PRÉSENTATION
Germain Rœsz, né en 1949, conjugue la pratique des arts plastiques, de la poésie et de la recherche théorique. Une expérience traumatique, à l’âge de 15 ans, le fait naître à la peinture et à la poésie. Lorsque le philosophe Jean-Louis Déotte dit que « La peinture de Germain Roesz provient de la nuit » on peut aisément le penser aussi pour sa poésie. Mais si elle nait d’une douleur réelle elle se faufile dans l’entaille que fait la lumière. Elle se construit aussi sur ce sentiment de mettre une distance, de se tenir dans la langue comme on tiendrait debout le corps, comme pour une langue qui se mettrait à re-marcher. Il fera en ce domaine, comme dans d’autres, un apprentissage boulimique, des lectures multiples, poésie bien sûr toujours, romans, textes théoriques. Il manifeste un intérêt dès le plus jeune âge pour ce qu’on appelle sûrement trop rapidement une poésie expérimentale historique (K. Schwitters, H. Arp, B. Réquichot, E. Jandl) puis se tient près de poètes contemporains, des amis souvent (Bernard Heidzieck, Patrick Beurard Valdoye, Patrick Dubost, Jacques Goorma, Bernard Vargaftig qui fut un de ses premiers lecteurs, attentif, exigeant).
Pour lui, il s’agit de mots qu’on assemble, qu’on retient, qu’on triture. Il s’agit de phrases qu’on entrevoit, qu’on imagine et puis qui ‘nous’ portent vers un autre horizon. Il s’agit d’un sens déjà-là et d’un sens à venir, à saisir, qui augmente le rapport que nous entretenons entre le corps et l’esprit (dans ce sens l’une de ses expositions a pris pour titre « l’origine à venir »).
Ses textes poétiques viennent d’une intériorisation du vivre, de la douleur comme expérience et d’une rencontre avec les horreurs et les joies du monde. Les textes viennent de ses engagements artistiques, politiques et de la manière dont il conçoit une forme qu’il appelle une pensée. C’est pour cela que parfois le texte est murmure, scansion, développement d’une joie soudaine ou vécue, d’une colère, du ressenti d’un climat, d’un vent, d’une tempête, d’une chaleur et d’un froid. Ecrire dit-il « c’est être traversé, se tenir au seuil et accepter de recevoir les ondes venant de toutes parts, mais écrire c’est surtout choisir dans ce tas, dans ce magma pour en extirper quelque chose qui nous grandit. Ecrire ce n’est pas tout dire, au sens de tout montrer, c’est mettre une parcelle d’infini au-dessus de l’ordinaire du monde. L’ordinaire n’est pas à écarter, mais à modifier. L’imaginaire s’en charge ».
Le philosophe Daniel Payot dit de Germain Roesz (pour une présentation dans la revue Bacchanales en 2016) : « Toute l’œuvre plastique et poétique de Germain Roesz témoigne d’une générosité étonnamment dynamique dans ses adresses au monde extérieur. Couleurs et paroles, matières et exclamations débordent, éclatent en coulures, cris et taches. Mais c’est comme si dans le montrer planait la menace d’une réduction de la singularité à une forme conventionnelle, sagement apprêtée, obéissante, conforme à ce qui est attendu d’elle. Pour la déjouer, l’envoi se fait sortie violente, expression intempestive. Mais il ne se satisfait pas non plus de ses ruades. La subjectivité qui s’exprime est impatiente, mais elle se sait aussi tenue par l’adresse qu’elle profère : la couleur, la parole ne manifestent pas seulement la puissance créatrice du sujet, elles abritent des visages de choses et d’êtres qui, autres, étrangers, préexistants, les inspirent et motivent. Le créateur est au départ de l’adresse, mais avant le départ il y a déjà tous ces autres, et le départ, la création, sont déjà des réponses. Avant l’envoi, avant les couleurs et les paroles jetées, il y a un envoi autre, sans figure, sans nom, auquel celui-ci fait écho. C’est pourquoi l’œuvre de Germain Roesz est envahie par l’idée de la trace, par la dimension d’une mémoire qui n’est pas répétition d’un déjà connu, mais plongée dans l’infiguré. La trace est la forme que prend la générosité quand elle offre à l’altérité infinie de ses destinataires des matérialités d’avant les formes. Ce qui se donne à lire dans les couleurs et dans les textes, ce sont des réminiscences indéchiffrables, des survivances d’actes oubliées, des reliquats d’expériences enfouies. (…) »
Son travail poétique, en tous les cas dans l’horizon des contenus et des références, se tient dans la notation des traces de l’existence, de l’existant et dans l’expression parfois fiévreuse de l’urgence.
Les textes qui font le recueil Broussailles/Reflets (musique Gaëtan Gromer, un CD accompagne l’ouvrage, Les éditions 2.2, 2015) sont de cette aune dans des tonalités singulières à chaque fois.
Broussailles est comme une sève qui monte et qui parle de l’amour, de l’arrêt, de la stupéfaction, de la sidération, de la langue et de ce que la langue dénoue.
Une phrase contient le monde je la saisis je la donnerai à voir vous allez ouvrir le monde c’est une phrase simple qui parle dans l’année qui vient c’est une phrase qui dessine sur des monticules de sable c’est une clef c’est une phrase qui crache à l’orée des nuages c’est une phrase douce qui marche sur la limpidité des lèvres c’est une phrase triste qui s’engouffre dans la moiteur du jour c’est une phrase utile que tu oublieras dès que la porte sera fermée c’est une phrase qui bégaye comme un sentiment d’incertitude c’est une phrase sur le visage de mon père c’est une phrase terrible qui porte un mauvais présage c’est une phrase creusée sur la catapulte du temps c’est une phrase nue juste nue dans la douleur de vivre c’est une phrase qui chante…..
Tâârti square behest-e-zahr ã Tehran parle une ville, sa trépidation en nous, ses bruits, ses clameurs, les migrations forcées, sa force et les peurs que cela produit.
…d’une odeur âcre empoisonnent la ville la couvrent la rongent d’un gris coloré la chute d’un train qui patine, qui ne s’arrête jamais brouhaha convulsif.
Klaxons votifs rugissants amples grinçants agressifs, brefs chauffeurs placides vrombissement d’un V8 d’avant la guerre d’un V6 camionnette poussive crachoteuse malade, éructation de l’écume nappe de brume.
Klaxons aigres, venant de loin de très loin du dedans et du dehors de la ville qui insistent qui s’amplifient qui disparaissent dans le flot tumultueux de la circulation qui reviennent orchestre qui s’ébroue 100 coups dans le même temps marteau sans maître synchronie déchirante appuis éperdus continuum lancinant murmure…
Krisis est un texte pour la voix, pour le cri, pour que les forces du mal soient mises en échec par la violence même du geste poétique. C’est un refus des armes, des guerres, des maltraitances, des mensonges, mais ce n’est pas le refus du combat. Ecrire ce n’est pas décrire. Ecrire c’est trembler le corps avec le corps du monde, c’est être seuil soi-même.
Roussi ça sent le roussi
Des nuages ruissellent
des montagnes grises
un vent fracassant
Une lumière presque jaune soufre
(
musique plus stridente
)
Ça s’accumule
(
en fait, venir de l’extérieur avec une table et des verres et de la vaisselle et faire tomber la table
)
Crisis cris latin cri j’en perds mon latin cri mani mani manipulation mani mani manifestation grave grave maladie maladie
Maladie grave
Mais Mais grec krisis cris jugement décision
Par paroxysme des souffrances des incertitudes
Pas d’équilibre
Dégradation brutale
Je suis je gaie je pleure
Je brutale
Je récesse je dépresse
Je dégrade j’économique
A A A
(
lancer 3 assiettes dehors selon la géographie des lieux
)
J’inadéquate je manifeste
Je krach je bourse je crise
Rhin par-dessus le ciel est de cette connivence avec le fleuve bien sûr mais davantage avec l’histoire qui nous traverse. Germain Roesz parle souvent de cette rhénanité qui le fait vivre, peindre, comprendre les couleurs de Grünewald et de Schongauer, de pouvoir relire Hugo dans son voyage sur le Rhin, de voir que la langue entremêle la langue, comme un serpent joyeux qui lèche les falaises et les villes jusqu’à la mer ; de relire Rilke infiniment pour cet espace qu’il crée entre le dehors et le dedans.
Torrents englués roulants ruants rugissants torrents rougissants au centre de la source ronce des eaux alpestres Hinterheim Vorderrheim Aar ruée sur Bâle ballots gerbes noires fagots d’étincelles d’eaux boue originelle engloutie dans des auges glaciaires qui pointent le domaine hercynien qui rognent depuis toujours ce passage entre Alb souabe et Jura qui montrent du doigt des fées scintillantes la plaine qui s’étend la patine qui serpente qui épouse le flot le fleuve la fleur coulante la sève dans l’os des pentes les vignes et les raisins vins tumultueux où sautent mes brochets de l’enfance jamais vu ce poisson comme un dieu que pêchait mon grand-père dans l’île rusée saute d’humeur sandres du soir c’est l’Ill qui m’a appris le Rhin, c’est l’Ill qui pointait le long des cordages d’Andolsheim sa brèche dans la rive du sud le lin qui s’étire à contre sens du fleuve les maisons au loin anxieuses dans l’attente de la vague de l’eau qui coule dans les ruelles c’est l’Ill qui m’a conté le Rhin souterrain…
Je sais ma langue dans la langue est de trouver dans le souffle, dans l’épuisement et dans la renaissance une trace à reconstruire.
Nous y sommes parle de ce que beaucoup ne voient pas, de cette terreur rampante qui se met en place, de ces discours xénophobes qui nous disqualifient comme humains.
J’ai rêvé se tient comme une utopie que nous pourrions partager.
Commencer c’est ne pas finir, se tenir en tête et dire, à chaque fois, la densité toute nouvelle de notre curiosité. Trembler encore.
Germain Roesz est professeur émérite (en théorie, pratique et sciences des arts) de l’université de Strasbourg. Il a dirigé une vingtaine de doctorat. Il a publié plus de 50 ouvrages ou contributions en théories picturales, et une trentaine en poésie. Il tente, dans un esprit de cohérence, de saisir -dans la peinture et la poésie- un espace qui est sa propre matrice, qui ouvre le monde. Sa poésie confronte des expérimentations sur la langue, sur le fragment face à une plongée dans l’intériorité des choses, un soulèvement des origines et l’émergence d’une trace qui fait monde.
Dans le champ strictement poétique, il réalise depuis 1994 des performances poétiques : lectures poésie/action avec des musiciens contemporains (Pierre Seidler, Christophe Rieger, Gaétan Gromer), avec L’épongistes (Robic/Rœsz) ou en solo. Comme dit plus haut une trentaine de livres jalonne son parcours poétique (parfois réalisés avec des ami(e)s poètes et philosophes) chez différents éditeurs (éditions Voix ; Do Bentzinger ; Poïen ; Lieux-Dits ; Barde la Lézarde, Lire Objet, c’est la faute aux copies, Ed. Jean-Pierre Hugnet, Le bruit des autres), de nombreux textes dans des revues (Bacchanales, RAL, Ollave préoccupations, Mou de veau, Boxon, Action poétique, Faire Part, la main millénaire).
Il est né à Colmar, vit et travaille à Paris et Strasbourg. Son travail plastique est représenté par la Galerie Cour Carrée à Paris, la Galerie Jean Greset/Zéro l’Infini à Etuz, la Galerie Jean-François Kaiser à Strasbourg et la Galerie éditions Bucciali à Colmar.
Pour lui, il s’agit de mots qu’on assemble, qu’on retient, qu’on triture. Il s’agit de phrases qu’on entrevoit, qu’on imagine et puis qui ‘nous’ portent vers un autre horizon. Il s’agit d’un sens déjà-là et d’un sens à venir, à saisir, qui augmente le rapport que nous entretenons entre le corps et l’esprit (dans ce sens l’une de ses expositions a pris pour titre « l’origine à venir »).
Ses textes poétiques viennent d’une intériorisation du vivre, de la douleur comme expérience et d’une rencontre avec les horreurs et les joies du monde. Les textes viennent de ses engagements artistiques, politiques et de la manière dont il conçoit une forme qu’il appelle une pensée. C’est pour cela que parfois le texte est murmure, scansion, développement d’une joie soudaine ou vécue, d’une colère, du ressenti d’un climat, d’un vent, d’une tempête, d’une chaleur et d’un froid. Ecrire dit-il « c’est être traversé, se tenir au seuil et accepter de recevoir les ondes venant de toutes parts, mais écrire c’est surtout choisir dans ce tas, dans ce magma pour en extirper quelque chose qui nous grandit. Ecrire ce n’est pas tout dire, au sens de tout montrer, c’est mettre une parcelle d’infini au-dessus de l’ordinaire du monde. L’ordinaire n’est pas à écarter, mais à modifier. L’imaginaire s’en charge ».
Le philosophe Daniel Payot dit de Germain Roesz (pour une présentation dans la revue Bacchanales en 2016) : « Toute l’œuvre plastique et poétique de Germain Roesz témoigne d’une générosité étonnamment dynamique dans ses adresses au monde extérieur. Couleurs et paroles, matières et exclamations débordent, éclatent en coulures, cris et taches. Mais c’est comme si dans le montrer planait la menace d’une réduction de la singularité à une forme conventionnelle, sagement apprêtée, obéissante, conforme à ce qui est attendu d’elle. Pour la déjouer, l’envoi se fait sortie violente, expression intempestive. Mais il ne se satisfait pas non plus de ses ruades. La subjectivité qui s’exprime est impatiente, mais elle se sait aussi tenue par l’adresse qu’elle profère : la couleur, la parole ne manifestent pas seulement la puissance créatrice du sujet, elles abritent des visages de choses et d’êtres qui, autres, étrangers, préexistants, les inspirent et motivent. Le créateur est au départ de l’adresse, mais avant le départ il y a déjà tous ces autres, et le départ, la création, sont déjà des réponses. Avant l’envoi, avant les couleurs et les paroles jetées, il y a un envoi autre, sans figure, sans nom, auquel celui-ci fait écho. C’est pourquoi l’œuvre de Germain Roesz est envahie par l’idée de la trace, par la dimension d’une mémoire qui n’est pas répétition d’un déjà connu, mais plongée dans l’infiguré. La trace est la forme que prend la générosité quand elle offre à l’altérité infinie de ses destinataires des matérialités d’avant les formes. Ce qui se donne à lire dans les couleurs et dans les textes, ce sont des réminiscences indéchiffrables, des survivances d’actes oubliées, des reliquats d’expériences enfouies. (…) »
Son travail poétique, en tous les cas dans l’horizon des contenus et des références, se tient dans la notation des traces de l’existence, de l’existant et dans l’expression parfois fiévreuse de l’urgence.
Les textes qui font le recueil Broussailles/Reflets (musique Gaëtan Gromer, un CD accompagne l’ouvrage, Les éditions 2.2, 2015) sont de cette aune dans des tonalités singulières à chaque fois.
Broussailles est comme une sève qui monte et qui parle de l’amour, de l’arrêt, de la stupéfaction, de la sidération, de la langue et de ce que la langue dénoue.
Une phrase contient le monde je la saisis je la donnerai à voir vous allez ouvrir le monde c’est une phrase simple qui parle dans l’année qui vient c’est une phrase qui dessine sur des monticules de sable c’est une clef c’est une phrase qui crache à l’orée des nuages c’est une phrase douce qui marche sur la limpidité des lèvres c’est une phrase triste qui s’engouffre dans la moiteur du jour c’est une phrase utile que tu oublieras dès que la porte sera fermée c’est une phrase qui bégaye comme un sentiment d’incertitude c’est une phrase sur le visage de mon père c’est une phrase terrible qui porte un mauvais présage c’est une phrase creusée sur la catapulte du temps c’est une phrase nue juste nue dans la douleur de vivre c’est une phrase qui chante…..
Tâârti square behest-e-zahr ã Tehran parle une ville, sa trépidation en nous, ses bruits, ses clameurs, les migrations forcées, sa force et les peurs que cela produit.
…d’une odeur âcre empoisonnent la ville la couvrent la rongent d’un gris coloré la chute d’un train qui patine, qui ne s’arrête jamais brouhaha convulsif.
Klaxons votifs rugissants amples grinçants agressifs, brefs chauffeurs placides vrombissement d’un V8 d’avant la guerre d’un V6 camionnette poussive crachoteuse malade, éructation de l’écume nappe de brume.
Klaxons aigres, venant de loin de très loin du dedans et du dehors de la ville qui insistent qui s’amplifient qui disparaissent dans le flot tumultueux de la circulation qui reviennent orchestre qui s’ébroue 100 coups dans le même temps marteau sans maître synchronie déchirante appuis éperdus continuum lancinant murmure…
Krisis est un texte pour la voix, pour le cri, pour que les forces du mal soient mises en échec par la violence même du geste poétique. C’est un refus des armes, des guerres, des maltraitances, des mensonges, mais ce n’est pas le refus du combat. Ecrire ce n’est pas décrire. Ecrire c’est trembler le corps avec le corps du monde, c’est être seuil soi-même.
Roussi ça sent le roussi
Des nuages ruissellent
des montagnes grises
un vent fracassant
Une lumière presque jaune soufre
(
musique plus stridente
)
Ça s’accumule
(
en fait, venir de l’extérieur avec une table et des verres et de la vaisselle et faire tomber la table
)
Crisis cris latin cri j’en perds mon latin cri mani mani manipulation mani mani manifestation grave grave maladie maladie
Maladie grave
Mais Mais grec krisis cris jugement décision
Par paroxysme des souffrances des incertitudes
Pas d’équilibre
Dégradation brutale
Je suis je gaie je pleure
Je brutale
Je récesse je dépresse
Je dégrade j’économique
A A A
(
lancer 3 assiettes dehors selon la géographie des lieux
)
J’inadéquate je manifeste
Je krach je bourse je crise
Rhin par-dessus le ciel est de cette connivence avec le fleuve bien sûr mais davantage avec l’histoire qui nous traverse. Germain Roesz parle souvent de cette rhénanité qui le fait vivre, peindre, comprendre les couleurs de Grünewald et de Schongauer, de pouvoir relire Hugo dans son voyage sur le Rhin, de voir que la langue entremêle la langue, comme un serpent joyeux qui lèche les falaises et les villes jusqu’à la mer ; de relire Rilke infiniment pour cet espace qu’il crée entre le dehors et le dedans.
Torrents englués roulants ruants rugissants torrents rougissants au centre de la source ronce des eaux alpestres Hinterheim Vorderrheim Aar ruée sur Bâle ballots gerbes noires fagots d’étincelles d’eaux boue originelle engloutie dans des auges glaciaires qui pointent le domaine hercynien qui rognent depuis toujours ce passage entre Alb souabe et Jura qui montrent du doigt des fées scintillantes la plaine qui s’étend la patine qui serpente qui épouse le flot le fleuve la fleur coulante la sève dans l’os des pentes les vignes et les raisins vins tumultueux où sautent mes brochets de l’enfance jamais vu ce poisson comme un dieu que pêchait mon grand-père dans l’île rusée saute d’humeur sandres du soir c’est l’Ill qui m’a appris le Rhin, c’est l’Ill qui pointait le long des cordages d’Andolsheim sa brèche dans la rive du sud le lin qui s’étire à contre sens du fleuve les maisons au loin anxieuses dans l’attente de la vague de l’eau qui coule dans les ruelles c’est l’Ill qui m’a conté le Rhin souterrain…
Je sais ma langue dans la langue est de trouver dans le souffle, dans l’épuisement et dans la renaissance une trace à reconstruire.
Nous y sommes parle de ce que beaucoup ne voient pas, de cette terreur rampante qui se met en place, de ces discours xénophobes qui nous disqualifient comme humains.
J’ai rêvé se tient comme une utopie que nous pourrions partager.
Commencer c’est ne pas finir, se tenir en tête et dire, à chaque fois, la densité toute nouvelle de notre curiosité. Trembler encore.
Germain Roesz est professeur émérite (en théorie, pratique et sciences des arts) de l’université de Strasbourg. Il a dirigé une vingtaine de doctorat. Il a publié plus de 50 ouvrages ou contributions en théories picturales, et une trentaine en poésie. Il tente, dans un esprit de cohérence, de saisir -dans la peinture et la poésie- un espace qui est sa propre matrice, qui ouvre le monde. Sa poésie confronte des expérimentations sur la langue, sur le fragment face à une plongée dans l’intériorité des choses, un soulèvement des origines et l’émergence d’une trace qui fait monde.
Dans le champ strictement poétique, il réalise depuis 1994 des performances poétiques : lectures poésie/action avec des musiciens contemporains (Pierre Seidler, Christophe Rieger, Gaétan Gromer), avec L’épongistes (Robic/Rœsz) ou en solo. Comme dit plus haut une trentaine de livres jalonne son parcours poétique (parfois réalisés avec des ami(e)s poètes et philosophes) chez différents éditeurs (éditions Voix ; Do Bentzinger ; Poïen ; Lieux-Dits ; Barde la Lézarde, Lire Objet, c’est la faute aux copies, Ed. Jean-Pierre Hugnet, Le bruit des autres), de nombreux textes dans des revues (Bacchanales, RAL, Ollave préoccupations, Mou de veau, Boxon, Action poétique, Faire Part, la main millénaire).
Il est né à Colmar, vit et travaille à Paris et Strasbourg. Son travail plastique est représenté par la Galerie Cour Carrée à Paris, la Galerie Jean Greset/Zéro l’Infini à Etuz, la Galerie Jean-François Kaiser à Strasbourg et la Galerie éditions Bucciali à Colmar.
BIOBLIOGRAPHIE
Bibliographie :
- Son premier ouvrage poétique Die Tränen der Traüme, Coéd. Voix R. Meier/Galerie Jade, paraît en 1985
- Orques du désert, pour des dessins d'A. Scholtes, Editions Voix R. Meier, 1986
- DEUX L'AUTOPORTRAIT, textes et gravures G. Rœsz et S. Villaume, Editions Lieux-Dits, 1995
- Tourne-Rond, Lieux-Dits Editions, 1996.
- Entrelacs, Discours G. Rœsz, Figure C. Gagean, Cahiers d'artistes, Edition Lire Objet, Avril 1999.
- T’erre, texte et dessins G. Rœsz, coll. Bas de Page, Lieux-Dits éditions, 2001
- SPIEL JE SPIEGEL JEU ICH, cahiers parallèles, Lieux-Dits, 2002
- Je les connais Memsel Ya je les connais non non (100 modèles pour exprimer votre joie), éditions C’est la faute aux copies, Rouen, 2003.
- Il. dit c’est un poème d’amour, avec des photographies d’Henri Maccheroni et Pascal Roulet, Ipsa Facta, Paris, 2005
- Broussailles, coll. Bas de Page, éditions Lieux-Dits, 2005
- Diastole Systole, livre sérigraphié avec des dessins d’Aurélie Gaillard, texte de Nicolas Jouvenceau, poèmes chauds et froids de G. Rœsz, Ed. Jean-Pierre Hugnet, Saint Julien Molin Molette, 2005
- Projet DessEins, 16 livres avec Patrick Beurard Valdoye, Jean-Pierre Bobillot, Jean de Breyne, Odile Cohen-Abbas, Patrick Dubost, Joël Frémiot, Jacques Goorma, Didier Guth, Gaston Jung, Gilbert Lascault, Henri Maccheroni, Jean-François Robic, Anne-Marie Soulier, Bernard Vargaftig, Sylvie Villaume, janvier 2006 à 2007
- Vent du silence, édition Poïein, 2007
- Bistrot Lorgnette Bistrot lorgné, collection Vents contraires, éditions Voix, 2008
- L’éclat rouge, un peu de Colmar, éd. J. Do.Bentzinger, 2009, Colmar
- Rouge poème, éditions Barde la Lézarde, Paris, 2011
- Les pochades du pochoir, édition Poïen, 2011
- Rédaction du numéro 33 de la revue L’Ollave préoccupations, Chute / Chut, juin 2011, avec I.-B. Howald, P. Beurard-Valdoye, E. Bonnet, P. Dubost, J. Frémiot, J. Goorma, J.-L. Hess, H. Maccheroni, D. Le Sergent, J.-P. Pincemin, J.-F. Robic, S. Taheri, B. Vargaftig, S. Villaume
- Endlichkeit, livre d’artiste, 200 exemplaires, photographies de Françoise Saur, texte Dans la lumière de l’arrachement de Germain Rœsz, sept. 2011
- Les témoignages apocryphes, texte à quatre mains Gilbert Lascaux et Germain Rœsz, dessins S. Villaume, éd. Desseins Lieux-Dits
- L’écrit des nuages, je l’écris sur les franges du ciel, coll. Bas de page, Lieux Dits, juin 2012
- ; Embrassons-nous, on ne sait jamais, poésie, Le bruit des autres éditions, Limoges, 2014
Broussailles/Reflets, poèmes Germain Roesz, musique Gaëtan Gromer, un CD accompagne l’ouvrage, Les éditions 2.2, 2015
RAL, Revue alsacienne de littérature, thème Jeu, texte de G. Roesz et dessins en duos avec Elham Etemadi, juin 2015
Bacchanales N° 56, il réalise 75 dessins pour ce numéro consacré à la poésie et au cinéma, 2016
Préface D’une poésie plasticienne, pour l’ouvrage Une incertaine poésie, Jean-Pierre Brigaudiot et Gérard Mélis, collection espace dess(e)ins, Esthétiques, L’Harmattan, 2016.
L’entaille de la lumière, catalogue de l’exposition Hôtel Dieu de Tonnerre, textes Jean-Louis Déotte, Germain Roesz, 2016
- Son premier ouvrage poétique Die Tränen der Traüme, Coéd. Voix R. Meier/Galerie Jade, paraît en 1985
- Orques du désert, pour des dessins d'A. Scholtes, Editions Voix R. Meier, 1986
- DEUX L'AUTOPORTRAIT, textes et gravures G. Rœsz et S. Villaume, Editions Lieux-Dits, 1995
- Tourne-Rond, Lieux-Dits Editions, 1996.
- Entrelacs, Discours G. Rœsz, Figure C. Gagean, Cahiers d'artistes, Edition Lire Objet, Avril 1999.
- T’erre, texte et dessins G. Rœsz, coll. Bas de Page, Lieux-Dits éditions, 2001
- SPIEL JE SPIEGEL JEU ICH, cahiers parallèles, Lieux-Dits, 2002
- Je les connais Memsel Ya je les connais non non (100 modèles pour exprimer votre joie), éditions C’est la faute aux copies, Rouen, 2003.
- Il. dit c’est un poème d’amour, avec des photographies d’Henri Maccheroni et Pascal Roulet, Ipsa Facta, Paris, 2005
- Broussailles, coll. Bas de Page, éditions Lieux-Dits, 2005
- Diastole Systole, livre sérigraphié avec des dessins d’Aurélie Gaillard, texte de Nicolas Jouvenceau, poèmes chauds et froids de G. Rœsz, Ed. Jean-Pierre Hugnet, Saint Julien Molin Molette, 2005
- Projet DessEins, 16 livres avec Patrick Beurard Valdoye, Jean-Pierre Bobillot, Jean de Breyne, Odile Cohen-Abbas, Patrick Dubost, Joël Frémiot, Jacques Goorma, Didier Guth, Gaston Jung, Gilbert Lascault, Henri Maccheroni, Jean-François Robic, Anne-Marie Soulier, Bernard Vargaftig, Sylvie Villaume, janvier 2006 à 2007
- Vent du silence, édition Poïein, 2007
- Bistrot Lorgnette Bistrot lorgné, collection Vents contraires, éditions Voix, 2008
- L’éclat rouge, un peu de Colmar, éd. J. Do.Bentzinger, 2009, Colmar
- Rouge poème, éditions Barde la Lézarde, Paris, 2011
- Les pochades du pochoir, édition Poïen, 2011
- Rédaction du numéro 33 de la revue L’Ollave préoccupations, Chute / Chut, juin 2011, avec I.-B. Howald, P. Beurard-Valdoye, E. Bonnet, P. Dubost, J. Frémiot, J. Goorma, J.-L. Hess, H. Maccheroni, D. Le Sergent, J.-P. Pincemin, J.-F. Robic, S. Taheri, B. Vargaftig, S. Villaume
- Endlichkeit, livre d’artiste, 200 exemplaires, photographies de Françoise Saur, texte Dans la lumière de l’arrachement de Germain Rœsz, sept. 2011
- Les témoignages apocryphes, texte à quatre mains Gilbert Lascaux et Germain Rœsz, dessins S. Villaume, éd. Desseins Lieux-Dits
- L’écrit des nuages, je l’écris sur les franges du ciel, coll. Bas de page, Lieux Dits, juin 2012
- ; Embrassons-nous, on ne sait jamais, poésie, Le bruit des autres éditions, Limoges, 2014
Broussailles/Reflets, poèmes Germain Roesz, musique Gaëtan Gromer, un CD accompagne l’ouvrage, Les éditions 2.2, 2015
RAL, Revue alsacienne de littérature, thème Jeu, texte de G. Roesz et dessins en duos avec Elham Etemadi, juin 2015
Bacchanales N° 56, il réalise 75 dessins pour ce numéro consacré à la poésie et au cinéma, 2016
Préface D’une poésie plasticienne, pour l’ouvrage Une incertaine poésie, Jean-Pierre Brigaudiot et Gérard Mélis, collection espace dess(e)ins, Esthétiques, L’Harmattan, 2016.
L’entaille de la lumière, catalogue de l’exposition Hôtel Dieu de Tonnerre, textes Jean-Louis Déotte, Germain Roesz, 2016
EXTRAITS DE TEXTES
Il. dit c’est un poème d’amour (publié chez Ipsa facta en 2005 avec des photographies d’Henri Maccheroni), Extrait.
Comment dire l’amour le temps de l’amour la fin de l’amour comment éclairer les temps lumineux et ne pas tricher sur les défaites les oublis comment dire l’amour le temps de la tempête l’amour qui voyage qui rend à l’enfance comment dire ce qui rugit ce qui rougit ce qui cache ce qui éclaire le visage transperce le regard comment dire l’amour qui se partage qui se disloque qui se reloque qui s’oublie comment dire la parole qui bégaye l’interrogation des mains des yeux comment nourrir la prière comment saisir la friche sombre et les caresses inachevées comment l’amour s’écrit-il sur la pierre sur le lit d’amertume sur le froissement des éponges sur le sable trop grinçant comment ne pas tricher avec des mots trop faméliques trop tendres trop raides trop froids trop rêches comment dire les corps ensevelis noués de sueurs les effleurements des oiseaux blancs ou sombres comment dire l’impalpable étrangeté l’irraison continue la terreur narquoise comment dire l’amour dans sa langue dans ses voix dans ses cris comment dire l’amour dans son ingratitude dans sa mort dans sa coupure comment dire l’entaille du monde qui sépare depuis toujours comment dire l’hantise de l’amour le verbe muet le graffiti fortuit et les murs d’innocence comment dire encore comment le dire et pourquoi et pour qui et alors et aussi et pourtant comment le dire et le redire le cracher le recracher comment le marmonner comment le susurrer le satiner comment dire l’indicible éclat du jour que chacun un jour comment dire le poème de tous les poèmes de tous les jours de toutes les vies comment dire et le redire et pour commencer
.
Il. rassemble la prière
les étages sombres de la forêt roulent les yeux lourds
les loups rouent de coups les amants de passage
Dans la cabine surchauffée
toute nue
tu lèches la peau du monde
Prayer
ode en spray tu chutes
loins mes yeux noirs
.
Nue. toute. tu. lèches.
Nue. toute. tu. parles.
.
Il. vient Il. voit Il. vit Il. voile
Il. tue Il. tarde Il. triche
Il. ruse Il. rugit
.
La langue roque rogne la taverne braille chacun perce chacun ronge chacun tenaille pour prendre date
.
Il. lisse Il. rougit Il. bande Il. berce
Il. pense Il. force Il. présente
Il. travaille Il. épuise
Il. boude
.
La lanterne la langue terne crache sous les décombres chacun ronge sa tenaille
.
Il. encore Il. toujours Il. jamais Il. pourtant
Il. aime Il. hume Il. crache
Il. cache Il. revient
Il. détourne
.
La langueur râpe rosse frappe
.
malin qui dira comment la main s’égare
.
Il. tard Il. tôt Il. haut Il. tant
Il. rue Il. pâlit Il. occit
Il. arpente Il. saute
.
Berce le bégaiement berce gaiement la herse rousse qui roule le gai sillon
.
Il. le chemin Il. le ruisseau Il. le fleuve Il. la coulée
Il. la route sinueuse Il. la ruelle Il. le sanglot
.
La route plisse la nuit tarde la rue blanchit le fleuve bande le sanglot rougit le ruisseau détourne la ruelle hume le chemin aime
Il. saisit
.
une ombre au bord de l’eau une ombre dans l’onde fine une ombre encore qui fait son ombre
.
Il. plisse
.
Bretailles Batailles Bergailles Broutailles Bratailles Bizailles qui claquent clac des noms qui raclent clac démons des noms nous des noms vous qui sarclent vos nouveaux nez des noms pour jouer la guerre pour se rappeler la lutte dense dans le recoin de terre
vaille que vaille
.
Il. les paupières
Il. sous la salve Il. dans le regard Il. sous la pluie
Il. sur le champ
Quelle langue tu parles (publié dans la collection bas de page, Lieux Dits éditions, 2007
De la vie de la vie reprise Leben wieder de la vie une femme homme eine Frau auch Man typée juste dans l’angle du bistrot dans l’angle de vue regard sombre profond étrangère captivante la vie se reprend im Café im Ecke meines Gesicht
au départ je tourne le dos à la fenêtre juste recroquevillé vers l’intérieur aussi de moi-même juste intérieur dedans au loin dans le port un élan hiératique altier jusqu’à l’inquiétude peau sombre bustier rose imprimé de fleurs des bagues des braises Rosa Kleider mit Blumen rollende Perlen rote Haut
perles qui roulent
sur peau rouge
lenteur des gestes langsame Gesten Schon leicht berühren kleiner Bauch
déjà caresse
petit ventre
douceur d’avance im voraus Süße Illusion
Anschwemmung im toten Kopf
Illusion
Alluvions
alluvions déposés dans la tête meurtrie
.
D I S M O I C E Q U E T U P E N S E S
D I S M O I E N F I N
D I S T O I
Dis moi ce que tu penses
dis moi enfin
Dis toi
.
comment parler
quelle langue tu parles quelle langue te happe ?
quelle langue m’approchera de toi
quelle langue de moi
W E L C H E S P R A C H E I N M I C H
B E W E G T
welche Sprache in mich ?
Bouge bewegt
Rote Nagel gekrümmt
in mich
Abstand
Komm
Spreche deine Sprache
spreche in dich in mich
moove
in me
ongles rouges crochés
vers moi
recule
vient vers moi
recule
parle ta langue
empêtrée
en-pénétrée
Ich Ich liebe dich
dich liebe dich ich habe gesagt Du bist schön
Ich habe gesagt
Du bist gegangen
Ich bin geblieben
in der leichte Straße ich renne ich suche ich rufe
im Café zurück
ich habe dich nicht gefunden
Ich habe dich
ich nicht
Welche Sprache in mich
W E L C H E S P R A C H E I N M I C H
Texte donné pour la revue alsacienne de littérature en août 2006.
Poème pour l’écrire
C’est dans la nuit c’est dans le jour c’est dans la pièce exigüe c’est sur la place du marché que cela se déroule se propage s’inocule c’est dans la lumière c’est dans la ténèbre…
Hier soir
hier dans la nuit balafrée
ton regard indien
ta face femelle
la soie de lierre
Voilà la face noire
le gringalet le lâche le furieux le crieur le tendre
qui marche dans la ville
le hurleur le cancre le fouineur
voilà le dragueur les lieux humides les pauvres taudis
les sourires qui s’éteignent
je regarde à gauche à droite
et je fuis
C’est dans la paume de ta main sur l’enveloppe humide sur le carton du trottoir dans la tête engourdie que cela se lace se tournoie se pose…
Et crie
Ré
Et crie
musique note qui commence par Ré
parer pour écrire.
Ne pas commencer par Do
par Don comment séparer
Et crie
Ré
et cri Ra
et cri Ri
et cri Ro
Ecrire rare le garrot du limon dans les fleuves de la vie.
Une joute avec le son le mot l’autre mot le caractère une joute avec le sens.
Pour un début
Ainsi
C’est un pas qui avance lentement qui cherche le suivant c’est un mot qui bégaye c’est une phrase qui vient…
Pèlerinage sur les rivages verts.
Faut-il être emphatique ? Faut-il être sérieux ? Faut-il douter ? Faut-il connaître l’orthographe ? Faut-il faire des fautes de grammaire ? Faut-il du goût ? Du dégoût ? Faut-il se laver les mains avant de les tremper dans l’encre gluante ? Faut-il roter avant d’entrer à table ? Faut-il verser de l’huile sur les sardines ? Faut-il passer à France-Culture pour parler de son dernier livre ? Faut-il de la douleur pour commencer ? Faut-il rimer ? Faut-il mentir ? Faut-il la limpidité de ton regard ? Faut-il l’outrage ? Faut-il croire en quelque chose ? Faut-il enfreindre la loi ? Faut-il être minimal ? Faut-il être allusif ?
Faut-il que je regarde ce que j’écris ?
C’est une table remplie de miettes c’est un champ jonché de détritus c’est un tas jusqu’à l’informe c’est la mémoire qui terrasse c’est une ombre dans l’angle de la vue c’est une crevasse où le noir s’étiole…
{Dans un de mes carnets de 1982 :
Une grenade verte s'entre-ouvre sur le fronton du temple.
Danseuse. Samedi soir. Bistrots miteux.
J’insémine ma nuit du pouvoir de tes certitudes.
Je ne t'en veux pas.
Décente. Indécente.
Une femme épaisse qui ne rit pas suce ce que nous n'appelons pas une cannelle. L'écriture tourne autour de cet encrier vide. Urne où les cendres de l'enfance s'ancrent d'une nuit bleutée ? J'ai oublié et ne cherche qu'à dévoiler ce qu’indéfectiblement je cache.
Nous ne sommes pas assez nus. Mes vices valent mes vertus et l'écriture ne confesse rien.}
Je regarde à nouveau je monte sur une chaise pour regarder plus loin je regarde plus loin et je vois les murs de ma prison.
Je sais que je ne vois plus la chaise si près je sais que la chaise est le seul socle qui me permet de voir plus loin. J’écris que je vois plus loin grâce à la chaise et même si je ne vois qu’un mur.
Faut-il que je dessine une chaise sur le mur pour saisir un horizon ?
Faut-il écrire pour panser la faille en nous
pour l’ouvrir davantage
écrire pour ouvrir la faille de l’autre
écrire pour fouiller
écrire pour arrêter l’hémorragie ?
Enfant je n’avais pas peur de plonger ma main dans un seau de sang.
Ecrire pour que l’autre se saisisse de la faille en nous.
C’est un plissement de la lumière c’est une main gantée d’or c’est un conte qui garde son secret…
J’écris comme je dessine je dessine comme je vis je tremble comme je respire je trace comme une mémoire comme un exercice comme une balle que je lance j’écris comme je remue la queue comme un impromptu mental je dessine comme j’use la corde je frappe comme je tombe des riens des bouts des lacets qui nous garrottent.
J’écris parce que cela approche de la gueule noire de la broyeuse éternelle j’écris pour saisir les choses banales j’écris pour ne pas suspendre l’inutile.
C’est un jeu c’est je qui joue c’est un danger c’est une lame qui tranche la corde qui nous tient debout c’est une impertinence c’est un oubli…
Nous sommes le 14 juillet nous sommes le 14 et je l’écris cela ne change rien. Des robes virevoltent sur les pavés, font croire à la beauté, des pavés je t’en foutrais j’écris des pavés je t’en foutrais vilaines jambes vilaines têtes c’est pour cela que j’écris.
Sans savoir que j’écris.
Je suis à une terrasse je suis posté à une terrasse de café « c’est la place ou nous étions, tu te souviens ? ». Je suis terrassé par l’émotion. Je pleure en public, j’écris je pleure en public comme un ami poète.
Je rêve je rêve à quoi ? Je rêve aux images qui s’effritent. Nuits aux cris d’oiseaux
35° dans la chambre la chaise fond et je rêve banalement qu’il neige en été.
Ecrire comme un rêve qui s’approche du vivant, du tangible.
À chaque fois ce que l’on regarde est un texte est un dessin est une absence et pourtant quand j’écris quand je dessine je ne regarde pas même ce que je dessine.
Je peins plutôt que je ne dessine. Ma peinture est un dessin continu, une phrase qui se trace d’elle-même qui se trouble et qui me coule dans la lave d’un fossé.
Ce n’est pas un plan
ce n’est pas
qu’un dessein.
En soi l’ennemi son meilleur ami.
Qui creuse si profond qui retourne la vase pour chercher la cendre.
C’est comme un trou qu’on escalade c’est comme une montagne qu’on dévale c’est comme une métaphore qu’on regrette…
Crire n’est pas la recherche brillante d’une formule
Crire… est le cul Crire… est la fesse Crire… est la fosse des tics Crire… est la fausse esthétique Crire… est le pu qui remonte Crire…
les facéties aussi les soties aussi les faces assises les mots galvaudés les repas déjetés le chaos dans l’ordre. Dés Jetés.
Crire pour mettre à bas les poncifs les guerres
Crire multiples fluants fluxants
Crire les germes et les anges et les monstres
Crire pour voir un peu à quoi on ressemble
L’âge venant l’écriture sert à voir. L’écriture est comme une chaise brinquebalante que la plume porte de pièce en pièce
Merci M’ssieurs Dames une pièce pour manger Crire pour inviter à sa table Crire pour sourire à l’enfant qui pleure Crire pour cuire au soleil Crire pour rogner les ragots du commerce Crire pour la mémoire pour l’avenir qui n’en a pas Crire pour ritiquer les malfaisants pour ritiquer les formules toutes faites Crire pour ritiquer les ritiques et le dire le dire à en crier le suc le soc le sec drôle et le dire encore en colère d’ IRE comme une île qui se tartine dans ton pot de nutella nue Stella dans ta robe de chambre l’écrire lui Crire sur la cuisse sur la lèvre lui peindre le cul et lui Crire à l’oreille Crire sur moi ce que tu veux
CrIRE
Crire sur la peur et Crire sur la foi et Crire sur l’ombre et Crire sur l’eau et Crire sur l’animal qui se débat et Crire sur la semoule et Crire sur le panier percé et Crire sur le bégaiement et CrIRE
Crire chaque mot fait l’affaire Crire Chips et rondelles et ruses et pubs et bêtises et larves et pets et merdes et caresses et baises et buses et belles et carcasse Crire dans le désordre et Crire dans la fugacité dans l’incendie
C’est un inventaire c’est une plongée dans l’orgueil noir c’est une brisure dans l’os du monde c’est une fleur qui s’étiole c’est le papillon qui vole c’est la buée qui épargne c’est le granit qui fait le sable…
Un arrêt un apprentissage
une brûlure
encore soleil
si fort si dru
Et Crire pour la pluie et Crire pour l’aube et Crire pour la solitude et Crire pour l’arc que fait le corps sur l’ordi et Crire comme on crève et Crire comme on rit et Crire comme on dort et Crire comme on grandit et Crire comme on aime et Crire comme on voyage
Sous la tête bandée
sous les yeux aveugles
sous le corps noir
Dans le sable de la plaie
une bouche qui s’entrouvre
une bouche qui échappe
un doigt qui frôle
À ma table de travail je m’observe je suis debout dans la pièce il n’y a qu’une table je tremble mon corps tremble de plus en plus mon corps se déplace juste grâce au tremblement je vois le déplacement de mon corps le tremblement s’intensifie le corps s’approche de la table il grimpe sur la table il s’arque il redescend de la table la main qui tremble s’accroche à la table le mouvement est continu pas un arrêt pas un sursaut juste le tremblement qui se déplace je regarde mon corps qui revient à sa place initiale toujours avec le même tremblement je prends mon stylo je tremble j’essaye de raconter ce que je viens d’observer je n’y arrive pas.
Un regard ne suffit pas.
Ecrire c’est dormir avec les anges et les loups. Ecrire c’est se terrer sur les galetas puants et les sentiers de roses. Ecrire c’est fouiller dans les poubelles et dans les paniers d’étrilles. Ecrire c’est lécher la bourrasque saisir la tempête et arracher l’orage. Ecrire c’est tremper sa tête dans le bouillon du monde dans la contrainte dans le sarcasme de l’hétérogénéité. Ecrire c’est peser le paradoxe et prendre plaisir aux orties.
Ecrire c’est réduire écrire c’est poser la mort sur le mur blanc.
Ecrire c’est écouter c’est renoncer c’est oser.
Elle est dans la piscine. Elle dit « je pense à rien, je dors ». Au matin on l’a retrouvée, noyée.
Ecrire c’est noter la rumeur écrire c’est serrer la gorge écrire c’est hurler.
Dans la piscine elle nage sur le dos. De temps en temps elle gémit. Plus tard elle sort de l’eau. La douche grince. Il n’y a plus d’eau chaude !
Ce jour là c’est la fin du monde et elle sait qu’il y en aura d’autres.
Doucement
Langsam
se couche la sueur vanillée
dans les distances se relient les âmes.
Le pan panique
pan pan sur la panique
la nique à la peur
petit toc du martoc toc petit toc toc martoc
Dans la cour un artisan martèle sa répétition
les sons viennent à travers la fenêtre, pimpon aussi sirène stridente
pimpante
Erschreckende Nacht
Wald so schwartz
Brücke so weit
Läppchen
Cela frappe comme une noix sur la verrière. Le ciel avait peur des bris et du bruit. Juste une note sèche, juste un écran qui fait voir le monde, un pan du monde. Juste le claquement des bombes.
C’est au péril de l’image c’est le matin sans jambes c’est le sanglot qui vient solitaire c’est le silence dans la démesure…
Je croise mes bras dans ton regard
je les croise sur la toile je les croise sur le ciel c’est rêche et brut bras en croix c’est rose et vert acide dans l’olive de la gorge
À toute heure cela prend des heures à toute heure cela saisit
là couché remuant attendant là debout chantant murmurant chaque heure prend des heures
chaque heure foudroie les heures qui viennent
À quoi sert d’extirper le dedans il suffit d’entrer dans le ventre à quoi sert de regarder le dedans il suffit de sentir sa fumée
Mélodies mélopées
larmes
chaleur des yeux
brûlure du cœur
Le mot se répète
la guitare s’échappe
qui s’estompe
Le chant qui grince qui plane qui dit l’amour qui dit l’azur
qui dit la savane qui dit les flèches qui dit le sorcier
J’en suis à demander à ma mère « met ton visage qui donna le mien »
Le mot que je prononce est comme un ennemi que je vois mourir. Mon ami « la mort nous embrasse à chaque parole ».
Un aveugle dans le bus se met à sourire. Fort. Puis il jubile.
Une chose
là qui clôture la chose là-bas
Quelque chose qui transforme la chose d’ici qui la trouble une baguette qui remue dans la chose là qui rampe sur le sol dans la prairie rousse un fil ferait l’affaire de la chose l’aiguille verte ainsi dressée sur la chose venteuse sur le chas qui plisse la faille ouverte
Dis ! quand donneras-tu un nom à la chose ?
Une fleur. Je te la donne. Ne la garde pas.
; On ne sait jamais, embrassons-nous. Extrait, (publié au Bruit des autres en 2014)
; Moi aussi
;
Est fait de seuils, de passages, de copeaux, de fragments. Un tout qui n’est jamais qu’épars.
Une bière me lèche les babines, mousse blanche. La mort lape le reste de temps.
; m’est d’avis que ….
Texte philosophique mais aussi sociologique mais aussi poétique mais aussi historique mais aussi à la première personne mais aussi avec un narrateur mais aussi avec une narratrice mais aussi avec du vrai et du faux mais aussi avec du tragique et du comique mais aussi dans le genre du roman mais aussi avec le refus de la narration mais aussi avec le refus de la linéarité mais aussi c’est comme un manifeste mais aussi c’est comme un contre-manifeste mais aussi c’est engagé mais aussi c’est décousu mais aussi parole de femme mais aussi geste de déchu mais aussi sentiment de gravité mais aussi encore la durée mais aussi l’urgence
Mais aussi
paré et désemparé
; il va de soi comme ronge l’antre
; ainsi rogne la pièce
: et assomme le cheval
; il branche l’étincelle
; elle porte la bière
; ils cardent l’écran
; pourtant couché sur le flanc de la montagne un ange craint le froid
; les images ne sont pas que des images
; elles aussi sont la langue d’un réel que portent les images
; comme le songe de l’éclair qui travaille en lui elle l’appelle doucement
; et roule le dos rond qui ronronne poétiquement
; pour casser le ciel sur le dôme du marché il faut de la persévérance
; pourtant, à flanc de coteau la vache bascule comme une outre remplie de vin
; les images appartiennent à l’image que nous sommes
On ne sait jamais, quittons cet endroit.
Pourquoi faudrait-il de l’espoir ou l’expression de la beauté et pourquoi faudrait-il s’abîmer dans les ténèbres ?
Sa main soulève la jupe. Elle se gratte lentement, doucement le haut de la jambe. Elle hésite, se demande jusqu’où va mon regard. Elle attend. Elle ne bouge pas sa main. Sa main sur le haut de sa cuisse jupe relevée, elle attend. Je regarde encore. Elle remonte sa main encore. La chaleur est intense comme une touffe noire dans l’air. Je regarde. Elle ne bouge plus à nouveau. Puis brusquement elle se lève. Elle s’en va, vite.
Je finis lentement ma bière.
Peut-être que l’année prochaine nous nous reverrons, peut-être que nous pourrons alors boire cette bière dont nous parlions. Peut-être me raconterez-vous votre nouveau travail. On ne sait jamais.
Peut-être que vous ferez ce long voyage dont vous parlez depuis tant d’années.
Peut-être que je vous accompagnerai.
; et ça dure tant et tant qu’elle n’y croyait plus
; mais ça ne grandit donc jamais
; le changement est évident mais comment le quantifier
; il ne faudrait pas le prendre pour argent comptant
; il ne faudrait pas oublier de lui rappeler
; il ne faudrait pas grand-chose
Sur le chemin du retour, quelle étrange formule, il me dit (je crois bien que cela s’est passé ainsi) : je serai bientôt de retour. Sur le chemin du retour il me disait donc cela. Sur le chemin du retour il était loin déjà, il était ailleurs et me parlait de son retour.
Serai-je présent ce jour là ?
; mais la mélancolie fonctionne différemment
; mais la travée était déserte et il se retrouvait seul avec l’émotion de l’ombre
; mais il croyait encore que la poésie était contenue dans les vers qu’il se répétait
; il va de soi que je lui en donnerai l’assurance, vous pouvez me croire
; rien ne nous contraint à nous revoir
; mais tout est possible
; mais tout est dans le possible
; moi, pour m’effrayer il ne faut pas grand-chose
; il faudrait allumer des cierges pour y voir plus clair
; mais comme cela sentait l’essence
; et encore je n’ose lui rappeler ce qu’il m’avait dit il y a bien longtemps
; tout cela est bien vague
Pour ne pas l’effrayer il faut des tonnes de précautions. Et je n’y suis jamais arrivé. Je frappe, je rentre dans la chambre. Elle a peur.
Voilà qu’elle me regarde, je vois ses lèvres qui remuent. Je crois qu’elle me parle. Je suis sûr qu’elle me parle. Je réponds oui. Elle se détourne en disant imbécile.
; c’est encore possible en empiétant sur son territoire
; mais voilà ce jour-là il était impossible
; mais voilà il n’y avait plus rien à faire
; mais enfin ils ne changeront jamais
; c’est ainsi qu’elle le rangea dans un tiroir
Pourquoi retourner sa langue deux ou trois ou quatre fois dans sa bouche ? Ce qui vient est ce qui doit être au plus près de ce que nous sommes. Deux amis associés en affaires sont avec nous au restaurant. Nous parlons. L’un d’entre eux raconte quelques anecdotes de travail. Puis citant X il dit lui aussi est excédé par l’association. Ainsi aussi prend une forme terrible. À côté de lui son associé rumine.
Un adverbe tout simple, si petit, peut faire basculer une vie. Aussi s’assombrir.
; aussi ai-je remarqué que la formule est frappante
; aussi faut-il que ce soit dit, une fois pour toutes
; aussi je me souviens de même
; aussi je ne m’en inquiète plus
Une fois pour toutes, parole de mort, parole définitive, dernière, parole pour toutes les paroles. Que ce soit dit. L’homme est-il si définitif ? Est-il tant mort ?
Il est aussi mort.
Temps mort
Comment avez-vous dit ? …… Non non la phrase précédente ! …… Ah, j’avais mal compris…..
Mais redites-le encore. Je ne suis pas sûr.
Je ne suis pas sûr
Comment pourrais-je vous rassurer ?
Cela ne finira donc jamais.
Ah mais non, rien n’est moins sûr !
Vous croyez ?
Je ne suis pas sûr
Êtes-vous donc inquiétant ?
Pas sûr de vous ?
Juste amer ?
Inquiet ?
Je ne suis sûr de rien
Il est vrai que rien est inqualifiable. Mais je suis sûr que rien ne devrait pas vous inquiéter.
; Enlaçons-nous, on ne sait jamais. Dans un lit blanc un couple nu nage dans le bonheur. Dehors l’orage fait rage. L’amour isole du monde et rapproche les êtres. L’amour est un déséquilibre croissant.
La pluie
dure froide
ET
les lames qui scintillent
ET
dans la flaque huileuse
ET
le soleil
caressant
caressé
ET
les feuilles rouges qui jonchent
les allées du parc
ET
le banc du parc
ET
l’adolescent qui gratte sa guitare
ET
la femme vite qui remonte son col
C’est ainsi
la déambulation
avec jambe malade
avec dos voûté et bras pesants
C’est ainsi
malgré tout
que s’absorbe la vie
C’est ainsi
L’émotion si muette.
Sous la cendre
de la cendre
et le monde gèle
Sous la cendre
la cendre
et le feu mort
depuis longtemps
J’y marche j’y cours et me couvre d’un manteau gris
La poussière autour de moi fait comme un brouillard
Une femme vêtue de noir en émerge me tend la main me transforme en poussière
Il ne reste de moi qu’un manteau de cendres
Une femme y marche et fait autour d’elle un brouillard
Elle attend la nuit.
Et si je me mettais à peindre des bouquets de fleurs ?
D’où nous viennent les mots ? D’où nous viennent les idées ?
Je les écris. Je les vois sur ma feuille. Je les pense dans ma tête. Je les vois naître du bout de ma plume. Je les vois grincer dans le stylo froid du matin. Je les vois s’égrener sur l’écran liquide de mon portable.
Mon stylo n’a pas de mot en lui-même. Ma main qui se saisit des mots n’a pas de mot en elle-même. Et pourtant quand elle saisit une cruche ma tête dit cruche, ma voix dit cruche, ma langue se réjouit d’avance.
L’eau à la bouche. L’eau dans la cruche.
J’ai sûrement un lieu, en moi, où les mots ont pris corps
; où les mots ont fait mon corps
; où les mots font le mort
; où les mots campent sur leurs positions
; où les mots se font la guerre
; où les mots de naguère
; où les mots tancent les mots
Moi aussi j’ai sûrement un lieu en moi
Moi aussi j’ai mal au dos
Moi aussi j’ai des vertiges
Moi aussi j’ai mal à la tête
Moi aussi j’ai des démangeaisons
Moi aussi j’ai des pieds douloureux
Moi aussi j’ai le matin le réveil difficile
Moi aussi j’ai des rêves impossibles
Moi aussi parfois je ne dors pas
Moi aussi j’ai des accès de colère
(…)
Moi aussi je me cache
Moi aussi je joue au malade
Moi aussi je compatis
Moi aussi je comprends de travers
Moi aussi je m’imagine des choses
Moi aussi je dis que je ne suis pas jaloux
Moi aussi je sais que ça n’est pas vrai
Moi aussi je joue au fanfaron
Moi aussi je m’invente des histoires
Moi aussi j’évite certaines conversations
Moi aussi je fais la vaisselle
Moi aussi je n’aime pas faire le ménage
Moi aussi je parle de travers
Moi aussi je lave mes chaussettes
Moi aussi je ronfle
Moi aussi je me cogne souvent
Moi aussi je regarde la pluie avec tendresse
Moi aussi je déteste Bush
Moi aussi je suis contre la guerre en Irak
Moi aussi je suis content parfois
Moi aussi je suis désolé parfois
Moi aussi je suis triste parfois
Moi aussi je suis impertinent parfois
Moi aussi je suis bavard
Moi aussi je boude quelquefois
Moi aussi je suis amer à certains moments
Moi aussi je suis nerveux
Moi aussi je suis impatient
Moi aussi je connais mes classiques
Moi aussi j’en confonds certains
Moi aussi je me coltine des sacs à dos
Moi aussi je lis des romans policiers
Moi aussi je chante Happy Birthday to you bêtement
Moi aussi je trinque souvent
(…)
Moi aussi je suis fébrile
Moi aussi je m’ennuie
Moi aussi je dis n’importe quoi
Moi aussi j’aime les raisins muscats
Moi aussi je fais de la bicyclette
Moi aussi j’aime le bruit sec du bouchon de champagne qui cogne le plafond de la pièce
Moi aussi je respire l’air pollué
Moi aussi je regarde les arbres dénudés dans l’hiver
Moi aussi j’écoute le bruit des pas dans les feuilles mortes
Moi aussi je suis exaspéré par le bruit des robinets qui coulent
Moi aussi je n’aime pas ton indifférence
Moi aussi je suis étonné par les petits écureuils bruns dans le parc
Moi aussi je me garderais de t’approcher
Moi aussi je renonce à briller
Moi aussi je m’évertue à te convaincre
Moi aussi je considère que c’est inutile
Moi aussi je risque la mort
Moi aussi je crois que l’hiver sera rigoureux
Moi aussi je n’arrive à rien
(…)
Moi aussi je me moque de sa bêtise
Moi aussi je ne comprends pas un mot de ce qu’il raconte
Moi aussi je participe activement
Moi aussi je dis que la vie est de plus en plus chère
Moi aussi j’ai peur pour la Somalie
Moi aussi j’ai peur pour la Tchétchénie
Moi aussi j’ai peur pour la Palestine
Moi aussi j’ai peur pour la Syrie
Après ce si long monologue il me regarde en souriant
et dit simplement Moi aussi.
Tout monologue est un silence.
Poèmes inédits :
Nous y sommes, extrait.
J’ouvre la porte. J’écris un livre poème sur la vieille porte grinçante.
Rentre dans le texte. Je rentre dans le texte avec une espérance, avec une attente comme une chose ultime qui s’ouvre, qui avance dans l’enfouissement du texte. J’entre. J’antre. Ce qui se perd parfois c’est la voix en moi qui me parle dans le texte que je lis. Le texte où j’entre c’est ma voix.
Ma voix c’est le ventre du texte.
J’ouvre.
C’est un livre qui vient du dessous. Qui vient de loin. C’est une phrase qui monte vers la première page, qui traverse page à page le temps du livre jusqu’à son commencement. C’est une page souche qui pousse comme une montagne, une page montagne. Pas d’érosion, juste un plissement qu’on perçoit dans le drapé du début. C’est l’image d’un lit et d’un corps sur ce lit et d’une couverture blanche qui marque de nuances grises la nudité découverte. Je perçois vaguement la forme du corps. Je vois, en imaginant, les plissements du corps. Il pousse à soulever, il tire la couverture à soi. Il me tire vers lui. Il attire. Il attise. C’est sur lui que j’écris la première page. Je l’écris à l’envers pour qu’elle pénètre en lui. C’est plus qu’un jeu, c’est l’assurance d’une inscription où il sait reconnaître ce que j’entaille, ce que j’incise.
Je vous regarde encore dans le moiré de la soie dans le reflet livide du temps qui coule je vous regarde du dedans de la fièvre que jadis vous avez inscrite en moi.
.iom ne etircsni zeva suov sidaj euq ervèif al ed snaded ud edrager suov ej eluoc iuq spmet ud edivil telfer el snad eios al ed ériom el snad erocne edrager suov eJ
Quel sens l’inversion quel sens l’envers quel sens la remontée du cours de la phrase ? Tout texte d’avant nous est toujours après nous. Tout texte nous précède nous reconnaît bien avant que nous ne le lisions. Le réel aussi se mutile dans la phrase qui vient, le réel encore fusionne dans l’immédiateté et le bégaiement. Le sens d’une traduction plus juste que le texte réel.
Elle dit « entre dans le texte ». Elle dit « j’entre dans le texte mais je n’y suis pas encore ». Elle dit « je suis à distance, j’entends le bâillement de la porte ». Elle dit « je sens le vent qui s’engouffre ».
Le matin erre à la recherche de la vue. Des portes grincent dans le brouillard de la rue.
L’homme marche et ouvre délicatement les portes qui se présentent à lui. Ne pas faire de bruit. Il entre dans l’atelier. Il fouille l’espace. Il scrute les tables encombrées. Il pousse la porte du fond. Un lit. Il arrache les draps. Il ne trouve pas ce qu’il cherche. Il regarde encore sous la table. Il se frotte les yeux et comprend qu’il n’est jamais venu ici. Il invente un mot pour croire à sa présence. Il claque la porte et sort. Il fait nuit.
Empreinte
il suffit d’un mot
et
cela
ouvre
s’ouvre
et
cela
dérange
le mot qui vient
et
cela
arrange
La rue trottine les badauds claquent des dents les ombres parlent entre
entre elles
entre
« On dirait que tu avances pas quand tu marches ! » dit une maman à son garçon dans la rue, un jour de froid, le 14 décembre 2005 à l’Esplanade 17 h 03.
Tu avances pas quand tu marches. Tu avances pas quand tu traînes. Mais aussi tu avances pas quand tu cours. Mais encore tu avances pas quand tu trembles sur place. Mais surtout tu avances pas quand tu souffres. Mais bien sûr tu avances pas quand tu dors. Mais jamais tu avances pas quand tu piétines. Mais donc tu avances pas quand tu rêves. Mais où tu avances pas quand tu cries.
Dis, tu me fais marcher ! Quand j’avance un pas devant l’autre j’avance ! Dis, tu me fais marcher ?
L’infini brûle, poème lu dans l’exposition l’Entaille de la lumière, à Tonnerre, sept. 2017. Extrait.
Cela commence commença en 1293 commença bien avant bien avant
perdura perdura
L’appel l’hospital l’hôte alité pauvre hôte pauvre alité l’hospitalité dans les plis du livre déplié la vie dépliée la vie pliée repliée dans le gémissement de l’hôte alité. ….
Il vient il vient comment un pied traînant
Il vient il frappe il craint
Comment leur dire le chemin tortueux les caillasses la pluie le vent le joug des jours l’attente est longue
Est durable
Il vient il frappe
S’ouvre un vantail une question un sourire peut-être
Il vient son pied lui fait mal se décompose il s’agrippe au vantail
Se tient debout attend
Il s’agrippe à la personne qui vient d’ouvrir, il sourit il boite il avance la salle est grande il perçoit des voix furtives des râles des déplacements
Il peine à entrer se fait soutenir davantage
Le bout du chemin du calvaire un autre chemin un autre calvaire
Les soins apaisent
Dans le châlit dans s’étendre dans la grande salle humide et froide
l’hiver traverse les grosses pierres
Suinte la douleur la peur la crainte et la compassion
Se modifie le corps
Fondit sur la maison
Appelée
Se rappelant
Nous, Marguerite, par la grâce de dieu, reine
De Jérusalem et de Sicile, comtesse de Tonnerre,
Se rappelant
Le chemin les rencontres lui ont dit la maison
Dieu faut y aller !
à tous ceux qui ces présentes verront, faisons savoir que Nous, ayant égard aux paroles de l’évangile où il se lit : Soyez miséricordieux tout ainsi que votre père est miséricordieux…
il y alla
ne se souvenant pas exactement des mots
de la phrase
mais par pauvreté,
et Marguerite par compassion
ayant compassion des pauvres de Jésus-Christ… Nous fondons un Hôpital ou Maison-Dieu, et l’établissons dans Tonnerre,
il s’y rendit patte traînante
baluchon maigre sur l’épaule maigre
plus de quignon de pain
juste de quoi reconnaître la grande maison
en la rue au lieudit des Fontanilles…
demande miséricorde et ce jour pleut des cordes
où la porte s’ouvre
se voit la pluie essuyée et les pleurs
Se rappelle la supplique de Marguerite
… auquel Hôpital, voulons qu’on exerce les sept œuvres de la Miséricorde,
Sept œuvres
Tout ce qu’il n’a jamais eu
Tout ce qu’il n’a jamais su
Juste chercher le regard
L’étrange chemin comme joie comme chaleur
A savoir : bailler à manger à ceux qui auront faim,
Il bailla la première fois de plaisir de relâchement
Il ne savait pas à quoi ressemblait le pain
Le bon bailli la bonne Marguerite
à boire à ceux qui auront soif,
Il but plus que d’eau il but vin et vie et eau de vie
Il dansa sur sa jambe malade tombèrent les béquilles
Oublia le baluchon
Ne savait ce que signifiait boire
recevoir les étrangers et les pèlerins et les héberger,
un foyer les poutres du ciel la nef l’arc de cercle comme un berceau jamais vu
il s’allongea dormit la sainteté chantait dans le cœur
vêtir les uns,
visiter les malades, consoler les prisonniers et ensevelir les morts…
Les hardes déposées la sueur partie une odeur de miel
Il ne savait pas ce qu’était le miel
Cela et cela scellés sous l’autorité d’un maître scella la chose pour des siècles
Et la pauvreté encore là sous nos pas regards refus caresses cécités
L’eau est feu
est
pulpe d’essence
est
vague calcinée
est
les corps vagues
crient
brûlent le désert
le sable englué dans les yeux
titube dans l’humain sans regard
est
noyée la misère
est
noyée l’espérance
noyé l’autre
les barques agrippées
aux lisières
de la miraculeuse
croyance
paradis
barques incendiées
passeurs cruels
épuisement définitif
fatigue
rampant vers les murs
les barbelés
les matraques
et
rampant dans la nuit gluante
les fleuves froids
les chemins où dormir est impossible
un fossé en clairières
en arbres calcinés
rongés de peur
Poison solide
poisseux
ponctué d’inoculations infinies
misères définitives
des titubements
une hostie
corps à corps
corps du corps que nous avons
dans la ville murée
muée en rancœurs
close
recluse
Refus – Refuge
cou coupé
coupable
cou serré
Mains grotesques et rires du tyran
mains cruelles
C’est une onde
lointaine
qui perce
les bruits aveugles
la noise inaudible
vie en commun
où
vient la faute commune
vient la fosse commune
méditerranée d’eau noire
faut pas croire tout ce qu’on dit
on dit quoi ?
cette parcelle
loin en nous
profonde
cet infini
se racornit
comme un cancer
inexorable
qui ronge
dehors
qui range les vérités
dans l’outrage absolu
qui ronge
dedans
Aujourd’hui un homme sera décapité
aujourd’hui crucifié
encore
encore un
pour la liberté
pour l’exercice de sa parole singulière
tête plantée dans pic
pic brandi
brandons fumants
trophées sanguinolents
encore
encore un
il y en aura toujours un une autre
toujours crucifiés
sur le bon vouloir des tyrans
Comment dire l’amour le temps de l’amour la fin de l’amour comment éclairer les temps lumineux et ne pas tricher sur les défaites les oublis comment dire l’amour le temps de la tempête l’amour qui voyage qui rend à l’enfance comment dire ce qui rugit ce qui rougit ce qui cache ce qui éclaire le visage transperce le regard comment dire l’amour qui se partage qui se disloque qui se reloque qui s’oublie comment dire la parole qui bégaye l’interrogation des mains des yeux comment nourrir la prière comment saisir la friche sombre et les caresses inachevées comment l’amour s’écrit-il sur la pierre sur le lit d’amertume sur le froissement des éponges sur le sable trop grinçant comment ne pas tricher avec des mots trop faméliques trop tendres trop raides trop froids trop rêches comment dire les corps ensevelis noués de sueurs les effleurements des oiseaux blancs ou sombres comment dire l’impalpable étrangeté l’irraison continue la terreur narquoise comment dire l’amour dans sa langue dans ses voix dans ses cris comment dire l’amour dans son ingratitude dans sa mort dans sa coupure comment dire l’entaille du monde qui sépare depuis toujours comment dire l’hantise de l’amour le verbe muet le graffiti fortuit et les murs d’innocence comment dire encore comment le dire et pourquoi et pour qui et alors et aussi et pourtant comment le dire et le redire le cracher le recracher comment le marmonner comment le susurrer le satiner comment dire l’indicible éclat du jour que chacun un jour comment dire le poème de tous les poèmes de tous les jours de toutes les vies comment dire et le redire et pour commencer
.
Il. rassemble la prière
les étages sombres de la forêt roulent les yeux lourds
les loups rouent de coups les amants de passage
Dans la cabine surchauffée
toute nue
tu lèches la peau du monde
Prayer
ode en spray tu chutes
loins mes yeux noirs
.
Nue. toute. tu. lèches.
Nue. toute. tu. parles.
.
Il. vient Il. voit Il. vit Il. voile
Il. tue Il. tarde Il. triche
Il. ruse Il. rugit
.
La langue roque rogne la taverne braille chacun perce chacun ronge chacun tenaille pour prendre date
.
Il. lisse Il. rougit Il. bande Il. berce
Il. pense Il. force Il. présente
Il. travaille Il. épuise
Il. boude
.
La lanterne la langue terne crache sous les décombres chacun ronge sa tenaille
.
Il. encore Il. toujours Il. jamais Il. pourtant
Il. aime Il. hume Il. crache
Il. cache Il. revient
Il. détourne
.
La langueur râpe rosse frappe
.
malin qui dira comment la main s’égare
.
Il. tard Il. tôt Il. haut Il. tant
Il. rue Il. pâlit Il. occit
Il. arpente Il. saute
.
Berce le bégaiement berce gaiement la herse rousse qui roule le gai sillon
.
Il. le chemin Il. le ruisseau Il. le fleuve Il. la coulée
Il. la route sinueuse Il. la ruelle Il. le sanglot
.
La route plisse la nuit tarde la rue blanchit le fleuve bande le sanglot rougit le ruisseau détourne la ruelle hume le chemin aime
Il. saisit
.
une ombre au bord de l’eau une ombre dans l’onde fine une ombre encore qui fait son ombre
.
Il. plisse
.
Bretailles Batailles Bergailles Broutailles Bratailles Bizailles qui claquent clac des noms qui raclent clac démons des noms nous des noms vous qui sarclent vos nouveaux nez des noms pour jouer la guerre pour se rappeler la lutte dense dans le recoin de terre
vaille que vaille
.
Il. les paupières
Il. sous la salve Il. dans le regard Il. sous la pluie
Il. sur le champ
Quelle langue tu parles (publié dans la collection bas de page, Lieux Dits éditions, 2007
De la vie de la vie reprise Leben wieder de la vie une femme homme eine Frau auch Man typée juste dans l’angle du bistrot dans l’angle de vue regard sombre profond étrangère captivante la vie se reprend im Café im Ecke meines Gesicht
au départ je tourne le dos à la fenêtre juste recroquevillé vers l’intérieur aussi de moi-même juste intérieur dedans au loin dans le port un élan hiératique altier jusqu’à l’inquiétude peau sombre bustier rose imprimé de fleurs des bagues des braises Rosa Kleider mit Blumen rollende Perlen rote Haut
perles qui roulent
sur peau rouge
lenteur des gestes langsame Gesten Schon leicht berühren kleiner Bauch
déjà caresse
petit ventre
douceur d’avance im voraus Süße Illusion
Anschwemmung im toten Kopf
Illusion
Alluvions
alluvions déposés dans la tête meurtrie
.
D I S M O I C E Q U E T U P E N S E S
D I S M O I E N F I N
D I S T O I
Dis moi ce que tu penses
dis moi enfin
Dis toi
.
comment parler
quelle langue tu parles quelle langue te happe ?
quelle langue m’approchera de toi
quelle langue de moi
W E L C H E S P R A C H E I N M I C H
B E W E G T
welche Sprache in mich ?
Bouge bewegt
Rote Nagel gekrümmt
in mich
Abstand
Komm
Spreche deine Sprache
spreche in dich in mich
moove
in me
ongles rouges crochés
vers moi
recule
vient vers moi
recule
parle ta langue
empêtrée
en-pénétrée
Ich Ich liebe dich
dich liebe dich ich habe gesagt Du bist schön
Ich habe gesagt
Du bist gegangen
Ich bin geblieben
in der leichte Straße ich renne ich suche ich rufe
im Café zurück
ich habe dich nicht gefunden
Ich habe dich
ich nicht
Welche Sprache in mich
W E L C H E S P R A C H E I N M I C H
Texte donné pour la revue alsacienne de littérature en août 2006.
Poème pour l’écrire
C’est dans la nuit c’est dans le jour c’est dans la pièce exigüe c’est sur la place du marché que cela se déroule se propage s’inocule c’est dans la lumière c’est dans la ténèbre…
Hier soir
hier dans la nuit balafrée
ton regard indien
ta face femelle
la soie de lierre
Voilà la face noire
le gringalet le lâche le furieux le crieur le tendre
qui marche dans la ville
le hurleur le cancre le fouineur
voilà le dragueur les lieux humides les pauvres taudis
les sourires qui s’éteignent
je regarde à gauche à droite
et je fuis
C’est dans la paume de ta main sur l’enveloppe humide sur le carton du trottoir dans la tête engourdie que cela se lace se tournoie se pose…
Et crie
Ré
Et crie
musique note qui commence par Ré
parer pour écrire.
Ne pas commencer par Do
par Don comment séparer
Et crie
Ré
et cri Ra
et cri Ri
et cri Ro
Ecrire rare le garrot du limon dans les fleuves de la vie.
Une joute avec le son le mot l’autre mot le caractère une joute avec le sens.
Pour un début
Ainsi
C’est un pas qui avance lentement qui cherche le suivant c’est un mot qui bégaye c’est une phrase qui vient…
Pèlerinage sur les rivages verts.
Faut-il être emphatique ? Faut-il être sérieux ? Faut-il douter ? Faut-il connaître l’orthographe ? Faut-il faire des fautes de grammaire ? Faut-il du goût ? Du dégoût ? Faut-il se laver les mains avant de les tremper dans l’encre gluante ? Faut-il roter avant d’entrer à table ? Faut-il verser de l’huile sur les sardines ? Faut-il passer à France-Culture pour parler de son dernier livre ? Faut-il de la douleur pour commencer ? Faut-il rimer ? Faut-il mentir ? Faut-il la limpidité de ton regard ? Faut-il l’outrage ? Faut-il croire en quelque chose ? Faut-il enfreindre la loi ? Faut-il être minimal ? Faut-il être allusif ?
Faut-il que je regarde ce que j’écris ?
C’est une table remplie de miettes c’est un champ jonché de détritus c’est un tas jusqu’à l’informe c’est la mémoire qui terrasse c’est une ombre dans l’angle de la vue c’est une crevasse où le noir s’étiole…
{Dans un de mes carnets de 1982 :
Une grenade verte s'entre-ouvre sur le fronton du temple.
Danseuse. Samedi soir. Bistrots miteux.
J’insémine ma nuit du pouvoir de tes certitudes.
Je ne t'en veux pas.
Décente. Indécente.
Une femme épaisse qui ne rit pas suce ce que nous n'appelons pas une cannelle. L'écriture tourne autour de cet encrier vide. Urne où les cendres de l'enfance s'ancrent d'une nuit bleutée ? J'ai oublié et ne cherche qu'à dévoiler ce qu’indéfectiblement je cache.
Nous ne sommes pas assez nus. Mes vices valent mes vertus et l'écriture ne confesse rien.}
Je regarde à nouveau je monte sur une chaise pour regarder plus loin je regarde plus loin et je vois les murs de ma prison.
Je sais que je ne vois plus la chaise si près je sais que la chaise est le seul socle qui me permet de voir plus loin. J’écris que je vois plus loin grâce à la chaise et même si je ne vois qu’un mur.
Faut-il que je dessine une chaise sur le mur pour saisir un horizon ?
Faut-il écrire pour panser la faille en nous
pour l’ouvrir davantage
écrire pour ouvrir la faille de l’autre
écrire pour fouiller
écrire pour arrêter l’hémorragie ?
Enfant je n’avais pas peur de plonger ma main dans un seau de sang.
Ecrire pour que l’autre se saisisse de la faille en nous.
C’est un plissement de la lumière c’est une main gantée d’or c’est un conte qui garde son secret…
J’écris comme je dessine je dessine comme je vis je tremble comme je respire je trace comme une mémoire comme un exercice comme une balle que je lance j’écris comme je remue la queue comme un impromptu mental je dessine comme j’use la corde je frappe comme je tombe des riens des bouts des lacets qui nous garrottent.
J’écris parce que cela approche de la gueule noire de la broyeuse éternelle j’écris pour saisir les choses banales j’écris pour ne pas suspendre l’inutile.
C’est un jeu c’est je qui joue c’est un danger c’est une lame qui tranche la corde qui nous tient debout c’est une impertinence c’est un oubli…
Nous sommes le 14 juillet nous sommes le 14 et je l’écris cela ne change rien. Des robes virevoltent sur les pavés, font croire à la beauté, des pavés je t’en foutrais j’écris des pavés je t’en foutrais vilaines jambes vilaines têtes c’est pour cela que j’écris.
Sans savoir que j’écris.
Je suis à une terrasse je suis posté à une terrasse de café « c’est la place ou nous étions, tu te souviens ? ». Je suis terrassé par l’émotion. Je pleure en public, j’écris je pleure en public comme un ami poète.
Je rêve je rêve à quoi ? Je rêve aux images qui s’effritent. Nuits aux cris d’oiseaux
35° dans la chambre la chaise fond et je rêve banalement qu’il neige en été.
Ecrire comme un rêve qui s’approche du vivant, du tangible.
À chaque fois ce que l’on regarde est un texte est un dessin est une absence et pourtant quand j’écris quand je dessine je ne regarde pas même ce que je dessine.
Je peins plutôt que je ne dessine. Ma peinture est un dessin continu, une phrase qui se trace d’elle-même qui se trouble et qui me coule dans la lave d’un fossé.
Ce n’est pas un plan
ce n’est pas
qu’un dessein.
En soi l’ennemi son meilleur ami.
Qui creuse si profond qui retourne la vase pour chercher la cendre.
C’est comme un trou qu’on escalade c’est comme une montagne qu’on dévale c’est comme une métaphore qu’on regrette…
Crire n’est pas la recherche brillante d’une formule
Crire… est le cul Crire… est la fesse Crire… est la fosse des tics Crire… est la fausse esthétique Crire… est le pu qui remonte Crire…
les facéties aussi les soties aussi les faces assises les mots galvaudés les repas déjetés le chaos dans l’ordre. Dés Jetés.
Crire pour mettre à bas les poncifs les guerres
Crire multiples fluants fluxants
Crire les germes et les anges et les monstres
Crire pour voir un peu à quoi on ressemble
L’âge venant l’écriture sert à voir. L’écriture est comme une chaise brinquebalante que la plume porte de pièce en pièce
Merci M’ssieurs Dames une pièce pour manger Crire pour inviter à sa table Crire pour sourire à l’enfant qui pleure Crire pour cuire au soleil Crire pour rogner les ragots du commerce Crire pour la mémoire pour l’avenir qui n’en a pas Crire pour ritiquer les malfaisants pour ritiquer les formules toutes faites Crire pour ritiquer les ritiques et le dire le dire à en crier le suc le soc le sec drôle et le dire encore en colère d’ IRE comme une île qui se tartine dans ton pot de nutella nue Stella dans ta robe de chambre l’écrire lui Crire sur la cuisse sur la lèvre lui peindre le cul et lui Crire à l’oreille Crire sur moi ce que tu veux
CrIRE
Crire sur la peur et Crire sur la foi et Crire sur l’ombre et Crire sur l’eau et Crire sur l’animal qui se débat et Crire sur la semoule et Crire sur le panier percé et Crire sur le bégaiement et CrIRE
Crire chaque mot fait l’affaire Crire Chips et rondelles et ruses et pubs et bêtises et larves et pets et merdes et caresses et baises et buses et belles et carcasse Crire dans le désordre et Crire dans la fugacité dans l’incendie
C’est un inventaire c’est une plongée dans l’orgueil noir c’est une brisure dans l’os du monde c’est une fleur qui s’étiole c’est le papillon qui vole c’est la buée qui épargne c’est le granit qui fait le sable…
Un arrêt un apprentissage
une brûlure
encore soleil
si fort si dru
Et Crire pour la pluie et Crire pour l’aube et Crire pour la solitude et Crire pour l’arc que fait le corps sur l’ordi et Crire comme on crève et Crire comme on rit et Crire comme on dort et Crire comme on grandit et Crire comme on aime et Crire comme on voyage
Sous la tête bandée
sous les yeux aveugles
sous le corps noir
Dans le sable de la plaie
une bouche qui s’entrouvre
une bouche qui échappe
un doigt qui frôle
À ma table de travail je m’observe je suis debout dans la pièce il n’y a qu’une table je tremble mon corps tremble de plus en plus mon corps se déplace juste grâce au tremblement je vois le déplacement de mon corps le tremblement s’intensifie le corps s’approche de la table il grimpe sur la table il s’arque il redescend de la table la main qui tremble s’accroche à la table le mouvement est continu pas un arrêt pas un sursaut juste le tremblement qui se déplace je regarde mon corps qui revient à sa place initiale toujours avec le même tremblement je prends mon stylo je tremble j’essaye de raconter ce que je viens d’observer je n’y arrive pas.
Un regard ne suffit pas.
Ecrire c’est dormir avec les anges et les loups. Ecrire c’est se terrer sur les galetas puants et les sentiers de roses. Ecrire c’est fouiller dans les poubelles et dans les paniers d’étrilles. Ecrire c’est lécher la bourrasque saisir la tempête et arracher l’orage. Ecrire c’est tremper sa tête dans le bouillon du monde dans la contrainte dans le sarcasme de l’hétérogénéité. Ecrire c’est peser le paradoxe et prendre plaisir aux orties.
Ecrire c’est réduire écrire c’est poser la mort sur le mur blanc.
Ecrire c’est écouter c’est renoncer c’est oser.
Elle est dans la piscine. Elle dit « je pense à rien, je dors ». Au matin on l’a retrouvée, noyée.
Ecrire c’est noter la rumeur écrire c’est serrer la gorge écrire c’est hurler.
Dans la piscine elle nage sur le dos. De temps en temps elle gémit. Plus tard elle sort de l’eau. La douche grince. Il n’y a plus d’eau chaude !
Ce jour là c’est la fin du monde et elle sait qu’il y en aura d’autres.
Doucement
Langsam
se couche la sueur vanillée
dans les distances se relient les âmes.
Le pan panique
pan pan sur la panique
la nique à la peur
petit toc du martoc toc petit toc toc martoc
Dans la cour un artisan martèle sa répétition
les sons viennent à travers la fenêtre, pimpon aussi sirène stridente
pimpante
Erschreckende Nacht
Wald so schwartz
Brücke so weit
Läppchen
Cela frappe comme une noix sur la verrière. Le ciel avait peur des bris et du bruit. Juste une note sèche, juste un écran qui fait voir le monde, un pan du monde. Juste le claquement des bombes.
C’est au péril de l’image c’est le matin sans jambes c’est le sanglot qui vient solitaire c’est le silence dans la démesure…
Je croise mes bras dans ton regard
je les croise sur la toile je les croise sur le ciel c’est rêche et brut bras en croix c’est rose et vert acide dans l’olive de la gorge
À toute heure cela prend des heures à toute heure cela saisit
là couché remuant attendant là debout chantant murmurant chaque heure prend des heures
chaque heure foudroie les heures qui viennent
À quoi sert d’extirper le dedans il suffit d’entrer dans le ventre à quoi sert de regarder le dedans il suffit de sentir sa fumée
Mélodies mélopées
larmes
chaleur des yeux
brûlure du cœur
Le mot se répète
la guitare s’échappe
qui s’estompe
Le chant qui grince qui plane qui dit l’amour qui dit l’azur
qui dit la savane qui dit les flèches qui dit le sorcier
J’en suis à demander à ma mère « met ton visage qui donna le mien »
Le mot que je prononce est comme un ennemi que je vois mourir. Mon ami « la mort nous embrasse à chaque parole ».
Un aveugle dans le bus se met à sourire. Fort. Puis il jubile.
Une chose
là qui clôture la chose là-bas
Quelque chose qui transforme la chose d’ici qui la trouble une baguette qui remue dans la chose là qui rampe sur le sol dans la prairie rousse un fil ferait l’affaire de la chose l’aiguille verte ainsi dressée sur la chose venteuse sur le chas qui plisse la faille ouverte
Dis ! quand donneras-tu un nom à la chose ?
Une fleur. Je te la donne. Ne la garde pas.
; On ne sait jamais, embrassons-nous. Extrait, (publié au Bruit des autres en 2014)
; Moi aussi
;
Est fait de seuils, de passages, de copeaux, de fragments. Un tout qui n’est jamais qu’épars.
Une bière me lèche les babines, mousse blanche. La mort lape le reste de temps.
; m’est d’avis que ….
Texte philosophique mais aussi sociologique mais aussi poétique mais aussi historique mais aussi à la première personne mais aussi avec un narrateur mais aussi avec une narratrice mais aussi avec du vrai et du faux mais aussi avec du tragique et du comique mais aussi dans le genre du roman mais aussi avec le refus de la narration mais aussi avec le refus de la linéarité mais aussi c’est comme un manifeste mais aussi c’est comme un contre-manifeste mais aussi c’est engagé mais aussi c’est décousu mais aussi parole de femme mais aussi geste de déchu mais aussi sentiment de gravité mais aussi encore la durée mais aussi l’urgence
Mais aussi
paré et désemparé
; il va de soi comme ronge l’antre
; ainsi rogne la pièce
: et assomme le cheval
; il branche l’étincelle
; elle porte la bière
; ils cardent l’écran
; pourtant couché sur le flanc de la montagne un ange craint le froid
; les images ne sont pas que des images
; elles aussi sont la langue d’un réel que portent les images
; comme le songe de l’éclair qui travaille en lui elle l’appelle doucement
; et roule le dos rond qui ronronne poétiquement
; pour casser le ciel sur le dôme du marché il faut de la persévérance
; pourtant, à flanc de coteau la vache bascule comme une outre remplie de vin
; les images appartiennent à l’image que nous sommes
On ne sait jamais, quittons cet endroit.
Pourquoi faudrait-il de l’espoir ou l’expression de la beauté et pourquoi faudrait-il s’abîmer dans les ténèbres ?
Sa main soulève la jupe. Elle se gratte lentement, doucement le haut de la jambe. Elle hésite, se demande jusqu’où va mon regard. Elle attend. Elle ne bouge pas sa main. Sa main sur le haut de sa cuisse jupe relevée, elle attend. Je regarde encore. Elle remonte sa main encore. La chaleur est intense comme une touffe noire dans l’air. Je regarde. Elle ne bouge plus à nouveau. Puis brusquement elle se lève. Elle s’en va, vite.
Je finis lentement ma bière.
Peut-être que l’année prochaine nous nous reverrons, peut-être que nous pourrons alors boire cette bière dont nous parlions. Peut-être me raconterez-vous votre nouveau travail. On ne sait jamais.
Peut-être que vous ferez ce long voyage dont vous parlez depuis tant d’années.
Peut-être que je vous accompagnerai.
; et ça dure tant et tant qu’elle n’y croyait plus
; mais ça ne grandit donc jamais
; le changement est évident mais comment le quantifier
; il ne faudrait pas le prendre pour argent comptant
; il ne faudrait pas oublier de lui rappeler
; il ne faudrait pas grand-chose
Sur le chemin du retour, quelle étrange formule, il me dit (je crois bien que cela s’est passé ainsi) : je serai bientôt de retour. Sur le chemin du retour il me disait donc cela. Sur le chemin du retour il était loin déjà, il était ailleurs et me parlait de son retour.
Serai-je présent ce jour là ?
; mais la mélancolie fonctionne différemment
; mais la travée était déserte et il se retrouvait seul avec l’émotion de l’ombre
; mais il croyait encore que la poésie était contenue dans les vers qu’il se répétait
; il va de soi que je lui en donnerai l’assurance, vous pouvez me croire
; rien ne nous contraint à nous revoir
; mais tout est possible
; mais tout est dans le possible
; moi, pour m’effrayer il ne faut pas grand-chose
; il faudrait allumer des cierges pour y voir plus clair
; mais comme cela sentait l’essence
; et encore je n’ose lui rappeler ce qu’il m’avait dit il y a bien longtemps
; tout cela est bien vague
Pour ne pas l’effrayer il faut des tonnes de précautions. Et je n’y suis jamais arrivé. Je frappe, je rentre dans la chambre. Elle a peur.
Voilà qu’elle me regarde, je vois ses lèvres qui remuent. Je crois qu’elle me parle. Je suis sûr qu’elle me parle. Je réponds oui. Elle se détourne en disant imbécile.
; c’est encore possible en empiétant sur son territoire
; mais voilà ce jour-là il était impossible
; mais voilà il n’y avait plus rien à faire
; mais enfin ils ne changeront jamais
; c’est ainsi qu’elle le rangea dans un tiroir
Pourquoi retourner sa langue deux ou trois ou quatre fois dans sa bouche ? Ce qui vient est ce qui doit être au plus près de ce que nous sommes. Deux amis associés en affaires sont avec nous au restaurant. Nous parlons. L’un d’entre eux raconte quelques anecdotes de travail. Puis citant X il dit lui aussi est excédé par l’association. Ainsi aussi prend une forme terrible. À côté de lui son associé rumine.
Un adverbe tout simple, si petit, peut faire basculer une vie. Aussi s’assombrir.
; aussi ai-je remarqué que la formule est frappante
; aussi faut-il que ce soit dit, une fois pour toutes
; aussi je me souviens de même
; aussi je ne m’en inquiète plus
Une fois pour toutes, parole de mort, parole définitive, dernière, parole pour toutes les paroles. Que ce soit dit. L’homme est-il si définitif ? Est-il tant mort ?
Il est aussi mort.
Temps mort
Comment avez-vous dit ? …… Non non la phrase précédente ! …… Ah, j’avais mal compris…..
Mais redites-le encore. Je ne suis pas sûr.
Je ne suis pas sûr
Comment pourrais-je vous rassurer ?
Cela ne finira donc jamais.
Ah mais non, rien n’est moins sûr !
Vous croyez ?
Je ne suis pas sûr
Êtes-vous donc inquiétant ?
Pas sûr de vous ?
Juste amer ?
Inquiet ?
Je ne suis sûr de rien
Il est vrai que rien est inqualifiable. Mais je suis sûr que rien ne devrait pas vous inquiéter.
; Enlaçons-nous, on ne sait jamais. Dans un lit blanc un couple nu nage dans le bonheur. Dehors l’orage fait rage. L’amour isole du monde et rapproche les êtres. L’amour est un déséquilibre croissant.
La pluie
dure froide
ET
les lames qui scintillent
ET
dans la flaque huileuse
ET
le soleil
caressant
caressé
ET
les feuilles rouges qui jonchent
les allées du parc
ET
le banc du parc
ET
l’adolescent qui gratte sa guitare
ET
la femme vite qui remonte son col
C’est ainsi
la déambulation
avec jambe malade
avec dos voûté et bras pesants
C’est ainsi
malgré tout
que s’absorbe la vie
C’est ainsi
L’émotion si muette.
Sous la cendre
de la cendre
et le monde gèle
Sous la cendre
la cendre
et le feu mort
depuis longtemps
J’y marche j’y cours et me couvre d’un manteau gris
La poussière autour de moi fait comme un brouillard
Une femme vêtue de noir en émerge me tend la main me transforme en poussière
Il ne reste de moi qu’un manteau de cendres
Une femme y marche et fait autour d’elle un brouillard
Elle attend la nuit.
Et si je me mettais à peindre des bouquets de fleurs ?
D’où nous viennent les mots ? D’où nous viennent les idées ?
Je les écris. Je les vois sur ma feuille. Je les pense dans ma tête. Je les vois naître du bout de ma plume. Je les vois grincer dans le stylo froid du matin. Je les vois s’égrener sur l’écran liquide de mon portable.
Mon stylo n’a pas de mot en lui-même. Ma main qui se saisit des mots n’a pas de mot en elle-même. Et pourtant quand elle saisit une cruche ma tête dit cruche, ma voix dit cruche, ma langue se réjouit d’avance.
L’eau à la bouche. L’eau dans la cruche.
J’ai sûrement un lieu, en moi, où les mots ont pris corps
; où les mots ont fait mon corps
; où les mots font le mort
; où les mots campent sur leurs positions
; où les mots se font la guerre
; où les mots de naguère
; où les mots tancent les mots
Moi aussi j’ai sûrement un lieu en moi
Moi aussi j’ai mal au dos
Moi aussi j’ai des vertiges
Moi aussi j’ai mal à la tête
Moi aussi j’ai des démangeaisons
Moi aussi j’ai des pieds douloureux
Moi aussi j’ai le matin le réveil difficile
Moi aussi j’ai des rêves impossibles
Moi aussi parfois je ne dors pas
Moi aussi j’ai des accès de colère
(…)
Moi aussi je me cache
Moi aussi je joue au malade
Moi aussi je compatis
Moi aussi je comprends de travers
Moi aussi je m’imagine des choses
Moi aussi je dis que je ne suis pas jaloux
Moi aussi je sais que ça n’est pas vrai
Moi aussi je joue au fanfaron
Moi aussi je m’invente des histoires
Moi aussi j’évite certaines conversations
Moi aussi je fais la vaisselle
Moi aussi je n’aime pas faire le ménage
Moi aussi je parle de travers
Moi aussi je lave mes chaussettes
Moi aussi je ronfle
Moi aussi je me cogne souvent
Moi aussi je regarde la pluie avec tendresse
Moi aussi je déteste Bush
Moi aussi je suis contre la guerre en Irak
Moi aussi je suis content parfois
Moi aussi je suis désolé parfois
Moi aussi je suis triste parfois
Moi aussi je suis impertinent parfois
Moi aussi je suis bavard
Moi aussi je boude quelquefois
Moi aussi je suis amer à certains moments
Moi aussi je suis nerveux
Moi aussi je suis impatient
Moi aussi je connais mes classiques
Moi aussi j’en confonds certains
Moi aussi je me coltine des sacs à dos
Moi aussi je lis des romans policiers
Moi aussi je chante Happy Birthday to you bêtement
Moi aussi je trinque souvent
(…)
Moi aussi je suis fébrile
Moi aussi je m’ennuie
Moi aussi je dis n’importe quoi
Moi aussi j’aime les raisins muscats
Moi aussi je fais de la bicyclette
Moi aussi j’aime le bruit sec du bouchon de champagne qui cogne le plafond de la pièce
Moi aussi je respire l’air pollué
Moi aussi je regarde les arbres dénudés dans l’hiver
Moi aussi j’écoute le bruit des pas dans les feuilles mortes
Moi aussi je suis exaspéré par le bruit des robinets qui coulent
Moi aussi je n’aime pas ton indifférence
Moi aussi je suis étonné par les petits écureuils bruns dans le parc
Moi aussi je me garderais de t’approcher
Moi aussi je renonce à briller
Moi aussi je m’évertue à te convaincre
Moi aussi je considère que c’est inutile
Moi aussi je risque la mort
Moi aussi je crois que l’hiver sera rigoureux
Moi aussi je n’arrive à rien
(…)
Moi aussi je me moque de sa bêtise
Moi aussi je ne comprends pas un mot de ce qu’il raconte
Moi aussi je participe activement
Moi aussi je dis que la vie est de plus en plus chère
Moi aussi j’ai peur pour la Somalie
Moi aussi j’ai peur pour la Tchétchénie
Moi aussi j’ai peur pour la Palestine
Moi aussi j’ai peur pour la Syrie
Après ce si long monologue il me regarde en souriant
et dit simplement Moi aussi.
Tout monologue est un silence.
Poèmes inédits :
Nous y sommes, extrait.
J’ouvre la porte. J’écris un livre poème sur la vieille porte grinçante.
Rentre dans le texte. Je rentre dans le texte avec une espérance, avec une attente comme une chose ultime qui s’ouvre, qui avance dans l’enfouissement du texte. J’entre. J’antre. Ce qui se perd parfois c’est la voix en moi qui me parle dans le texte que je lis. Le texte où j’entre c’est ma voix.
Ma voix c’est le ventre du texte.
J’ouvre.
C’est un livre qui vient du dessous. Qui vient de loin. C’est une phrase qui monte vers la première page, qui traverse page à page le temps du livre jusqu’à son commencement. C’est une page souche qui pousse comme une montagne, une page montagne. Pas d’érosion, juste un plissement qu’on perçoit dans le drapé du début. C’est l’image d’un lit et d’un corps sur ce lit et d’une couverture blanche qui marque de nuances grises la nudité découverte. Je perçois vaguement la forme du corps. Je vois, en imaginant, les plissements du corps. Il pousse à soulever, il tire la couverture à soi. Il me tire vers lui. Il attire. Il attise. C’est sur lui que j’écris la première page. Je l’écris à l’envers pour qu’elle pénètre en lui. C’est plus qu’un jeu, c’est l’assurance d’une inscription où il sait reconnaître ce que j’entaille, ce que j’incise.
Je vous regarde encore dans le moiré de la soie dans le reflet livide du temps qui coule je vous regarde du dedans de la fièvre que jadis vous avez inscrite en moi.
.iom ne etircsni zeva suov sidaj euq ervèif al ed snaded ud edrager suov ej eluoc iuq spmet ud edivil telfer el snad eios al ed ériom el snad erocne edrager suov eJ
Quel sens l’inversion quel sens l’envers quel sens la remontée du cours de la phrase ? Tout texte d’avant nous est toujours après nous. Tout texte nous précède nous reconnaît bien avant que nous ne le lisions. Le réel aussi se mutile dans la phrase qui vient, le réel encore fusionne dans l’immédiateté et le bégaiement. Le sens d’une traduction plus juste que le texte réel.
Elle dit « entre dans le texte ». Elle dit « j’entre dans le texte mais je n’y suis pas encore ». Elle dit « je suis à distance, j’entends le bâillement de la porte ». Elle dit « je sens le vent qui s’engouffre ».
Le matin erre à la recherche de la vue. Des portes grincent dans le brouillard de la rue.
L’homme marche et ouvre délicatement les portes qui se présentent à lui. Ne pas faire de bruit. Il entre dans l’atelier. Il fouille l’espace. Il scrute les tables encombrées. Il pousse la porte du fond. Un lit. Il arrache les draps. Il ne trouve pas ce qu’il cherche. Il regarde encore sous la table. Il se frotte les yeux et comprend qu’il n’est jamais venu ici. Il invente un mot pour croire à sa présence. Il claque la porte et sort. Il fait nuit.
Empreinte
il suffit d’un mot
et
cela
ouvre
s’ouvre
et
cela
dérange
le mot qui vient
et
cela
arrange
La rue trottine les badauds claquent des dents les ombres parlent entre
entre elles
entre
« On dirait que tu avances pas quand tu marches ! » dit une maman à son garçon dans la rue, un jour de froid, le 14 décembre 2005 à l’Esplanade 17 h 03.
Tu avances pas quand tu marches. Tu avances pas quand tu traînes. Mais aussi tu avances pas quand tu cours. Mais encore tu avances pas quand tu trembles sur place. Mais surtout tu avances pas quand tu souffres. Mais bien sûr tu avances pas quand tu dors. Mais jamais tu avances pas quand tu piétines. Mais donc tu avances pas quand tu rêves. Mais où tu avances pas quand tu cries.
Dis, tu me fais marcher ! Quand j’avance un pas devant l’autre j’avance ! Dis, tu me fais marcher ?
L’infini brûle, poème lu dans l’exposition l’Entaille de la lumière, à Tonnerre, sept. 2017. Extrait.
Cela commence commença en 1293 commença bien avant bien avant
perdura perdura
L’appel l’hospital l’hôte alité pauvre hôte pauvre alité l’hospitalité dans les plis du livre déplié la vie dépliée la vie pliée repliée dans le gémissement de l’hôte alité. ….
Il vient il vient comment un pied traînant
Il vient il frappe il craint
Comment leur dire le chemin tortueux les caillasses la pluie le vent le joug des jours l’attente est longue
Est durable
Il vient il frappe
S’ouvre un vantail une question un sourire peut-être
Il vient son pied lui fait mal se décompose il s’agrippe au vantail
Se tient debout attend
Il s’agrippe à la personne qui vient d’ouvrir, il sourit il boite il avance la salle est grande il perçoit des voix furtives des râles des déplacements
Il peine à entrer se fait soutenir davantage
Le bout du chemin du calvaire un autre chemin un autre calvaire
Les soins apaisent
Dans le châlit dans s’étendre dans la grande salle humide et froide
l’hiver traverse les grosses pierres
Suinte la douleur la peur la crainte et la compassion
Se modifie le corps
Fondit sur la maison
Appelée
Se rappelant
Nous, Marguerite, par la grâce de dieu, reine
De Jérusalem et de Sicile, comtesse de Tonnerre,
Se rappelant
Le chemin les rencontres lui ont dit la maison
Dieu faut y aller !
à tous ceux qui ces présentes verront, faisons savoir que Nous, ayant égard aux paroles de l’évangile où il se lit : Soyez miséricordieux tout ainsi que votre père est miséricordieux…
il y alla
ne se souvenant pas exactement des mots
de la phrase
mais par pauvreté,
et Marguerite par compassion
ayant compassion des pauvres de Jésus-Christ… Nous fondons un Hôpital ou Maison-Dieu, et l’établissons dans Tonnerre,
il s’y rendit patte traînante
baluchon maigre sur l’épaule maigre
plus de quignon de pain
juste de quoi reconnaître la grande maison
en la rue au lieudit des Fontanilles…
demande miséricorde et ce jour pleut des cordes
où la porte s’ouvre
se voit la pluie essuyée et les pleurs
Se rappelle la supplique de Marguerite
… auquel Hôpital, voulons qu’on exerce les sept œuvres de la Miséricorde,
Sept œuvres
Tout ce qu’il n’a jamais eu
Tout ce qu’il n’a jamais su
Juste chercher le regard
L’étrange chemin comme joie comme chaleur
A savoir : bailler à manger à ceux qui auront faim,
Il bailla la première fois de plaisir de relâchement
Il ne savait pas à quoi ressemblait le pain
Le bon bailli la bonne Marguerite
à boire à ceux qui auront soif,
Il but plus que d’eau il but vin et vie et eau de vie
Il dansa sur sa jambe malade tombèrent les béquilles
Oublia le baluchon
Ne savait ce que signifiait boire
recevoir les étrangers et les pèlerins et les héberger,
un foyer les poutres du ciel la nef l’arc de cercle comme un berceau jamais vu
il s’allongea dormit la sainteté chantait dans le cœur
vêtir les uns,
visiter les malades, consoler les prisonniers et ensevelir les morts…
Les hardes déposées la sueur partie une odeur de miel
Il ne savait pas ce qu’était le miel
Cela et cela scellés sous l’autorité d’un maître scella la chose pour des siècles
Et la pauvreté encore là sous nos pas regards refus caresses cécités
L’eau est feu
est
pulpe d’essence
est
vague calcinée
est
les corps vagues
crient
brûlent le désert
le sable englué dans les yeux
titube dans l’humain sans regard
est
noyée la misère
est
noyée l’espérance
noyé l’autre
les barques agrippées
aux lisières
de la miraculeuse
croyance
paradis
barques incendiées
passeurs cruels
épuisement définitif
fatigue
rampant vers les murs
les barbelés
les matraques
et
rampant dans la nuit gluante
les fleuves froids
les chemins où dormir est impossible
un fossé en clairières
en arbres calcinés
rongés de peur
Poison solide
poisseux
ponctué d’inoculations infinies
misères définitives
des titubements
une hostie
corps à corps
corps du corps que nous avons
dans la ville murée
muée en rancœurs
close
recluse
Refus – Refuge
cou coupé
coupable
cou serré
Mains grotesques et rires du tyran
mains cruelles
C’est une onde
lointaine
qui perce
les bruits aveugles
la noise inaudible
vie en commun
où
vient la faute commune
vient la fosse commune
méditerranée d’eau noire
faut pas croire tout ce qu’on dit
on dit quoi ?
cette parcelle
loin en nous
profonde
cet infini
se racornit
comme un cancer
inexorable
qui ronge
dehors
qui range les vérités
dans l’outrage absolu
qui ronge
dedans
Aujourd’hui un homme sera décapité
aujourd’hui crucifié
encore
encore un
pour la liberté
pour l’exercice de sa parole singulière
tête plantée dans pic
pic brandi
brandons fumants
trophées sanguinolents
encore
encore un
il y en aura toujours un une autre
toujours crucifiés
sur le bon vouloir des tyrans