ANNE SLACIK
Bleu Lumière diptyque huile sur toile 2010 195x260 cm
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ANTONIO MACHADO
Jamais je n’ai cherché la gloire
Ni voulu dans la mémoire des hommes
Laisser mes chansons
Mais j’aime les mondes subtils
Aériens et délicats
Comme des bulles de savon.
J’aime les voir s’envoler,
Se colorer de soleil et de pourpre,
Voler sous le ciel bleu, subitement trembler,
Puis éclater.
À demander ce que tu sais Tu ne dois pas perdre ton temps
Et à des questions sans réponse
Qui donc pourrait te répondre ?
Chantez en cœur avec moi : Savoir ?
Nous ne savons rien
Venus d’une mer de mystère
Vers une mer inconnue nous allons
Et entre les deux mystères
Règne la grave énigme
Une clef inconnue ferme les trois coffres
Le savant n’enseigne rien, lumière n’éclaire pas
Que disent les mots ?
Et que dit l’eau du rocher ?
Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout ; voyageur, il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur ! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Antonio Machado
In Champs de Castille, éditions Gallimard /collection Poésie
Ni voulu dans la mémoire des hommes
Laisser mes chansons
Mais j’aime les mondes subtils
Aériens et délicats
Comme des bulles de savon.
J’aime les voir s’envoler,
Se colorer de soleil et de pourpre,
Voler sous le ciel bleu, subitement trembler,
Puis éclater.
À demander ce que tu sais Tu ne dois pas perdre ton temps
Et à des questions sans réponse
Qui donc pourrait te répondre ?
Chantez en cœur avec moi : Savoir ?
Nous ne savons rien
Venus d’une mer de mystère
Vers une mer inconnue nous allons
Et entre les deux mystères
Règne la grave énigme
Une clef inconnue ferme les trois coffres
Le savant n’enseigne rien, lumière n’éclaire pas
Que disent les mots ?
Et que dit l’eau du rocher ?
Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout ; voyageur, il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur ! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Antonio Machado
In Champs de Castille, éditions Gallimard /collection Poésie
COLETTE NYS-MAZURE
Comme toi
Elle craint l'aube et l'ombre
redoute le chantage du silence
prend peur et prête foi
prétend vivre et finir
rallier contredire
veut la lune et rien
S'enferre un peu plus chaque jour
proie de tous les dilemmes
Dilapidée riche
Colette Nys-Mazure,
Feux dans la nuit, anthologie Ed. Espace Nord
Elle craint l'aube et l'ombre
redoute le chantage du silence
prend peur et prête foi
prétend vivre et finir
rallier contredire
veut la lune et rien
S'enferre un peu plus chaque jour
proie de tous les dilemmes
Dilapidée riche
Colette Nys-Mazure,
Feux dans la nuit, anthologie Ed. Espace Nord
PAUL CELAN
cristal
Ne cherche pas sur mes lèvres ta bouche,
ni devant le portail l’étranger,
ni dans l’œil la larme.
Sept nuits plus haut s’en va vers rouge,
sept cœurs plus bas la main cogne au portail,
sept roses plus tard la fontaine bruit.
Paul Celan
(traduction Jean-Pierre Lefebvre)
In Pavot et mémoire, Choix de poèmes, Poésie/Gallimard, 1998
envoi Cécile Oumhani
***
Corona
L’automne me mange sa feuille dans la main : nous sommes amis.
Nous délivrons le temps de l’écale des noix et lui apprenons à marcher :
le temps retourne à l’écale.
Dans le miroir, c’est dimanche,
dans le rêve on est endormi
la bouche parle sans mentir.
Mon œil descend vers le sexe de l’aimée :
nous nous regardons
nous nous disons de l’obscur,
nous nous aimons comme pavot et mémoire,
nous dormons comme un vin dans les coquillages,
comme la mer dans le rai de sang jailli de la lune
Nous sommes là enlacés dans la fenêtre, ils nous regardent depuis la rue :
Il est temps que l’on sache !
Il est temps que la pierre se résolve enfin à fleurir.
qu’à l’incessante absence de repos batte un cœur.
Il est temps que le temps advienne.
Il est temps.
Paul Celan,
Choix de poèmes réunis par l’auteur, Traduction de Jean-Pierre Lefebvre, Ed. Poésie/Gallimard
Ne cherche pas sur mes lèvres ta bouche,
ni devant le portail l’étranger,
ni dans l’œil la larme.
Sept nuits plus haut s’en va vers rouge,
sept cœurs plus bas la main cogne au portail,
sept roses plus tard la fontaine bruit.
Paul Celan
(traduction Jean-Pierre Lefebvre)
In Pavot et mémoire, Choix de poèmes, Poésie/Gallimard, 1998
envoi Cécile Oumhani
***
Corona
L’automne me mange sa feuille dans la main : nous sommes amis.
Nous délivrons le temps de l’écale des noix et lui apprenons à marcher :
le temps retourne à l’écale.
Dans le miroir, c’est dimanche,
dans le rêve on est endormi
la bouche parle sans mentir.
Mon œil descend vers le sexe de l’aimée :
nous nous regardons
nous nous disons de l’obscur,
nous nous aimons comme pavot et mémoire,
nous dormons comme un vin dans les coquillages,
comme la mer dans le rai de sang jailli de la lune
Nous sommes là enlacés dans la fenêtre, ils nous regardent depuis la rue :
Il est temps que l’on sache !
Il est temps que la pierre se résolve enfin à fleurir.
qu’à l’incessante absence de repos batte un cœur.
Il est temps que le temps advienne.
Il est temps.
Paul Celan,
Choix de poèmes réunis par l’auteur, Traduction de Jean-Pierre Lefebvre, Ed. Poésie/Gallimard
YITSKHOK KATZENHELSON
II
Je joue... je me suis assis bas contre terre endeuillé
j'ai joué et tristement chanté: ô mon peuple!
Des millions de <juifs dressés autour de moi pour m'écouter
Des millions d'assassinés pour m'entendre - vaste auditoire
Vaste auditoire, une foule immense, ô immense! La vallée d'Ezéchiel
emplie d'ossements pourrait ici se terrer dans un coin.
Et lui, le prophète n'aurait plus cette fierté d'autrefois, cette foi en le ciel,
pour parler aux massacrés comme moi il se tordrait les mains,
Comme moi démuni, comme moi rejetant en arrière son front lourd
Pour contempler hagard le ciel gris et lointain, et désolé alentour,
Et laisserait retomber sa tête de tout son poids,
Rocher pétrifié courbé plus bas que terre, et sans voix.
Yitskhok Katzenhelson
extrait de Le chant du peuple juif assassiné. Editions Zulma 2007
Envoi Maya Nahum
Je joue... je me suis assis bas contre terre endeuillé
j'ai joué et tristement chanté: ô mon peuple!
Des millions de <juifs dressés autour de moi pour m'écouter
Des millions d'assassinés pour m'entendre - vaste auditoire
Vaste auditoire, une foule immense, ô immense! La vallée d'Ezéchiel
emplie d'ossements pourrait ici se terrer dans un coin.
Et lui, le prophète n'aurait plus cette fierté d'autrefois, cette foi en le ciel,
pour parler aux massacrés comme moi il se tordrait les mains,
Comme moi démuni, comme moi rejetant en arrière son front lourd
Pour contempler hagard le ciel gris et lointain, et désolé alentour,
Et laisserait retomber sa tête de tout son poids,
Rocher pétrifié courbé plus bas que terre, et sans voix.
Yitskhok Katzenhelson
extrait de Le chant du peuple juif assassiné. Editions Zulma 2007
Envoi Maya Nahum
NAZIM HIKMET
Pense Taranta-Babu :
Le coeur
La tête
et le bras de l'homme
fouillant les entrailles de la terre
ont créé de tels dieux d'acier aux yeux de feu
qu'ils peuvent écraser la terre
d'un coup de poing.
L'arbre qui donne des grenades une fois par an peut en donner mille fois plus.
Si grand, si beau est notre monde et si vaste, si vaste, le bord des mers que nous pouvons tous chaque nuit nous allongeant côte à côte sur les sables d'or chanter les eaux étoilées.
Que c'est beau de vivre, Taranta-Babu
Que c'est beau de vivre comprenant le monde comme un livre le sentant comme un chant d'amour s'étonnant comme un enfant VIVRE !
Vivre un à un et tous ensemble comme on tisse une étoffe de soie
Vivre comme on chante en choeur un hymne à la joie
Vivre...
Et pourtant quelle drôle d'affaire Taranta-Babu
Quelle drôle d'histoire
Que cette chose incroyablement belle que cette chose indiciblement joyeuse soit tellement dure aujourd'hui tellement étroite tellement sanglante tellement dégoûtante
Vivre
Nazim Hikmet
in Il neige dans la nuit et autres poèmes
(collection Poésie/Gallimard, 1999)
L'arbre qui donne des grenades une fois par an peut en donner mille fois plus.
Si grand, si beau est notre monde et si vaste, si vaste, le bord des mers que nous pouvons tous chaque nuit nous allongeant côte à côte sur les sables d'or chanter les eaux étoilées.
Que c'est beau de vivre, Taranta-Babu
Que c'est beau de vivre comprenant le monde comme un livre le sentant comme un chant d'amour s'étonnant comme un enfant VIVRE !
Vivre un à un et tous ensemble comme on tisse une étoffe de soie
Vivre comme on chante en choeur un hymne à la joie
Vivre...
Et pourtant quelle drôle d'affaire Taranta-Babu
Quelle drôle d'histoire
Que cette chose incroyablement belle que cette chose indiciblement joyeuse soit tellement dure aujourd'hui tellement étroite tellement sanglante tellement dégoûtante
Vivre
Nazim Hikmet
in Il neige dans la nuit et autres poèmes
(collection Poésie/Gallimard, 1999)
ALAIN LANCE
Entre DJ autistes
Et Djihadistes
(Mais n’oublions pas le changement climatique
Ni la révolution numérique)
Nous vivons un moment historique
Ou l’approche du désert ?
Sur le fil électrique
Le merle s’en balance
Explosions hystériques
Le malheur aveugle adresse une semonce
Nous n’aurons pour tout dessert
Que parasites et ronces.
Quel coucou s’obstine à trouer mon silence ?
Extrait de Alain Lance, Fantômémoires, éditions Tarabuste, 2019
Et Djihadistes
(Mais n’oublions pas le changement climatique
Ni la révolution numérique)
Nous vivons un moment historique
Ou l’approche du désert ?
Sur le fil électrique
Le merle s’en balance
Explosions hystériques
Le malheur aveugle adresse une semonce
Nous n’aurons pour tout dessert
Que parasites et ronces.
Quel coucou s’obstine à trouer mon silence ?
Extrait de Alain Lance, Fantômémoires, éditions Tarabuste, 2019
LAURE CAMBAU
ICONE
Tu suis les pas des lèvres déposées
lèvre historique
nuage d'une âme envolée
une mélodie peut-être
un peu de buée sur l'icône centrale
quelques gouttes d'or cassé
arrosé du lait vert des absents
et les traces de toutes les lèvres ferventes
sur toutes les langues restent gravées
intempestibles
et la Vierge noire se réveille
humide sous les caresses répétées
le Pope -barbe en terre barbe en eau-
la surveille et
avec soin range les extases
huile encens
la Vierge noire prend l'eau
morte pour la forme
vivante dans le désordre
des souffles idolâtres.
Laure Cambau
inédit
Tu suis les pas des lèvres déposées
lèvre historique
nuage d'une âme envolée
une mélodie peut-être
un peu de buée sur l'icône centrale
quelques gouttes d'or cassé
arrosé du lait vert des absents
et les traces de toutes les lèvres ferventes
sur toutes les langues restent gravées
intempestibles
et la Vierge noire se réveille
humide sous les caresses répétées
le Pope -barbe en terre barbe en eau-
la surveille et
avec soin range les extases
huile encens
la Vierge noire prend l'eau
morte pour la forme
vivante dans le désordre
des souffles idolâtres.
Laure Cambau
inédit
ROLAND CHOPARD
SOLiLOque DANS LA FORÊT
Qu’ont-ils arraché à la forêt et que la forêt lentement leur livre ?
Antonin Artaud
Suite et variation n° 6
(…)
Mais il faut tout de même qu’elle entre dans la forêt. La forêt est touffue, c’est difficile. Au début elle reste à proximité de l’orée, elle commence à couper quelques branches de noisetier, à s’imprégner de cette odeur humide, elle est encore un peu proche de la vraisemblance parce que c’est nouveau. La naïveté est encore là. Le parcours est hésitant.
L’orée franchie, toutes les épreuves surgissent aux détours, dans le dédale. Ce cheminement est une épreuve salutaire : il permet d’oublier les tabous, les habitudes, de chercher à dépasser les limites jusqu’aux « désordres des sens », de jouer avec le feu, avec l’oubli, les questions, la peur, de braver les obstacles, les difficultés de repérage.
(…)
La clairière est le lieu idéal pour le rite et le sublime expérimental, une aire de repos « loin des sons absurdes qui hantent les vies comme des bruits mensongers, loin des multiples gesticulations et turpitudes de ceux qui veulent étouffer les voix, loin des apprentis sorciers qui rêvent de museler les désirs ». Cela peut même être « claironné », oui claironné ». La fête peut commencer. Ce n’est pas un cri, c’est comme un appel. Dans cette aire, la voix peut profiter de cet écho discret. La forêt se peuple alors de présences : « Quand ils surgissent à la queu leu leu dans cette clairière, ils sont surpris par cette exubérance, encore perdus mais saisissant déjà quelques morceaux de cette expérience singulière, quelques signes indiquant l’ampleur de cette piste ». Un musicien souffle dans un instrument qui propage des sons dans les arbres. Des sons inouïs, des sens inouïs. De la musique avant tout. Les prémisses de la parole.
Roland Chopard
Extrait de Sous la cendre , éditions Lettres Vives, 2016
Qu’ont-ils arraché à la forêt et que la forêt lentement leur livre ?
Antonin Artaud
Suite et variation n° 6
(…)
Mais il faut tout de même qu’elle entre dans la forêt. La forêt est touffue, c’est difficile. Au début elle reste à proximité de l’orée, elle commence à couper quelques branches de noisetier, à s’imprégner de cette odeur humide, elle est encore un peu proche de la vraisemblance parce que c’est nouveau. La naïveté est encore là. Le parcours est hésitant.
L’orée franchie, toutes les épreuves surgissent aux détours, dans le dédale. Ce cheminement est une épreuve salutaire : il permet d’oublier les tabous, les habitudes, de chercher à dépasser les limites jusqu’aux « désordres des sens », de jouer avec le feu, avec l’oubli, les questions, la peur, de braver les obstacles, les difficultés de repérage.
(…)
La clairière est le lieu idéal pour le rite et le sublime expérimental, une aire de repos « loin des sons absurdes qui hantent les vies comme des bruits mensongers, loin des multiples gesticulations et turpitudes de ceux qui veulent étouffer les voix, loin des apprentis sorciers qui rêvent de museler les désirs ». Cela peut même être « claironné », oui claironné ». La fête peut commencer. Ce n’est pas un cri, c’est comme un appel. Dans cette aire, la voix peut profiter de cet écho discret. La forêt se peuple alors de présences : « Quand ils surgissent à la queu leu leu dans cette clairière, ils sont surpris par cette exubérance, encore perdus mais saisissant déjà quelques morceaux de cette expérience singulière, quelques signes indiquant l’ampleur de cette piste ». Un musicien souffle dans un instrument qui propage des sons dans les arbres. Des sons inouïs, des sens inouïs. De la musique avant tout. Les prémisses de la parole.
Roland Chopard
Extrait de Sous la cendre , éditions Lettres Vives, 2016
VOLKER BRAUN
Les iguanes
Ils gisent indolents dans la grise rocaille
Des vestiges des temples qui leur indiffèrent
Parfois ce n'est qu'une paupière qui bâille
Corps gris minéral, roche à l'angle vif
Mais les pattes sont lestes, et d'un bond furtif
Ils happent les moustiques, c'est la grande affaire.
Nous autres iguanes, d'une espèce récente
Parquée face aux courbes des monnaies cassantes,
Voyons les banques s'effondrer en silence.
Pas même la colère, pas même un rire.
Le temps ? Le pouvoir ? Cela va pourrir
Et dans le jour neuf le soleil s'élance.
Volker Braun,
extrait de Poèmes choisis,
Traduit de l'allemand par Jean-Paul Barbe et Alain Lance
Préface d'Alain Lance, éditions Gallimard, 2018.
Ils gisent indolents dans la grise rocaille
Des vestiges des temples qui leur indiffèrent
Parfois ce n'est qu'une paupière qui bâille
Corps gris minéral, roche à l'angle vif
Mais les pattes sont lestes, et d'un bond furtif
Ils happent les moustiques, c'est la grande affaire.
Nous autres iguanes, d'une espèce récente
Parquée face aux courbes des monnaies cassantes,
Voyons les banques s'effondrer en silence.
Pas même la colère, pas même un rire.
Le temps ? Le pouvoir ? Cela va pourrir
Et dans le jour neuf le soleil s'élance.
Volker Braun,
extrait de Poèmes choisis,
Traduit de l'allemand par Jean-Paul Barbe et Alain Lance
Préface d'Alain Lance, éditions Gallimard, 2018.
LILIANE GIRAUDON
BERNARD VARGAFTIG
Un cri nul désert
Un déplacement intérieur
Accomplissement exigence sans cesse.
Autant que le présent vient de naître
Distance éparpillée ouverte
Une faille jamais éloignée
Avec la soudaineté pour devenir
Syllabe rien que l’incitation
La liberté n’est aucune autre
Ni la peur comme ne se répète
Aucun mot le linge au-devant de l’enfance
Le souffle d’un balancement
L’été l’été l’échelle courir
Sans voir dans l’ensoleillement impatient
Qu’il manque un instant
A quoi l’oubli échappe-t-il ?
Bernard Vargaftig
In Ce n'est que l'enfance Éditions Arfuyen, 2008
Envoi Antre lieu
Un déplacement intérieur
Accomplissement exigence sans cesse.
Autant que le présent vient de naître
Distance éparpillée ouverte
Une faille jamais éloignée
Avec la soudaineté pour devenir
Syllabe rien que l’incitation
La liberté n’est aucune autre
Ni la peur comme ne se répète
Aucun mot le linge au-devant de l’enfance
Le souffle d’un balancement
L’été l’été l’échelle courir
Sans voir dans l’ensoleillement impatient
Qu’il manque un instant
A quoi l’oubli échappe-t-il ?
Bernard Vargaftig
In Ce n'est que l'enfance Éditions Arfuyen, 2008
Envoi Antre lieu
SAMIRA NEGROUCHE
Dans l’espace entre nous
il y a beaucoup
il y a ce qui est dit
et ce qui ne le sera jamais.
Il y a ce qui est écrit
et ce qui ne le sera jamais.
Il y a ce qui est pensé
il y a aussi ce qui est négligé.
Dans l’espace entre nous
il y a une nuée d’impossibles
comme chants d’oiseaux
que nous ne savons pas
retranscrire.
Il y a le poids du temps
il y a le poids des histoires
que nous ne partageons pas.
Dans l’espace entre nous
il y a aussi les accidents
qui nous submergent
ceux qui ouvrent parfois
une porte.
Cette porte,
nous la voyons parfois
nous choisissons parfois
de l‘emprunter.
Si je te parle
c’est à partir
de ce qui nous manque
que je te parle.
Samira Negrouche
Extrait de « Traces », à paraître aux éditions Fidel Anthelme X
il y a beaucoup
il y a ce qui est dit
et ce qui ne le sera jamais.
Il y a ce qui est écrit
et ce qui ne le sera jamais.
Il y a ce qui est pensé
il y a aussi ce qui est négligé.
Dans l’espace entre nous
il y a une nuée d’impossibles
comme chants d’oiseaux
que nous ne savons pas
retranscrire.
Il y a le poids du temps
il y a le poids des histoires
que nous ne partageons pas.
Dans l’espace entre nous
il y a aussi les accidents
qui nous submergent
ceux qui ouvrent parfois
une porte.
Cette porte,
nous la voyons parfois
nous choisissons parfois
de l‘emprunter.
Si je te parle
c’est à partir
de ce qui nous manque
que je te parle.
Samira Negrouche
Extrait de « Traces », à paraître aux éditions Fidel Anthelme X
JEAN-LUC DESPAX
Signe de reconnaissance
Vous me reconnaîtrez
À ma cicatrice intérieure
J’aurai un sac de voyage
Posé sur la chaise
Il contient la moitié du jour
Et le sel bleu des choix
Je n’ai pas de fleurs pour vous
Ni la rose du silence
La table est petite et
Je ne veux pas insulter
Votre beauté
J’ai commandé un café
En vous attendant
Un café très fort,
Quoi qu’il arrive.
***
Le moineau
Pas de poème triste, ce jour
Car je pense à ta joie.
Je l’invente à vrai dire amour,
Je ne te connais pas.
Restons simple: je mange un croissant
En ville, quelques miettes
Régalent un moineau bondissant.
Aurait-il la recette?
Tu serais à la table...
Eh, qui de nous deux vole en premier
La muse de cette fable?
Moi, qui ai commandé deux cafés?
***
Aux étoiles
Je compte les moutons
La volonté farouche
De ne pas en être un
Fait tout recommencer
Je compte tous les loups
Mais ils ont disparu
Au radar, invincibles,
Et je crains pour nos jambes
Je compte les oiseaux
Qui passent dans les films
Des nuages réels
Ils ne m’en veulent pas
Je compte tous les chiens
Et notamment les miens
M’ayant donné cet air
D’être un peu plus humain
Je compte tous les textes
Qu’il me faut entreprendre
Je me sens un peu bête
Qu’ils se comptent sans moi
Je compte le bruit sec
De la balle entreprise
Au lancer de hasard
Sur les murs incessants
Je compte
Tu comptes
Ils comptent
Et m’endors aux étoiles
Jean-Luc Despax
Inédits
Vous me reconnaîtrez
À ma cicatrice intérieure
J’aurai un sac de voyage
Posé sur la chaise
Il contient la moitié du jour
Et le sel bleu des choix
Je n’ai pas de fleurs pour vous
Ni la rose du silence
La table est petite et
Je ne veux pas insulter
Votre beauté
J’ai commandé un café
En vous attendant
Un café très fort,
Quoi qu’il arrive.
***
Le moineau
Pas de poème triste, ce jour
Car je pense à ta joie.
Je l’invente à vrai dire amour,
Je ne te connais pas.
Restons simple: je mange un croissant
En ville, quelques miettes
Régalent un moineau bondissant.
Aurait-il la recette?
Tu serais à la table...
Eh, qui de nous deux vole en premier
La muse de cette fable?
Moi, qui ai commandé deux cafés?
***
Aux étoiles
Je compte les moutons
La volonté farouche
De ne pas en être un
Fait tout recommencer
Je compte tous les loups
Mais ils ont disparu
Au radar, invincibles,
Et je crains pour nos jambes
Je compte les oiseaux
Qui passent dans les films
Des nuages réels
Ils ne m’en veulent pas
Je compte tous les chiens
Et notamment les miens
M’ayant donné cet air
D’être un peu plus humain
Je compte tous les textes
Qu’il me faut entreprendre
Je me sens un peu bête
Qu’ils se comptent sans moi
Je compte le bruit sec
De la balle entreprise
Au lancer de hasard
Sur les murs incessants
Je compte
Tu comptes
Ils comptent
Et m’endors aux étoiles
Jean-Luc Despax
Inédits
AARON SHABTAÏ
1
j’écris
une poésie
quitte
de double sens
mon sujet
c’est une âme
qui cherche racines
2
le sujet :
la fidélité
le style
propre à penser
les rapports sacrés
l’amour
et la fidélité
3
la fidélité
la constance
et la continuité
le travail
(le travail
à la maison
et au dehors)
la propreté
4
je vois
un meuble
une armoire pleine
en fait une caisse de bois
simplement peinte
qu’on appelle armoire
et meuble
5
et placé dans la cuisine
en face d’un meuble identique
je crois que dans la cuisine
il y a un paradis
de sagesse
Aaron Shabtaï
Le poème domestique, traduit de l’hébreu par Michel Eckhard-Elial. Éditions de l’éclat, 1987
envoi Daniel Biga
j’écris
une poésie
quitte
de double sens
mon sujet
c’est une âme
qui cherche racines
2
le sujet :
la fidélité
le style
propre à penser
les rapports sacrés
l’amour
et la fidélité
3
la fidélité
la constance
et la continuité
le travail
(le travail
à la maison
et au dehors)
la propreté
4
je vois
un meuble
une armoire pleine
en fait une caisse de bois
simplement peinte
qu’on appelle armoire
et meuble
5
et placé dans la cuisine
en face d’un meuble identique
je crois que dans la cuisine
il y a un paradis
de sagesse
Aaron Shabtaï
Le poème domestique, traduit de l’hébreu par Michel Eckhard-Elial. Éditions de l’éclat, 1987
envoi Daniel Biga
DANIEL BIGA
POURQUOI
…les sources recoulent-elles
quand le monde est en danger ?
pourquoi élaguer un orme énorme ?
pourquoi Tahar a-t-il peur en enfonçant sa main
toute entière dans le trou sur la berge du fleuve ?
pourquoi sur de longues tiges d’herbe
les fourmis font-elles leurs Tarzanes
pourquoi aimons-nous l’eau claire
dans un verre transparent ?
pourquoi faut-il méditer ? ou au moins écrire ?
pourquoi faut-il lire Arno Schmidt et Tarjei Vesaas
et André Dhôtel et Aaron Shabtaï …et…
( pourquoi les noms s’effacent-ils de ma mémoire ?)
quand ? tant qu’il est temps
ces questions essentielles superficielles
et tant d’autres
ALIMENTATION GÉNÉRALE tente de poser sinon de
répondre
Daniel Biga
Alimentation générale. Éditions Unes, 2014
…les sources recoulent-elles
quand le monde est en danger ?
pourquoi élaguer un orme énorme ?
pourquoi Tahar a-t-il peur en enfonçant sa main
toute entière dans le trou sur la berge du fleuve ?
pourquoi sur de longues tiges d’herbe
les fourmis font-elles leurs Tarzanes
pourquoi aimons-nous l’eau claire
dans un verre transparent ?
pourquoi faut-il méditer ? ou au moins écrire ?
pourquoi faut-il lire Arno Schmidt et Tarjei Vesaas
et André Dhôtel et Aaron Shabtaï …et…
( pourquoi les noms s’effacent-ils de ma mémoire ?)
quand ? tant qu’il est temps
ces questions essentielles superficielles
et tant d’autres
ALIMENTATION GÉNÉRALE tente de poser sinon de
répondre
Daniel Biga
Alimentation générale. Éditions Unes, 2014
RÉGIS LEFORT
Poème premier :
Il chercha longtemps la voie d’eau sans l’idée de la parcourir. Ce qu’il cherchait au juste, il ne le savait pas. Mais sa conviction allait vers l’iode et s’y rassemblait en un mouvement d’en-allée, en une façon simple de parcourir, en un sentiment abrupt et exact de devancer. Il marchait le long de la mousse des vagues. Ce n’était pas de l’écume. Cela aussi, il le savait. Et à tordre ses mollets, l’avenir s’affirmait comme la rouille des vents, rose sur son front. Il marchait. Il ne s’arrêtait que pour fixer le sable sans savoir pourquoi ou pour fouiller l’horizon de sa ligne qui séparait moins le paysage qu’elle ne séparait son cœur. Parfois, la fraîcheur lui venait de l’intérieur des joues et descendait vers la mer. Il était nu et courrouçait sans complément. Son ventre était son règne. Sa voix le tenait attaché à ce qui n’avait pas de voix. La conque n’est musicale qu’à souffrir l’ablation, se dit-il sans comprendre. Mais il parcourait, là était l’essentiel. Sa destination unitaire rougissait le soir. Il était nu de sa recherche. Il traversait le jour. Il traverserait un jour. Il traverserait. L’eau, le temps et les vagues extrêmes. L’archange lui tenait lieu de main.
***
Poème dernier :
Il embrassa la nuit et la coucha, abstraite. Un bouillonnement s’était mis à dévaster, orange, son cœur. De petites déflagrations éruptives, dans lesquelles le mica renvoyait la lumière par intermittences, débordaient et commençaient à produire, au bord de ses yeux, un ru d’une épaisseur incompréhensible. Il pensa qu’il allait changer de temps. Il espérait, merveilleux, que viendrait bientôt celui de la rejoindre. Mais son corps semblait ne pas vouloir se décider à une nouvelle déflagration recomposition. Lorsque la lave commença à imprégner le sable, à ses pieds, il remonta ses ailes sur le haut de son corps pour éviter qu’elles ne fussent brûlées. Il n’était déjà plus que scintillement. Au loin, les montagnes tombaient dans la mer et menaçaient de s’affaisser sous la lumière maintenant unie à la couleur orange. Un chemin s’était ouvert sur lequel il semblait qu’il eût pu l’absorber. En son absence, il sentait plus que jamais l’irradiation de l’amour. Il allait vers l’iode pour s’y rassembler en un mouvement d’en-allée, en une façon simple de parcourir, en un sentiment abrupt et exact de devancer.
Régis Lefort,
Il, et sa nuit, Nevers, la tête à l’envers, 2020.
Il chercha longtemps la voie d’eau sans l’idée de la parcourir. Ce qu’il cherchait au juste, il ne le savait pas. Mais sa conviction allait vers l’iode et s’y rassemblait en un mouvement d’en-allée, en une façon simple de parcourir, en un sentiment abrupt et exact de devancer. Il marchait le long de la mousse des vagues. Ce n’était pas de l’écume. Cela aussi, il le savait. Et à tordre ses mollets, l’avenir s’affirmait comme la rouille des vents, rose sur son front. Il marchait. Il ne s’arrêtait que pour fixer le sable sans savoir pourquoi ou pour fouiller l’horizon de sa ligne qui séparait moins le paysage qu’elle ne séparait son cœur. Parfois, la fraîcheur lui venait de l’intérieur des joues et descendait vers la mer. Il était nu et courrouçait sans complément. Son ventre était son règne. Sa voix le tenait attaché à ce qui n’avait pas de voix. La conque n’est musicale qu’à souffrir l’ablation, se dit-il sans comprendre. Mais il parcourait, là était l’essentiel. Sa destination unitaire rougissait le soir. Il était nu de sa recherche. Il traversait le jour. Il traverserait un jour. Il traverserait. L’eau, le temps et les vagues extrêmes. L’archange lui tenait lieu de main.
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Poème dernier :
Il embrassa la nuit et la coucha, abstraite. Un bouillonnement s’était mis à dévaster, orange, son cœur. De petites déflagrations éruptives, dans lesquelles le mica renvoyait la lumière par intermittences, débordaient et commençaient à produire, au bord de ses yeux, un ru d’une épaisseur incompréhensible. Il pensa qu’il allait changer de temps. Il espérait, merveilleux, que viendrait bientôt celui de la rejoindre. Mais son corps semblait ne pas vouloir se décider à une nouvelle déflagration recomposition. Lorsque la lave commença à imprégner le sable, à ses pieds, il remonta ses ailes sur le haut de son corps pour éviter qu’elles ne fussent brûlées. Il n’était déjà plus que scintillement. Au loin, les montagnes tombaient dans la mer et menaçaient de s’affaisser sous la lumière maintenant unie à la couleur orange. Un chemin s’était ouvert sur lequel il semblait qu’il eût pu l’absorber. En son absence, il sentait plus que jamais l’irradiation de l’amour. Il allait vers l’iode pour s’y rassembler en un mouvement d’en-allée, en une façon simple de parcourir, en un sentiment abrupt et exact de devancer.
Régis Lefort,
Il, et sa nuit, Nevers, la tête à l’envers, 2020.
HABIB TENGOUR
Le temps du corona 2
Nous avons ri sommes sortis ce vendredi
Puis récidivé le samedi
Système plus malsain que virus nous avons dit
Ce que Dieu expédie on le supporte
Mais des militaires n’en voulons pas
Ce qu’on veut un Etat civil
Une justice sans téléphone
Des urnes non truquées
Le peuple libéré décide
L’armée aux casernes
Corona c’est votre pouvoir en place
Vos exactions y en a marre
Votre président maquillé
Tous ces brosseurs lorgnant portefeuilles
Finance culture écologie qu’importe
Vous désirez ce monde corrompu
Notre idéal est plus beau
Un pays libre sans entraves
Que vos chouraves ont dévasté
Les prisons regorgent d’innocents
Nous savons la pandémie très grave
La lutte continue autrement
Notre mouvement citoyen saura
Eradiquer ce mal et demain
Sortir plus résolu que jamais
Nos moyens sont faibles mais unis nous
Distribuons gel masques et nourritures
Aux démunis apportons espoir quand
Les hôpitaux déglingués paniquent
Paris n’est plus là pour vous soigner
Nous l’avons dit déjà marche arrière
Pas question nous enfants d’Amirouche
Ne craignons ni balles ni menottes
Sitôt levée du confinement nous
Reprendrons nos marches DEGAGEZ TOUS
Habib Tengour,
Inédit, Le Kremlin-Bicêtre, 27-31 mars/11 avril 2020
Nous avons ri sommes sortis ce vendredi
Puis récidivé le samedi
Système plus malsain que virus nous avons dit
Ce que Dieu expédie on le supporte
Mais des militaires n’en voulons pas
Ce qu’on veut un Etat civil
Une justice sans téléphone
Des urnes non truquées
Le peuple libéré décide
L’armée aux casernes
Corona c’est votre pouvoir en place
Vos exactions y en a marre
Votre président maquillé
Tous ces brosseurs lorgnant portefeuilles
Finance culture écologie qu’importe
Vous désirez ce monde corrompu
Notre idéal est plus beau
Un pays libre sans entraves
Que vos chouraves ont dévasté
Les prisons regorgent d’innocents
Nous savons la pandémie très grave
La lutte continue autrement
Notre mouvement citoyen saura
Eradiquer ce mal et demain
Sortir plus résolu que jamais
Nos moyens sont faibles mais unis nous
Distribuons gel masques et nourritures
Aux démunis apportons espoir quand
Les hôpitaux déglingués paniquent
Paris n’est plus là pour vous soigner
Nous l’avons dit déjà marche arrière
Pas question nous enfants d’Amirouche
Ne craignons ni balles ni menottes
Sitôt levée du confinement nous
Reprendrons nos marches DEGAGEZ TOUS
Habib Tengour,
Inédit, Le Kremlin-Bicêtre, 27-31 mars/11 avril 2020
GUILLEVIC
Insensé:
Je rêve d’être l’azur
Et de là-haut regarder
Vivre les hommes.
Pour me calmer
Je me dis que l’azur
Ne se préoccupe pas de nous
Et que d’ailleurs
Il ne sait même pas
Ce qu’il fait là,
Même pas qu’il existe.
― Moi, si j’étais l’azur
Le monde serait-il
Mon atelier ?
Guillevic
extrait du recueil Quotidiennes, (1995)
Envoi Manuel Charrier
Je rêve d’être l’azur
Et de là-haut regarder
Vivre les hommes.
Pour me calmer
Je me dis que l’azur
Ne se préoccupe pas de nous
Et que d’ailleurs
Il ne sait même pas
Ce qu’il fait là,
Même pas qu’il existe.
― Moi, si j’étais l’azur
Le monde serait-il
Mon atelier ?
Guillevic
extrait du recueil Quotidiennes, (1995)
Envoi Manuel Charrier