BIBLIOGRAPHIE
Georges Dumas est photographe plasticien. Il crée depuis une dizaine d’années des œuvres en technique mixte qu’il nomme paintographies. Il s’agit de tableaux réalisés généralement sur toile qui mêlent photographie, composition numérique et glacis acryliques, à chaque fois des pièces uniques. La figure humaine est le sujet exclusif de ces œuvres, avec une place importante accordée au nu et au drapé, dans le droit fil de la statuaire de l’Antiquité et de la Renaissance. Le croisement des techniques comme l’importance accordée aux matières minérales qui remplacent la chair des modèles font des paintographies des œuvres inclassables, à la fois classiques et contemporaines, familières et étranges, aux confins de la peinture, de la sculpture et de la photographie, dans une esthétique du figement et de la pétrification qui justifie qu’on puisse parler de sculpture virtuelle.
Les images ainsi créées matérialisent plusieurs ambiguïtés paradoxales. Tout d’abord l’opposition entre l’instantané, habituellement associé à la prise de vue photographique, et le long processus mis en œuvre pour aboutir au résultat souhaité. Mais aussi entre la vitalité des sujets saisis dans un présent fugitif et leur traitement qui les pétrifie, les monumentalise et leur confère une « immuabilité atemporelle ».
Le statut de l’œuvre résultant de ce long processus reste indéfinissable : ni photographie ni peinture, ni sculpture ni architecture, mais un peu de tout cela cependant. On y discerne aussi un travail de déconstruction et de reconstruction qui interpelle le spectateur et le force à s’interroger sur le statut de l’image, sur son unicité comme sur son authenticité.
Georges Dumas expose son travail en France et en Europe depuis 2007.
Avant cette carrière d'artiste visuel, il a été lauréat du Prix du Jeune Ecrivain en 1996 et a écrit plusieurs livres dont l'essai Homo Precarius publié en 2007. Il a renoué avec l'écriture en 2018 à l'occasion de la sortie du livre sur le mouvement photographique Transfiguring, dont il est un des membres fondateurs. Depuis lors, il publie de manière régulière des textes consacrés à la photographie contemporaine avec l'éditeur Corridor Eléphant.
Principales expositions :
2020 : Foire d’art contemporain « Art Montpellier » (avec galerie Pandem’Art), Sud Arena de Montpellier
Salon « MacParis – L’Art démasqué », Bastille Design Center, Paris
2019 : Biennale « Paris Artistes# », Bastille Design Center et Espace Canal Saint Martin, Paris
Salon « ArtCité », Fontenay-sous-Bois
Exposition collective « Transfiguring », Galerie Septentrion, Marcq-en-Barœul
Foire d’art contemporain « Art Up ! » (avec galerie Pandem’Art), Lille
Exposition personnelle « The Queen / Dancer in the Dark », Galerie Septentrion, Marcq-en-Barœul
2018 : Foire d’art contemporain « Art Montpellier » (avec galerie Pandem’Art), Arena de Montpellier
Exposition collective « Artkhein Paris 2018 », Bastille Design Center, Paris
Salon « MacParis », Bastille Design Center, Paris
2017 : Exposition « EROS », Prix de la galerie La Ralentie, Paris 11ème
Salon « Puls'Art », 25ème édition, Les Quinconces, Le Mans
Exposition collective « Carte blanche à Transfiguring », galerie l'Arrivage, Troyes
2016 : Foire d’art contemporain « Art Up ! » (avec U Own Gallery, Bruxelles), Lille
Exposition collective « Transfiguring », galerie Olivier Waltman, Paris
2015 : Exposition collective « Les 20 ans d'Artnet », Begnins, Suisse
2014 : Foire de photographie « Fotofever », 3ème édition, Carrousel du Louvre, Paris
Exposition personnelle « Paintographies », Galerie Manufacture 45, Rouen
2013 : « Salon d’Automne », 110ème édition, Champs-Élysées, Paris
Salon « Balt’Art – L’Art et le Grand Paris 2013 », 2ème édition, Nogent-sur- Marne
2012 : Exposition personnelle « Figures² » à l’Atelier 40, Paris
2011 : Exposition personnelle « Digital Absurdities » à l’Atelier 40, Paris
2010 : Exposition personnelle « Body matters » à l'Atelier 40
2009 : Exposition personnelle « Paris – London – Milano », 243 Galerie Ephémère, Paris
2008 : Exposition personnelle « Da Vinci Fraud Project », La Loge de la Concierge, Paris
Exposition personnelle « Photographi(sm)e(s ?) », Grant Thornton HQ, Paris
2007 : Exposition personnelle « Abstraction/Pétrifications », Live Gallery, Paris
Ouvrages publiés :
Le Ver solitaire, KDP, 2021
Le Peuple bâillonné, KDP, 2021
Transfiguring, édition Art-scènes, 2018
Homo Precarius, Solaedit, 2007
POUR ACCÉDER AU SITE DE GEORGES DUMAS
CLIQUER ICI
Les images ainsi créées matérialisent plusieurs ambiguïtés paradoxales. Tout d’abord l’opposition entre l’instantané, habituellement associé à la prise de vue photographique, et le long processus mis en œuvre pour aboutir au résultat souhaité. Mais aussi entre la vitalité des sujets saisis dans un présent fugitif et leur traitement qui les pétrifie, les monumentalise et leur confère une « immuabilité atemporelle ».
Le statut de l’œuvre résultant de ce long processus reste indéfinissable : ni photographie ni peinture, ni sculpture ni architecture, mais un peu de tout cela cependant. On y discerne aussi un travail de déconstruction et de reconstruction qui interpelle le spectateur et le force à s’interroger sur le statut de l’image, sur son unicité comme sur son authenticité.
Georges Dumas expose son travail en France et en Europe depuis 2007.
Avant cette carrière d'artiste visuel, il a été lauréat du Prix du Jeune Ecrivain en 1996 et a écrit plusieurs livres dont l'essai Homo Precarius publié en 2007. Il a renoué avec l'écriture en 2018 à l'occasion de la sortie du livre sur le mouvement photographique Transfiguring, dont il est un des membres fondateurs. Depuis lors, il publie de manière régulière des textes consacrés à la photographie contemporaine avec l'éditeur Corridor Eléphant.
Principales expositions :
2020 : Foire d’art contemporain « Art Montpellier » (avec galerie Pandem’Art), Sud Arena de Montpellier
Salon « MacParis – L’Art démasqué », Bastille Design Center, Paris
2019 : Biennale « Paris Artistes# », Bastille Design Center et Espace Canal Saint Martin, Paris
Salon « ArtCité », Fontenay-sous-Bois
Exposition collective « Transfiguring », Galerie Septentrion, Marcq-en-Barœul
Foire d’art contemporain « Art Up ! » (avec galerie Pandem’Art), Lille
Exposition personnelle « The Queen / Dancer in the Dark », Galerie Septentrion, Marcq-en-Barœul
2018 : Foire d’art contemporain « Art Montpellier » (avec galerie Pandem’Art), Arena de Montpellier
Exposition collective « Artkhein Paris 2018 », Bastille Design Center, Paris
Salon « MacParis », Bastille Design Center, Paris
2017 : Exposition « EROS », Prix de la galerie La Ralentie, Paris 11ème
Salon « Puls'Art », 25ème édition, Les Quinconces, Le Mans
Exposition collective « Carte blanche à Transfiguring », galerie l'Arrivage, Troyes
2016 : Foire d’art contemporain « Art Up ! » (avec U Own Gallery, Bruxelles), Lille
Exposition collective « Transfiguring », galerie Olivier Waltman, Paris
2015 : Exposition collective « Les 20 ans d'Artnet », Begnins, Suisse
2014 : Foire de photographie « Fotofever », 3ème édition, Carrousel du Louvre, Paris
Exposition personnelle « Paintographies », Galerie Manufacture 45, Rouen
2013 : « Salon d’Automne », 110ème édition, Champs-Élysées, Paris
Salon « Balt’Art – L’Art et le Grand Paris 2013 », 2ème édition, Nogent-sur- Marne
2012 : Exposition personnelle « Figures² » à l’Atelier 40, Paris
2011 : Exposition personnelle « Digital Absurdities » à l’Atelier 40, Paris
2010 : Exposition personnelle « Body matters » à l'Atelier 40
2009 : Exposition personnelle « Paris – London – Milano », 243 Galerie Ephémère, Paris
2008 : Exposition personnelle « Da Vinci Fraud Project », La Loge de la Concierge, Paris
Exposition personnelle « Photographi(sm)e(s ?) », Grant Thornton HQ, Paris
2007 : Exposition personnelle « Abstraction/Pétrifications », Live Gallery, Paris
Ouvrages publiés :
Le Ver solitaire, KDP, 2021
Le Peuple bâillonné, KDP, 2021
Transfiguring, édition Art-scènes, 2018
Homo Precarius, Solaedit, 2007
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RAPPROCHEMENT
NOLI ME TANGERE
LA-HAUT
ROMEO MUST DIE
QUEEN OF HEARTS
TO LOSE MY LIFE
L'AMOUR AU TEMPS DU CORONA
EXTRAIT
Extraits du Ver solitaire :
Elle est partie.
Il n’en revient toujours pas.
Elle est partie,
elle n’a pas tenté de clore leur dispute par une parole d’apaisement, elle n’a pas combattu la démence de ses paroles, elle a tout encaissé en silence et en larmes.
Elle est partie,
simplement, sans se retourner, en fermant la porte derrière elle, doucement. Ses pas résonnent encore dans l’escalier, il a le temps de se lancer à sa poursuite et d’aller s’excuser. Pas de chercher à la ramener, non, juste s’excuser. Afin de mettre une sourdine à cette note dissonante qui plane dans son appartement et lui crève les tympans.
Elle est partie,
elle n’est pas loin, juste dans la rue, quelques étages plus bas. Elle pleure sûrement, comme lui.
Elle est partie,
sans logique, comme ça, au milieu d’une dispute... Pourtant il ne faut jamais se quitter complètement fâchés, ce n’est pas bien... Il arrive que ce genre de séparation pas en amis ne se répare pas, il faut qu’il aille lui dire, ça oui, ce n’est pas bien du tout, vite, vite, il faut la rattraper, alors il faut mettre les chaussures, et s’habiller aussi, ça oui, il faut lui dire, et fermer la porte en sortant, attention de ne pas tomber dans les escaliers, on peut se faire très mal, alors, où est-elle, à droite ? à gauche ? zut ! il ne sait pas, quelle tuile ! pourtant il faut lui dire, mais il ne peut pas ! quel malheur !
Il l’a perdue.
Il sursaute. Consulte sa montre. Il est sept heures et demie pile. C’est sûrement un invité. Un invité ponctuel, mais un invité tout de même.
Il faut donc aller ouvrir la porte, sinon l’invité va geler sur pied devant chez lui !
Ratissage de cheveux avec les doigts, une forte respiration, un grand sourire, et c’est parti, il ouvre la porte.
De l’autre côté se tient un homme dont le visage est sans couleurs. Il doit avoir froid, à attendre ainsi dehors. Il convient sûrement de le faire entrer, sous peine de passer pour un monstre de mauvaise éducation.
Bon ! Il se racle la gorge, puis brusquement il ouvre tout grand les bras et s’exclame :
— Bonsoir Raymond ! Quel plaisir de te revoir après si longtemps !
— Euh… moi, ce n’est pas Raymond, c’est Robert. Raymond ne devrait pas tarder à arriver, je l’ai croisé à l’arrêt de bus. Comment vas-tu, Paul ?
— Moi ? Très bien, je te remercie. Et toi ?
— J’irai mieux quand je serai au chaud.
— Suis-je étourdi ! Entre, je t’en prie.
Robert fait un pas en avant, mais Paul ne bouge pas d’un pouce, bloquant toujours le passage à son invité. Il hésite, mal à l’aise.
Robert le regarde au fond des yeux, avec insistance. Son hôte finit par s’écarter lentement et le laisse entrer. Il referme la porte derrière lui et débarrasse le nouveau venu de son manteau, puis il demande gentiment :
— Mais si tu as croisé Raymond à l’arrêt de bus, pourquoi n’êtes-vous pas venus ensemble ?
— Pour faire comme des amis à toi qui ne se connaissent pas entre eux, ainsi que tu l’avais stipulé dans ton message sur le site.
— Dans ce cas, pourquoi m’avoir dit que tu l’avais rencontré à l’arrêt de bus ? Cela gâche tout l’effet de surprise.
— C’est parce que tu n’avais pas l’air de me reconnaître. J’ai supposé que d’après un accord particulier qu’on aurait oublié de me révéler, c’est Raymond qui aurait dû arriver le premier et non pas moi. Aussi, j’ai voulu te rassurer, en te disant que Raymond viendrait tout de même.
— Mais cette histoire de portes innombrables, qu’est-ce que c’est, au juste ?
— C’est le plus sûr moyen que j’aie trouvé pour ramener mes patients à un minimum de modestie. Je vous explique : il faut avant tout que nos hypertrophiés du nombril cessent de se prendre constamment pour le centre du monde, il faut les obliger à regarder autour d’eux, à forcer leur attention. Pour cela, il n’y a rien de mieux qu’un environnement hostile, qui vous agresse en permanence et ne vous laisse aucun point de repère. D’où mon système de faux couloirs sans début ni fin, composés de portes identiques et espacées invariablement les unes des autres d’une distance de quatre mètres trente.
— Y a-t-il autant de pièces qu’il y a de portes ?
— Non, et c’est là toute l’astuce. La plupart des portes sont de fausses portes auxquelles mes patients vont se heurter, impuissants. Il s’agit soit de portes condamnées qui donnaient auparavant sur une pièce, soit d’une simple décoration pour camoufler les murs. Mais cela, notre ami ne le saura jamais, il ne verra que la face trompeuse des choses, et c’est ce qui importe si on veut espérer le guérir.
— Je peux seulement m’imaginer la situation dans laquelle il se trouve, pourtant, rien que l’idée de me tenir dans un couloir où toutes les portes seraient fermées me donne froid dans le dos. Car, pour finir, c’est pire que dans un grand hôpital ou une barre de banlieue ! Dans un hôpital, au moins, on peut entrer dans une chambre et se renseigner, mais lui, il est tout seul avec ses portes. Cela doit être angoissant. Tâchez de ne pas le rendre fou, docteur.
— Attention, je n’ai pas dit que toutes les portes étaient fermées ! Il y en a bien sûr qui donnent accès à de nouveaux couloirs, ou même directement à des pièces. D’ailleurs, notre ami a fait preuve d’un sang-froid dont je ne l’aurais pas cru capable, surtout après l’entrevue que j’ai eue avec lui. Il a été très méthodique, ainsi, je l’ai vu qui comptait les portes pour ne pas se perdre. Et, ma foi, sa persévérance a payé plus tôt que je ne m’y attendais, puisqu’il a déjà rencontré sa première camarade de cure. Un « cas », elle aussi, vous pouvez me croire !
Pourquoi les murs flottent-ils ?... vous essayez de m’impressionner ou quoi ? mais ça ne marchera pas mes braves !... j’ai déjà eu la fièvre avant, je connais vos méthodes !... d’abord y a le coin qui se rapproche, là-bas, entre le plafond et les deux murs... ça, c’est pour me faire croire que la pièce rétrécit, pour m’étouffer, pour m’isoler... ensuite il recule en titubant, puis se rapproche, puis recule encore, et après les lignes se mettent à onduler... je connais ça par cœur, vous fatiguez pas ! vous ne savez pas à qui vous avez affaire, murs scélérats ! vous ne danserez pas au rythme de mes yeux, une deux, une deux, une deux... de plus en plus vite... et mes tempes qui battent la cadence, infâmes complices... seulement voilà ! je n’ai pas la fièvre aujourd’hui, je suis calme, apaisé... je suis bien au-delà de la fièvre, dans un lieu où nul n’est près de me rattraper !
Tiens ! on essaye un nouveau tour ?... le coup du plafond qui s’éloigne, qui monte, qui monte ?... ou du sol qui descend... la chambre ascenseur !... on s’y croirait presque dites-moi !... vous avez dû bosser d’arrache-pied pour le mettre au point, ce numéro... c’est à peine si ça m’fout pas des haut-le-cœur, vos conneries... encore plus de sensations que dans un ascenseur de gratte-ciel !... belle illusion, bravo !... mon beau plafond, t’es tellement loin que je vois plus tes moulures... allez ! fais pas la tête ! reviens ! je voulais pas te vexer... pourquoi est-ce que le soleil s’en va lui aussi ?... hé ! ça suffit ! j’en ai marre de la magie !... j’ai la nausée, vous êtes contents ?... mais j’y suis ! c’est pas d’la magie, c’est une descente aux enfers tout ce qu’il y a de plus authentique !... génial ! moi qui ai toujours rêvé de serrer la pince à Lucifer !... diantre ! c’est d’un profond...
— Merci de me laisser enfin m’exprimer, cela fait trop longtemps que cette conversation est différée. Cher spectateur, je vais me livrer au difficile exercice du soliloque devant tes yeux ahuris. J’hésite à parler de soliloque, car je vais en fait participer à un dialogue avec moi-même. Mais comme je serai seul à parler avec moi-même, tu n’entendras qu’un seul personnage, et en dépit des efforts que je vais faire pour prendre deux voix différentes, je me vois contraint d’appeler cela un soliloque. Ce n’est donc pas un discours. Bien ! Je crois que tout le monde est prêt, on peut commencer. Je me présente : Pierre, Paul ou Jacques, cela dépend de mon humeur. Pour me reconnaître, c’est très simple : j’ai une voix brisée par l’émotion et presse ce revolver contre ma tempe. Je n’ai certainement pas besoin de préciser que je suis sur le point de me suicider, l’expression désespérée de mon visage l’exprime assez clairement. Pourquoi me suicider ? Mais parce que c’est le moteur dramatique même de cette pièce de théâtre ! Tout l’intérêt réside dans la lutte que je me livre pour m’empêcher d’appuyer sur la détente. Mon rôle est de démontrer pour quelles raisons on peut être poussé à trancher le fil de sa propre vie, acte pourtant prohibé par l’Église.
— Et moi naturellement, j’ai pour mission de démontrer le contraire et de me dissuader de quitter lâchement notre monde. Je me présente : Pierre, Paul ou Jacques, suivant l’humeur précédemment choisie. Pour éviter toute confusion avec moi – enfin ! l’autre ! – je retire le canon du revolver de ma tempe et le laisse pendre le long de ma jambe droite. En outre, ma voix est parfaitement assurée, avec un soupçon de paternalisme bienveillant dans le ton. Mais je t’en prie, commence donc, le public s’impatiente de nous voir tourner en rond.
Elle est partie.
Il n’en revient toujours pas.
Elle est partie,
elle n’a pas tenté de clore leur dispute par une parole d’apaisement, elle n’a pas combattu la démence de ses paroles, elle a tout encaissé en silence et en larmes.
Elle est partie,
simplement, sans se retourner, en fermant la porte derrière elle, doucement. Ses pas résonnent encore dans l’escalier, il a le temps de se lancer à sa poursuite et d’aller s’excuser. Pas de chercher à la ramener, non, juste s’excuser. Afin de mettre une sourdine à cette note dissonante qui plane dans son appartement et lui crève les tympans.
Elle est partie,
elle n’est pas loin, juste dans la rue, quelques étages plus bas. Elle pleure sûrement, comme lui.
Elle est partie,
sans logique, comme ça, au milieu d’une dispute... Pourtant il ne faut jamais se quitter complètement fâchés, ce n’est pas bien... Il arrive que ce genre de séparation pas en amis ne se répare pas, il faut qu’il aille lui dire, ça oui, ce n’est pas bien du tout, vite, vite, il faut la rattraper, alors il faut mettre les chaussures, et s’habiller aussi, ça oui, il faut lui dire, et fermer la porte en sortant, attention de ne pas tomber dans les escaliers, on peut se faire très mal, alors, où est-elle, à droite ? à gauche ? zut ! il ne sait pas, quelle tuile ! pourtant il faut lui dire, mais il ne peut pas ! quel malheur !
Il l’a perdue.
Il sursaute. Consulte sa montre. Il est sept heures et demie pile. C’est sûrement un invité. Un invité ponctuel, mais un invité tout de même.
Il faut donc aller ouvrir la porte, sinon l’invité va geler sur pied devant chez lui !
Ratissage de cheveux avec les doigts, une forte respiration, un grand sourire, et c’est parti, il ouvre la porte.
De l’autre côté se tient un homme dont le visage est sans couleurs. Il doit avoir froid, à attendre ainsi dehors. Il convient sûrement de le faire entrer, sous peine de passer pour un monstre de mauvaise éducation.
Bon ! Il se racle la gorge, puis brusquement il ouvre tout grand les bras et s’exclame :
— Bonsoir Raymond ! Quel plaisir de te revoir après si longtemps !
— Euh… moi, ce n’est pas Raymond, c’est Robert. Raymond ne devrait pas tarder à arriver, je l’ai croisé à l’arrêt de bus. Comment vas-tu, Paul ?
— Moi ? Très bien, je te remercie. Et toi ?
— J’irai mieux quand je serai au chaud.
— Suis-je étourdi ! Entre, je t’en prie.
Robert fait un pas en avant, mais Paul ne bouge pas d’un pouce, bloquant toujours le passage à son invité. Il hésite, mal à l’aise.
Robert le regarde au fond des yeux, avec insistance. Son hôte finit par s’écarter lentement et le laisse entrer. Il referme la porte derrière lui et débarrasse le nouveau venu de son manteau, puis il demande gentiment :
— Mais si tu as croisé Raymond à l’arrêt de bus, pourquoi n’êtes-vous pas venus ensemble ?
— Pour faire comme des amis à toi qui ne se connaissent pas entre eux, ainsi que tu l’avais stipulé dans ton message sur le site.
— Dans ce cas, pourquoi m’avoir dit que tu l’avais rencontré à l’arrêt de bus ? Cela gâche tout l’effet de surprise.
— C’est parce que tu n’avais pas l’air de me reconnaître. J’ai supposé que d’après un accord particulier qu’on aurait oublié de me révéler, c’est Raymond qui aurait dû arriver le premier et non pas moi. Aussi, j’ai voulu te rassurer, en te disant que Raymond viendrait tout de même.
— Mais cette histoire de portes innombrables, qu’est-ce que c’est, au juste ?
— C’est le plus sûr moyen que j’aie trouvé pour ramener mes patients à un minimum de modestie. Je vous explique : il faut avant tout que nos hypertrophiés du nombril cessent de se prendre constamment pour le centre du monde, il faut les obliger à regarder autour d’eux, à forcer leur attention. Pour cela, il n’y a rien de mieux qu’un environnement hostile, qui vous agresse en permanence et ne vous laisse aucun point de repère. D’où mon système de faux couloirs sans début ni fin, composés de portes identiques et espacées invariablement les unes des autres d’une distance de quatre mètres trente.
— Y a-t-il autant de pièces qu’il y a de portes ?
— Non, et c’est là toute l’astuce. La plupart des portes sont de fausses portes auxquelles mes patients vont se heurter, impuissants. Il s’agit soit de portes condamnées qui donnaient auparavant sur une pièce, soit d’une simple décoration pour camoufler les murs. Mais cela, notre ami ne le saura jamais, il ne verra que la face trompeuse des choses, et c’est ce qui importe si on veut espérer le guérir.
— Je peux seulement m’imaginer la situation dans laquelle il se trouve, pourtant, rien que l’idée de me tenir dans un couloir où toutes les portes seraient fermées me donne froid dans le dos. Car, pour finir, c’est pire que dans un grand hôpital ou une barre de banlieue ! Dans un hôpital, au moins, on peut entrer dans une chambre et se renseigner, mais lui, il est tout seul avec ses portes. Cela doit être angoissant. Tâchez de ne pas le rendre fou, docteur.
— Attention, je n’ai pas dit que toutes les portes étaient fermées ! Il y en a bien sûr qui donnent accès à de nouveaux couloirs, ou même directement à des pièces. D’ailleurs, notre ami a fait preuve d’un sang-froid dont je ne l’aurais pas cru capable, surtout après l’entrevue que j’ai eue avec lui. Il a été très méthodique, ainsi, je l’ai vu qui comptait les portes pour ne pas se perdre. Et, ma foi, sa persévérance a payé plus tôt que je ne m’y attendais, puisqu’il a déjà rencontré sa première camarade de cure. Un « cas », elle aussi, vous pouvez me croire !
Pourquoi les murs flottent-ils ?... vous essayez de m’impressionner ou quoi ? mais ça ne marchera pas mes braves !... j’ai déjà eu la fièvre avant, je connais vos méthodes !... d’abord y a le coin qui se rapproche, là-bas, entre le plafond et les deux murs... ça, c’est pour me faire croire que la pièce rétrécit, pour m’étouffer, pour m’isoler... ensuite il recule en titubant, puis se rapproche, puis recule encore, et après les lignes se mettent à onduler... je connais ça par cœur, vous fatiguez pas ! vous ne savez pas à qui vous avez affaire, murs scélérats ! vous ne danserez pas au rythme de mes yeux, une deux, une deux, une deux... de plus en plus vite... et mes tempes qui battent la cadence, infâmes complices... seulement voilà ! je n’ai pas la fièvre aujourd’hui, je suis calme, apaisé... je suis bien au-delà de la fièvre, dans un lieu où nul n’est près de me rattraper !
Tiens ! on essaye un nouveau tour ?... le coup du plafond qui s’éloigne, qui monte, qui monte ?... ou du sol qui descend... la chambre ascenseur !... on s’y croirait presque dites-moi !... vous avez dû bosser d’arrache-pied pour le mettre au point, ce numéro... c’est à peine si ça m’fout pas des haut-le-cœur, vos conneries... encore plus de sensations que dans un ascenseur de gratte-ciel !... belle illusion, bravo !... mon beau plafond, t’es tellement loin que je vois plus tes moulures... allez ! fais pas la tête ! reviens ! je voulais pas te vexer... pourquoi est-ce que le soleil s’en va lui aussi ?... hé ! ça suffit ! j’en ai marre de la magie !... j’ai la nausée, vous êtes contents ?... mais j’y suis ! c’est pas d’la magie, c’est une descente aux enfers tout ce qu’il y a de plus authentique !... génial ! moi qui ai toujours rêvé de serrer la pince à Lucifer !... diantre ! c’est d’un profond...
— Merci de me laisser enfin m’exprimer, cela fait trop longtemps que cette conversation est différée. Cher spectateur, je vais me livrer au difficile exercice du soliloque devant tes yeux ahuris. J’hésite à parler de soliloque, car je vais en fait participer à un dialogue avec moi-même. Mais comme je serai seul à parler avec moi-même, tu n’entendras qu’un seul personnage, et en dépit des efforts que je vais faire pour prendre deux voix différentes, je me vois contraint d’appeler cela un soliloque. Ce n’est donc pas un discours. Bien ! Je crois que tout le monde est prêt, on peut commencer. Je me présente : Pierre, Paul ou Jacques, cela dépend de mon humeur. Pour me reconnaître, c’est très simple : j’ai une voix brisée par l’émotion et presse ce revolver contre ma tempe. Je n’ai certainement pas besoin de préciser que je suis sur le point de me suicider, l’expression désespérée de mon visage l’exprime assez clairement. Pourquoi me suicider ? Mais parce que c’est le moteur dramatique même de cette pièce de théâtre ! Tout l’intérêt réside dans la lutte que je me livre pour m’empêcher d’appuyer sur la détente. Mon rôle est de démontrer pour quelles raisons on peut être poussé à trancher le fil de sa propre vie, acte pourtant prohibé par l’Église.
— Et moi naturellement, j’ai pour mission de démontrer le contraire et de me dissuader de quitter lâchement notre monde. Je me présente : Pierre, Paul ou Jacques, suivant l’humeur précédemment choisie. Pour éviter toute confusion avec moi – enfin ! l’autre ! – je retire le canon du revolver de ma tempe et le laisse pendre le long de ma jambe droite. En outre, ma voix est parfaitement assurée, avec un soupçon de paternalisme bienveillant dans le ton. Mais je t’en prie, commence donc, le public s’impatiente de nous voir tourner en rond.