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09/02/2011



L'invité du mois

Rose-Marie FRANÇOIS



BIOBIBLIOGRAPHIE

Rose-Marie FRANÇOIS
poète, philologue, romancière, dramaturge, rhapsode
SITE:


Auteure d’une bonne trentaine de livres, de poèmes, récits, romans, essais, spectacles, ses œuvres sont publiées en divers pays et traduites dans une douzaine de langues. Marquée par la guerre 1940-1945, p.ex. La Cendre (Jacques Antoine 1985), Lès Chènes (MicRomania 2013) et L’Aubaine (Luc Pire 2009, Renaissance du Livre).
Formée au théâtre, elle donne sur scène ses poèmes et ceux qu’elle traduit. Élève de Berthe Dubail, poésie et peinture sont pour elle inséparables, voir p.ex. L’Âlion dans l’atelier (2011).
On lui doit la première anthologie bilingue (letton-français) de poésie lettone : Pļavās kailām kājām, Pieds nus dans l’herbe (Amay 2002), dont elle a tiré un seule-en-scène qu’elle a joué en Belgique, en France, en Lettonie, en Hongrie...
L’interdiction de parler le picard au profit du seul français induit chez l'enfant la conscience d'avoir deux langues et le désir de cultiver en secret le fruit défendu. 70 ans après cette "Punicion", voici qu'elle reçoit le "Prix Triennal de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la littérature en langue minoritaire, 2016" pour Lès Chènes (MicRomania 2013) petites proses sur les années 1940-45 .
Cette punition entraîne dès l’enfance une passion pour les langues étrangères. Germaniste, maître de conférences à l’ULg, elle a dirigé des séminaires de traduction littéraire dans les universités de Liège (Belgique), de Lund (Suède), de Lettonie (à Riga), dont elle est dr. honoris causa ("goda biedre"), et au Centre Européen de Traduction Littéraire (à Bruxelles).


Quelques titres parmi les derniers livres parus :

Charlayana, poèmes, bilingue picard- français, avec des peintures de Charles Delhaes, édit. micRomania, Bruxelles 2016. ISBN 9782930364759

Course lente avant l’aurore, récits, éd.Maelström, Bruxelles 2015. ISBN 978-2-87505-218-6

Trèfle incarnat, poèmes sur des œuvres de Paul Klee et Francis Bacon, préface de Philippe Jones, édit. Le Cormier, Bruxelles 2014.

Lès Chènes. La Cendre, petites proses, édition revue et augmentée, français-picard, 22 photos (1940-45), édit. micRomania, Charleroi 2013.
ISBN 978 2 930364 64 3

L’Adieu, suivi de L’Âlion dans l’atelier, poèmes en prose, Les Écrits des Forges, Trois-Rivières, Québec 2011.

Portrait de l’avenir en passant, poèmes, avec « entre-traduction » franco-italienne par F.Palazzolo et l’auteure, L’Arbre à paroles, Amay 2010.

L’Aubaine, roman, Renaissance du Livre, coll. Le Grand Miroir, Bruxelles 2009.
Panamusa, une chantefable en picard et en français, édit. micRomania, Charleroi 2008. ISBN 978 2 30364384

Et in Picardia ego, petites proses (1944-1957) bilingue français-picard, édit. micRomania, Charleroi 2007. ISBN 9782930364278

La saga d’Îchanâs, poèmes, édit. Le Taillis-Pré, Châtelineau 2007.

De sel et de feu, poèmes et récits. Avec traduction lettone par Dagnija Dreika et l'auteure, Apgāds Daugava, Rīga, 2006

Démenti du bleu. Smentita del blu, poèmes. français-italien. édit. L'arbre à paroles, Amay 2004. Réédition automne 2014.

Fresque lunaire, poèmes, édit. Le Noroît, Montréal 2000.


EXTRAITS

Rose-Marie FRANÇOIS
(extrait de DÉMENTI DU BLEU Smentita del Blu, édit. L'arbre à paroles, Amay (B) 2014

Konnitchiwa Konnitchiwa

Sous l’aile de verre, Sotto l’ala di vetro,
à Liège, a Liegi,
de la gare que Calatrava della stazione che Calatrava
offrit aux Guillemins, offriva agli Guillemins,
deux Japonaises bavardent due Giappanesi chiacchierano
sur le quai du Thalys. sulla banchina del Thalys.
Elles m’abordent en anglais Mi avvicinano in inglese
que je feins d’ignorer, che fingo di non capire,
ce pauvre cher anglais questo povero caro inglese,
usé, mésusé… abusato, maltrattato…
Je me présente en japonais, Mi presento in giappanese,
ma seule phrase nippone. la mia sola frase nipponica.
Elles rient, me répondent. Esse ridono, mi rispondono.
Et je dis en français E io dico in francese
que je ne comprends pas. di non capire.
Bien, elles non plus. Beh, neanche loro.

J’essaie l’allemand, Provo in tedesco,
le letton, le hollandais, in lettone, in olandese,
l’italien… in italiano…
« Andiamo a Roma » « Andiamo a Roma »
prononce l’une d’elles. pronuncia l’una.

Bon à savoir : Buono a sapersi :
au Tadjikistan, à la Terre in Tagikistan, alla Terra
de Feu, à Pékin, del Fuoco, a Pechino,
parlons-nous l’italien. parliamoci in italiano.



COURSE LENTE AVANT L'AURORE

Mon 33ième livre compte 33+3+3 récits. J’ai beaucoup bourlingué, souvent à pied, sac au dos, avec les moyens du bord : en jeep, en barque, à fond de cale, en autobus aux horaires fantaisistes, en trains à grande vitesse furieusement ralentis, en avion aussi, au temps de la courtoisie abordable… et, jadis, beaucoup en autostop.
Avec le temps, de périples en itinéraires, les voyages ont changé de visage. Dans quel improbable lointain, dans quelle brûlante proximité se loge l’étrange ? Et que dire de l’étranger ?

Entre autres récits :

Dessine-moi une Belgique (2008)
À pied au Kurdistan, où j'ai failli mourir (Turquie 1971)
Une boîte d’allumettes pour Confucius (Chine 1974)
Premier voyage en Italie (août 1970)
La nuit (Finlande 1969)
Correspondances (Maghreb années 70)
Cédric (Haïfa 2004)
Sombre clairière (Pays Baltes, 2007)
Titus en moine (Hollande 1969)
Ventspils, avec retour (Lettonie 2006)
Dans la mine (Hongrie 1959-2014)
Tübingen (Londres-Souabe 1960)
Petit cheval (Livonie à Paris, 2018)
Berlin Memorials (1943-2008)
Récit d’Ive (Lincoln 1955, Liège 1973)
La serviette noire (Västerås 1964)
Cet été-là (Poitiers-Lisbonne 1975)
etc., etc.

Extrait:
Cinq heures cinq (1985)

Cinq heures cinq, l'heure de notre mort. Ma viole a perdu sa corde, la cinquième, la grave. Du ciel, silence et pénombre, il tombe des billes d'agate, des oeils-de-tigre qui nous regardent, des météores sans hâte, neige durcie dans le duvet d’arbres célestes, galets ambrés, jeux d’osselets. Les boules roulent lentement, les unes vers les autres, s'entrechoquent avec l'impact de l'ouate, se séparent, glissent les unes loin des autres, sur le billard du hasard, ma vie.
Calme insolite. Une lune inconnue effraie la fenêtre. D’un regard lourd, chaque bille d'agate un idéogramme, elle en décode les veinures, les nervures, les courbures. Les assonances s'anéantissent dans le vide. Tout est voir, lecture de globes et d'iris, patience inutile et sacrée, humble étude obsolète. Sous le chêne pluriséculaire, des jeunes gens vocifèrent.
Dans la pièce voisine, une femme apprend aux tout-petits à manger des fruits: d'abord il faut les frapper aux arêtes des tables, les contusionner, les meurtrir; quand le jus commence à suinter par les plaies des pelures, et seulement alors, ils sont appréciables. Leur saveur, leur suc, leur désaltérance, c'est l'effraction.
Donc les enfants brisent pommes, pêches, oranges, comme nous le faisons des noix, des œufs durs, des amandes séchées. Ils savourent les chairs sanguinolentes, indifférents aux coulées poisseuses qui remontent leurs avant-bras. Ils goûtent la violence.
Désobéissante, proprement in-docile, une fillette nattée, aux petits yeux gris, à la peau mate et fruitée, prend un autre rythme.
La femme arrête d'un geste la rondeur soigneusement pelée que l'enfant allait enfin mordre. La main menue interroge, poing levé, les pôles d'une pommorange axés du pouce au majeur. La femme n'est plus qu'un regard, et sous lui l'enfant se fige, pierre de sel friable. Le regard dure. L'enfant s'écroule entre deux raies noires peintes sur le plancher.
Une autre petite fille, enchaînée à une machine, actionne un levier, suivant l'ordre donné d'un menton, d'un index aiguisé.
La douce est recouverte d'eau froide. Elle s'enfonce dans le sol qui, au repassage du tablier mécanique, se double d'un couvercle de glace. La noyée gît entre ses limites, coupée du monde aérien. Mais à la place de son visage, son souffle fond le verre cireux, découpe la place d'une auréole. Je reconnais ma fille cadette.
A Cerisy, le dernier soir de la décade à lui consacrée, Edmond Jabès, après m’avoir entendu lire (une première version de) Cinq heures cinq, a traversé tout le grenier du château pour venir me poser une question à voix basse. J’en suis restée bouche bée. La réponse m’est venue après des années – le poète était mort – lorsque ces lignes obscures, oniriques, doublement prophétiques, se sont réalisées. Mais qu’importe au lecteur de savoir si le vécu suit ou précède l’acte d’en écrire ? Le temps de la poésie n’est pas celui de nos pauvres horloges. Qu’importe le réel, la réalité, la réalisation de la vison ? Qu’importe l’exécution la traduction subséquente ou anticipative ? « Qu’importent les réponses ? » aimait à répéter l’auteur du Livre des Questions.
La réponse se trouve dans mon roman L'Aubaine (ISBN 978-2-507-00115-5) « Le roman idéal pour éclairer les jeunes (et les moins jeunes) sur l’histoire récente de l’Europe. » a dit Lucienne Strivay. « Là où réside la véritable force de ce roman, c’est qu’il souligne l’impératif éthique de transmettre non la blessure mais la guérison. » Ronnie Scharfman, univ. of Purchase, New York, « La mémoire ultérieure dans L’Aubaine » in : Rose-Marie François : des mots et des langues, L3, ULg, 2012, Actes du colloque 2009 à l'ULg; disponible chez cpagnoulle@ulg.ac.be

L'AUBAINE

Extrait n°1:
Les deux femmes marchent dans une lueur étrange, diffuse, dont Miriam, levant la tête pour voir d’où elle vient, découvre la source : une lune presque pleine dans un ciel clair.
– Luna mendax, aime-t-elle à citer.
– Cum D crescit, crescit, complète Christine.
Et toutes deux :
– Et cum crescit, decrescit ! en riant comme des collégiennes.
– Il y a des peuplades, dit Christine, en Afrique ou en Australie, je ne sais plus, qui croient que la lune est le séjour des morts… Ou bien le petit frère du soleil.
– Ah oui, dit Miriam, comme chez vous pour qui la lune est mâle et le soleil, femelle.
– Toi, tu n’as pas de petit frère, tu es fille unique, n’est-ce pas ?
– Je suis fille unique, en effet, répond Miriam.
À force de l’avoir affirmé des centaines de fois, elle a fini par s’en persuader ; jouant sur les mots : « fille unique » n’est pas un mensonge. Comme elle a confiance en Christine, elle est tentée de nuancer sa réponse. Mais comment être sûre qu’elle pourra articuler : « Mais j’ai eu un petit frère », ces mots pris dans les glaces d’un oubli vital ? Et comment, surtout, se sentir prête à remonter du fonds du puits la suite du récit, à livrer le contenu du haut fût dont ces mots constituent le bondon ? C’est moins l’écoute attentive, la sollicitude de Christine dont douterait Miriam que sa propre capacité à mettre en paroles pour la première fois de sa vie le récit complet de ses origines… D’ailleurs, y a-t-il jamais un récit complet ? Est-ce que chaque phrase sensée éclairer un discours ne projette pas en même temps son ombre sur le texte ? Parler, n’est-ce pas risquer d’omettre l’essentiel, comme quand on raconte un rêve ? Dans quelle mesure les années de censure n’ont-elles pas transformé les faits en légende, arrêté les événements jusqu’à en faire un mauvais songe, un long cauchemar figé en mythe ? Ce qui retient Miriam, c’est aussi la peur de mentir. Les mythes ne mentent pas, ils sont la quintessence de notre vérité, alors que les interdits dont sont grevées nos vies nous empêchent de prononcer une phrase aussi simple que : « Mais j’ai eu un petit frère. » (p.73s)
Extrait n°2:

Cette nuit-là, le docteur Engelbach alla crier un vieux tourment aux roseaux noirs des rêves.
C’est vrai, pensait-il, qu’il a voulu marcher sur l’eau. C’est vrai qu’il a voulu rattraper son bonnet. C’est vrai que la vérité est une toupie du diable. Kaï ! Reviens !... Reviens me dire ce qui s’est exactement passé. Qu’ai-je vu ? Qu’ai-je fait ? Qu’ai inventé ? Qu’ai-je oublié ? Il a dit : Viens voir. Je l’ai suivi. Puis j’ai dit : Halt ! On ne peut pas aller plus loin. On ne peut pas approcher la rivière. Ta Mütti l’a dit. Et la mienne aussi. Et ton Vati. Et mon Vati. Kai a dit : On fera attention. Il s’est mis à courir. Moi, à le poursuivre. On trébuchait souvent. Il avait gelé. Le sol était glissant. Je l’ai rattrapé. J’ai voulu le retenir. Par la manche. Il s’est débattu. Il a tiré sur ma manche. On s’est battu. On riait. Je le tenais. Il a dérapé, l’eau charriait des glaçons. Il est tombé. J’ai eu peur. Je l’ai lâché. Je l’ai lâché. J’ai eu peur. Il avait quatre ans. Moi aussi. Je devais être son aîné d’un mois. On avait désobéi. Il a été puni. On a oublié de me punir. J’aurais dû mourir avec lui. Ou le sauver. J’aurais dû ne pas le lâcher, le tirer, m’accrocher à une branche, à quelque chose. Il n’y avait rien. J’ai eu peur. Je tremblais. Je l’ai lâché. Je l’ai lâché…
Et Tankred se réveilla, trempé de sueur. (p.137)

LA BAFOUILLE INCONTINENTE, édit. Bouboumtralala, mai 2016

DIRE MA VILLE

Dire ma ville... Mais quelle ville ? Laquelle de mes villes ? Mons ? Amsterdam ? Liège ? Berlin ? Rīga ?
Par ma fenêtre, je vois des arbres, de l’herbe, des oiseaux... Par la fenêtre de l’enfance, j’entends un coq vainqueur, des vaches plaintives, le pas des chevaux sur le pavé. À quel horizon nomade situer ma ville ? En quelle langue ? Par la fenêtre de l’étude, où je me penche sur une version latine, j’entends le carillon du beffroi chanter en picard : « J’é m’ keûr qui fét toctoc » (J'ai le cœur qui bat). Par la fenêtre de mon kote, où je construis de jolies étymologies, m’arrive en wallon la chère voix éraillée de la marchande de « cûtès peûres » (des poires cuites).
Au Nord d’un rêve, je longe les canaux en bavardant avec le fils de Rembrandt, le seul de ses enfants resté en vie. Il est beau, je l’aime. « Waar dwaal je nu ? » (Où vas-tu, errant?) Nous nous revoyons parfois au Rijksmuseum ou dans un livre d’art.
Le temps du poème, étranger aux chronologies, m’agenouille parmi les victimes de l’Anschluss, qui récurent les pavés de Vienne avec leur brosse à dents, pour accueillir le Fureur. « Schneller ! Fester ! Sauj... ! » (Plus vite! Plus fort! Sales J…)
Enfin, je traverse la Daugava, qui sert de miroir au Château, à la tour de Jacques, à la cathédrale, au clocher de Pierre toujours incendié, toujours relevé. Qui ose prétendre que je viens ici pour la première fois ?
Mourir à Tatvan. Revivre à Tatvan. Alep, en passant ? Je n’ai jamais vu Alep que dans ta voix. Dire ta ville après toi ? Ta pharmacie sous les bombes ? Serais-tu en vie ? Blanchis, tes cheveux au henné ? Tu disais : c’est ma mère qui me l’envoie. Ta mère. Alep.
La Tour Eiffel, ornée de framboises, jaillit du Colisée, portée par l’éléphant en porcelaine de Catane. Au soleil vif, leur ombre se porte sur la plage de Malmö, que j’aperçois par la fenêtre en préparant mes cours.
Alors, retour à Liège ? Toujours retour à Liège. Après Montréal, Varsovie ou Canton, après Londres, Bruxelles ou Stockholm, après Rome, Munich ou Édimbourg, Tunis, Budapest ou Haïfa, Le Caire, Shanghaï ou Abidjan, New-York, Dakar ou Mexico, Marseille, Pau ou Grenade... « Madame, lès bèlès djèyes ! » (les belles noix). Toujours retour à Liège. À la Meuse endormeuse qui endormira mon dernier songe.






Mardi 5 Juillet 2016
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Revue Cités N°73,
Effraction/ diffraction/
mouvement,
la place du poète
dans la Cité,
mars 2018.

Pour avoir vu un soir
la beauté passer

Anthologie du Printemps
des poètes,
Castor Astral, 2019

La beauté, éphéméride
poétique pour chanter la vie
,
Anthologie
Editions Bruno Doucey, 2019.

Le désir aux couleurs du poème,
anthologie éd
Bruno Doucey 2020.







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22/11/2010