CLAUDE BER, LA POÉSIE ET LE CHOIX D'INSOUMISSION
« Il ne faut pas désespérer des racines de l’homme »
Pierre Reverdy
On est moins le sujet de son enfance que son attribut. C’est ce qui fonde / ouvre notre devenir. Ainsi c’est à la proue, à l’avant de nos jours que se tient l’enfance, enfance qui chez Claude Ber pourrait se résumer en un non, fondateur de toute résistance. Un non transmis par une grand-mère, résistante de la première heure en de biens sombres temps, riche de ce savoir de « transparent », être de vent, de jour pur et d’eau courante. Non qui fait titre ici et revient, comme le vent le fait dans ses cercles, à plusieurs reprises dans les sept textes qu’elle a choisi de réunir dans ce volume que publient les éditions Bruno Doucey, Il y a des choses que non.
S’il est souvent question du poème dans ces sept textes, de sa nature – « ce coin dans le gras de la parole « - de sa fonction dans le monde, fonction majeure, décisive – « faire pièce au terrible » - c’est aussi qu ‘ils sont tous poèmes tant l’écriture de Claude Ber en est toujours à « buriner la parole », à la travailler « gorges, limes, râpes et rabots sur l’établi de l’atelier ». C’est d’ailleurs par là que ça résiste, dans ce ferraillement entre syntaxe et prosodie d’où naît ce rythme qui à la lecture s’impose. La main qui écrit s’égare dans ce qu’elle écrit. Dans son « creusement » fait de coupes, de torsions, de prises et de reprises, de greffes et de bifurcations, elle finit par trouver rythme et « résonance ».
Lisant Claude Ber, je pense à ces vers de Pierre Reverdy : « Mon doigt saigne / Je t’écris / avec ». En effet, les textes de Claude Ber réunis dans ce livre ne sont pas seulement écrits, « ils sont étirés » selon les mots de Dominique Fourcade. Etirer, c’est mettre en œuvre ce non qui arrache la langue à elle-même, la dégage la rendant étrangère au monde, c’est créer de l’éloignement dans la langue, c’est « contrécrire » aurait dit Joë Bousquet, soit écrire contre l’écriture apprise. La soulever et faire passer sous la peau de la langue quelque chose comme une force, des énergies, de la vitalité. C’est ainsi que l’écriture de Claude Ber met à juste distance, dans un bel écart tout ce qu’il y a de personnel dans ce livre : père, grand-mère, enfance, entours…Claude Ber sait se dégager de l’anecdote qu’elle ne méprise pas mais qu’elle creuse de telle manière que c’est d’elle-même qu’elle se guérit en libérant la part d’universel prisonnier du circonstanciel toujours terriblement personnel.
Reprenons. Ce non est celui fondateur que grand-mère ou père, exemples vivants, ont su incarner aux yeux de l’enfant. C’est le courage d’un tel non qui fonde le travail du poète d’aujourd’hui. Ce non n’est pas un non désordonné qui n’est jamais que l’expression d’un refus de soi. Mauvaise fuite. Colère vaine qui ne traduit qu’un désespoir où s’exaspère le refus non seulement de soi mais du monde. C’est un non, assuré de lui-même, un non qui relève tête et épaules, un non qui fait face, qui se dresse, qui tient devant et se retient debout. Cœur soulevé, langue insurgée, parole insoumise.
Armée de ce non, Claude Ber affronte crûment les ravages qui défigurent notre monde, l’omniprésence de la mort à travers tous ses visages et la brume épaisse de toutes nos défaites. C’est non sur non, à force de non, le tournant et le retournant, que les signes finissent par s’inverser! Comme si le mâchant et le remâchant ce non finissait par se défaire dans la bouche pour que ce soit un sourire qui entrouvre les lèvres sur le tout de la vie, jusqu’à la terre, ce « sol mouvant » dont parlait Pierre Reverdy, qui se dérobe sous nos pieds et dont alors c’est la saveur mortelle qui nous est restituée. C’est alors un oui qui acquiesce à ce qui ne va pas manquer d’arriver, quel que soit ce qui arrive. Souvenons-nous du poète des Feuillets d’Hypnos, René Char pour qui si le refus donnait la beauté au visage, c’est l’acquiescement qui l’éclaire ! Dans ce livre de Claude Ber, on a l’un et l’autre. S’il y a des choses que non – et comme on l’aime cette grand-mère et son savoir de sorcière, entre « llevadora » et « acabadora », entre celle qui lève et celle qui achève, celle qui tient l’espace de toute vie – il y a aussi des choses que oui qui sont le poïen de la vie.
Avec Claude Ber, on ne court pas le risque que l’esprit s’endorme ni que la langue se flétrisse. Si c’est la mort – celle qui n’est jamais comme ! - qui veille, Claude Ber sait que c’est finalement la vie qui gagne. Aussi, je suis sûr qu’en bonne méditerranéenne Claude Ber partage ce jugement de Joë Bousquet au sujet des méridionaux quand il affirmait : « « Ah ! Nous sommes de vrais méridionaux, des hommes de jour pur et d’eau courante, uniquement sensibles à la part renaissante de chaque chose qui dure. Nous savons qu’être, c’est devancer dans ce qui passe le souffle qui va l’emporter, participer ainsi de ce qui le ressuscite et ne saurait, sans la collaboration perpétuelle de la mort, entretenir la vie. »
Alain Freixe
in Le Patriote Côte d’Azur, 7 février 2021
Pierre Reverdy
On est moins le sujet de son enfance que son attribut. C’est ce qui fonde / ouvre notre devenir. Ainsi c’est à la proue, à l’avant de nos jours que se tient l’enfance, enfance qui chez Claude Ber pourrait se résumer en un non, fondateur de toute résistance. Un non transmis par une grand-mère, résistante de la première heure en de biens sombres temps, riche de ce savoir de « transparent », être de vent, de jour pur et d’eau courante. Non qui fait titre ici et revient, comme le vent le fait dans ses cercles, à plusieurs reprises dans les sept textes qu’elle a choisi de réunir dans ce volume que publient les éditions Bruno Doucey, Il y a des choses que non.
S’il est souvent question du poème dans ces sept textes, de sa nature – « ce coin dans le gras de la parole « - de sa fonction dans le monde, fonction majeure, décisive – « faire pièce au terrible » - c’est aussi qu ‘ils sont tous poèmes tant l’écriture de Claude Ber en est toujours à « buriner la parole », à la travailler « gorges, limes, râpes et rabots sur l’établi de l’atelier ». C’est d’ailleurs par là que ça résiste, dans ce ferraillement entre syntaxe et prosodie d’où naît ce rythme qui à la lecture s’impose. La main qui écrit s’égare dans ce qu’elle écrit. Dans son « creusement » fait de coupes, de torsions, de prises et de reprises, de greffes et de bifurcations, elle finit par trouver rythme et « résonance ».
Lisant Claude Ber, je pense à ces vers de Pierre Reverdy : « Mon doigt saigne / Je t’écris / avec ». En effet, les textes de Claude Ber réunis dans ce livre ne sont pas seulement écrits, « ils sont étirés » selon les mots de Dominique Fourcade. Etirer, c’est mettre en œuvre ce non qui arrache la langue à elle-même, la dégage la rendant étrangère au monde, c’est créer de l’éloignement dans la langue, c’est « contrécrire » aurait dit Joë Bousquet, soit écrire contre l’écriture apprise. La soulever et faire passer sous la peau de la langue quelque chose comme une force, des énergies, de la vitalité. C’est ainsi que l’écriture de Claude Ber met à juste distance, dans un bel écart tout ce qu’il y a de personnel dans ce livre : père, grand-mère, enfance, entours…Claude Ber sait se dégager de l’anecdote qu’elle ne méprise pas mais qu’elle creuse de telle manière que c’est d’elle-même qu’elle se guérit en libérant la part d’universel prisonnier du circonstanciel toujours terriblement personnel.
Reprenons. Ce non est celui fondateur que grand-mère ou père, exemples vivants, ont su incarner aux yeux de l’enfant. C’est le courage d’un tel non qui fonde le travail du poète d’aujourd’hui. Ce non n’est pas un non désordonné qui n’est jamais que l’expression d’un refus de soi. Mauvaise fuite. Colère vaine qui ne traduit qu’un désespoir où s’exaspère le refus non seulement de soi mais du monde. C’est un non, assuré de lui-même, un non qui relève tête et épaules, un non qui fait face, qui se dresse, qui tient devant et se retient debout. Cœur soulevé, langue insurgée, parole insoumise.
Armée de ce non, Claude Ber affronte crûment les ravages qui défigurent notre monde, l’omniprésence de la mort à travers tous ses visages et la brume épaisse de toutes nos défaites. C’est non sur non, à force de non, le tournant et le retournant, que les signes finissent par s’inverser! Comme si le mâchant et le remâchant ce non finissait par se défaire dans la bouche pour que ce soit un sourire qui entrouvre les lèvres sur le tout de la vie, jusqu’à la terre, ce « sol mouvant » dont parlait Pierre Reverdy, qui se dérobe sous nos pieds et dont alors c’est la saveur mortelle qui nous est restituée. C’est alors un oui qui acquiesce à ce qui ne va pas manquer d’arriver, quel que soit ce qui arrive. Souvenons-nous du poète des Feuillets d’Hypnos, René Char pour qui si le refus donnait la beauté au visage, c’est l’acquiescement qui l’éclaire ! Dans ce livre de Claude Ber, on a l’un et l’autre. S’il y a des choses que non – et comme on l’aime cette grand-mère et son savoir de sorcière, entre « llevadora » et « acabadora », entre celle qui lève et celle qui achève, celle qui tient l’espace de toute vie – il y a aussi des choses que oui qui sont le poïen de la vie.
Avec Claude Ber, on ne court pas le risque que l’esprit s’endorme ni que la langue se flétrisse. Si c’est la mort – celle qui n’est jamais comme ! - qui veille, Claude Ber sait que c’est finalement la vie qui gagne. Aussi, je suis sûr qu’en bonne méditerranéenne Claude Ber partage ce jugement de Joë Bousquet au sujet des méridionaux quand il affirmait : « « Ah ! Nous sommes de vrais méridionaux, des hommes de jour pur et d’eau courante, uniquement sensibles à la part renaissante de chaque chose qui dure. Nous savons qu’être, c’est devancer dans ce qui passe le souffle qui va l’emporter, participer ainsi de ce qui le ressuscite et ne saurait, sans la collaboration perpétuelle de la mort, entretenir la vie. »
Alain Freixe
in Le Patriote Côte d’Azur, 7 février 2021