GERMAIN ROESZ
IMAGE: Head, Sur boîte le savoureux, 27,7x21,5cm, 2008 - 2020
TEXTES
Mardi 14 avril
Autarcie et vibrillonement
Tourne rond et pointe en avant
Embrassades et maintient à distance
Comment tu m’aimes
Comment tu m’aimeras
Comment tu m’oublies
Embrasse-moi dans le nouveau monde
Mercredi 15 avril
Un soleil froid
Céladon bleu
Comme un nuage léger
Une part de poussière
Prend une couleur mordorée
Un grain tenace
Qui brille dans la toile noire
Sous la bâche noire
Un grain d’or
Dans la paume de la main
Et le creux des yeux
Ça pétille encore
Dans le bain cosmique
D’où nous venons
Ça pétillera encore
Lorsque les grains s’aggloméreront
Cette durée est une page blanche
Une étendue de neige
Dans laquelle nous pourrions avancer
Dans laquelle nous avançons le pas des mots
Qui surgissent
Une page blanche
Qui pourrait nous réinventer
Nous approcher d’une émergence lointaine
De mots pas à pas
Ecrits dans une distance blanche
Des blancs qui auraient autant de sens
Que le mot lui-même
Qui lui confèreraient sa texture
Son écho
Sa profondeur
Des blancs de plus en plus lumineux
Des éclats de lumière
Qui viendraient du dessus et du dessous
Des blancs qui feraient exploser
Les fonctionnements physiques
Dont nous avons l’habitude
Des blancs qui dynamiteraient
Les habitudes
Et nous feraient pleuvoir les mots outragés
Découpés au chalumeau du sens
Des blancs que nous ne remplirions pas
Par peur de les pervertir
De les pourrir
Des blancs sur lesquels nous ne recomposerons pas
Les mots défaits
Des blancs qui deviendraient mots eux-mêmes
Nouveaux
Inattendus
Jusqu’à la prochaine blancheur
Qui recouvrira tout
À recommencer pour commencer toujours
En tête d’un espace qui avale et régurgite
L’ancien monde
Un blanc vierge immaculé
Que nous n’oserions fouler
Pas même une parole reconstituée
Un socle du monde à l’envers du monde
Au-delà du monde
Qu’il faudra creuser cogner agripper
Un socle blanc qui serait le monde même
Dans une forme inconnue
Indescriptible
Un blanc soclé sur du blanc
Entre le blanc et le blanc
Comme un voile à l’épaisseur infinie
Ou infime
Ce serait pareil
Et nous serions pris dans la voilure blanche de notre peau
Et nous serions le mouvement de la voile
Et dans le mouvement de la voile
Nous ferions corps avec le blanc
Jusqu’à comprendre
Que ce blanc
C’est nous qui l’avons écrit
Germain Roesz,
extrait de VracS, covinédit, avril 2020
***
Mercredi 6 mai 2020.
Soit
Il en sera ainsi
Tu ne sauras pas
Soit
Tu ne sais pas
Et cela ne changera rien
Tu sais si peu
Et cela change tout
Jeudi 7 mai 2020
Au bord de la nuque
Tout s’immobilise
Se calcifie
Un arc comme une pierre te tient de regard
Qui fait pivoter ton corps
Pour voir
Ressentir les coups
Que la chaleur progresse
Ces vertiges
Vestiges dans ta tête
Nausées qui te disent t’es vivant
Encore un mot
Qui croît en toi
Encore une phrase
Qui transporte ta durée
Encore une lumière
Qui s’adoucit quand tu l’observes
Encore un face à face
Qui ne s’effacera jamais
Tant travaillé le fleuve
Qu’il coule en toi
En silence
Dans un silex qui se grave sur ta peau
vendredi 8 mai
A traîner
Des sillons acérés
L’air ne tremble plus
Juste un oiseau en déséquilibre
Qui rogne ses ailes
Il sait s’adapter
Pour traverser le ravin qui rétrécit
Samedi 9 mai
Quelle fête bouleverse
Dans le chemin qui bascule
Faut-il rire parce qu’on nous le dit
Faut-il pleurer parce qu’on nous l’impose
Quelle fête renverse la peur
Demain comme avant
Faire tomber la peur
Demain comme hier
Secouer la poussière
Pour aérer un peu
La lumière
Je t’embrasse
Je te caresse
Je lisse tes cheveux
Je berce ta main
Après
Je ferai pareil
Dimanche 10 mai
De fines épines
Brillantes
Pointent ton regard
Font noir dans ton paysage
Pour les voir plus scintillantes
Germain Roesz
Inédit
TEXTES
Mardi 14 avril
Autarcie et vibrillonement
Tourne rond et pointe en avant
Embrassades et maintient à distance
Comment tu m’aimes
Comment tu m’aimeras
Comment tu m’oublies
Embrasse-moi dans le nouveau monde
Mercredi 15 avril
Un soleil froid
Céladon bleu
Comme un nuage léger
Une part de poussière
Prend une couleur mordorée
Un grain tenace
Qui brille dans la toile noire
Sous la bâche noire
Un grain d’or
Dans la paume de la main
Et le creux des yeux
Ça pétille encore
Dans le bain cosmique
D’où nous venons
Ça pétillera encore
Lorsque les grains s’aggloméreront
Cette durée est une page blanche
Une étendue de neige
Dans laquelle nous pourrions avancer
Dans laquelle nous avançons le pas des mots
Qui surgissent
Une page blanche
Qui pourrait nous réinventer
Nous approcher d’une émergence lointaine
De mots pas à pas
Ecrits dans une distance blanche
Des blancs qui auraient autant de sens
Que le mot lui-même
Qui lui confèreraient sa texture
Son écho
Sa profondeur
Des blancs de plus en plus lumineux
Des éclats de lumière
Qui viendraient du dessus et du dessous
Des blancs qui feraient exploser
Les fonctionnements physiques
Dont nous avons l’habitude
Des blancs qui dynamiteraient
Les habitudes
Et nous feraient pleuvoir les mots outragés
Découpés au chalumeau du sens
Des blancs que nous ne remplirions pas
Par peur de les pervertir
De les pourrir
Des blancs sur lesquels nous ne recomposerons pas
Les mots défaits
Des blancs qui deviendraient mots eux-mêmes
Nouveaux
Inattendus
Jusqu’à la prochaine blancheur
Qui recouvrira tout
À recommencer pour commencer toujours
En tête d’un espace qui avale et régurgite
L’ancien monde
Un blanc vierge immaculé
Que nous n’oserions fouler
Pas même une parole reconstituée
Un socle du monde à l’envers du monde
Au-delà du monde
Qu’il faudra creuser cogner agripper
Un socle blanc qui serait le monde même
Dans une forme inconnue
Indescriptible
Un blanc soclé sur du blanc
Entre le blanc et le blanc
Comme un voile à l’épaisseur infinie
Ou infime
Ce serait pareil
Et nous serions pris dans la voilure blanche de notre peau
Et nous serions le mouvement de la voile
Et dans le mouvement de la voile
Nous ferions corps avec le blanc
Jusqu’à comprendre
Que ce blanc
C’est nous qui l’avons écrit
Germain Roesz,
extrait de VracS, covinédit, avril 2020
***
Mercredi 6 mai 2020.
Soit
Il en sera ainsi
Tu ne sauras pas
Soit
Tu ne sais pas
Et cela ne changera rien
Tu sais si peu
Et cela change tout
Jeudi 7 mai 2020
Au bord de la nuque
Tout s’immobilise
Se calcifie
Un arc comme une pierre te tient de regard
Qui fait pivoter ton corps
Pour voir
Ressentir les coups
Que la chaleur progresse
Ces vertiges
Vestiges dans ta tête
Nausées qui te disent t’es vivant
Encore un mot
Qui croît en toi
Encore une phrase
Qui transporte ta durée
Encore une lumière
Qui s’adoucit quand tu l’observes
Encore un face à face
Qui ne s’effacera jamais
Tant travaillé le fleuve
Qu’il coule en toi
En silence
Dans un silex qui se grave sur ta peau
vendredi 8 mai
A traîner
Des sillons acérés
L’air ne tremble plus
Juste un oiseau en déséquilibre
Qui rogne ses ailes
Il sait s’adapter
Pour traverser le ravin qui rétrécit
Samedi 9 mai
Quelle fête bouleverse
Dans le chemin qui bascule
Faut-il rire parce qu’on nous le dit
Faut-il pleurer parce qu’on nous l’impose
Quelle fête renverse la peur
Demain comme avant
Faire tomber la peur
Demain comme hier
Secouer la poussière
Pour aérer un peu
La lumière
Je t’embrasse
Je te caresse
Je lisse tes cheveux
Je berce ta main
Après
Je ferai pareil
Dimanche 10 mai
De fines épines
Brillantes
Pointent ton regard
Font noir dans ton paysage
Pour les voir plus scintillantes
Germain Roesz
Inédit
EDMOND JABÈS
Je vous écris d'un monde pesant
Aussi belle que la main de l'aimée
sur la mer.
Aussi seule.
J'écris pour vous. La douleur est un coquillage. On y écoute
perler le cœur.
J'écris pour vous, au seuil de l'idylle, pour la plante aux feuilles
d'eau, aux épines de flammes, pour la rose d' Amour.
J'écris pour rien, pour les mots luisants que trace ma mort, pour
l'instant de vie éternellement dû.
Aussi belle que la main de l'aimée
sur le signe.
Aussi seule.
J'écris pour tous. Je vous écris d'un pays, pesant, comme les pas
du forçat, d'une ville pareille aux autres, où les cris camouflés,
se tordent dans les vitrines ; d'une chambre où les cils,
ont détruit, petit à petit, le silence.
Vous êtes, destinatrice prédestinée, ma raison d'écrire ;
l'inspiratrice joyeuse du jour et de la nuit.
Vous êtes le col du cygne assoiffé d'azur.
Aussi belle que la main de l'aimée
sur les yeux.
Aussi douce.
Je vous écris avec la chair des mots accourus, haletants et
rouges.
C'est bien vous qu'ils entourent. Je suis tous les mots qui m' ha-
bitent et chacun d'eux vous magnifie avec ma voix. J'ai
besoin de vous pour aimer, pour être aimé des mots qui
m'élisent. J'ai besoin de souffrir de vos griffes afin de sur-
vivre aux blessures du poème.
Flèche et cible, alternativement. J'ai besoin d'être à votre merci
pour me libérer de moi-même.
Les mots m'ont appris à me méfier des objets qu'ils incarnent.
Le visage est le refuge des yeux pourchassés. J'aspire à devenir
aveugle.
Aussi belle que la main de l'aimée
sur le sourire de l'enfant.
Aussi transparente.
Je songe aux jouets de mes cinq ans. Une fois miens, ils furent
les maîtres. Je croyais pouvoir, avant qu'on me les offrit,
les manier à ma fantaisie. Je m'aperçus très vite que je
pouvais les détruire au gré de mon humeur; mais si
je les voulais vivants, que je devais respecter leur mécanisme,
leur âme immortelle.
Ainsi le langage.
Je dois aux mots la joie et les larmes de mes cahiers d'écolier,
de mes carnets d'adulte.
Et aussi ma solitude.
Je dois aux mots mon inquiétude. Je m'efforce de répondre à
leurs questions qui sont mes brûlantes interrogations.
Edmond Jabès
In L'écorce du monde Éditions Seghers
envoi Antre Lieu
Aussi belle que la main de l'aimée
sur la mer.
Aussi seule.
J'écris pour vous. La douleur est un coquillage. On y écoute
perler le cœur.
J'écris pour vous, au seuil de l'idylle, pour la plante aux feuilles
d'eau, aux épines de flammes, pour la rose d' Amour.
J'écris pour rien, pour les mots luisants que trace ma mort, pour
l'instant de vie éternellement dû.
Aussi belle que la main de l'aimée
sur le signe.
Aussi seule.
J'écris pour tous. Je vous écris d'un pays, pesant, comme les pas
du forçat, d'une ville pareille aux autres, où les cris camouflés,
se tordent dans les vitrines ; d'une chambre où les cils,
ont détruit, petit à petit, le silence.
Vous êtes, destinatrice prédestinée, ma raison d'écrire ;
l'inspiratrice joyeuse du jour et de la nuit.
Vous êtes le col du cygne assoiffé d'azur.
Aussi belle que la main de l'aimée
sur les yeux.
Aussi douce.
Je vous écris avec la chair des mots accourus, haletants et
rouges.
C'est bien vous qu'ils entourent. Je suis tous les mots qui m' ha-
bitent et chacun d'eux vous magnifie avec ma voix. J'ai
besoin de vous pour aimer, pour être aimé des mots qui
m'élisent. J'ai besoin de souffrir de vos griffes afin de sur-
vivre aux blessures du poème.
Flèche et cible, alternativement. J'ai besoin d'être à votre merci
pour me libérer de moi-même.
Les mots m'ont appris à me méfier des objets qu'ils incarnent.
Le visage est le refuge des yeux pourchassés. J'aspire à devenir
aveugle.
Aussi belle que la main de l'aimée
sur le sourire de l'enfant.
Aussi transparente.
Je songe aux jouets de mes cinq ans. Une fois miens, ils furent
les maîtres. Je croyais pouvoir, avant qu'on me les offrit,
les manier à ma fantaisie. Je m'aperçus très vite que je
pouvais les détruire au gré de mon humeur; mais si
je les voulais vivants, que je devais respecter leur mécanisme,
leur âme immortelle.
Ainsi le langage.
Je dois aux mots la joie et les larmes de mes cahiers d'écolier,
de mes carnets d'adulte.
Et aussi ma solitude.
Je dois aux mots mon inquiétude. Je m'efforce de répondre à
leurs questions qui sont mes brûlantes interrogations.
Edmond Jabès
In L'écorce du monde Éditions Seghers
envoi Antre Lieu
SOLIRENNE
Les mères achèvent le ciel
retournent la terre
griffent l’espace.
Aucune d’elles ne traverse la vie
en hurlant.
Les filles meurent plus nombreuses
que les étoiles.
Absence irriguée
silence inversé.
Le temps vacille,
découd la langue maternelle.
« Il » est le motif
« elle » la trouée.
Il est cadeau, absolu bibelot
elle est l’abolie.
L’œil des mères rouille
point de mire déporté.
India Song hallucine sari ombilic.
Disloquer l’harmonie devenue hantise
tant de fois
pour des milliers de naissances anonymes
imprimées XX.
Point de mire déporté.
Une fois, deux fois, trois fois de suite
un souffle le dernier.
Morte minuscule. Gage d’astreinte.
(La nouvelle lésée ne laisse aucune trace)
[…]
Solirenne
Extrait de MédéA Ed. Rougier V. éd. Collection Plis Urgents, n°34, 2014
retournent la terre
griffent l’espace.
Aucune d’elles ne traverse la vie
en hurlant.
Les filles meurent plus nombreuses
que les étoiles.
Absence irriguée
silence inversé.
Le temps vacille,
découd la langue maternelle.
« Il » est le motif
« elle » la trouée.
Il est cadeau, absolu bibelot
elle est l’abolie.
L’œil des mères rouille
point de mire déporté.
India Song hallucine sari ombilic.
Disloquer l’harmonie devenue hantise
tant de fois
pour des milliers de naissances anonymes
imprimées XX.
Point de mire déporté.
Une fois, deux fois, trois fois de suite
un souffle le dernier.
Morte minuscule. Gage d’astreinte.
(La nouvelle lésée ne laisse aucune trace)
[…]
Solirenne
Extrait de MédéA Ed. Rougier V. éd. Collection Plis Urgents, n°34, 2014
MOHAMMED BENNIS
Libère-toi de toi
va profond
dans les espaces ténébreux
vers ta lumière
La boue de la soumission
menace-la d’une tempête Habite
sous la coupole de ton silence
Ta nuit a des bassins de lumière
Ta joie à présent
est un vide
Il se creuse inodore
dans ta poitrine
Tes souffles ont fondu
leur flamme Tu l’accompagnes
et elle s’infiltre
par des trous égarés
puis elle trouve une forme
dans la gloire
de tes vagues
(...)
L'eau inaugure le lieu
L'eau, âme libre venant à toi
du moindre obscur
Écoute l'eau
toi
qui passes cette porte
Premier pas
est l'amour
Tous les suivants gravissent la mémoire
pour saluer les passants
Ici, nul étranger
Tous frères nous sommes
venus glorifier la pureté de l'eau
Ô souveraine qui veilles à la pureté
n'oublie pas qu'entre tes mains
l'eau fait fleurir l'âme et coule jusqu'à l'infini
Rien ne te sépare de cet air
rien de ce silence
Que je touche une pousse
revient pour moi
à toucher l'étoile
Notre nature est la même
Ici. j'écoute les entrailles qui scandent
Écris le salut
écris l'absence
Si j'étais ici une fois
je serais toujours ici
Les plafonds ne sont pas moins hauts que le ciel
les branches pas plus lentes que l'aile d'une tourterelle
L'escalier qui conduit à ma chambre
mène aussi au théâtre des mots
Scrute cette lumière jaillissant de la pierre
Les coins écartés du jardin se rapprochent les uns des autres
Le courant d'eau les pousse dans la paix de la vasque solitaire
Lente, l'ombre avance
portant nos pas
vers ce que nous ne connaissons pas
Libère-toi de l'allégresse de la fin
Tu es voué à cette marche
d'une âme l'autre
et les revenants ne se rappellent plus qui tu es
Habite la chambre du silence
Comme un sourire retenu
les miroitements reproduisent
des fleurs jamais semblables
Le jardin accueille chaque fois les premiers souffles
A chaque pas
commence
la danse
L'Andalousie n'est pas un vocable
Regarde
ces couleurs de musique
ces traces
d'amants
Ne cherche pas d'autre lieu
Ici
est l'Andalousie de l'eau ton
Andalousie
Le jardin des déserts
recueille
mes amis errants
l'un
après l'autre
Ils sont ici
échangeant des coupes de vin
sans relâche
Les nuits se déversent
sur des pentes descendant
vers les vallées du silence
Mais les amis se réunissent ici
nuit
après nuit
jardin
désert
Mohammed Bennis,
In Le Don du vide, Éditions de L’Escampette, 1999.
Traduit de l’arabe par Bernard Noël en collaboration avec l’auteur.
envoi l'Antre lieu
va profond
dans les espaces ténébreux
vers ta lumière
La boue de la soumission
menace-la d’une tempête Habite
sous la coupole de ton silence
Ta nuit a des bassins de lumière
Ta joie à présent
est un vide
Il se creuse inodore
dans ta poitrine
Tes souffles ont fondu
leur flamme Tu l’accompagnes
et elle s’infiltre
par des trous égarés
puis elle trouve une forme
dans la gloire
de tes vagues
(...)
L'eau inaugure le lieu
L'eau, âme libre venant à toi
du moindre obscur
Écoute l'eau
toi
qui passes cette porte
Premier pas
est l'amour
Tous les suivants gravissent la mémoire
pour saluer les passants
Ici, nul étranger
Tous frères nous sommes
venus glorifier la pureté de l'eau
Ô souveraine qui veilles à la pureté
n'oublie pas qu'entre tes mains
l'eau fait fleurir l'âme et coule jusqu'à l'infini
Rien ne te sépare de cet air
rien de ce silence
Que je touche une pousse
revient pour moi
à toucher l'étoile
Notre nature est la même
Ici. j'écoute les entrailles qui scandent
Écris le salut
écris l'absence
Si j'étais ici une fois
je serais toujours ici
Les plafonds ne sont pas moins hauts que le ciel
les branches pas plus lentes que l'aile d'une tourterelle
L'escalier qui conduit à ma chambre
mène aussi au théâtre des mots
Scrute cette lumière jaillissant de la pierre
Les coins écartés du jardin se rapprochent les uns des autres
Le courant d'eau les pousse dans la paix de la vasque solitaire
Lente, l'ombre avance
portant nos pas
vers ce que nous ne connaissons pas
Libère-toi de l'allégresse de la fin
Tu es voué à cette marche
d'une âme l'autre
et les revenants ne se rappellent plus qui tu es
Habite la chambre du silence
Comme un sourire retenu
les miroitements reproduisent
des fleurs jamais semblables
Le jardin accueille chaque fois les premiers souffles
A chaque pas
commence
la danse
L'Andalousie n'est pas un vocable
Regarde
ces couleurs de musique
ces traces
d'amants
Ne cherche pas d'autre lieu
Ici
est l'Andalousie de l'eau ton
Andalousie
Le jardin des déserts
recueille
mes amis errants
l'un
après l'autre
Ils sont ici
échangeant des coupes de vin
sans relâche
Les nuits se déversent
sur des pentes descendant
vers les vallées du silence
Mais les amis se réunissent ici
nuit
après nuit
jardin
désert
Mohammed Bennis,
In Le Don du vide, Éditions de L’Escampette, 1999.
Traduit de l’arabe par Bernard Noël en collaboration avec l’auteur.
envoi l'Antre lieu
VALÉRIE ROUZEAU
Pendant qu’elle digitale envoie textos
Ses orteils dansent nus vernis vernis nus
Sous son trône d’un moment siège de tram
Elle pianote joliment ses jtm
Sur le bout des doigts ses ongles papillonnent
Rose et noir noir et rose aux mains aux pieds
Gracieuse et concentrée tkt lol dsl
Elle envoie ses textos comme des bulles des baisers
En traversant le paysage de printemps
Les arbres en fleur pommiers pêchers
Peuplés de turques tourterelles
Voie royale vers quel paradis
Est-ce aimer est-ce fragiles abeilles
Émue remuée jusqu’aux orteils
Valérie Rouzeau
in Vrouz, éditions de la Table Ronde, 2012.
Envoi Jacques Fournier
Ses orteils dansent nus vernis vernis nus
Sous son trône d’un moment siège de tram
Elle pianote joliment ses jtm
Sur le bout des doigts ses ongles papillonnent
Rose et noir noir et rose aux mains aux pieds
Gracieuse et concentrée tkt lol dsl
Elle envoie ses textos comme des bulles des baisers
En traversant le paysage de printemps
Les arbres en fleur pommiers pêchers
Peuplés de turques tourterelles
Voie royale vers quel paradis
Est-ce aimer est-ce fragiles abeilles
Émue remuée jusqu’aux orteils
Valérie Rouzeau
in Vrouz, éditions de la Table Ronde, 2012.
Envoi Jacques Fournier
RAPHAËLLE GEORGE
La fatigue vient avec la nuit,
nous pourrions croire que par elle nous communions
nous respirons du même vent que tout ce qui appartient
au cycle du jour et de la nuit.
Elle paraît comme un poids, ce poids qui nous fait chuter au centre de l'être
et pourtant elle ne pèse pas.
Elle n'a pas de visage, effaçant presque le nôtre
soudain nous ne sentons ni la faim, ni aucune nécessité
et nos pensées vagues sont comme des murmures étrangers
échos lointains de combats inachevés.
Tant de gorges sont serrées contre les murs.
Raphaële George
Eloge de la fatigue ( précédé de Les Nuits échangées) éditions Lettres Vives, 1985, p.46
Envoi J. G. Coscullulela
nous pourrions croire que par elle nous communions
nous respirons du même vent que tout ce qui appartient
au cycle du jour et de la nuit.
Elle paraît comme un poids, ce poids qui nous fait chuter au centre de l'être
et pourtant elle ne pèse pas.
Elle n'a pas de visage, effaçant presque le nôtre
soudain nous ne sentons ni la faim, ni aucune nécessité
et nos pensées vagues sont comme des murmures étrangers
échos lointains de combats inachevés.
Tant de gorges sont serrées contre les murs.
Raphaële George
Eloge de la fatigue ( précédé de Les Nuits échangées) éditions Lettres Vives, 1985, p.46
Envoi J. G. Coscullulela
PHILIPPE DENIS
Parole de pauvreté, parole souterraine
au levant d'une blessure
qui se perpétue
en lignée...
Par la bouche la plus pauvre,
par ce froid inemployé,
où la parole se retourne
contre moi -
j'ai crié
m'égratignant au silence
commun,
j'ai parlé
dans la parole
le vœu qui y parle...
Sans que nulle mémoire
ne lègue
de distractions devant la mort.
Philippe Denis
Chemins faisant : poèmes 1974-2014, éditions Le Bruit du Temps, 2018, p.96
Envoi J. G. Cosculluela
au levant d'une blessure
qui se perpétue
en lignée...
Par la bouche la plus pauvre,
par ce froid inemployé,
où la parole se retourne
contre moi -
j'ai crié
m'égratignant au silence
commun,
j'ai parlé
dans la parole
le vœu qui y parle...
Sans que nulle mémoire
ne lègue
de distractions devant la mort.
Philippe Denis
Chemins faisant : poèmes 1974-2014, éditions Le Bruit du Temps, 2018, p.96
Envoi J. G. Cosculluela
JACQUES JOUET
QU’EST-CE QU’UN POÈME DE MÉTRO ?
J’écris, de temps à autre, des poèmes de métro. Ce poème en est un. Voulez-vous savoir ce qu’est un poème de métro ? Admettons que la réponse soit oui. Voici donc ce qu’est un poème de métro. Un poème de métro est un poème composé dans le métro, pendant le temps d’un parcours. Un poème de métro compte autant de vers que votre voyage compte de stations moins un. Le premier vers est composé dans votre tête entre les deux premières stations de votre voyage (en comptant la station de départ). Il est transcrit sur le papier quand la rame s’arrête à la station deux. Le deuxième vers est composé dans votre tête entre les stations deux et trois de votre voyage. Il est transcrit sur le papier quand la rame s’arrête à la station trois. Et ainsi de suite. Il ne faut pas transcrire quand la rame est en marche. Il ne faut pas composer quand la rame est arrêtée. Le dernier vers du poème est transcrit sur le quai de votre dernière station. Si votre voyage impose un ou plusieurs changements de ligne, le poème comporte deux strophes ou davantage. Si par malchance la rame s’arrête entre deux stations, c’est toujours un moment délicat de l’écriture d’un poème de métro.
Jacques Jouet
In Poèmes de Métro, P.O.L., 2000
Envoi Jacques Founier
J’écris, de temps à autre, des poèmes de métro. Ce poème en est un. Voulez-vous savoir ce qu’est un poème de métro ? Admettons que la réponse soit oui. Voici donc ce qu’est un poème de métro. Un poème de métro est un poème composé dans le métro, pendant le temps d’un parcours. Un poème de métro compte autant de vers que votre voyage compte de stations moins un. Le premier vers est composé dans votre tête entre les deux premières stations de votre voyage (en comptant la station de départ). Il est transcrit sur le papier quand la rame s’arrête à la station deux. Le deuxième vers est composé dans votre tête entre les stations deux et trois de votre voyage. Il est transcrit sur le papier quand la rame s’arrête à la station trois. Et ainsi de suite. Il ne faut pas transcrire quand la rame est en marche. Il ne faut pas composer quand la rame est arrêtée. Le dernier vers du poème est transcrit sur le quai de votre dernière station. Si votre voyage impose un ou plusieurs changements de ligne, le poème comporte deux strophes ou davantage. Si par malchance la rame s’arrête entre deux stations, c’est toujours un moment délicat de l’écriture d’un poème de métro.
Jacques Jouet
In Poèmes de Métro, P.O.L., 2000
Envoi Jacques Founier
ANDRÉ UGHETTO
MARCHES LENTES
Oh ! Bon Dieu, dites-moi
comment faut que j’emploie
le peu de temps qui reste !
Le ciel tout gris rejoignant la mer grise,
J’étais aventuré dans la colline proche,
Où les chemins ne savaient plus où ils allaient.
Des buissons bas dessinant quelques sentes
N’aboutissaient qu’à des impasses mais soudain
Un oiseau s’envolant à mon approche
augura à mes yeux la direction à suivre
C’était là une forêt aux pins très verts
sur de la terre rouge. Et plus loin s’étalait
un champ de ruines d’arbres qu’avait touchés
deux ans plus tôt un incendie énorme
laissé libre de dévorer ce qu’il voulait
pourvu qu’il s’arrêtât aux portes du village.
*
La solitude est ici ma compagne
et je croise des fleurs que j’apprends à connaître :
lilas d’Espagne ou valériane,
faisant surgir ses hampes,
tantôt violettes, tantôt blanches ;
cistes roses au garde-à-vous sur les chemins,
montant un deuil riant sous tant de pins gisant brûlés.
Le spectre d’une rose dansant sur les hauteurs
aura laissé la terre boire sa boîte de couleur.
Plus petits, les cistes blancs, plus tardifs,
s’invitent parmi la foule des autres ;
tous savent relever dans le calcaire chaud le défi des étés.
Et je découvre au long de rues restées champêtres,
à l’arrière des mauves somptueuses
qui revendiquent l’avant-scène,
la puissance de feu de jaunes anthémis
mêlés au sang des coquelicots.
Le chardon cruel, au bleu tendu vers le violet ;
pointe une tête fière et se croit tout permis.
Des abeilles – il en est peu –
et d’autres petits peuples aériens
(que les poisons industriels comme agricoles
ont soustraits par millions au désir de durer)
entrent pour se saouler dans les bars de la floraison
et encore accélèrent la maïeutique du printemps.
*
Karstique et sacarstique sous mes pieds,
le chemin s’écarte à peine de dolines
dont le fond et l’entour sont armés de béton.
Croirait-on que ce furent des piscines probatiques ?
Je n’avais jamais vu ce type de vestiges,
datant de la dernière guerre européenne
encore un peu « classique ».
C’est là que l’Occupant cachait ses artilleurs
commis à la surveillance de la Méditerranée,
d’où surviendraient, pensèrent mal des stratèges nazis,
les estafettes du Débarquement.
Dans leurs cuvettes circulaires qu’avaient construites
des pêcheurs pris au filet de violentes rafles
les soldats de la Wehrmacht purent bronzer en s’ennuyant
du moins jusqu’au réveil des Résistances,
quand débuta l’année 44.
La guerre d’aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était
maintenant que nous voici confrontés
à l’invisible ennemi que l’on fuit et qui nous confine
chacun dans son blockhaus de distance sanitaire.
Mais les seuls combattants sont au bloc opératoire.
Il est encore trop tôt pour que l’on crie victoire.
La santé reviendra, ou la mort solitaire.
André Ughetto
Inédits , à Carro, 25-27 avril 2020
Oh ! Bon Dieu, dites-moi
comment faut que j’emploie
le peu de temps qui reste !
Le ciel tout gris rejoignant la mer grise,
J’étais aventuré dans la colline proche,
Où les chemins ne savaient plus où ils allaient.
Des buissons bas dessinant quelques sentes
N’aboutissaient qu’à des impasses mais soudain
Un oiseau s’envolant à mon approche
augura à mes yeux la direction à suivre
C’était là une forêt aux pins très verts
sur de la terre rouge. Et plus loin s’étalait
un champ de ruines d’arbres qu’avait touchés
deux ans plus tôt un incendie énorme
laissé libre de dévorer ce qu’il voulait
pourvu qu’il s’arrêtât aux portes du village.
*
La solitude est ici ma compagne
et je croise des fleurs que j’apprends à connaître :
lilas d’Espagne ou valériane,
faisant surgir ses hampes,
tantôt violettes, tantôt blanches ;
cistes roses au garde-à-vous sur les chemins,
montant un deuil riant sous tant de pins gisant brûlés.
Le spectre d’une rose dansant sur les hauteurs
aura laissé la terre boire sa boîte de couleur.
Plus petits, les cistes blancs, plus tardifs,
s’invitent parmi la foule des autres ;
tous savent relever dans le calcaire chaud le défi des étés.
Et je découvre au long de rues restées champêtres,
à l’arrière des mauves somptueuses
qui revendiquent l’avant-scène,
la puissance de feu de jaunes anthémis
mêlés au sang des coquelicots.
Le chardon cruel, au bleu tendu vers le violet ;
pointe une tête fière et se croit tout permis.
Des abeilles – il en est peu –
et d’autres petits peuples aériens
(que les poisons industriels comme agricoles
ont soustraits par millions au désir de durer)
entrent pour se saouler dans les bars de la floraison
et encore accélèrent la maïeutique du printemps.
*
Karstique et sacarstique sous mes pieds,
le chemin s’écarte à peine de dolines
dont le fond et l’entour sont armés de béton.
Croirait-on que ce furent des piscines probatiques ?
Je n’avais jamais vu ce type de vestiges,
datant de la dernière guerre européenne
encore un peu « classique ».
C’est là que l’Occupant cachait ses artilleurs
commis à la surveillance de la Méditerranée,
d’où surviendraient, pensèrent mal des stratèges nazis,
les estafettes du Débarquement.
Dans leurs cuvettes circulaires qu’avaient construites
des pêcheurs pris au filet de violentes rafles
les soldats de la Wehrmacht purent bronzer en s’ennuyant
du moins jusqu’au réveil des Résistances,
quand débuta l’année 44.
La guerre d’aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était
maintenant que nous voici confrontés
à l’invisible ennemi que l’on fuit et qui nous confine
chacun dans son blockhaus de distance sanitaire.
Mais les seuls combattants sont au bloc opératoire.
Il est encore trop tôt pour que l’on crie victoire.
La santé reviendra, ou la mort solitaire.
André Ughetto
Inédits , à Carro, 25-27 avril 2020
GEORGES HALDAS
Peupliers un vent faible allaitait le silence
Et c'étaient soldats morts pour des patries lointaines pour des drapeaux fourbus
De neige et de douleur les larmes nous coulaient
Te souviens-tu ma mère ?
Et toi qu'aurais-tu fait pendant la longue marche ?
Je voyais les villages posés près des forêts
Je voyais la montagne mais on n'entendait rien
Patries patries amères où le vent seul parlait où le gel était dur comme l'apôtre
Pierre
Celui qui reniait
La vérité craquait pareille à la banquise
Et quand revenait l'aube de ces journées d'hiver
Pour la seconde fois tous les soldats mouraient
Georges Haldas
poète grec-suisse qui vivait à Genève
Envoi Brigitte Gyr
Et c'étaient soldats morts pour des patries lointaines pour des drapeaux fourbus
De neige et de douleur les larmes nous coulaient
Te souviens-tu ma mère ?
Et toi qu'aurais-tu fait pendant la longue marche ?
Je voyais les villages posés près des forêts
Je voyais la montagne mais on n'entendait rien
Patries patries amères où le vent seul parlait où le gel était dur comme l'apôtre
Pierre
Celui qui reniait
La vérité craquait pareille à la banquise
Et quand revenait l'aube de ces journées d'hiver
Pour la seconde fois tous les soldats mouraient
Georges Haldas
poète grec-suisse qui vivait à Genève
Envoi Brigitte Gyr
MARION RENAULD
imagine
comme si battait un
petit cœur
même au fond de qui n’en
a pas et que deux petits points
ronds et noirs
s’ouvrent et se ferment sur
ce qui est sans visage
imagine donc
respirer
l’inerte et
l’esprit dans
l’inanimé
non pour t’identifier mais
un peu t’oublier
et pour te demander
ce que nous faisons vivre
à ce qui nous fait vivre
Marion Renauld
inédit d'avril 2020
site :.
comme si battait un
petit cœur
même au fond de qui n’en
a pas et que deux petits points
ronds et noirs
s’ouvrent et se ferment sur
ce qui est sans visage
imagine donc
respirer
l’inerte et
l’esprit dans
l’inanimé
non pour t’identifier mais
un peu t’oublier
et pour te demander
ce que nous faisons vivre
à ce qui nous fait vivre
Marion Renauld
inédit d'avril 2020
site :.
JOSÉ SARAMAGO
« Si je n’ai une autre voix… »
Si je n’ai une autre voix qui me dédouble
Ce silence en écho d’autres sons,
C’est parler, parler encore, jusqu’à dévoiler
La parole cachée de ce que je pense
C’est, brisé, la dire entre des détours
De flèche qui elle-même s’envenime,
Ou mer haute coagulée de navires
Où le bras noyé nous fait signe.
C’est forcer vers le fond une racine
Quand la pierre rigoureuse coupe le chemin,
C’est lancer vers le haut tout ce que l’on dit
Car plus arbre est le tronc le plus seul.
Elle dira, parole découverte,
Les dits de l’habitude de vivre :
Cette heurte qui serre et desserre,
Le non voir, le non avoir, le presque être.
(...)
Contre chant
Ici, loin du soleil, que ferai-je de plus
Sinon chanter le souffle qui me chauffe ?
Comme un plaisir fatigué et qui s’engourdit
Ou prisonnier soumis à la loi.
Mais dans ce chant débile il y a une autre voix
Qui tente de se libérer de la sourdine,
Comme rose cristal au fond de la mine Ou promesse de pain qui vient dans les meules.
Un autre soleil plus ouvert me donnera
Aux accents du chant une autre harmonie,
Et dans l’ombre je dirai que j’annonce
La nappe de lumière par où j’irai.
(...)
« Car le temps ne s’arrête pas… »
Car le temps ne s’arrête pas, et il n’importe
Que les jours vécus approchent
Le verre d’eau amère placé
Là où la soif de la vie s’exaspère.
Ne comptons pas les jours qui sont passés :
Ce fut aujourd’hui que nous naissons. Maintenant seulement
José Saramago
In Les poèmes possibles. Traduction du portugais par Nicole Siganos., Éditions Jacques Brémond 1998
Si je n’ai une autre voix qui me dédouble
Ce silence en écho d’autres sons,
C’est parler, parler encore, jusqu’à dévoiler
La parole cachée de ce que je pense
C’est, brisé, la dire entre des détours
De flèche qui elle-même s’envenime,
Ou mer haute coagulée de navires
Où le bras noyé nous fait signe.
C’est forcer vers le fond une racine
Quand la pierre rigoureuse coupe le chemin,
C’est lancer vers le haut tout ce que l’on dit
Car plus arbre est le tronc le plus seul.
Elle dira, parole découverte,
Les dits de l’habitude de vivre :
Cette heurte qui serre et desserre,
Le non voir, le non avoir, le presque être.
(...)
Contre chant
Ici, loin du soleil, que ferai-je de plus
Sinon chanter le souffle qui me chauffe ?
Comme un plaisir fatigué et qui s’engourdit
Ou prisonnier soumis à la loi.
Mais dans ce chant débile il y a une autre voix
Qui tente de se libérer de la sourdine,
Comme rose cristal au fond de la mine Ou promesse de pain qui vient dans les meules.
Un autre soleil plus ouvert me donnera
Aux accents du chant une autre harmonie,
Et dans l’ombre je dirai que j’annonce
La nappe de lumière par où j’irai.
(...)
« Car le temps ne s’arrête pas… »
Car le temps ne s’arrête pas, et il n’importe
Que les jours vécus approchent
Le verre d’eau amère placé
Là où la soif de la vie s’exaspère.
Ne comptons pas les jours qui sont passés :
Ce fut aujourd’hui que nous naissons. Maintenant seulement
José Saramago
In Les poèmes possibles. Traduction du portugais par Nicole Siganos., Éditions Jacques Brémond 1998
LÉON GONTRAN DAMAS
BLANCHI
Pour Christiane et Aliouane Diop
Se peut-il donc qu’ils osent
me traiter de blanchi
alors que tout en moi
aspire à n’être que nègre
autant que mon Afrique
qu’ils ont cambriolée
Blanchi
Abominable injure
qu’ils me paieront fort cher
quand mon Afrique
qu’ils ont cambriolée
voudra la paix la paix rien que
la paix
Blanchi
Ma haine grossit en marge
de leur scélératesse
en marge
des coups de fusil
en marge
des coups de roulis
des négriers
des cargaisons fétides de l’esclavage cruel
Blanchi
Ma haine grossit en marge
de la culture
en marge
des théories
en marge des bavardages
dont on a cru devoir me bourrer au berceau
alors que tout en moi aspire à n’être que nègre
autant que mon Afrique qu’ils ont cambriolée
Léon Gontran Damas
In Pigments, éd. Guy Levis Mano, 1937 ; éd. Présence africaine, 1972
Envoi Jacques Fournier
Pour Christiane et Aliouane Diop
Se peut-il donc qu’ils osent
me traiter de blanchi
alors que tout en moi
aspire à n’être que nègre
autant que mon Afrique
qu’ils ont cambriolée
Blanchi
Abominable injure
qu’ils me paieront fort cher
quand mon Afrique
qu’ils ont cambriolée
voudra la paix la paix rien que
la paix
Blanchi
Ma haine grossit en marge
de leur scélératesse
en marge
des coups de fusil
en marge
des coups de roulis
des négriers
des cargaisons fétides de l’esclavage cruel
Blanchi
Ma haine grossit en marge
de la culture
en marge
des théories
en marge des bavardages
dont on a cru devoir me bourrer au berceau
alors que tout en moi aspire à n’être que nègre
autant que mon Afrique qu’ils ont cambriolée
Léon Gontran Damas
In Pigments, éd. Guy Levis Mano, 1937 ; éd. Présence africaine, 1972
Envoi Jacques Fournier
CLAUDIE LENZI
Ça peint dur
sans boulot
freine au sol
trop de n’ormes…
un être
seul pleureur
peut plier
à mendier
et se noyer
chaîne aux pieds
si près…
Repêché ?
Claudie Lenzi
Juin 2006 (non publié)
pyrogravure sur des branches d'arbres mort
sans boulot
freine au sol
trop de n’ormes…
un être
seul pleureur
peut plier
à mendier
et se noyer
chaîne aux pieds
si près…
Repêché ?
Claudie Lenzi
Juin 2006 (non publié)
pyrogravure sur des branches d'arbres mort
DENISE LE DANTEC
Un printemps appelé printemps de confinement 2020 a commencé
On nous a dit qu’il serait derrière nos fenêtres et qu’il aurait « le sourire affreux de l’idiot »
On nous a dit le staccato des ruisseaux de février s’interromprait à la mi-mars et que des veines de mercure rouleraient dans la veine de mon poignet droit
On nous a dit que des bêtes fabuleuses circuleraient dans les rues de nos villes comme le canard, l’oie, la gazelle ou l’éléphant
On nous a dit que l’ADN a deux hélices et qu’il y a de multiples épenthèses
On nous a dit que le thorax de la libellule est électrisé d’hexamites et que le dos du hanneton est marbré
On nous a dit que le vent souffle sur le bitume et dans l’oreille
Qu’il faudrait réarranger le soleil et la lune verticalement et horizontalement
Que le merle mord la feuille et que le bleu devient noir
grimper jusqu’à Mars danser le shag
boire le fruit du pis & trèfle
Qu’un spinnaker végétal a été tendu sur toute la planète et qu’un couple regarde le ciel plein d’éclairs
Que le soleil se lève dans toutes les directions
Que les langues printanières produisent du vert
et que :
Une heure dehors
Vingt-trois heures dedans
Une demi-heure dehors
Trois quarts d’heure dedans
Dix minutes au pas de course
Cinq minutes en position yoga
Trois heures assis
Quatre heures couché
ETC.
Maintenant :
Ouvrez la bouche et attendez
Denise Le Dantec
inédit
On nous a dit qu’il serait derrière nos fenêtres et qu’il aurait « le sourire affreux de l’idiot »
On nous a dit le staccato des ruisseaux de février s’interromprait à la mi-mars et que des veines de mercure rouleraient dans la veine de mon poignet droit
On nous a dit que des bêtes fabuleuses circuleraient dans les rues de nos villes comme le canard, l’oie, la gazelle ou l’éléphant
On nous a dit que l’ADN a deux hélices et qu’il y a de multiples épenthèses
On nous a dit que le thorax de la libellule est électrisé d’hexamites et que le dos du hanneton est marbré
On nous a dit que le vent souffle sur le bitume et dans l’oreille
Qu’il faudrait réarranger le soleil et la lune verticalement et horizontalement
Que le merle mord la feuille et que le bleu devient noir
grimper jusqu’à Mars danser le shag
boire le fruit du pis & trèfle
Qu’un spinnaker végétal a été tendu sur toute la planète et qu’un couple regarde le ciel plein d’éclairs
Que le soleil se lève dans toutes les directions
Que les langues printanières produisent du vert
et que :
Une heure dehors
Vingt-trois heures dedans
Une demi-heure dehors
Trois quarts d’heure dedans
Dix minutes au pas de course
Cinq minutes en position yoga
Trois heures assis
Quatre heures couché
ETC.
Maintenant :
Ouvrez la bouche et attendez
Denise Le Dantec
inédit
FRANÇOISE DELORME
Un jour d'avril 2010,
en Haute-Provence
dans le silence du Eyjafjöll
Les amélanchiers pâles,
même les aubépines,
ne nous rassurent pas,
chaque épine-vinette
témoignait mais de quoi ?
Nez dans les tormentilles,
une photosynthèse
pareille à celle des mots
nous invitait à croire
à la durée des plantes
dans la mobilité.
Un bonheur immobile
se tient tout silencieux.
Il n’a pas d’adversaire,
j’ai presque pu m’y fier.
Françoise Delorme,
in Du cerisier, éd. L’Atelier du Grand Tétras.
en Haute-Provence
dans le silence du Eyjafjöll
Les amélanchiers pâles,
même les aubépines,
ne nous rassurent pas,
chaque épine-vinette
témoignait mais de quoi ?
Nez dans les tormentilles,
une photosynthèse
pareille à celle des mots
nous invitait à croire
à la durée des plantes
dans la mobilité.
Un bonheur immobile
se tient tout silencieux.
Il n’a pas d’adversaire,
j’ai presque pu m’y fier.
Françoise Delorme,
in Du cerisier, éd. L’Atelier du Grand Tétras.
SANDA VOICA
Mes maisons foncières
10 h 50’-11 h 05’ de chaque jour, à partir du 21 mars 2020.
Dans la maison.
Maison avec jardin.
Le mois de mars en inattendu essor
car des expansions simultanées
et inextricables ont lieu :
celle des floraisons habituelles
et celle d’un virus nouveau.
Je suis comme d’habitude et comme jamais
Soit dans la maison,
soit à la fenêtre
soit dans le jardin.
Comme d’habitude :
j’y vis et écris.
Comme jamais :
je me pose pour la première fois cette question :
« Quelles maisons dans ma maison ? »
Celle des poupées,
pour toujours abandonnée par ma fille.
Et celle de Henrik Ibsen – son livre,
Une maison de poupée, à portée, sur une étagère.
La maison de mes parents, aussi :
couvertures et tapis qui s’y trouvaient
les voilà aussi dans la mienne.
Et quel salon ?
Celui d’une sorte d’apparition
dans ma jeunesse :
En marchant dans la rue
je l’avais vu d’un coup,
suspendu dans l’air :
grand, large, tout blanc.
Je l’ai adoré, ce salon de rêve :
Que de lumière !
Des années plus tard, en m’installant
dans la maison où vivre avec ma famille
– mari et fille –
j’ai compris : sans l’avoir cherché
j’avais, IDENTIQUE,
le salon d’autrefois, vu seulement par moi !
L’oubli qui n’oublie pas
avait fait les choses !
Salon de mon désir
dans la maison de tous mes désirs,
y compris celui, foncier, de l’écrire.
Ecrire le désir. Ecrire la maison.
Les deux inextricables.
L’écriture : toujours sur le seuil du regard.
Mais aujourd’hui,
depuis la fenêtre de ma chambre
j’ai vu la beauté obscène
des couronnes de fleurs en bouquets
de mon cerisier.
Pourquoi obscène ?
Je me le demande encore.
Je n’avais jamais cru associer un jour
le mot « obscène » au mot « beauté ».
Se réjouir ou être heureux sur fond de pandémie
devient-il… obscène ?
En voilà une des actions insidieuses du coronavirus.
Pas sa victoire, même si je risque,
le printemps prochain
en regardant les nouvelles couronnes de fleurs
de mon cerisier ,
de penser aussi à la couronne du virus de ces jours-ci.
Mais ce ne sera que pour mieux me réjouir de leur floraison.
Épidémie passée et du passé, déjà :
la beauté du reste de la journée me saisit
et je ne garde plus que son éblouissement.
J’ai fixé ici un quart d’heure d’une réclusion
Temps à la fois heureux et douloureux
où les nouvelles du monde
ont profondément troublé
la vue exquise vers mon jardin au cerisier en fleurs.
Faille à jamais
vue depuis ma chambre,
de la maison où je suis toujours à ma place
même si foncièrement ailleurs.
***
Dans la maison. Maison avec jardin. Le mois de mars en inattendu essor car des expansions simultanées et inextricables ont lieu : celle des floraisons habituelles et celle d’un virus nouveau. Je suis comme d’habitude et comme jamais Soit dans la maison, soit à la fenêtre soit dans le jardin. Comme d’habitude : j’y vis et écris. Comme jamais : je me pose pour la première fois cette question : « Quelles maisons dans ma maison ? » Celle des poupées, pour toujours abandonnée par ma fille. Et celle de Henrik Ibsen – son livre, Une maison de poupée, à portée, sur une étagère. La maison de mes parents, aussi : couvertures et tapis qui s’y trouvaient les voilà aussi dans la mienne. Et quel salon ? Celui d’une sorte d’apparition dans ma jeunesse : En marchant dans la rue je l’avais vu d’un coup, suspendu dans l’air : grand, large, tout blanc. Je l’ai adoré, ce salon de rêve : Que de lumière ! Des années plus tard, en m’installant dans la maison où vivre avec ma famille – mari et fille – j’ai compris : sans l’avoir cherché j’avais, IDENTIQUE, le salon d’autrefois, vu seulement par moi ! L’oubli qui n’oublie pas avait fait les choses. Salon de mon désir dans la maison de tous mes désirs, y compris celui, foncier, de l’écrire. Ecrire le désir. Ecrire la maison. Les deux inextricables. L’écriture : toujours sur le seuil du regard.
Mais aujourd’hui, depuis la fenêtre de ma chambre j’ai vu la beauté obscène des couronnes de fleurs en bouquets de mon cerisier. Pourquoi obscène ? Je me le demande encore. Je n’avais jamais cru associer un jour le mot « obscène » au mot « beauté ». Se réjouir ou être heureux sur fond de pandémie devient-il… obscène ? En voilà une des actions insidieuses du coronavirus. Pas sa victoire, même si je risque, le printemps prochain en regardant les nouvelles couronnes de fleurs de mon cerisier, de penser aussi à la couronne du virus de ces jours-ci. Mais ce ne sera que pour mieux me réjouir de leur floraison. Épidémie passée et du passé, déjà : la beauté du reste de la journée me saisit et je ne garde plus que son éblouissement.
J’ai fixé ici un quart d’heure d’une réclusion Temps à la fois heureux et douloureux où les nouvelles du monde ont profondément troublé la vue exquise vers mon jardin au cerisier en fleurs. Faille à jamais vue depuis ma chambre, de la maison où je suis toujours à ma place même si foncièrement ailleurs.
Sanda Voïca,
inédits, mars 2020.
Sanda Voïca
inédit
10 h 50’-11 h 05’ de chaque jour, à partir du 21 mars 2020.
Dans la maison.
Maison avec jardin.
Le mois de mars en inattendu essor
car des expansions simultanées
et inextricables ont lieu :
celle des floraisons habituelles
et celle d’un virus nouveau.
Je suis comme d’habitude et comme jamais
Soit dans la maison,
soit à la fenêtre
soit dans le jardin.
Comme d’habitude :
j’y vis et écris.
Comme jamais :
je me pose pour la première fois cette question :
« Quelles maisons dans ma maison ? »
Celle des poupées,
pour toujours abandonnée par ma fille.
Et celle de Henrik Ibsen – son livre,
Une maison de poupée, à portée, sur une étagère.
La maison de mes parents, aussi :
couvertures et tapis qui s’y trouvaient
les voilà aussi dans la mienne.
Et quel salon ?
Celui d’une sorte d’apparition
dans ma jeunesse :
En marchant dans la rue
je l’avais vu d’un coup,
suspendu dans l’air :
grand, large, tout blanc.
Je l’ai adoré, ce salon de rêve :
Que de lumière !
Des années plus tard, en m’installant
dans la maison où vivre avec ma famille
– mari et fille –
j’ai compris : sans l’avoir cherché
j’avais, IDENTIQUE,
le salon d’autrefois, vu seulement par moi !
L’oubli qui n’oublie pas
avait fait les choses !
Salon de mon désir
dans la maison de tous mes désirs,
y compris celui, foncier, de l’écrire.
Ecrire le désir. Ecrire la maison.
Les deux inextricables.
L’écriture : toujours sur le seuil du regard.
Mais aujourd’hui,
depuis la fenêtre de ma chambre
j’ai vu la beauté obscène
des couronnes de fleurs en bouquets
de mon cerisier.
Pourquoi obscène ?
Je me le demande encore.
Je n’avais jamais cru associer un jour
le mot « obscène » au mot « beauté ».
Se réjouir ou être heureux sur fond de pandémie
devient-il… obscène ?
En voilà une des actions insidieuses du coronavirus.
Pas sa victoire, même si je risque,
le printemps prochain
en regardant les nouvelles couronnes de fleurs
de mon cerisier ,
de penser aussi à la couronne du virus de ces jours-ci.
Mais ce ne sera que pour mieux me réjouir de leur floraison.
Épidémie passée et du passé, déjà :
la beauté du reste de la journée me saisit
et je ne garde plus que son éblouissement.
J’ai fixé ici un quart d’heure d’une réclusion
Temps à la fois heureux et douloureux
où les nouvelles du monde
ont profondément troublé
la vue exquise vers mon jardin au cerisier en fleurs.
Faille à jamais
vue depuis ma chambre,
de la maison où je suis toujours à ma place
même si foncièrement ailleurs.
***
Dans la maison. Maison avec jardin. Le mois de mars en inattendu essor car des expansions simultanées et inextricables ont lieu : celle des floraisons habituelles et celle d’un virus nouveau. Je suis comme d’habitude et comme jamais Soit dans la maison, soit à la fenêtre soit dans le jardin. Comme d’habitude : j’y vis et écris. Comme jamais : je me pose pour la première fois cette question : « Quelles maisons dans ma maison ? » Celle des poupées, pour toujours abandonnée par ma fille. Et celle de Henrik Ibsen – son livre, Une maison de poupée, à portée, sur une étagère. La maison de mes parents, aussi : couvertures et tapis qui s’y trouvaient les voilà aussi dans la mienne. Et quel salon ? Celui d’une sorte d’apparition dans ma jeunesse : En marchant dans la rue je l’avais vu d’un coup, suspendu dans l’air : grand, large, tout blanc. Je l’ai adoré, ce salon de rêve : Que de lumière ! Des années plus tard, en m’installant dans la maison où vivre avec ma famille – mari et fille – j’ai compris : sans l’avoir cherché j’avais, IDENTIQUE, le salon d’autrefois, vu seulement par moi ! L’oubli qui n’oublie pas avait fait les choses. Salon de mon désir dans la maison de tous mes désirs, y compris celui, foncier, de l’écrire. Ecrire le désir. Ecrire la maison. Les deux inextricables. L’écriture : toujours sur le seuil du regard.
Mais aujourd’hui, depuis la fenêtre de ma chambre j’ai vu la beauté obscène des couronnes de fleurs en bouquets de mon cerisier. Pourquoi obscène ? Je me le demande encore. Je n’avais jamais cru associer un jour le mot « obscène » au mot « beauté ». Se réjouir ou être heureux sur fond de pandémie devient-il… obscène ? En voilà une des actions insidieuses du coronavirus. Pas sa victoire, même si je risque, le printemps prochain en regardant les nouvelles couronnes de fleurs de mon cerisier, de penser aussi à la couronne du virus de ces jours-ci. Mais ce ne sera que pour mieux me réjouir de leur floraison. Épidémie passée et du passé, déjà : la beauté du reste de la journée me saisit et je ne garde plus que son éblouissement.
J’ai fixé ici un quart d’heure d’une réclusion Temps à la fois heureux et douloureux où les nouvelles du monde ont profondément troublé la vue exquise vers mon jardin au cerisier en fleurs. Faille à jamais vue depuis ma chambre, de la maison où je suis toujours à ma place même si foncièrement ailleurs.
Sanda Voïca,
inédits, mars 2020.
Sanda Voïca
inédit
SARAH MOSTREL
RÉENCHANTÉ
Il fallait qu’elle s’y plie, aux règles énoncées.
Qu’elle s’y plaise, qu’elle se lâche,
qu’elle se noie sans baver.
La couleur parlait comme un fil d’Ariane
dictant au fil de l’eau la marche pour la suivre.
Il fallait que scintillent les teintes fluctuantes,
à l’aspect permanent malgré la courbe instable.
Tel un serpent agile, sur le fil d’un rasoir,
elles dessinaient gaiement leur élan amoureux,
poursuivant le défi en toute âme et conscience,
sans la peine, sans le vague, de leur philanthropie.
Il fallait que le fil qui rappelle les étoiles,
les années de bonheur,
accepte de se rendre.
Ô doux ciel, dame Nature,
Ressources qui ont si souvent délesté le monde !
Il fallait que jamais ne faillisse l’histoire,
même en tant de ténèbres, même en tant d’insomnie.
Éviter à tout prix que sombre dans l’oubli
le droit-fil du conte, l’arme universelle
qu’est la beauté, suprême…
Il fallait que revienne cette promesse ineffable
qu’est le chant des oiseaux,
l’harmonie naturelle
Le juste cours de l’heure
Sarah Mostrel,
extrait de « Le désespoir de Marguerite Duras », éditions Unicité, paru en février 2020.
***
DRÔLE DE DESTIN
Peu de choses sont entre nos mains.
Tant de choses sont entre nos mains.
Où est l’anomalie ?
Le mensonge ?
Rappelle-toi, tu n’as reçu aucune promesse.
Tu l’as espérée.
Tu as cru l’entendre.
Mais… ta vue se fait trouble.
Même quand tu dors, le repos se fait rare.
Les apparitions se sont fait la malle.
Où vas-tu encore puiser la force de lutter ?
Sarah Mostrel,
extrait de « Rien à voir, suivi de Le (re)plis de l’histoire », éditions Z4, paru en janvier 2020
Il fallait qu’elle s’y plie, aux règles énoncées.
Qu’elle s’y plaise, qu’elle se lâche,
qu’elle se noie sans baver.
La couleur parlait comme un fil d’Ariane
dictant au fil de l’eau la marche pour la suivre.
Il fallait que scintillent les teintes fluctuantes,
à l’aspect permanent malgré la courbe instable.
Tel un serpent agile, sur le fil d’un rasoir,
elles dessinaient gaiement leur élan amoureux,
poursuivant le défi en toute âme et conscience,
sans la peine, sans le vague, de leur philanthropie.
Il fallait que le fil qui rappelle les étoiles,
les années de bonheur,
accepte de se rendre.
Ô doux ciel, dame Nature,
Ressources qui ont si souvent délesté le monde !
Il fallait que jamais ne faillisse l’histoire,
même en tant de ténèbres, même en tant d’insomnie.
Éviter à tout prix que sombre dans l’oubli
le droit-fil du conte, l’arme universelle
qu’est la beauté, suprême…
Il fallait que revienne cette promesse ineffable
qu’est le chant des oiseaux,
l’harmonie naturelle
Le juste cours de l’heure
Sarah Mostrel,
extrait de « Le désespoir de Marguerite Duras », éditions Unicité, paru en février 2020.
***
DRÔLE DE DESTIN
Peu de choses sont entre nos mains.
Tant de choses sont entre nos mains.
Où est l’anomalie ?
Le mensonge ?
Rappelle-toi, tu n’as reçu aucune promesse.
Tu l’as espérée.
Tu as cru l’entendre.
Mais… ta vue se fait trouble.
Même quand tu dors, le repos se fait rare.
Les apparitions se sont fait la malle.
Où vas-tu encore puiser la force de lutter ?
Sarah Mostrel,
extrait de « Rien à voir, suivi de Le (re)plis de l’histoire », éditions Z4, paru en janvier 2020
MARIE JOSÉE CHRISTIEN
Sans bruit sans trace
chaque mot pèse
de son poids de vie
lancine
ruisselle
dans le corps
comme fou
dans la chaleur
du sang en crue.
*
Parfois le silex affûté
de ma conscience
me fait peur
au bord de vivre
au bord de mourir
bord à bord
roule ma boule
de souffrance
à même le sable
du temps.
*
Ce n’est qu’un chemin
pris par mon sang
un long évanouissement
le peu qu’il me reste
quand les mots se font rudes
je n’ai plus
pour me réchauffer
que le vertige
des points de suspension
accaparés par l’attente.
Marie-Josée Christien
Extrait de : Affolement du sang (Al Manar, 2019)
Site
site 2
chaque mot pèse
de son poids de vie
lancine
ruisselle
dans le corps
comme fou
dans la chaleur
du sang en crue.
*
Parfois le silex affûté
de ma conscience
me fait peur
au bord de vivre
au bord de mourir
bord à bord
roule ma boule
de souffrance
à même le sable
du temps.
*
Ce n’est qu’un chemin
pris par mon sang
un long évanouissement
le peu qu’il me reste
quand les mots se font rudes
je n’ai plus
pour me réchauffer
que le vertige
des points de suspension
accaparés par l’attente.
Marie-Josée Christien
Extrait de : Affolement du sang (Al Manar, 2019)
Site
site 2
ARTHUR RIMBAUD
Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !
- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.
(...)
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...
Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...
Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...
Arthur Rimbaud
In Soleil et chair (extraits), 1er Cahier de Douai
- Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles,
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
- Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense baiser !
- Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.
(...)
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?...
Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : - le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
- Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !...
Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !...
- C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !...
Arthur Rimbaud
In Soleil et chair (extraits), 1er Cahier de Douai