Claude Ber, à la rencontre poétique chez Tiasci - Paalam, en octobre 2017
Claude Ber, à la rencontre poétique chez Tiasci - Paalam, en octobre 2017
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Celles et ceux qui sont venu.e.s ce soir ne savaient sans doute pas que Claude Ber allait les emporter ainsi, se levant et proférant ses mots, les mots de ce livre dont le titre est une injonction : « Il y a des choses que non ». « Il y a », c’est un fait, c’est le présent ; « des choses que », cela reste indéfini, on ne sait pas toujours quoi ; « non », voilà à quoi tenir, trois lettres, une syllabe, nette, « tdure » (la grand-mère prononçant le « d » comme un « t »).
Et, debout, Claude Ber commence et sa voix déboule comme jaillit une source. Depuis la mort du père, René, résistant comme le fut aussi René Char, depuis les papiers trouvés dans un cartable, « pareils les deux René dans le silence ». Et se lance « la mécanique à vif de la langue », aux prises avec l’histoire. Celle, d’abord, de l’espèce, « mon espèce », lancinante psalmodie, épouvantable mais qu’elle veut pourtant célébrer. « Mon espèce est une espèce qui détruit sa propre espèce », insoumise et asservie, révoltée et tyrannique, digne et humiliée, généreuse et avare, espérante et désespérée. Et retour à l’histoire, celle rencontrée enfant, une banderole et le nom de l’Algérie. Première leçon, ces mots du père : « Les choses ne sont jamais simples. Il faut être vigilant. Veiller bien. Et d’abord sur soi-même. » Veiller bien, c’est la bien veillance, la bien faisance, et les mots de René Char ne sont pas loin : « hâte-toi de transmettre / ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance ». C’est Daniel Maximin qui les cite, ce soir-là, et certainement ils conviennent exactement à la démarche de Claude Ber : merveilleux, rébellion et bienfaisance indissociables. Trois mots, comme récoltés dans la vie quotidienne, dans les gestes quotidiens. Et « toujours la langue veut dire ». Les corps, la bouche, les noms. « On ne dit pas l’avenir à ceux qui le feront. » Et Louise qui se rappelle alors au souvenir de Claude Ber, Louise la grand-mère qui disait « Il y a des choses que non », la grand-mère paysanne qui rappelle d’où l’on vient, qui dit que la vie est « Terrible / mais pas la vie / seulement nous / nous autres tant que nous sommes ». C’est encore l’espèce « mais ce n’est pas une raison pour accepter ». Et puis Claude Ber nous invite dans sa marche « dans un début de siècle pâle ». Elle marche et il me semble entendre, venue d’ailleurs, la voix d’Aimé Césaire : « pas un bout de ce monde qui ne porte mon empreinte digitale / et mon calcanéum sur le dos des gratte-ciel et ma crasse / dans le scintillement des gemmes ! »
Il y avait de quoi parler après ces textes de Claude Ber, qu’elle a lus en marchant, comme pressée, comme si elle était « en retard sur la vie » (pour reprendre les mots de René Char). Et la parole partagée nous a transmis l’énergie et la vitalité de la poésie.
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Celles et ceux qui sont venu.e.s ce soir ne savaient sans doute pas que Claude Ber allait les emporter ainsi, se levant et proférant ses mots, les mots de ce livre dont le titre est une injonction : « Il y a des choses que non ». « Il y a », c’est un fait, c’est le présent ; « des choses que », cela reste indéfini, on ne sait pas toujours quoi ; « non », voilà à quoi tenir, trois lettres, une syllabe, nette, « tdure » (la grand-mère prononçant le « d » comme un « t »).
Et, debout, Claude Ber commence et sa voix déboule comme jaillit une source. Depuis la mort du père, René, résistant comme le fut aussi René Char, depuis les papiers trouvés dans un cartable, « pareils les deux René dans le silence ». Et se lance « la mécanique à vif de la langue », aux prises avec l’histoire. Celle, d’abord, de l’espèce, « mon espèce », lancinante psalmodie, épouvantable mais qu’elle veut pourtant célébrer. « Mon espèce est une espèce qui détruit sa propre espèce », insoumise et asservie, révoltée et tyrannique, digne et humiliée, généreuse et avare, espérante et désespérée. Et retour à l’histoire, celle rencontrée enfant, une banderole et le nom de l’Algérie. Première leçon, ces mots du père : « Les choses ne sont jamais simples. Il faut être vigilant. Veiller bien. Et d’abord sur soi-même. » Veiller bien, c’est la bien veillance, la bien faisance, et les mots de René Char ne sont pas loin : « hâte-toi de transmettre / ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance ». C’est Daniel Maximin qui les cite, ce soir-là, et certainement ils conviennent exactement à la démarche de Claude Ber : merveilleux, rébellion et bienfaisance indissociables. Trois mots, comme récoltés dans la vie quotidienne, dans les gestes quotidiens. Et « toujours la langue veut dire ». Les corps, la bouche, les noms. « On ne dit pas l’avenir à ceux qui le feront. » Et Louise qui se rappelle alors au souvenir de Claude Ber, Louise la grand-mère qui disait « Il y a des choses que non », la grand-mère paysanne qui rappelle d’où l’on vient, qui dit que la vie est « Terrible / mais pas la vie / seulement nous / nous autres tant que nous sommes ». C’est encore l’espèce « mais ce n’est pas une raison pour accepter ». Et puis Claude Ber nous invite dans sa marche « dans un début de siècle pâle ». Elle marche et il me semble entendre, venue d’ailleurs, la voix d’Aimé Césaire : « pas un bout de ce monde qui ne porte mon empreinte digitale / et mon calcanéum sur le dos des gratte-ciel et ma crasse / dans le scintillement des gemmes ! »
Il y avait de quoi parler après ces textes de Claude Ber, qu’elle a lus en marchant, comme pressée, comme si elle était « en retard sur la vie » (pour reprendre les mots de René Char). Et la parole partagée nous a transmis l’énergie et la vitalité de la poésie.