REVUE RECOURS AU POÈME
Claude Ber, Titan-bonsaï et l’extrêmophile de la langue
Par Denis Heudré| 6 avril 2018|Catégories : Claude Ber, Essais & Chroniques
Claude Ber, Titan-bonsaï et l’extrêmophile de la langue, éditions Les Lieux Dits, 80p, 18€]b
Claude Ber aime à croiser les itinéraires et quand, en décembre 2015, il lui a été proposé de venir en résidence de création dans un laboratoire scientifique, elle n’a pas hésité. Elle rencontra alors Nathalie Carrasco, chimiste et professeure en chimie atmosphérique au laboratoire atmosphère, milieux, et observations spatiales (LATMOS) à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialisée dans l’étude de l’atmosphère de Titan, un des satellites de Saturne.
Ce projet fut en fait une triple rencontre puisque la photographe Adrienne Arth s’est jointe à elles, pour ajouter son regard aux mots de l’écrivaine.
Cette rencontre entre une poète, une photographe et une scientifique se fit autour d’une planète recréée en laboratoire pour chercher l’origine de l’apparition de la forme la plus infime de la vie : les extrêmophiles. Un Titan minuscule (d’où le Titan-bonsaï du titre).
Claude Ber, dans ce laboratoire, se sent un peu perdue à la fois par l’immensité des distances de l’espace et l’immensité des savoirs de cette langue de science si loin de celle de poésie :
i[Elle écrit : […] La propagation d’incertitude par simulation Monte Carlo permet de quantifier ces incertitudes pour des systèmes complexes, même présentant des non-linéarités.
Je ne comprend plus vraiment
– car ce n’est pas comprendre que vaguement comprendre-
Incertitude est à prendre à la lettre]i
Elle prend des fragments de note, elle écrit des poèmes, un conte même autour de ce Titan-Bonzaï et cet extrêmophile de la langue qu’est le poème. Avec en filigrane de nombreuses réflexions sur le monde actuel, si peu enclin à approfondir la réflexion (science et poésie contemporaine unis dans “le plaisir du pourquoi“), pour ne suivre que les péripéties de l’actualité et ses faits divers parfois dramatiques (“antidote de l’opinion que sont sciences et poésie“).
Bien entendu, Claude Ber cherche aussi des similitudes entre ces deux disciplines :
Même rigueur à la science du poème et au récit de la science. Aux deux embouts on visse à la virgule et à la décimale, au chiffre et à la lettre. Dans la vigilance à ce que ramène le filet et à ce qui toujours s’en échappe.
Le poème aussi est réacteur, mais pas d’acier inoxydable.
Oxydé oxydant plutôt.
Et la science qu’est-elle à l’étalon du poème ?
Science et poésie peuvent aussi donner naissance à un conte, où Claude Ber analyse le reproche d’hermétisme fait souvent à la fois à la science et à la poésie contemporaine :
i[Titan-bonzaï confie à l’Extrémophile rencontrer quelquefois les obstacles du préjugé ou de l’obscurantisme. Se voir de temps à autre, isolé au désert d’une raison froide, péremptoire et dénuée d’imaginaire. Être assailli par des incessants “Tu sers à quoi?” qui le feraient virer au rouge quitte à transgresser les lois physico-chimiques de son existence. […]
L’Extrémophile, de son côté, lui avoue être cycliquement relégué dans la cage des hurluberlus allumés, considéré comme un insignifiant rêveur cantonné à la babiole et à la niaiserie sentimentale ou, au contraire, accusé d’être hermétique.]i
S’il est évident que le point commun entre le poète et le scientifique est la tentative permanente d’expliquer l’inexplicable, de décrire le monde avec les outils de l’abstraction, Claude Ber et Nathalie Carrasco se jouent des doubles sens de leur spécialité, entremêlent leur curiosité dans un échange fécond entre l’ici du langage et le lointain sidéral. Le résultat est ce recueil de songes poézientiques qui explore une autre face de la poésie, plus exigeante et moins convenue, plus intéressante donc.
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