BIOBIBLIOGRAPHIE
Vient de paraître
• Lire Paul Celan, Tarabuste, 2023 ;
• Squelêtre, La lettre volée, 2023
Didier Cahen
Né le 11 septembre 1950 à Boulogne-Billancourt
Poète, essayiste
Ancien Producteur radio (France Culture)
Ancien Directeur Culturel Ecole Sainte-Geneviève (Versailles)
Ancien chroniqueur au journal Le Monde (Chronique de Poésie mensuelle « TransPoésie » 2012/2020)
Créateur et coordinateur de « Poésie ouverte », cycles de rencontres publiques à Versailles, depuis 2017
Officier dans l’ordre des Arts et Lettres
Membre de l’Académie des Arts, des Lettres et des Sciences morales de Versailles et de l’Ile de France
Didier Cahen est poète et essayiste ; il a publié plusieurs livres sur Edmond Jabès dont Edmond Jabès « Poètes d’aujourd’hui » (Seghers, 2007)
Ses derniers livres publiés, souvent en collaboration avec des peintres :
• A livre ouvert, avec une préface de Jean-Luc Nancy (Hermann, 2013) ;
• Les sept livres (La Lettre Volée, 2013) ;
• Scènes avec 15 lithographies de Gérard Garouste (Action Arts Publications, 2015) ;
• Le peu des hommes (Tarabuste, 2016) ;
• Déjà vu (Tarabuste, 2019) ;
• Trois pères (Jabès, Derrida, du Bouchet) (éd. Le Bord de l’eau, 2019) ;
• Mémoires (pour Bernard Stiegler) in Amitiés de Bernard Stiegler, Galilée, 2021 ;
• Histoires (1er chapitre de Trois père – Jabès, Derrida, du Bouchet, éditions Le bord de l’eau, https://www.philosophy-world-democracy.org (traduction en anglais) juin 2021 ;
• Anthologie TransPoésie, éd. Eres, Po&psy, 2021 ;
• Contes d’avant l’heure, Tarabuste, 2021 ;
• Du bout des doigts, avec 3 monotypes de Monique Frydman, éd. La Canopée, 2021 ;
• … qui hante les bocages avec des dessins de Joël Paubel, Illador, 2022 ;
• Lire Paul Celan, Tarabuste, 2023 ;
• Squelêtre, La lettre volée, 2023
• Lire Paul Celan, Tarabuste, 2023 ;
• Squelêtre, La lettre volée, 2023
Didier Cahen
Né le 11 septembre 1950 à Boulogne-Billancourt
Poète, essayiste
Ancien Producteur radio (France Culture)
Ancien Directeur Culturel Ecole Sainte-Geneviève (Versailles)
Ancien chroniqueur au journal Le Monde (Chronique de Poésie mensuelle « TransPoésie » 2012/2020)
Créateur et coordinateur de « Poésie ouverte », cycles de rencontres publiques à Versailles, depuis 2017
Officier dans l’ordre des Arts et Lettres
Membre de l’Académie des Arts, des Lettres et des Sciences morales de Versailles et de l’Ile de France
Didier Cahen est poète et essayiste ; il a publié plusieurs livres sur Edmond Jabès dont Edmond Jabès « Poètes d’aujourd’hui » (Seghers, 2007)
Ses derniers livres publiés, souvent en collaboration avec des peintres :
• A livre ouvert, avec une préface de Jean-Luc Nancy (Hermann, 2013) ;
• Les sept livres (La Lettre Volée, 2013) ;
• Scènes avec 15 lithographies de Gérard Garouste (Action Arts Publications, 2015) ;
• Le peu des hommes (Tarabuste, 2016) ;
• Déjà vu (Tarabuste, 2019) ;
• Trois pères (Jabès, Derrida, du Bouchet) (éd. Le Bord de l’eau, 2019) ;
• Mémoires (pour Bernard Stiegler) in Amitiés de Bernard Stiegler, Galilée, 2021 ;
• Histoires (1er chapitre de Trois père – Jabès, Derrida, du Bouchet, éditions Le bord de l’eau, https://www.philosophy-world-democracy.org (traduction en anglais) juin 2021 ;
• Anthologie TransPoésie, éd. Eres, Po&psy, 2021 ;
• Contes d’avant l’heure, Tarabuste, 2021 ;
• Du bout des doigts, avec 3 monotypes de Monique Frydman, éd. La Canopée, 2021 ;
• … qui hante les bocages avec des dessins de Joël Paubel, Illador, 2022 ;
• Lire Paul Celan, Tarabuste, 2023 ;
• Squelêtre, La lettre volée, 2023
EXTRAITS
1ères pages de Squelêtre, éd. La Lettre Volée, 2023
SELFIE
La poussière du quotidien mêlée à celle de l’infini
(Esther Tellermann)
1
Lune d’août avec le soir qui veille. Et un dernier regard sur le travail du jour.
Lumières ? Au singulier pluriel
Poème…prose… voix… Porter l’intensité du monde
L’été, le jour, la mer. Absolument
Sauver les restes.
Absolument
« Juste de vie, juste de voix ». Diagnostique : surhumain !
Une identité affamée...
Les mots écrits, pensés, pesés à la légère. J’habite, j’hésite…
Toucher la nuit, montrer sa vérité, la rendre lumineuse ! ... ou vertueuse…tueuse
Ouvrir la bouche, qui sait ? Prudence ! Eviter par principe le vide assaisonné silence
... imprévisible, la réaction chimique, et l’explosion du mot.
J’écris les yeux fermés ; petit effort à faire pour bien choisir les mots de mon alter ego
Quant à soi, quant au je…
Et comme toujours, l’imaginaire rhétais, la mer en moi, ravalée intérieure ; la rage défaite…
… et cette légère longueur d’avance sur un moi invivable
Le vent du large, les mouettes à la dérive, amoncellement de nuages …ça souffle ! Comment ne pas se cacher au beau milieu des lettres.
KN, l’œil du cyclone ou plus modestement le cœur de la tempête.
Retour sur moi (celui que j’appelle comme ça), tu sais, pas mourir à l’envers.
Sobre. Pas faim. Trouver du sens non-sens. Pas très urgent… Plus tard…
My way of life, dit-il…
(...)
Avril, guêpe réactive, menace sur le pique-nique
Les filles …et la vie comme elle vient… (comme elles viennent !). Le temps qui quitte ses rails et se dévergonde sans cesse
Vraiment la joie – rires au téléphone... Paroles muettes... Tout au feeling... Belle transparence de ce petit matin
Formes courtes. Déformation professionnelle, …obsessionnelle ou le désir captif d’un moindre monde
Pâques, à l’heure dite ! Temps redressé, malgré le coronavirage. Pas d’île de Ré, pas pour cette fois, « crise sanitaire » oblige
Le jour la nuit, quoi de plus naturel ?
De j’eux en je : s’ouvrir à l’autre et partager le rire, la sensation , l’émoi ; eh oui, vivre ou survivre malgré les hypothèques
Une trace rageuse de narratif ; j’avance ? Encore quelques lettres à trouver et le juste accent tonique
Confierai-je à la littérature le soin d’exconfiner ma vie, de retrouver cette autre vie vivable ; vivante ? Viendra très vite..., j’espère
Imagine ! La poésie deviendrait la (dé)raison du monde, avec, en prime, des langues déliées, déshabillées, impitoyables pour ceux qui parlent mais sans jamais rien dire
… rien qu’une bouchée (à déguster en ces temps incertains)
Thriller. Je tu etc. Flingué (pure hypothèse)
L’ange passe, avec son ombre invisible ou virile ; entraineur transparent. Une vraie cure d’infini ; bain de jouvence à suivre
Un Dieu paratonnerre. Branle-bas de combat pour entamer le ciel. (J’essuie les plâtres).
…du froid au chaud, de la mort à la vie… (co-vide, rectifié plein régime)
(...)
Pas l’temps… je simplifie l’enfance…
Et dans tout ça, dites-moi, combien d’Edmond Jabèsssss ?
... de co-habitations, de contaminations ?
Lessive nocturne. Les larmes dans l’œil d’un frère, d’une sœur imaginaire
Fragile ; m’étouffer, m’étoffer ?
...une phrase étirée, ramassée poésie. Jusqu’à son écriture...
La famille, les amis, les ombres lointaines, lointaines, bien dessinées.
Aimées.
**********
Frayeur
(Extrait de Déjà Vu , éd. Tarabuste, 2019)
Un chant d’amour
peut-être
le jour venu
un vrai combat de chair
ailleurs
une voix de source
avec le cœur
qui veille
L’arbre, le ciel, le vent
rendus à la poussière
dehors prend l’eau
de pluie
comme le dessus
prend l’air
Quelqu’un appelle
on frotte la peau
les os
sans se brûler les ailes
Une larme de sel
une pincée de réel
d’autres morceaux
de ciel
La rive habituelle
une voix de tête
qui passe
sous la grammaire
L’homme effacé
criant de vérité
La nuit s’écoule
on imagine
le mot coincé
dans le berceau du rêve
On s’imagine
les bras chargés
de soi
on veille au grain
on cherche
Un simple courant d’air
un chantier corporel
Une coulée d’encre
versée au ras du sol
la poésie s’achève
un coude de phrase opère
Les doigts croisés
pas plus
la vie
qui se réveille
Un trou lessivé d’être
ainsi de suite
tout vaut réparation
substitution peut-être
On vient
j’existe au bord des lèvres
Les bras copiés collés
unis au ras du sexe
beaucoup de bruit
la nuit
une fente de noir
greffée dans la matière
Sa tête
tachée de rouge exprès
bien mal payée la chair
Les yeux fermés
on se dit tout
ou presque
Mots tièdes
hachés menu
on cerne le silence
on parle sous la lumière
Le souffle atténué
le vent
béni de vieil oubli
Rien de prévisible
de clair
la bouche
écorche le sexe
Le corps humain
se perd dans l’incertain
Le cœur
on veut y croire
le cœur aimant
est vierge
On fait la grande lessive
pour ses habits de fête
On dit qu’on sait
on est
on pense toucher le ciel
*********
Extraits de Lire Paul Celan, éd. Tarabuste, 2023
Avertissement
Ce livre offre un parcours en compagnie de Paul Celan, un des poètes majeurs de la seconde moitié du XXe siècle, peut-être le plus grand. On y suivra comme un fil rouge ces interrogations qui restent au cœur de notre modernité : que se passe-t-il pour un homme qui a perdu toute raison de vivre et recherche, malgré tout, de nouvelles perspectives, un sens au-delà du sens commun pour décider de sa vie ? Et quelle peut être la part de la littérature dans ce retour sur soi, dans cette façon d’aller au plus profond de soi-même ?
L’œuvre de Paul Celan (1920-1970), poète de langue allemande né en Europe centrale (à Czernowitz, aujourd’hui en Ukraine), écrivain juif ayant connu les camps de travail pendant la deuxième guerre mondiale, aborde ces questions de front. Notre lecture retrace le parcours d’un homme qui a perdu ses parents dans les camps d’extermination nazis. Elle révèle le destin d’un poète qui a su se ressaisir et composer une œuvre lumineuse, forgée dans la douleur, creusée avec constance dans sa langue maternelle. « Comment continuer en allemand ? » lui demandait-on de façon lancinante. Celan s’en expliquera dans sa correspondance avec la poète autrichienne Ingeborg Bachmann : « Dans cette langue j’ai essayé d’écrire des poèmes pour parler, pour m’orienter, pour reconnaître où je me trouvais, et où je devais aller, pour m’ébaucher une réalité »
En écho à cette confidence, l’entretien que nous proposons traverse la vie et l’œuvre du poète, avec pour ambition d’accompagner très simplement la poésie de Celan, d’en montrer la richesse et en même temps la clarté irradiante
Extrait du 1er chapitre
Vous connaissez ces mots de du Bouchet : « j’écris pour que mon poème serve de route à ce que je ne connais pas » ; il parlait de lui, bien sûr. D’où la question de la biographie, de la façon dont Paul Celan inscrit sa vie dans son poème ?
Comment ne pas être partagé, comme il l’était assurément lui-même ? D’un côté il rejette expressément le biographique en tant que tel ; il l’écrit noir sur blanc dans une lettre fin 1961 : « Mes poèmes sont poèmes. Ils n’ont besoin d’aucune légitimation biographique » ; d’un autre côté il semble tout mettre de lui, jouer sa vie dans chacun de ses poèmes. Mais je crois qu’on peut facilement expliquer cette phrase qui peut surprendre. Le poète qu’il était craignait légitimement que l’excès d’interprétation vienne effacer la poésie de son texte. Voyez, quoi qu’on en dise, quoi qu’il en dise parfois, Celan habitait proprement ses poèmes. Ecoutez ce dialogue ineffable :
J’ai coupé du bambou :
pour toi, mon fils.
J’ai vécu
Cette cabane, emportée
demain, elle
tient.
Je n’ai pas construit avec toi : tu
ne sais pas
dans quels vases je mettais
le sable autour de moi, il y a des années, sur
ordre et commandement. Le tien
vient de l’étendue libre – libre,
il demeure (…)
Rien de plus transparent, n’est-ce pas ? On peut d’ailleurs préciser que cette scène se déroule dans le Finistère, où les Celan passaient quelques jours de vacances en famille. Ils n’avaient pas encore la maison de Moisville que Paul et Gisèle ont acheté dans des circonstances assez peu ordinaires. Odette de Lestrange, la mère de Gisèle, était rentrée dans les ordres sur le tard. Ayant fait vœu de pauvreté, elle avait légué la fortune familiale à ses quatre filles, dont Gisèle, dans une sorte de mea culpa bien tardif. Soyons précis ; la famille n’avait pas accepté le mariage de Gisèle avec un poète juif apatride et avait coupé les ponts avec eux pendant plusieurs années.
D’où la question : la biographie de Celan est-elle la clé qui donne son unité à l’œuvre ?
La clé, j’en doute ; mais la question de son rapport au biographique reste entièrement ouverte puisqu’il allait aussi jusqu’à confondre (ou fondre) sa vie et son poème : « Meine Gedichte sind meine Vita » si je poursuis la citation de tout à l’heure dans sa version originale. Pas facile à traduire, d’autant que cette Vita fait signe vers la Vita Nuova de Dante…, le « vie nouvelle » portée par son poème. Et Gedichte est le mot allemand qui signifie effectivement poème ; un mot allemand qui brille de tous les feux, et garde l’esprit de la langue allemande, comme beaucoup d’autres, avec mille résonances ; les germanistes savent que le préfixe Ge- contient l’idée d’un rassemblement de choses très disparates. Quant à Dichtung… : pour simplement en approcher les multiples facettes il faudrait longuement épiloguer autour du « dire », du mot et de la chose, et de tout ce qu’il « dicte », poétiquement ou plus prosaïquement etc. Tout se passe comme si Celan gardait dans son oreille toutes les couleurs, toutes les sonorités du « Gedichte » pour façonner le fonds de son poème. Bref… Au-delà de cette culture que j’évoquais plus haut et qu’on dira livresque, de son immense mémoire, des livres ingurgités, les poèmes de Celan intègrent effectivement des bribes de son histoire personnelle. J’y vois clairement une strate de plus. Connaître sa biographie est alors nécessaire, mais ce n’est qu’un point de départ puisque le factuel appelle l’existentiel, le circonstanciel ou le providentiel.
Vous ouvrez grand le spectre !
Celan publie en 1959 son quatrième livre, Sprachgitter, Grille de parole. Pourquoi ce titre ? Très probablement, parce qu’il accompagnait son épouse qui était allé voir sa mère dans son couvent de Bretagne ! Et cette grille, c’est la grille à travers laquelle on parle avec une religieuse, dans le parloir de son couvent. Alors bien sûr, ensuite, ce titre ne doit rien au hasard. Si les poèmes de Celan sont toujours liés à des événements ponctuels ou aux aléas de la vie, sa poésie n’est évidemment pas une poésie de circonstances. Comme vous l’imaginez, il fallait bien aussi que cela recoupe les préoccupations du poète, traduise son émotion, stimule sa réflexion, consonne avec sa conception de la langue et de la création.
Alors, c’est vrai, je pense encore au lecteur qui découvre cette œuvre gigantesque. Que dire du sentiment d’étrangeté éprouvé bien des fois devant cette masse de connaissances, de références bien souvent elliptiques, traitées et retraitées par la langue, mêlées, emmêlées, démêlées autrement par le verbe, logées dans des silences tout juste apprivoisés, confiées à des formules qui peuvent sembler cryptées, parfois incantatoires… Et qui répondent à cette obligation de tout dire sans rien trahir, sans se trahir. J’y reviendrai…
[…]
Envers et contre tout, Celan se vivait comme poète…Todtnauberg, disais-je. Les faits d’abord : le poème fut écrit après une visite au philosophe Heidegger, qui eut finalement lieu le 25 juillet 1967. Celan s’y préparait, il l’attendait comme il la redoutait. Celan lisait depuis toujours l’auteur d’Être et temps/Sein und Zeit, les exemplaires du livre du philosophe naguère rangés dans la bibliothèque de sa maison de Moisville fourmillent d’annotations. Et précisons combien Celan était pour Heidegger un écrivain incontournable. Pensez… Au sortir de la guerre, un poète juif qui garde la langue allemande ! Et, qui plus est, une poésie qui avait tout d’une « poésie pensante ». Bien entendu Celan savait qu’Heidegger avait accepté de collaborer avec les autorités nazies jusqu’à un certain point ; il connaissait sans doute le fameux épisode du rectorat en 1933. Mais dans les années 60, on était loin de mesurer l’ampleur de la compromission. C’est donc très tard, après bien des atermoiements, que Celan saisit l’occasion qui s’offrait d’aller à la rencontre de Heidegger, en lui rendant visite dans la fameuse « Hütte », résidence « secondaire » du penseur, un chalet dans la Forêt noire.
Avec une attente bien précise ?
Celan partit pour ce rendez-vous avec l’histoire persuadé (voulant se persuader) qu’il entendrait un mot, au moins, peut-être sur son propre destin, sûrement sur la dérive impensable de l’Allemagne, en proie à la folie des dignitaires nazis et de leurs exécutants. Celan n’attendait rien de précis, et certainement pas un mot d’ « excuse » comme on le lit parfois. Ni la clarté comme si Heidegger, aussi génial fût-il, pouvait en quelques mots expliquer l’inexplicable. Celan n’attendait rien de Heidegger mais il attendait tout ! Sept lignes, sept vers haletants pour justifier ces termes.
elle, écrite dans ce livre,
la ligne d’un
espoir, aujourd’hui,
en un mot
d’un pensant,
à venir
au cœur
Voilà, il attendait un mot qui irait droit au cœur… ; rien de plus, rien de moins. J’isole ces vers pour en retenir l’essence. Naturellement dans le reste du poème, le décor est planté, avec des fleurs, n’est-ce pas, comme dans tout « vrai » poème, …et des signes qui ne trompent pas ; l’étoile, entre autres, au-dessus de la fontaine où il se désaltère. Pas un trompe-l’œil, ni l’invention d’un poète trop zélé. C’était comme ça ; il suffit de regarder les photos de la fameuse « Hütte ». Naturellement, dans le poème, il y a aussi de tous petits cailloux qui servent à baliser le chemin mais qui, parfois, se glissent dans les chaussures de Heidegger. Et qui bien sûr le gênent. On ne marche pas impunément sur des sentiers si escarpés. Mais, on est, vous le sentez, très au-delà du sens ou de l’explication, très au-delà de la clarté comme de l’obscurité. Et c’est ce mot « d’un pensant, à venir au cœur » que le poète attendra en vain ; c’est de cette « ligne » et de l’attente déçue que nous parle le poème. Celan guettait un mot, pas même, un geste, un seul : le signe d’une ouverture de son interlocuteur ; d’une ouverture au cœur de la pensée, comme un coin enfoncé entre l’être et le temps. Un coin d’humanité, en somme. Voyez l’enjeu qui dépassait clairement pour Paul Celan son seul cas personnel. Mais, en fin de compte, répétons-le, le geste ne viendra pas. Il ne restera rien d’autre, rien de plus de cette rencontre que cette ligne écrite dans son poème en détachant les mots pour mieux se faire entendre ; une ligne teintée d’espoir qui reprend mot pour mot celle qu’il avait laissée dans le « livre d’or » du philosophe : la ligne d’un espoir, aujourd’hui, en un mot d’un pensant, à venir au cœur. Vous voyez, tout est dit…
SELFIE
La poussière du quotidien mêlée à celle de l’infini
(Esther Tellermann)
1
Lune d’août avec le soir qui veille. Et un dernier regard sur le travail du jour.
Lumières ? Au singulier pluriel
Poème…prose… voix… Porter l’intensité du monde
L’été, le jour, la mer. Absolument
Sauver les restes.
Absolument
« Juste de vie, juste de voix ». Diagnostique : surhumain !
Une identité affamée...
Les mots écrits, pensés, pesés à la légère. J’habite, j’hésite…
Toucher la nuit, montrer sa vérité, la rendre lumineuse ! ... ou vertueuse…tueuse
Ouvrir la bouche, qui sait ? Prudence ! Eviter par principe le vide assaisonné silence
... imprévisible, la réaction chimique, et l’explosion du mot.
J’écris les yeux fermés ; petit effort à faire pour bien choisir les mots de mon alter ego
Quant à soi, quant au je…
Et comme toujours, l’imaginaire rhétais, la mer en moi, ravalée intérieure ; la rage défaite…
… et cette légère longueur d’avance sur un moi invivable
Le vent du large, les mouettes à la dérive, amoncellement de nuages …ça souffle ! Comment ne pas se cacher au beau milieu des lettres.
KN, l’œil du cyclone ou plus modestement le cœur de la tempête.
Retour sur moi (celui que j’appelle comme ça), tu sais, pas mourir à l’envers.
Sobre. Pas faim. Trouver du sens non-sens. Pas très urgent… Plus tard…
My way of life, dit-il…
(...)
Avril, guêpe réactive, menace sur le pique-nique
Les filles …et la vie comme elle vient… (comme elles viennent !). Le temps qui quitte ses rails et se dévergonde sans cesse
Vraiment la joie – rires au téléphone... Paroles muettes... Tout au feeling... Belle transparence de ce petit matin
Formes courtes. Déformation professionnelle, …obsessionnelle ou le désir captif d’un moindre monde
Pâques, à l’heure dite ! Temps redressé, malgré le coronavirage. Pas d’île de Ré, pas pour cette fois, « crise sanitaire » oblige
Le jour la nuit, quoi de plus naturel ?
De j’eux en je : s’ouvrir à l’autre et partager le rire, la sensation , l’émoi ; eh oui, vivre ou survivre malgré les hypothèques
Une trace rageuse de narratif ; j’avance ? Encore quelques lettres à trouver et le juste accent tonique
Confierai-je à la littérature le soin d’exconfiner ma vie, de retrouver cette autre vie vivable ; vivante ? Viendra très vite..., j’espère
Imagine ! La poésie deviendrait la (dé)raison du monde, avec, en prime, des langues déliées, déshabillées, impitoyables pour ceux qui parlent mais sans jamais rien dire
… rien qu’une bouchée (à déguster en ces temps incertains)
Thriller. Je tu etc. Flingué (pure hypothèse)
L’ange passe, avec son ombre invisible ou virile ; entraineur transparent. Une vraie cure d’infini ; bain de jouvence à suivre
Un Dieu paratonnerre. Branle-bas de combat pour entamer le ciel. (J’essuie les plâtres).
…du froid au chaud, de la mort à la vie… (co-vide, rectifié plein régime)
(...)
Pas l’temps… je simplifie l’enfance…
Et dans tout ça, dites-moi, combien d’Edmond Jabèsssss ?
... de co-habitations, de contaminations ?
Lessive nocturne. Les larmes dans l’œil d’un frère, d’une sœur imaginaire
Fragile ; m’étouffer, m’étoffer ?
...une phrase étirée, ramassée poésie. Jusqu’à son écriture...
La famille, les amis, les ombres lointaines, lointaines, bien dessinées.
Aimées.
**********
Frayeur
(Extrait de Déjà Vu , éd. Tarabuste, 2019)
Un chant d’amour
peut-être
le jour venu
un vrai combat de chair
ailleurs
une voix de source
avec le cœur
qui veille
L’arbre, le ciel, le vent
rendus à la poussière
dehors prend l’eau
de pluie
comme le dessus
prend l’air
Quelqu’un appelle
on frotte la peau
les os
sans se brûler les ailes
Une larme de sel
une pincée de réel
d’autres morceaux
de ciel
La rive habituelle
une voix de tête
qui passe
sous la grammaire
L’homme effacé
criant de vérité
La nuit s’écoule
on imagine
le mot coincé
dans le berceau du rêve
On s’imagine
les bras chargés
de soi
on veille au grain
on cherche
Un simple courant d’air
un chantier corporel
Une coulée d’encre
versée au ras du sol
la poésie s’achève
un coude de phrase opère
Les doigts croisés
pas plus
la vie
qui se réveille
Un trou lessivé d’être
ainsi de suite
tout vaut réparation
substitution peut-être
On vient
j’existe au bord des lèvres
Les bras copiés collés
unis au ras du sexe
beaucoup de bruit
la nuit
une fente de noir
greffée dans la matière
Sa tête
tachée de rouge exprès
bien mal payée la chair
Les yeux fermés
on se dit tout
ou presque
Mots tièdes
hachés menu
on cerne le silence
on parle sous la lumière
Le souffle atténué
le vent
béni de vieil oubli
Rien de prévisible
de clair
la bouche
écorche le sexe
Le corps humain
se perd dans l’incertain
Le cœur
on veut y croire
le cœur aimant
est vierge
On fait la grande lessive
pour ses habits de fête
On dit qu’on sait
on est
on pense toucher le ciel
*********
Extraits de Lire Paul Celan, éd. Tarabuste, 2023
Avertissement
Ce livre offre un parcours en compagnie de Paul Celan, un des poètes majeurs de la seconde moitié du XXe siècle, peut-être le plus grand. On y suivra comme un fil rouge ces interrogations qui restent au cœur de notre modernité : que se passe-t-il pour un homme qui a perdu toute raison de vivre et recherche, malgré tout, de nouvelles perspectives, un sens au-delà du sens commun pour décider de sa vie ? Et quelle peut être la part de la littérature dans ce retour sur soi, dans cette façon d’aller au plus profond de soi-même ?
L’œuvre de Paul Celan (1920-1970), poète de langue allemande né en Europe centrale (à Czernowitz, aujourd’hui en Ukraine), écrivain juif ayant connu les camps de travail pendant la deuxième guerre mondiale, aborde ces questions de front. Notre lecture retrace le parcours d’un homme qui a perdu ses parents dans les camps d’extermination nazis. Elle révèle le destin d’un poète qui a su se ressaisir et composer une œuvre lumineuse, forgée dans la douleur, creusée avec constance dans sa langue maternelle. « Comment continuer en allemand ? » lui demandait-on de façon lancinante. Celan s’en expliquera dans sa correspondance avec la poète autrichienne Ingeborg Bachmann : « Dans cette langue j’ai essayé d’écrire des poèmes pour parler, pour m’orienter, pour reconnaître où je me trouvais, et où je devais aller, pour m’ébaucher une réalité »
En écho à cette confidence, l’entretien que nous proposons traverse la vie et l’œuvre du poète, avec pour ambition d’accompagner très simplement la poésie de Celan, d’en montrer la richesse et en même temps la clarté irradiante
Extrait du 1er chapitre
Vous connaissez ces mots de du Bouchet : « j’écris pour que mon poème serve de route à ce que je ne connais pas » ; il parlait de lui, bien sûr. D’où la question de la biographie, de la façon dont Paul Celan inscrit sa vie dans son poème ?
Comment ne pas être partagé, comme il l’était assurément lui-même ? D’un côté il rejette expressément le biographique en tant que tel ; il l’écrit noir sur blanc dans une lettre fin 1961 : « Mes poèmes sont poèmes. Ils n’ont besoin d’aucune légitimation biographique » ; d’un autre côté il semble tout mettre de lui, jouer sa vie dans chacun de ses poèmes. Mais je crois qu’on peut facilement expliquer cette phrase qui peut surprendre. Le poète qu’il était craignait légitimement que l’excès d’interprétation vienne effacer la poésie de son texte. Voyez, quoi qu’on en dise, quoi qu’il en dise parfois, Celan habitait proprement ses poèmes. Ecoutez ce dialogue ineffable :
J’ai coupé du bambou :
pour toi, mon fils.
J’ai vécu
Cette cabane, emportée
demain, elle
tient.
Je n’ai pas construit avec toi : tu
ne sais pas
dans quels vases je mettais
le sable autour de moi, il y a des années, sur
ordre et commandement. Le tien
vient de l’étendue libre – libre,
il demeure (…)
Rien de plus transparent, n’est-ce pas ? On peut d’ailleurs préciser que cette scène se déroule dans le Finistère, où les Celan passaient quelques jours de vacances en famille. Ils n’avaient pas encore la maison de Moisville que Paul et Gisèle ont acheté dans des circonstances assez peu ordinaires. Odette de Lestrange, la mère de Gisèle, était rentrée dans les ordres sur le tard. Ayant fait vœu de pauvreté, elle avait légué la fortune familiale à ses quatre filles, dont Gisèle, dans une sorte de mea culpa bien tardif. Soyons précis ; la famille n’avait pas accepté le mariage de Gisèle avec un poète juif apatride et avait coupé les ponts avec eux pendant plusieurs années.
D’où la question : la biographie de Celan est-elle la clé qui donne son unité à l’œuvre ?
La clé, j’en doute ; mais la question de son rapport au biographique reste entièrement ouverte puisqu’il allait aussi jusqu’à confondre (ou fondre) sa vie et son poème : « Meine Gedichte sind meine Vita » si je poursuis la citation de tout à l’heure dans sa version originale. Pas facile à traduire, d’autant que cette Vita fait signe vers la Vita Nuova de Dante…, le « vie nouvelle » portée par son poème. Et Gedichte est le mot allemand qui signifie effectivement poème ; un mot allemand qui brille de tous les feux, et garde l’esprit de la langue allemande, comme beaucoup d’autres, avec mille résonances ; les germanistes savent que le préfixe Ge- contient l’idée d’un rassemblement de choses très disparates. Quant à Dichtung… : pour simplement en approcher les multiples facettes il faudrait longuement épiloguer autour du « dire », du mot et de la chose, et de tout ce qu’il « dicte », poétiquement ou plus prosaïquement etc. Tout se passe comme si Celan gardait dans son oreille toutes les couleurs, toutes les sonorités du « Gedichte » pour façonner le fonds de son poème. Bref… Au-delà de cette culture que j’évoquais plus haut et qu’on dira livresque, de son immense mémoire, des livres ingurgités, les poèmes de Celan intègrent effectivement des bribes de son histoire personnelle. J’y vois clairement une strate de plus. Connaître sa biographie est alors nécessaire, mais ce n’est qu’un point de départ puisque le factuel appelle l’existentiel, le circonstanciel ou le providentiel.
Vous ouvrez grand le spectre !
Celan publie en 1959 son quatrième livre, Sprachgitter, Grille de parole. Pourquoi ce titre ? Très probablement, parce qu’il accompagnait son épouse qui était allé voir sa mère dans son couvent de Bretagne ! Et cette grille, c’est la grille à travers laquelle on parle avec une religieuse, dans le parloir de son couvent. Alors bien sûr, ensuite, ce titre ne doit rien au hasard. Si les poèmes de Celan sont toujours liés à des événements ponctuels ou aux aléas de la vie, sa poésie n’est évidemment pas une poésie de circonstances. Comme vous l’imaginez, il fallait bien aussi que cela recoupe les préoccupations du poète, traduise son émotion, stimule sa réflexion, consonne avec sa conception de la langue et de la création.
Alors, c’est vrai, je pense encore au lecteur qui découvre cette œuvre gigantesque. Que dire du sentiment d’étrangeté éprouvé bien des fois devant cette masse de connaissances, de références bien souvent elliptiques, traitées et retraitées par la langue, mêlées, emmêlées, démêlées autrement par le verbe, logées dans des silences tout juste apprivoisés, confiées à des formules qui peuvent sembler cryptées, parfois incantatoires… Et qui répondent à cette obligation de tout dire sans rien trahir, sans se trahir. J’y reviendrai…
[…]
Envers et contre tout, Celan se vivait comme poète…Todtnauberg, disais-je. Les faits d’abord : le poème fut écrit après une visite au philosophe Heidegger, qui eut finalement lieu le 25 juillet 1967. Celan s’y préparait, il l’attendait comme il la redoutait. Celan lisait depuis toujours l’auteur d’Être et temps/Sein und Zeit, les exemplaires du livre du philosophe naguère rangés dans la bibliothèque de sa maison de Moisville fourmillent d’annotations. Et précisons combien Celan était pour Heidegger un écrivain incontournable. Pensez… Au sortir de la guerre, un poète juif qui garde la langue allemande ! Et, qui plus est, une poésie qui avait tout d’une « poésie pensante ». Bien entendu Celan savait qu’Heidegger avait accepté de collaborer avec les autorités nazies jusqu’à un certain point ; il connaissait sans doute le fameux épisode du rectorat en 1933. Mais dans les années 60, on était loin de mesurer l’ampleur de la compromission. C’est donc très tard, après bien des atermoiements, que Celan saisit l’occasion qui s’offrait d’aller à la rencontre de Heidegger, en lui rendant visite dans la fameuse « Hütte », résidence « secondaire » du penseur, un chalet dans la Forêt noire.
Avec une attente bien précise ?
Celan partit pour ce rendez-vous avec l’histoire persuadé (voulant se persuader) qu’il entendrait un mot, au moins, peut-être sur son propre destin, sûrement sur la dérive impensable de l’Allemagne, en proie à la folie des dignitaires nazis et de leurs exécutants. Celan n’attendait rien de précis, et certainement pas un mot d’ « excuse » comme on le lit parfois. Ni la clarté comme si Heidegger, aussi génial fût-il, pouvait en quelques mots expliquer l’inexplicable. Celan n’attendait rien de Heidegger mais il attendait tout ! Sept lignes, sept vers haletants pour justifier ces termes.
elle, écrite dans ce livre,
la ligne d’un
espoir, aujourd’hui,
en un mot
d’un pensant,
à venir
au cœur
Voilà, il attendait un mot qui irait droit au cœur… ; rien de plus, rien de moins. J’isole ces vers pour en retenir l’essence. Naturellement dans le reste du poème, le décor est planté, avec des fleurs, n’est-ce pas, comme dans tout « vrai » poème, …et des signes qui ne trompent pas ; l’étoile, entre autres, au-dessus de la fontaine où il se désaltère. Pas un trompe-l’œil, ni l’invention d’un poète trop zélé. C’était comme ça ; il suffit de regarder les photos de la fameuse « Hütte ». Naturellement, dans le poème, il y a aussi de tous petits cailloux qui servent à baliser le chemin mais qui, parfois, se glissent dans les chaussures de Heidegger. Et qui bien sûr le gênent. On ne marche pas impunément sur des sentiers si escarpés. Mais, on est, vous le sentez, très au-delà du sens ou de l’explication, très au-delà de la clarté comme de l’obscurité. Et c’est ce mot « d’un pensant, à venir au cœur » que le poète attendra en vain ; c’est de cette « ligne » et de l’attente déçue que nous parle le poème. Celan guettait un mot, pas même, un geste, un seul : le signe d’une ouverture de son interlocuteur ; d’une ouverture au cœur de la pensée, comme un coin enfoncé entre l’être et le temps. Un coin d’humanité, en somme. Voyez l’enjeu qui dépassait clairement pour Paul Celan son seul cas personnel. Mais, en fin de compte, répétons-le, le geste ne viendra pas. Il ne restera rien d’autre, rien de plus de cette rencontre que cette ligne écrite dans son poème en détachant les mots pour mieux se faire entendre ; une ligne teintée d’espoir qui reprend mot pour mot celle qu’il avait laissée dans le « livre d’or » du philosophe : la ligne d’un espoir, aujourd’hui, en un mot d’un pensant, à venir au cœur. Vous voyez, tout est dit…