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09/02/2011



L'invité du mois

Anne TALVAZ



BBIOBIBLIO

Anne TALVAZ
Poète, romancière, auteur de récit de voyage et traductrice.
Née à Bruxelles en 1963.
Vit en région parisienne, où elle exerce le métier de traductrice commerciale.
A vécu en Chine et au Brésil.
Nombreuses publications en revues, de ses propres textes et de traductions de poèmes (de l’anglais et de l’espagnol vers le français, du français vers l’anglais).
Ne revendique aucune appartenance à un courant littéraire, quel qu’il soit ; aurait tendance à se laisser guider par l’inspiration du moment ; s’efforce de rester ouverte à tous les thèmes ainsi qu’à toutes les formes. Plus orientée vers la poésie, mais disposée à s’essayer à d’autres genres lorsque l’occasion (c’est-à-dire un sujet) se présente.

Bibliographie

Recueils
– Imagines (Farrago, 2002)
– Panaches de mer, lithophytes et coquilles (Comp'Act, 2006)
– Confessions d'une Joconde suivi de Pourquoi le Minotaure est triste (L'Act'Mem, 2010)
Récits
– Ce que nous sommes, postface de Pierre Gamarra (L'Act'Mem, 2008-2010)
– Un départ annoncé, trois années en Chine (L'Act'Mem, 2010)

Traductions de recueils
– John Ashbery, Quelqu'un que vous avez déjà vu (P.O.L., 1993, avec Pierre Martory)
– John Ashbery, Heure locale, (Format américain, 1997)
– Jerome Rothenberg (éd.), Indiens d'Amérique du Nord, anthologie de textes d'Indiens d'Amérique de Nord (Textuel, 1998)
– John Ashbery, Grand Galop (Simple édition, 2003)
– John Ashbery, Autoportrait dans un miroir convexe (La Feugraie, 2005)
– Nina Karacosta, Vertiges précédents, corrupt press, 2012
– Pansy Maurer-Alvarez, Ant-Small and Amorou

TEXTES

LA MORT ET LE PSYCHANALYSTE

La mort en avait assez.
Assez de sentir autour d'elle
ces gens qui la fuyaient, ou la recherchaient,
et puis qui changeaient d'avis au dernier moment,
ces gens qui l'avaient frôlée de près et avaient cessé de la craindre.
Assez de sentir qu'elle était combattue sur tous les fronts.
Assez d'entendre promettre à certains une vie après la mort
(qu'est-ce qu'ils en savent ceux-là).
Assez de sentir qu'on lui en voulait à mort.

Le psychanalyste avait l'air bienveillant.
La mort trouva son expression agréable quoiqu'un peu trop professionnelle.
La mort trouvait un peu étonnant
qu'on pût faire des relations humaines un métier,
elle qui n'aimait pas beaucoup les relations humaines
ni les gens en général.
Le psychanalyste se rendait bien compte de la gravité de la situation.
Il fallait débarrasser la mort de cette peur
qu'elle portait en elle. L'amener à devenir elle-même.
Amener la mort à devenir elle-même, vous vous rendez compte ?

Le plus simple
aurait été d'envoyer la mort se faire pendre ailleurs.
Ni vu, ni connu. Mais ce n'est pas une conduite à tenir.
Le psychanalyste aurait également pu lui dire :
"Faites ce que vous voudrez".
Mais dire cela à un patient, et a fortiori à la mort
ce n'est pas une conduite à tenir, d'autant plus que dans le cas de la mort
les conséquences eussent été assez prévisibles.

Le psychanalyste fit donc parler la mort. De tout,
de son passé (elle n'avait pas eu
une enfance particulièrement malheureuse), de son désarroi présent,
de ses projets d'avenir. La mort n'avait pas de projets d'avenir.
Cela faisait partie de son problème.

La mort se mit à attendre ses rendez-vous avec impatience.
Elle préparait ce qu'elle allait dire
et parfois se trouvait en train de dire tout autre chose.
Parfois aussi elle faisait des confidences
qu'elle avait pensé ne jamais pouvoir faire à personne.
La mort, ensuite, tomba amoureuse du psychanalyste.
Elle chercha son nom dans l'annuaire.
Elle chercha et lut ses publications.
Elle s'abstint tout de même d'aller faire les cent pas devant chez lui.

En d'autres termes, la mort avait cessé de s'emmerder.
Elle se sent beaucoup plus heureuse. Quand elle marche dans la rue,
elle se sent le coeur ensoleillé, à l'unisson de la lumière
qui filtre à travers les feuilles des marronniers. Quand elle a quelque chose sur la patate,
elle sait le dire. Il lui arrive de temps en temps
d'écrire un poème.

La situation dans le monde n'a guère changé, il est vrai.
Les gens continuent à mourir et à redouter la mort.
Mais la mort s'en fiche.
Elle est heureuse,
c'est l'essentiel.


TIBET, 2

1.

Ils mettent au paysage des couleurs
en y attachant des drapeaux
ils sont usés mais ils sont beaux

et ils se demandent
pourquoi le Minotaure est triste

2.

le monstre a un sac de bonté sur l'épaule
il ne sait pas où le poser
il a le cœur plein d'envie
et ne sait pas qui envier


LA QUESTION

faudrait-il croire que la planète se réchauffe
quand il fait froid comme dans une église pourquoi

ne peut-on prendre le premier venu
et lui dire tu seras libre heureux et riche pourquoi

la douleur la ramène-t-elle toujours
alors qu'elle doit avoir mieux à faire et nous aussi pourquoi

pour réduire son empreinte carbonique
ne pourrait-on pas simplement s'essuyer les pieds pourquoi

tendons-nous les bras aux autres
pour nous en laver les mains au dernier moment pourquoi

les poètes qui écrivent beaucoup sont-ils considérés
comme meilleurs que ceux qui écrivent peu pourquoi

faut-il traiter les gros comme des moins que rien
alors qu'un jour l'humanité brûlera tout entière
et que nous brûlerons mieux que les autres ?



POEMES LILAS VIOLET

1.
tout débutant au berceau
pour te faire entendre
pour qu’on sache que tu es
(tu t’en fiches bien de qui tu es)
as-tu déjà besoin d’un nom ?

seul au monde dans un coin
on te donne des coups
que tu n’as pas cherchés des noms
que tu ne te connaissais pas
as-tu vraiment besoin d’un nom ?

recroquevillé contre le bord
d’un lit comme un vaisseau spatial
les paupières transparentes et collées
de la fatigue de survivre
as-tu encore besoin d’un nom ?

2.

POEME SOUS LE CIEL BELGE

les nuages roulant lilas
sur la terre verte et vive
un souffle de vent
on est au quatrième étage

elle prend la pose face à l’objectif
avec son turban de pansements
un genou relevé
afin que ceux qui ne sont pas là
puissent la voir

granny cool

oh ces espoirs de rase campagne
de quatrième étage
et de grand vent !

3.

Les yeux mi-clos et laiteux
étaient épouvantables.
J’ai cherché à les fermer
avec le bout des doigts
ça ne marchait pas
alors avec le geste convenu
de la main comme dans les films
c’était un peu mieux.

Les doigts les ongles étaient
les joues la chair absolument les mêmes qu’avant
elle avait été prise
en plein sommeil
la bouche seulement entrouverte
les dents entraperçues
comme celles des morts des camps
avéré, vérifié donc c’était bien cela
c’était la mort.

Sursaut de peur signe de croix
un pater un ave un baiser
sur la joue, tous les signes
convenus, parce que je
crève de trouille ;
il me tarde de sortir
mais enfin avec le respect
on ne discute pas

Je crève de trouille :
la porte refermée cela va mieux
une légère odeur de merde
dans le couloir.
Les condoléances de la soignante.
Les condoléances des autres résidents.
Les condoléances de la responsable des soins.
« c’est fini » – « soins palliatifs ça s’est
plus ou moins bien passé » –
« pas trop souffert » – « gardez courage » –
« merci » – « merci » – « merci ».

Et merde.
Oublié son alliance.
Reprise de l’ascenseur.
Relent de merde dans le couloir.
J’ouvre la porte : relent de merde beaucoup plus fort.
Les yeux se sont rouverts.
Alliance sur main gauche
sous la couverture.
Elle n’est pas jaunâtre comme le reste
Elle est de couleur foncée et
cela sent très fort.

Chair gonflée sur l’articulation.
L’alliance ne passe pas.
Eau savonneuse
L’alliance ne passe pas.
Je téléphone :
« Les doigts sont gonflés,
l’alliance ne passe pas. »
« Mais enfin, mets de la vaseline,
avec la vaseline tout passe. »
Il n’y a pas de vaseline.
Il y a une pommade hydratante.
L’alliance ne passe pas.

Ma mère a les doigts de la main gauche
bleu lilas, rigides, recourbés, tout gonflés.
J’insiste. La peau tendue
ne risque-t-elle pas de se déchirer ?
Peut-être,
et cela sent déjà la merde.
Je rappelle :
« L’alliance ne passe pas,
les doigts sont gonflés. »
L’excuse va-t-elle passer ?
« Oui, évidemment, la cortisone, »
me répond-on.
(« La décomposition, nom-de-dieu ! »,
la phrase que je ne dirai pas.)
Je ne ferai pas éclater la peau.
Ma lâcheté s’en réjouit.
Je peux cesser ce geste dégoûtant.

Et pourtant ce que j’ai entre les mains
c’est la main de ma mère
il y a aussi le bras de ma mère
les seins de ma mère
le bas-ventre enveloppé d’une couche
elle est ma mère et c’est ma dernière chance

...

J’ai recouvert le corps
pour qu’on ne voie plus que le visage
et la main droite levée, de couleur jaunâtre.
Réminiscence de Picasso : portrait
de la décence mortuaire.
Au revoir maman. Cette fois,
c’était bien la dernière.

L’alliance fut récupérée
par des gens spécialisés dans ce choses-là.
Je ne sais pas comment mais j’ai mon idée.

Elle n’était pas pour moi :
j’avais déjà celle de mon père.

4.

THE BANALITY OF PAIN

Le soleil noir
ce parfait cliché
est éteint mais
reste braqué sur une immense pelouse
imprégnée de cendres.

Cendres lilas sans scories ni granulés
cendres ou on voudrait en vain
vous reconnaître toi et ta forme
à défaut de celles des autres
qui ne sont que des morts ordinaires.

J’ai beau incliner la tête
dans cette pluie si fine il n’y a
pas un os
pas une réminiscence
pas un sourire.

Les soleil noir
est un projecteur éteint.
Il n’est pas encore l’heure
de rallumer.




Dimanche 28 Septembre 2014
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Pour avoir vu un soir
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Anthologie du Printemps
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Castor Astral, 2019

La beauté, éphéméride
poétique pour chanter la vie
,
Anthologie
Editions Bruno Doucey, 2019.

Le désir aux couleurs du poème,
anthologie éd
Bruno Doucey 2020.







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22/11/2010