le chemin
en le payant avec des chaînes
Le fleuve bout
Deux couleurs s’attachent
l’une à l’autre et font une corde
où se pend la nuit
Une tête s’en va dans la crue
et vient buter contre une pile du pont
comme un second soleil jaune
La voix du chanteur
traverse le fleuve
Le soir
comme un taureau
lui mange dans sa main
les photos de sa douleur
2
Vieille voix dans la rivière
Cigarette éteinte dans le miel
On attache une photo
à la chaîne d’un chien
La poésie est une valise
qui attend toute la gare
Quand les voyageurs sont partis
l’horloge arrêtée est un cercle de chiffres
que nul horloger ne veut réparer
car il doit d’abord enlever
les aiguilles
L’empressement des heures
à revenir
même si l’horloge
est arrêtée donne l’heure juste
deux fois par jour
À ses pieds une bouteille
n’a nul pressentiment
de celui qui va la boire
Ici on ne confond pas les anges
et les oiseaux
Les anges écrivent des lettres
avec les aiguilles arrachées des horloge
et les oiseaux sont tués
par les aiguilles
que les hommes tirent
avec les arcs
Mais ceci arrive peu
Le vol des anges et des oiseaux
règne dans la gare
et l’horloge arrêtée donne
l’heure juste deux fois par jour
3
La voix regarde à l’intérieur
de la bouche
comme un dentiste de l’infini
Elle sait que les dents sont des lettres
que la langue va mélanger
Une croûte tombe du genou
blessé du chant
Les instants sont des cœurs
qui palpitent dans les choses
Des soldats renversent une lampe
et choisissent des bouches pour boire
l’infini
Une pluie de verre tombe dans la pluie
Il est minuit au milieu de minuit
La nuit est longue de ses pas
L’agenda ensanglanté
ne sait rien de son accident
La lune cache son infini
dans un piège où personne
ne tombe car personne ne le voit
4
Je pardonne à mes dents
d’avoir abandonné ma bouche
Le sergent tire une balle dans le feu
comme sur la nuque
d’un soldat fusillé
pour s’assurer de sa mort
Le ciel envoie une lettre d’explication
aux mortes
La lune procède uniquement à l’autopsie
des jeunes filles et des bébés
Les tourne-disques accompagnent
le vol de colombes peintes en rouge
Nous semons des miroirs déchirés
dans les sillons et nous attendons
l’automne pour voir pousser
des photos jaunies
à côté des pommes de terre
Nous ne faisons pas de différences
avec ce que nous mangeons
5
Le fleuve
veut épouser la pluie
et prépare des noces
d’échelles et de pont
Un nuage digère un autre nuage
La nuit est arrivée en retard d’une nuit
Mais sa sœur
une autre nuit
est déjà arrivée
avec son sac à main et son rouge à lèvres
Elle s’attend elle-même dans le lac
comme un pêcheur qui pécherait
son image
La nuit grelotte de froid autour du feu
où les renards maintenant se chauffent
avec les chiens
Une main cherche un mort
Elle le trouve
Lui vole ses bagues
La nuit a ramassé des doigts
uniquement pour lui
mais elle a gardé les ongles
dans un tiroir de l’aube
Les mariages sans anneau
font force de loi
dans le cimetière
où rient des chapelets dégrainés
qui protège ses petits chiens
7
Deux mains
Palmas rouges dans le vin
Battement de marteau
Battement de pieds
Une main s’est arrêtée et bat seule
contre l’air et le marteau des cloches
Elle donne une gifle à la lumière
et celle-ci ne lui rend pas
La voix fait deux voix quand elle se regarde
La voix est double
La voix regarde avec deux yeux
Parole dans la main de l’œil
Parole dans le pied de l’œil
L’œil s’enroule dans les dents
Le dernier troubadour est mort
dans un journal renversé par un ange
et la police a relevé ses empreintes
car on ne savait pas qui s’était
8
La peur a peur des choses provisoires
La peur a une mère qui ne sait pas son nom
La peur chante la dictature des tourterelles
Le présent nourrit sa cousine la réalité
avec des morceaux de chaises cassées
L’espérance distribue des lettres de suicide
au bonheur des idiots
La lune est un ballon
que l’on crève avec des pierres
Ne nous éloignons pas trop
à l’intérieur des maisons
Les chiens grondent
et nous préviennent
Quelqu’un rôde
et nous savons tous qui c’est
On s’arrête alors de dire des prières
et l’on charge des fusils avec du sel
Sur les tapisseries des visages
apparaissent
Les murs suintent de leurs voix
Dans nos lits nous leur laissons
l’empreinte de nos jambes
car il faut savoir aussi laisser
marcher le sommeil
9
Le présent descend dans le présent
et le paysage contemple la fenêtre
où les rideaux sont tirés
Les arbres scintillent dans leurs uniformes
Ils sont des généraux décorés par les morts
Le jour est un sucre qui tombe
dans le café bouillant
que nous servons à une photo de Dieu
qui n’en veut pas
Nous ouvrons la fenêtre
La neige a mille ans
La neige ruisselle dans notre sang
Le temps est à la guerre et certains
mutilés lisent les journaux
avec des bras articulés
Le sommeil rampe dans les escaliers
Nous fermons la fenêtre
Nous trempons un morceau de pain
dans notre café
mais c’est le pain qui boit à notre place
10
La lune parfois partage les couteaux
Le futur à l’envers n’est pas un passé
Il se tord dans les chiffres et les bicyclettes
Midi arrive invariablement à onze heures
tous les jours
L’heure se trompe d’heure
On regarde des avions
qui bombardent des exemples
de participes passés dans les champs
Les piliers de ciment ne sont pas des héros
Le pain est anéanti
dans les poubelles
Le ciel est énorme de ses hommes
Les îles du suicide ceinturent la mer
Le soleil arrive avec des seaux d’eau
pour laver les taches qu’ont laissé
les enfants en naissant
Dans ma valise j’enferme
toute ma chambre
et je piétine mon appareil de photo
pour ne laisser aucun témoin
11
Entends l’eau qui remonte
à l’envers dans la pluie
J’ai appris à ne plus parler avec les mots
ni avec les ponctuations
ni même avec les lettres
Les articles ne désignent rien
Les verbes sont trop fluides
Les muscles du sommeil travaillent la nuit
à de nouveaux alphabets
Le soleil se suspend à sa cravate
dans sa cellule
Je crois que je vais mourir
Je bois un verre avec une mouche
EXTRAIT DE TEXTE 2
J’ai l’habitude
comme me l’enseigne mon chien
d’accueillir des souvenirs qui viennent
de devant moi
de la même manière
que ceux qui arrivent par derrière
Les souvenirs ne sont pas
uniquement dans notre dos
peut-être même que sûrement notre dos
n’a pas de souvenirs
comme les ongles qu’on se coupe
et qui font tomber en vérité toute notre main
Mais peut importe
Ainsi toi
tu es toujours devant moi
c’est-à-dire partout
car l’avenir est un cercle
J’ai une réserve de souvenirs
pour l’hiver comme les corbeaux
quelques pistolets et quelques étoiles
Pas de passé
ni d’avenir
ni de présent
seulement une respiration
qui ne veut plus s’arrêter
Je lèche les murs
pour coller des affiches de verre
que personne ne lit
mais qui font saigner les mains
de ceux qui les arrache
Les nuages sont de véritables
scies dans les orages
Les bibliothèques jettent
les livres qui ne se lisent plus
dans les poubelles de l’infini
Les portes ne parlent plus aux clefs
ni les clefs aux portes
Quand je rentre quelque part
je me coupe la tête
et je la tiens dans mes mains
pour saluer ceux que j’aime
en leur tirant la langue
Maintenant je te vois
c’est hier ou c’était demain
Les temps nous trompent
dans les conjugaisons
Les concordances de leurs temps
ne sont qu’à l’infinitif
La poésie est devenue
une compagnie d’assurance
un dentier de rimes imbéciles
une porcherie pour texticules
La mémoire marche
puis s’arrête comme ma mère
dans une rigole
pour pisser debout
Dans le miroir
où un jour tu t’es regardée
aujourd’hui je me regarde
et nos regards ensemble font des trous
Tout s’illumine
Tu as une robe rouge
Je ne me souviens que de cela
et nous laissons entrer par la fenêtre
des voleurs de poèmes
car chez toi il n’y a plus que cela à voler
comme me l’enseigne mon chien
d’accueillir des souvenirs qui viennent
de devant moi
de la même manière
que ceux qui arrivent par derrière
Les souvenirs ne sont pas
uniquement dans notre dos
peut-être même que sûrement notre dos
n’a pas de souvenirs
comme les ongles qu’on se coupe
et qui font tomber en vérité toute notre main
Mais peut importe
Ainsi toi
tu es toujours devant moi
c’est-à-dire partout
car l’avenir est un cercle
J’ai une réserve de souvenirs
pour l’hiver comme les corbeaux
quelques pistolets et quelques étoiles
Pas de passé
ni d’avenir
ni de présent
seulement une respiration
qui ne veut plus s’arrêter
Je lèche les murs
pour coller des affiches de verre
que personne ne lit
mais qui font saigner les mains
de ceux qui les arrache
Les nuages sont de véritables
scies dans les orages
Les bibliothèques jettent
les livres qui ne se lisent plus
dans les poubelles de l’infini
Les portes ne parlent plus aux clefs
ni les clefs aux portes
Quand je rentre quelque part
je me coupe la tête
et je la tiens dans mes mains
pour saluer ceux que j’aime
en leur tirant la langue
Maintenant je te vois
c’est hier ou c’était demain
Les temps nous trompent
dans les conjugaisons
Les concordances de leurs temps
ne sont qu’à l’infinitif
La poésie est devenue
une compagnie d’assurance
un dentier de rimes imbéciles
une porcherie pour texticules
La mémoire marche
puis s’arrête comme ma mère
dans une rigole
pour pisser debout
Dans le miroir
où un jour tu t’es regardée
aujourd’hui je me regarde
et nos regards ensemble font des trous
Tout s’illumine
Tu as une robe rouge
Je ne me souviens que de cela
et nous laissons entrer par la fenêtre
des voleurs de poèmes
car chez toi il n’y a plus que cela à voler