BIOBIBLIOGRAPHIE
Poète, essayiste et traductrice argentine, Roxana Páez a aussi été lectrice pour des maisons d’édition dans son pays. Dès l’âge de 20 ans, elle a collaboré à des revues et des suppléments culturels de journaux : Babel, Diario de Poesía, El Cronista Cultural, El Día. Entre 1992 et 1994 elle a participé à l’atelier d’Arturo Carrera et Daniel García Helder à Buenos Aires, deux des poètes les plus reconnus en Argentine. Au nouveau millénaire, la bourse Saint-Exupéry l’a amenée à Paris pour rédiger une thèse sur les poètes Juan L Ortiz et Francisco Madariaga. Entre 2002 et 2004 elle a organisé les Soirées des Écrivains de la Sortie à la Cité Internationale, afin de provoquer des rencontres inattendues entre des écrivains français et hispanophones, vivants ou fantômes, étrangers aux sélections « de la rentrée ». Installée à Belleville, elle coordonne des ateliers et donne des cours de littérature latino-américaine, de traduction et de castillan dans des universités et des écoles. Elle a traduit, entre autres, des textes de Pierre Klossowski, Rachid Boudjedra, Michel Serres, Cornelius Castoriadis, Henri Méchonnic, Marcel Duchamp, Georges Bataille, Mamhoud Darwich, Josée Lapeyrère, Geneviève Huttin.
Ses poèmes ont été traduits en anglais, français, portugais et allemand, publiés dans des revues, anthologies et sites virtuels. Certaines de ses lectures ont été faites en collaboration avec des peintres, compositeurs et vidéastes. Citons Fogata avec le compositeur Gorka Alda à la Maison de l’Amérique Latine (2003) et Où le diable a perdu son poncho aux ateliers-galerie 59 Rivoli (2010) en compagnie du dessinateur et sculpteur Vicente Grondona.
Elle est invitée à des festivals internationaux de poésie comme celui de Rosario (Argentine, 2012), la Biennale Internationale de poètes de Val de Marne (2013), ainsi qu’à l’Université de New York pour lire face aux participants des ateliers de Créative Writing. En 2014, elle a participé au Colloque International de critique et de poésie à l'Université de Postdam qui s'est clôturé par une lecture à l'Institut Cervantes de Berlin et à la rencontre organisée par l’Ambassade de France en Bolivie autour de la relation littéraire entre la France et l’Amérique Latine. Elle a reçu des bourses pour la traduction et la création de la Direction du Livre en 1998 et en 2012. Actuellement, elle prépare l’édition des œuvres complètes du poète argentin Francisco Madariaga pour la Maison universitaire Eduner. Elle écrit pour la revue Zone sensible.
LIVRES DE POESIE
2015 Crying Body (préface de Vicente Constantini) - abacq.org http://www.abacq.org/cuaderno/
2012 Brindilles à sa flambée (édition bilingüe). Paris, Côrdoba, co-édition de Reflet de Lettres/
Alcion
El diario de la china. Córdoba, Sofía Cartonera, 2012.
Le journal de la china (Là où le diablo perd le poncho et le renard et le lièvre se disent bonne
Nuit), édition bilingue. Marseille, Fidel Anthelme X.
2011 Serie de banda rumorosa. Córdoba, Alción.
2007 Madre Ciruelo. Córdoba, Alción.
2007 Lettera rarissima (antologie bilingue). Marsella, Fidel Anthèlme X.
2002 Fogata de ramitas y huesos. Córdoba, Alción (reedité en 2009).
1999 La indecisión. Buenos Aires, La Marca.
1995 Las vegas del porvenir. Buenos Aires, La Marca.
1994 Gran distracción animada . Buenos Aires, Seis Sellos.
Parmi ses ESSAIS
2013 Poétiques de l’espace argentin. Juan L. Ortiz et Francisco Madariaga, Buenos Aires, Mansalva.
1995 Manuel Puig. Del pop a la extrañeza. Buenos Aires, Almagesto.
Ses poèmes ont été traduits en anglais, français, portugais et allemand, publiés dans des revues, anthologies et sites virtuels. Certaines de ses lectures ont été faites en collaboration avec des peintres, compositeurs et vidéastes. Citons Fogata avec le compositeur Gorka Alda à la Maison de l’Amérique Latine (2003) et Où le diable a perdu son poncho aux ateliers-galerie 59 Rivoli (2010) en compagnie du dessinateur et sculpteur Vicente Grondona.
Elle est invitée à des festivals internationaux de poésie comme celui de Rosario (Argentine, 2012), la Biennale Internationale de poètes de Val de Marne (2013), ainsi qu’à l’Université de New York pour lire face aux participants des ateliers de Créative Writing. En 2014, elle a participé au Colloque International de critique et de poésie à l'Université de Postdam qui s'est clôturé par une lecture à l'Institut Cervantes de Berlin et à la rencontre organisée par l’Ambassade de France en Bolivie autour de la relation littéraire entre la France et l’Amérique Latine. Elle a reçu des bourses pour la traduction et la création de la Direction du Livre en 1998 et en 2012. Actuellement, elle prépare l’édition des œuvres complètes du poète argentin Francisco Madariaga pour la Maison universitaire Eduner. Elle écrit pour la revue Zone sensible.
LIVRES DE POESIE
2015 Crying Body (préface de Vicente Constantini) - abacq.org http://www.abacq.org/cuaderno/
2012 Brindilles à sa flambée (édition bilingüe). Paris, Côrdoba, co-édition de Reflet de Lettres/
Alcion
El diario de la china. Córdoba, Sofía Cartonera, 2012.
Le journal de la china (Là où le diablo perd le poncho et le renard et le lièvre se disent bonne
Nuit), édition bilingue. Marseille, Fidel Anthelme X.
2011 Serie de banda rumorosa. Córdoba, Alción.
2007 Madre Ciruelo. Córdoba, Alción.
2007 Lettera rarissima (antologie bilingue). Marsella, Fidel Anthèlme X.
2002 Fogata de ramitas y huesos. Córdoba, Alción (reedité en 2009).
1999 La indecisión. Buenos Aires, La Marca.
1995 Las vegas del porvenir. Buenos Aires, La Marca.
1994 Gran distracción animada . Buenos Aires, Seis Sellos.
Parmi ses ESSAIS
2013 Poétiques de l’espace argentin. Juan L. Ortiz et Francisco Madariaga, Buenos Aires, Mansalva.
1995 Manuel Puig. Del pop a la extrañeza. Buenos Aires, Almagesto.
EXTRAITS DE TEXTES
Journal de la china*
(Où le diable perd son poncho
et où le lièvre
et le renard se disent bonne nuit)
Les indiens l’avaient ravie,
hissée par les cheveux
sur la croupe d’un cheval.
Pourtant son arrière grand-père
était indien aussi et il s’était approprié
sa femme pendant un malón*.
Ouï-dire, vampires, engoulevents.
Présages et étoiles.
Seules les pierres étaient douces.
Sa solitude soulignait
qu’elle était maîtresse de ses décisions,
une planète en extase
différente des autres planètes.
Un ensemble de molécules en mouvement.
S’en va. Se casse. Se rompt.
Ça fait une semaine qu’elle a vu
le petit renard violet
dormant au soleil
de la campagne, après avoir couru
dans son jeu muet.
Ça fait 14 jours que le vampire est venu,
battant des ailes au-dessus de son épaule,
la serrant par derrière,
il disparaissait du vestibule
et revenait dans un assaut.
Elle voudrait être indienne maligne,
Mais elle ne joue pas dans un malón.
Bon an mal an !
Cette longue absence comme un exil
est une présence absolue
que le temps n’altère pas.
Le monde m’échappe,
le reconstruire
au jour le jour,
poème après poème.
Un vers, un jour c’est la même chose,
si tu nais en mouvement.
Vie minuscule, jours différents, semblables,
je veux révéler votre éternité!
Je sais, vous pensez que je suis
une blanche lettrée. Mais non.
Gamine, tous les mots étranges m’envoûtaient.
Quand j’ai lu la première fois,
j’ai rien compris.
Et ça m’a éblouie.
Ça m’a allumée, ça.
Les livres sont
des pierres étincelantes.
Le soir finit en tableau noir,
avec des restes de craie.
Et par-dessus la nuit,
une ligne lumineuse, fulgurante.
Je ne suis pas allée à l’école.
J’espionnais.
D’où que je sois, je suis
d’ici.
Comme une graine qui vole. Inutile
de demander d’où elle vient si
jamais elle s’incruste ici.
Plante, elle vole, détachée, elle cherche
où se poser.
Et le bourgeon se manifeste.
Dans la forêt, je perçois le son des choses
qui vont mourir,
les préparatifs d’une naissance.
Créature noire.
La langue me donne les mots,
les rêves, les insultes qui font tourner la roue.
Je peux fixer les gauchos dans les yeux
je peux les voir se soulever,
sur leurs bêtes galopantes.
Personne ne m’a transmis l’art de monter
mais j’ai appris, comme à lire, à nager et à écrire.
Les vaches lâchées dans les terres sont les mots
d’un message que je ne comprends pas.
Je regarde leurs yeux noirs au milieu de l’angoisse blanche.
Un indien saoul s’approche de moi
vêtu de plumes d’autruche.
Il se tient en silence,
me sourit à peine.
Entre les fentes, les yeux apparaissent
à moitié verts, crachat de maté.
Sang-mêlé d’italien, paraît-il.
«Comme un cheveu sur la soupe»,
il arrive au moment où le maté infuse.
Il avive le feu, je me réchauffe.
Indien mélangé.
Tout à coup il attrape ma main.
Je sens son haleine sur mon doigt
à l’endroit de l’estafilade.
Il regarde la blessure
en faisant semblant
de s’inquiéter pour moi.
Et la lèche.
J’ai entendu les cris du chajá*.
Je ne sais pas ce qu’ils venaient m’annoncer
qui me laisse
un goût triste de sang.
Bipède implume ! Tu perturbes
ce silence qui est à moi.
Et le début d’un rire
qui n’éclate pas.
Éclate !
Tu n’as pas non plus rangé ta peine.
Par la vitre, la terre avance blanche comme du sel.
Il faisait encore nuit, quand je suis arrivée.
J’ai demandé à d’autres chinas glacées de me donner
un coup de main pour enfoncer la pelle dans le faubourg
des vieux villages blancs,
enterrer un autre mauvais souvenir dans la neige.
Champs givrés. Dans quelques jours, je pars vers l’été.
D’ici,
où le lièvre et le renard se disent bonne nuit,
où l’espace est plein de nous, des autres,
les revenants et les disparus.
À mesure que le jour s’écoule,
je reprends mon souffle et je commence
à profiter de ce qui s’est passé.
La liberté continuera.
Ne pas se plaindre, remercier, disait
le paysan venu d’Irlande,
avant de tailler la vigne.
Dans la perte, le bénéfice. Quelle chance
pour le malheur, répétait sans cesse mon grand-père.
Pendant la journée, travailler ma solitude.
Ici, où le diable a perdu son poncho,
au cinquième baobab. J’aime nommer ainsi
cet arbre solitaire, depuis que le nègre a demandé,
si l’ombu* n’était pas cousin
de son souvenir d’arbre.
A l’est, ces trois oliviers minuscules !
leur vert sec,
de l’eau qui monte de la terre
au ciel.
L’odeur précède l’eau.
Les plantes, les mouches s’affolent
et moi, qui que je sois.
L’air bourdonne jusqu’à ce qu’il perde les eaux.
J’ai marché en aveugle sous la pluie,
elle annonce l’été,
inclinée,
tempête.
Je me suis abritée dans le relais.
Après l’orage,
le ciel se délivre.
De même, je reste morte,
Je ne suis pas amoureuse.
Je grimpe à l’eucalyptus,
sur la branche tachée.
Ici, je m’allonge.
La lumière des maisons,
que les habitants croient
être pour leur table, leur pain,
leur chambre,
sont des signaux lumineux
qui me parlent d’une autre vie possible :
à l’abri, sous un ciel ras.
Il serait nécessaire que je lâche le mien?
Que j’évite ce vol de nuit,
que j’évite la suspension
enveloppée dans l’aura de fumée ?
Je m`égare
en m’éloignant de ce qui rend douce
la vie des chinas ?
Le temps est beau,
la route étoilée,
les tours et le flottement
me parviennent dans cette mer intense
au bord de la mer même.
Ma branche, un cheval sur le vent.
Maintenant, l’air devient turbulent. Mais
je ne perds mon temps et ma maison
qu’apparemment.
Je bats et je me barre,
il sera difficile
de vaincre cette impulsion de carte.
Je peux le voir dans mes jumelles,
le survoler. Mes yeux allaient là-bas.
Et moi, l’envahisseuse,
je le voyais apparaître comme
l`oiseau dans la vie d’un homme,
comme une surprise dans son champ visuel.
Et après ?
J’ai commencé une nouvelle vie.
Et je m’endors par terre.
J’aide,
en échange d’un salaire journalier
et je m’en vais.
Hier on a préparé une fusée
qu’on a faite exploser
pour crever les nuages.
Il faut savoir interpréter
les menaces du ciel.
Sauvés de la grêle, les raisins!
C’est un Italien qui nous l’a appris.
Après j’ai œuvré dans l’art de la basse-cour,
Là où les poules sont toujours en train
de se coucher. Pourquoi, pourquoi
ont-elles été épouvantées ?
La terre avait tremblé. Ils étaient
venus, cohue furieuse et hurlante.
J’étais déjà cachée sous les maïs.
Ça peut te sembler dur,
mais je reste sur le départ
avec ma toile de tente,
prix de ma liberté.
Même s’ils sont comme des frères,
ils voudront me la prendre.
Moi, je fais ce que je veux, devenue mal élevée.
N’importe lesquels : organisation, tribu,
ferme, gaucho déchu, gringo tout seul,
ils sont menaçants. Je les soupçonne
de vouloir me commander.
Avec moi,
le reste de la journée
je travaille mes pensées.
C’est à ce moment de la saison,
que venait le fils. Je le traitais comme un gamin.
Il rigolait. Et lançait les boleadoras
aux nandous* quand il se réveillait confiant.
Nous nous amusions. Au soleil
je lui cherchais des poux et lui, serrait sa guitare.
Au lasso, il attrapait les filles.
L’homme, je dois me lever tôt
pour le voir en coup de vent.
Temps, moustique obstiné,
laisse- moi manger tranquille
mon pot au feu et l’orange fraîche.
Les fantômes ne s’approchent pas,
parce que j’ai un talisman, du maté
et une bombilla en argent,
par laquelle j’aspire. Comme je respire.
Et l’énergie se met à galoper.
Yerba *, poussière inégale,
verte, amère comme la terre,
qui rend inouïe la fatigue. Exalte !
Allume.
Je n’ai jamais eu besoin de dormir
pour sombrer dans le rêve. Cet été-là
nous mangions des pierres.
Et le concret
remplit encore ma pensée.
Je ne peux pas savoir d’où je viens.
Petite Mère ne répond plus, le savait-elle,
étoiles déclinantes ?
Parce qu’un jour les conquistadors, les chercheurs
de trésors, les chasseurs d’indiens et les négriers,
et plus tard, un Basque, un Français,
un Italien, un Russe, un Allemand, un Galicien,
et qu’est-ce que c’est le type d’ici ? Noir de noir,
Indien, Andalou, Sicilien ? Son nez, il est de la pampa,
il est huarpe, il est italien ?
Ici nous sommes
au même instant dans tous les lieux :
forêt, prairie, pampa humide et terre dure.
Quel désert ?
Gauchos, chinas, indiens, nègres,
gringos, gardiens de vaches, voleurs de bestiaux,
fugitifs à cheval.
Je suis un peu tout cela.
Ici c’est là c’est là-bas.
Nomades en-soi,
Le ciel ouvert n’explosera pas.
Les intrus ont gaspillé la lumière.
même les mouches volent endormies sous ce double soleil.
Bien sûr, je sens le poids des tâches qui m’incombent.
La pesanteur passe,
si on a la tête dans un essaim.
Bourdons en rut, papillons, frôlements
cigales stridulantes qui me désespèrent,
mouche aux yeux dorés,
l’assassinat de la mouche!
On ne m’appelle pas la gaucha,
tout au plus guacha, bâtarde, et je ne sais pas
qui je suis pour vous.
Indienne, china, en tout cas d’une Asie de par ici.
« Répulsif plasma ethnique » rien de plus,
sur une mer verte, solide
parsemée d’ossements de vaches
phosphorescents la nuit.
C’est l’industrie du cuir et de la graisse,
luxe des vautours,
cadeau des chimangos*.
J’ai toujours trois oiseaux
volant autour de moi.
Ces ombres joyeuses
que je devine derrière moi :
indien, gaucho, gringo,
de tous je peux apprendre
et à chacun je peux enseigner
une petite chose.
Si l’un d’eux disparaît pour motif d’abandon, de mort,
ce qui revient au même,
un autre occupe vite sa place.
Trois, c’est plus rassurant.
Travaillés par la vie rude,
tannés, forts,
les yeux habitués à sonder.
Dis-moi, la profondeur,
Avec tes yeux mystiques ?
C’est bon de prendre le déjeuner
avec l’un d’eux, viande et fumée.
Parfois celui que j’ai cru être mon avenir,
n’a même pas été présent dans mon passé.
J’ai voulu qu’il m’allume un feu.
Et il a demandé où trouver des brindilles,
pour me faire la cour.
Il s’est avéré fainéant ou bien fou ou bien violent
et mon inspiration s’est enfuie.
Je me suis obscurcie dans mon nid,
et le jour, je me couvre sous un châle tiède en or
qui soulage la peine,
comme le danger la chasse.
J’ai commencé plusieurs vies.
Où habite mon renard violet
en hiver ?
Ça fait longtemps que je n’ai pas ressenti
une effusion lumineuse.
J’ai mal calculé.
Est-ce que j’ai calculé ?
Je connais mon bonheur
mais souvent je ne le repère pas.
Les choses m’arrivent vertigineusement.
Les malheurs sont le passage d’une vie
à la suivante.
Mots, mes frères, donnez-moi l’énergie
pour vaincre le désarroi.
Donnez-moi des ailes
pour sortir de mon trou
et chercher un point d’eau.
Parce que je ne suis pas chasseuse,
ni dompteuse de poulains,
ni sentinelle de la civilisation,
ni barbare d’Andalousie.
Mais je sais vivre entre les embuscades
et les sursauts de l’esprit et du corps.
Et je suis très forte
pour attraper l’anneau
sans tomber de cheval.
Ici, je commence à écrire
sur le crâne d’une vache.
Maudite, l’inspiration,
je préfère improviser.
Sans guitare ni octosyllabes
que je laisse à mes frères, ils aiment tant se vanter.
Le ciel ouvert peut exploser.
Je ne peux plus couper à travers champs.
Des fils de fer divisent la terre,
l’estancia interrompt l’errance !
Le train traverse l’immensité.
Rendez-moi un service
(espérance lancinante) :
Dégagez tous !
Brusque mue en femme maudite.
Indienne rusée, china traîtresse.
(C’est dur de présenter un tel personnage !)
Dans la peine je m’en vais.
Je laisse ces vieilleries et toi avec.
Au gré du vent, comme une fleur de pissenlit,
enveloppée dans mon poncho rouge,
en quête de la chaise d’or.
Dignité de la disgrâce.
Une peine extraordinaire
se console par le chant ?
Belleville, le 2 avril 2010
China : du mot Quechua guacho : bâtard, abandonné, errant. On appelle Gaucha ou China la compagne du Gaucho.
Malon : Irruption ou attaque inattendu des indiens contre leurs ennemis, contre d’autres indiens, ou contre une fortification huinca (blanche)
(Où le diable perd son poncho
et où le lièvre
et le renard se disent bonne nuit)
Les indiens l’avaient ravie,
hissée par les cheveux
sur la croupe d’un cheval.
Pourtant son arrière grand-père
était indien aussi et il s’était approprié
sa femme pendant un malón*.
Ouï-dire, vampires, engoulevents.
Présages et étoiles.
Seules les pierres étaient douces.
Sa solitude soulignait
qu’elle était maîtresse de ses décisions,
une planète en extase
différente des autres planètes.
Un ensemble de molécules en mouvement.
S’en va. Se casse. Se rompt.
Ça fait une semaine qu’elle a vu
le petit renard violet
dormant au soleil
de la campagne, après avoir couru
dans son jeu muet.
Ça fait 14 jours que le vampire est venu,
battant des ailes au-dessus de son épaule,
la serrant par derrière,
il disparaissait du vestibule
et revenait dans un assaut.
Elle voudrait être indienne maligne,
Mais elle ne joue pas dans un malón.
Bon an mal an !
Cette longue absence comme un exil
est une présence absolue
que le temps n’altère pas.
Le monde m’échappe,
le reconstruire
au jour le jour,
poème après poème.
Un vers, un jour c’est la même chose,
si tu nais en mouvement.
Vie minuscule, jours différents, semblables,
je veux révéler votre éternité!
Je sais, vous pensez que je suis
une blanche lettrée. Mais non.
Gamine, tous les mots étranges m’envoûtaient.
Quand j’ai lu la première fois,
j’ai rien compris.
Et ça m’a éblouie.
Ça m’a allumée, ça.
Les livres sont
des pierres étincelantes.
Le soir finit en tableau noir,
avec des restes de craie.
Et par-dessus la nuit,
une ligne lumineuse, fulgurante.
Je ne suis pas allée à l’école.
J’espionnais.
D’où que je sois, je suis
d’ici.
Comme une graine qui vole. Inutile
de demander d’où elle vient si
jamais elle s’incruste ici.
Plante, elle vole, détachée, elle cherche
où se poser.
Et le bourgeon se manifeste.
Dans la forêt, je perçois le son des choses
qui vont mourir,
les préparatifs d’une naissance.
Créature noire.
La langue me donne les mots,
les rêves, les insultes qui font tourner la roue.
Je peux fixer les gauchos dans les yeux
je peux les voir se soulever,
sur leurs bêtes galopantes.
Personne ne m’a transmis l’art de monter
mais j’ai appris, comme à lire, à nager et à écrire.
Les vaches lâchées dans les terres sont les mots
d’un message que je ne comprends pas.
Je regarde leurs yeux noirs au milieu de l’angoisse blanche.
Un indien saoul s’approche de moi
vêtu de plumes d’autruche.
Il se tient en silence,
me sourit à peine.
Entre les fentes, les yeux apparaissent
à moitié verts, crachat de maté.
Sang-mêlé d’italien, paraît-il.
«Comme un cheveu sur la soupe»,
il arrive au moment où le maté infuse.
Il avive le feu, je me réchauffe.
Indien mélangé.
Tout à coup il attrape ma main.
Je sens son haleine sur mon doigt
à l’endroit de l’estafilade.
Il regarde la blessure
en faisant semblant
de s’inquiéter pour moi.
Et la lèche.
J’ai entendu les cris du chajá*.
Je ne sais pas ce qu’ils venaient m’annoncer
qui me laisse
un goût triste de sang.
Bipède implume ! Tu perturbes
ce silence qui est à moi.
Et le début d’un rire
qui n’éclate pas.
Éclate !
Tu n’as pas non plus rangé ta peine.
Par la vitre, la terre avance blanche comme du sel.
Il faisait encore nuit, quand je suis arrivée.
J’ai demandé à d’autres chinas glacées de me donner
un coup de main pour enfoncer la pelle dans le faubourg
des vieux villages blancs,
enterrer un autre mauvais souvenir dans la neige.
Champs givrés. Dans quelques jours, je pars vers l’été.
D’ici,
où le lièvre et le renard se disent bonne nuit,
où l’espace est plein de nous, des autres,
les revenants et les disparus.
À mesure que le jour s’écoule,
je reprends mon souffle et je commence
à profiter de ce qui s’est passé.
La liberté continuera.
Ne pas se plaindre, remercier, disait
le paysan venu d’Irlande,
avant de tailler la vigne.
Dans la perte, le bénéfice. Quelle chance
pour le malheur, répétait sans cesse mon grand-père.
Pendant la journée, travailler ma solitude.
Ici, où le diable a perdu son poncho,
au cinquième baobab. J’aime nommer ainsi
cet arbre solitaire, depuis que le nègre a demandé,
si l’ombu* n’était pas cousin
de son souvenir d’arbre.
A l’est, ces trois oliviers minuscules !
leur vert sec,
de l’eau qui monte de la terre
au ciel.
L’odeur précède l’eau.
Les plantes, les mouches s’affolent
et moi, qui que je sois.
L’air bourdonne jusqu’à ce qu’il perde les eaux.
J’ai marché en aveugle sous la pluie,
elle annonce l’été,
inclinée,
tempête.
Je me suis abritée dans le relais.
Après l’orage,
le ciel se délivre.
De même, je reste morte,
Je ne suis pas amoureuse.
Je grimpe à l’eucalyptus,
sur la branche tachée.
Ici, je m’allonge.
La lumière des maisons,
que les habitants croient
être pour leur table, leur pain,
leur chambre,
sont des signaux lumineux
qui me parlent d’une autre vie possible :
à l’abri, sous un ciel ras.
Il serait nécessaire que je lâche le mien?
Que j’évite ce vol de nuit,
que j’évite la suspension
enveloppée dans l’aura de fumée ?
Je m`égare
en m’éloignant de ce qui rend douce
la vie des chinas ?
Le temps est beau,
la route étoilée,
les tours et le flottement
me parviennent dans cette mer intense
au bord de la mer même.
Ma branche, un cheval sur le vent.
Maintenant, l’air devient turbulent. Mais
je ne perds mon temps et ma maison
qu’apparemment.
Je bats et je me barre,
il sera difficile
de vaincre cette impulsion de carte.
Je peux le voir dans mes jumelles,
le survoler. Mes yeux allaient là-bas.
Et moi, l’envahisseuse,
je le voyais apparaître comme
l`oiseau dans la vie d’un homme,
comme une surprise dans son champ visuel.
Et après ?
J’ai commencé une nouvelle vie.
Et je m’endors par terre.
J’aide,
en échange d’un salaire journalier
et je m’en vais.
Hier on a préparé une fusée
qu’on a faite exploser
pour crever les nuages.
Il faut savoir interpréter
les menaces du ciel.
Sauvés de la grêle, les raisins!
C’est un Italien qui nous l’a appris.
Après j’ai œuvré dans l’art de la basse-cour,
Là où les poules sont toujours en train
de se coucher. Pourquoi, pourquoi
ont-elles été épouvantées ?
La terre avait tremblé. Ils étaient
venus, cohue furieuse et hurlante.
J’étais déjà cachée sous les maïs.
Ça peut te sembler dur,
mais je reste sur le départ
avec ma toile de tente,
prix de ma liberté.
Même s’ils sont comme des frères,
ils voudront me la prendre.
Moi, je fais ce que je veux, devenue mal élevée.
N’importe lesquels : organisation, tribu,
ferme, gaucho déchu, gringo tout seul,
ils sont menaçants. Je les soupçonne
de vouloir me commander.
Avec moi,
le reste de la journée
je travaille mes pensées.
C’est à ce moment de la saison,
que venait le fils. Je le traitais comme un gamin.
Il rigolait. Et lançait les boleadoras
aux nandous* quand il se réveillait confiant.
Nous nous amusions. Au soleil
je lui cherchais des poux et lui, serrait sa guitare.
Au lasso, il attrapait les filles.
L’homme, je dois me lever tôt
pour le voir en coup de vent.
Temps, moustique obstiné,
laisse- moi manger tranquille
mon pot au feu et l’orange fraîche.
Les fantômes ne s’approchent pas,
parce que j’ai un talisman, du maté
et une bombilla en argent,
par laquelle j’aspire. Comme je respire.
Et l’énergie se met à galoper.
Yerba *, poussière inégale,
verte, amère comme la terre,
qui rend inouïe la fatigue. Exalte !
Allume.
Je n’ai jamais eu besoin de dormir
pour sombrer dans le rêve. Cet été-là
nous mangions des pierres.
Et le concret
remplit encore ma pensée.
Je ne peux pas savoir d’où je viens.
Petite Mère ne répond plus, le savait-elle,
étoiles déclinantes ?
Parce qu’un jour les conquistadors, les chercheurs
de trésors, les chasseurs d’indiens et les négriers,
et plus tard, un Basque, un Français,
un Italien, un Russe, un Allemand, un Galicien,
et qu’est-ce que c’est le type d’ici ? Noir de noir,
Indien, Andalou, Sicilien ? Son nez, il est de la pampa,
il est huarpe, il est italien ?
Ici nous sommes
au même instant dans tous les lieux :
forêt, prairie, pampa humide et terre dure.
Quel désert ?
Gauchos, chinas, indiens, nègres,
gringos, gardiens de vaches, voleurs de bestiaux,
fugitifs à cheval.
Je suis un peu tout cela.
Ici c’est là c’est là-bas.
Nomades en-soi,
Le ciel ouvert n’explosera pas.
Les intrus ont gaspillé la lumière.
même les mouches volent endormies sous ce double soleil.
Bien sûr, je sens le poids des tâches qui m’incombent.
La pesanteur passe,
si on a la tête dans un essaim.
Bourdons en rut, papillons, frôlements
cigales stridulantes qui me désespèrent,
mouche aux yeux dorés,
l’assassinat de la mouche!
On ne m’appelle pas la gaucha,
tout au plus guacha, bâtarde, et je ne sais pas
qui je suis pour vous.
Indienne, china, en tout cas d’une Asie de par ici.
« Répulsif plasma ethnique » rien de plus,
sur une mer verte, solide
parsemée d’ossements de vaches
phosphorescents la nuit.
C’est l’industrie du cuir et de la graisse,
luxe des vautours,
cadeau des chimangos*.
J’ai toujours trois oiseaux
volant autour de moi.
Ces ombres joyeuses
que je devine derrière moi :
indien, gaucho, gringo,
de tous je peux apprendre
et à chacun je peux enseigner
une petite chose.
Si l’un d’eux disparaît pour motif d’abandon, de mort,
ce qui revient au même,
un autre occupe vite sa place.
Trois, c’est plus rassurant.
Travaillés par la vie rude,
tannés, forts,
les yeux habitués à sonder.
Dis-moi, la profondeur,
Avec tes yeux mystiques ?
C’est bon de prendre le déjeuner
avec l’un d’eux, viande et fumée.
Parfois celui que j’ai cru être mon avenir,
n’a même pas été présent dans mon passé.
J’ai voulu qu’il m’allume un feu.
Et il a demandé où trouver des brindilles,
pour me faire la cour.
Il s’est avéré fainéant ou bien fou ou bien violent
et mon inspiration s’est enfuie.
Je me suis obscurcie dans mon nid,
et le jour, je me couvre sous un châle tiède en or
qui soulage la peine,
comme le danger la chasse.
J’ai commencé plusieurs vies.
Où habite mon renard violet
en hiver ?
Ça fait longtemps que je n’ai pas ressenti
une effusion lumineuse.
J’ai mal calculé.
Est-ce que j’ai calculé ?
Je connais mon bonheur
mais souvent je ne le repère pas.
Les choses m’arrivent vertigineusement.
Les malheurs sont le passage d’une vie
à la suivante.
Mots, mes frères, donnez-moi l’énergie
pour vaincre le désarroi.
Donnez-moi des ailes
pour sortir de mon trou
et chercher un point d’eau.
Parce que je ne suis pas chasseuse,
ni dompteuse de poulains,
ni sentinelle de la civilisation,
ni barbare d’Andalousie.
Mais je sais vivre entre les embuscades
et les sursauts de l’esprit et du corps.
Et je suis très forte
pour attraper l’anneau
sans tomber de cheval.
Ici, je commence à écrire
sur le crâne d’une vache.
Maudite, l’inspiration,
je préfère improviser.
Sans guitare ni octosyllabes
que je laisse à mes frères, ils aiment tant se vanter.
Le ciel ouvert peut exploser.
Je ne peux plus couper à travers champs.
Des fils de fer divisent la terre,
l’estancia interrompt l’errance !
Le train traverse l’immensité.
Rendez-moi un service
(espérance lancinante) :
Dégagez tous !
Brusque mue en femme maudite.
Indienne rusée, china traîtresse.
(C’est dur de présenter un tel personnage !)
Dans la peine je m’en vais.
Je laisse ces vieilleries et toi avec.
Au gré du vent, comme une fleur de pissenlit,
enveloppée dans mon poncho rouge,
en quête de la chaise d’or.
Dignité de la disgrâce.
Une peine extraordinaire
se console par le chant ?
Belleville, le 2 avril 2010
China : du mot Quechua guacho : bâtard, abandonné, errant. On appelle Gaucha ou China la compagne du Gaucho.
Malon : Irruption ou attaque inattendu des indiens contre leurs ennemis, contre d’autres indiens, ou contre une fortification huinca (blanche)