BIOBIBLIOGRAPHIE
Lambersy Werner, est né en 1941 à Anvers et mort en 2021 à Paris où il a vécu et travaillé depuis 1980 ; carrière commerciale et voyages (Amérique, Asie, Afrique du Nord, Europe de l’Est) . En 1982 il devient attaché littéraire au Centre Wallonie-Bruxelles jusqu’en 2002. Poète important dans le domaine francophone, il a remporté de nombreux prix et est traduit dans plus de 20 langues. Sa poésie, tout en variant dans le ton et la forme, de l’extrême dépouillement à une respiration ample, poursuit à travers plus de 60 ouvrages une méditation ininterrompue sur le dépassement de soi dans l’amour et l’écriture.
A noter : « Maîtres et maisons de thé »chez Le Cormier et réédité chez Labor et chez Rhubarbe; Plusieurs recueils chez Cadex, Phi, Le Dé bleu, L’Age d’Homme, L’Amourier, Le Taillis Pré, Dumerchez, V. Rougier, Ed du Cygne, Pippa, Al Manar, Le Castor Astral…deux anthologies personnelles : « Présence de la poésie » chez Les Vanneaux (en 2 volumes ) et « L’Eternité est un battement d’ailes » chez Actes Sud . Parmi les dernières parutions en 2020 : « Le jour du chien qui boite » (éd Henry), « les convoyeurs attendent »(Rhubarbe) et en 2021 : « L’égarement d’écrire » ( Collodion), « Mémento du Chant des archers de Shu » (MaelstrÖm reEvolution) et « De la fenêtre »(Ed à l’index. Posthume, en 2022).
A noter : « Maîtres et maisons de thé »chez Le Cormier et réédité chez Labor et chez Rhubarbe; Plusieurs recueils chez Cadex, Phi, Le Dé bleu, L’Age d’Homme, L’Amourier, Le Taillis Pré, Dumerchez, V. Rougier, Ed du Cygne, Pippa, Al Manar, Le Castor Astral…deux anthologies personnelles : « Présence de la poésie » chez Les Vanneaux (en 2 volumes ) et « L’Eternité est un battement d’ailes » chez Actes Sud . Parmi les dernières parutions en 2020 : « Le jour du chien qui boite » (éd Henry), « les convoyeurs attendent »(Rhubarbe) et en 2021 : « L’égarement d’écrire » ( Collodion), « Mémento du Chant des archers de Shu » (MaelstrÖm reEvolution) et « De la fenêtre »(Ed à l’index. Posthume, en 2022).
EXTRAITS
EXTRAITS D'OUVRAGES
CONVERSATION A L’INTERIEUR D’UN MUR
Pour Pierre et Jacqueline Dhainaut
« Ich brauche den schritt aus der wand »
Werner Lutz
« Je me souviens de ce que j’ai vécu
et de tout ce que je n’ai pas vécu »
Ungaretti
Déjà
Ce que j’écris
S’efface en l’écrivant
Comme une lampe
Encore chaude
Que la lumière a fui
Un phare
Qui ne sait plus
Où la mer s’est retirée
Un oiseau
Qui se retourne
Et ne voit rien du vent
Qu’il a brassé
Où est l’amour
Et que s’est- il passé ?
Ces derniers dix
Mille ans
*
Le corps s’est fatigué
La photo d’identité
Qui avait
Une laideur d’avance
Sur l’ourlet
Des lèvres l’arrondi
Des joues
A aujourd’hui raison
Qui sait quel tampon
De douanes
Ou de police du temps
A pu frapper
Avec tant de vigueurs
Quelle agrafe
A rouillé sur la tempe
Pourtant
On se servait de ça
Pour passer
La frontière du sexe
Et voyager
Dans le lit des yeux
De filles
*
Rien de plus dur que
Les noix
De muscade du passé
Mais la râpe du temps
Est en inox
Alors
Pour aimer encore un
Peu
On feuillette
Les cahiers d’écoliers
Les brouillons
Et les livres d’images
Défraîchis
Où la vie a griffonnés
Sur la peau
Pour passer
L’examen de savoir
Si l’âme avait
Autre chose à espérer
Un serment de mots
Par exemple
Un billet aller-simple
Pour ailleurs
N’importe où à deux
*
Je me souviens
Des instants où j’étais
L’univers
Quand il n’y avait rien
D’autre que l’évidence
Je me rappelle être sorti
Du temps
Pendant que tu donnais
Mon nom
A chaque goutte de pluie
Qui tombait
Sur la vague en désordre
Des longues
Inondations de nos sens
Et on faisait l’amour de
Toutes les façons
Sans limites des nuages
Je me rappelle
De chaque fabuleux
Vagin des crépuscules
De la chair de poule
Des étoiles sur
La peau douce du ciel
Des brusques
Automates en vitrines
De tes noëls
Des coups de reins du
Vent dans l’arbre
Des désirs
Et des lampions
Colorés et clignotants
De nos caresses
Et de la digue
Déserte en face du trou
Noir de l’océan
De la houle sans répons
Du plaisir
Jusqu’à ce que le soleil
Frotte son zeste
De citron
Sur les canines
Et les gencives de l’aube
*
Rien n’est venu
De ce que nous attendions
Avec l’obstination
De ceux qui grattent
Dans le plâtre des cellules
Le compte des jours
Aucune aube
Qui soit restée une aube
Aucune lumière
Que l’ombre ne rattrape
Et nous nous sommes mis
A aimer
La persistance du vinaigre
Et l’amertume
Insatisfaite de nos alcools
Rien n’est venu
De ce que nous attendions
L’instant
N’est pas dans ce qui attend
*
Nous sommes devenus
Ce que l’attente a
Fait de nous
Quand viennent
Ces paroles entendues
Chaque fois
Que vente en tempête
L’écho
De serments non tenus
Sans deviner ni par qui
Ni de quoi il
S’agit
Et qui dira
Si l’ignorance est
Ce qu’on attend ou non
*
Malheur à ceux qui volent
Ils se volent à eux-mêmes
Le peu en leur possession
Et cela pour des biens que
La mort
Leur ôtera encore une fois
*
Mausolée de nos exploits
Car nous avons survécu
Plus longtemps
Que le vent dans l’arbre
Et résisté plus fort
Que l’écume aux vagues
Mausolée pour la prouesse
Car nous vivons
Dans la trop courte lignée
D’un soleil
Qui se dévore
Avec de somptueux
Acharnements d’épilepsie
Mausolée
Dans la clameur des chants
Car nous avons posé
Près des dépouilles en terre
De nos morts
La fine épée de l’éphémère
*
à mes enfants
Parmi tant de météores
Dans mes sèves
Comme fourmis sur un
Morceau de sucre
Lentement
Vous êtes sortis
Du ventre de votre mère
Et vous avez tourné vers
Moi vos premières
Rides et des cris des cris
Des années ! Des années
Pour apprendre à aimer
Le petit lait
Caillé de mes manières !
Des années ! Des années
Pour le pain bis
Tendu de mes tendresses
Le pain perdu de caresser
Peut-être même
Attendiez-vous ma mort
Ou la fin
De l’acné de vos révoltes
Tout ce temps avec entre
Nous à peine ce filet
De lumières sous la porte
Ces bruits de clés
Dans la serrure du secret
*
Une envie de jardins
De potager pour
Le partage
De la soupe des jours
De vérité
Pour le corps resté en
Friches
Une envie d’être tenu
Tubercule
Dans la motte ou vêtu
Comme l’échalote
Ou l’oignon
L’envie d’être grappes
Sous le gel ou
La grêle
Ou tomate sans saison
Dans la serre
Envie encore d’être là
Mais que sait-on
De l’âme
Pour la déshabiller
Des yeux comme
Un œuf dur
Sous une eau froide
Que sait-on de l’âme sinon
Le couteau de cuisine
L’économe entre les lames
Qui épluche trop fin le mot
Et le bombyx ténébreux qui
N’est pas beau
Mais vole
Une envie comme de cesser
De boire
Parce qu’on ne souffre plus
Une envie de rêve voilà tout
Des caprices de
Gosse
Comme on ramasse
La monnaie tombée à terre
Des quelques sous du poème
*
Malheur
Aux gens trop heureux !
Mais
Nos corps ne voulaient
Rien savoir
Ils se parlaient de soleils
Très anciens
Et de mondes habitables
Tellement
Que les moindres amours
Soulevaient
Des océans de plumes sur
La peau enfantine
De nos âmes
Où la paix
Pourrait se poser comme
Se pose
Sur le rouleau des vagues
Le vol têtu
D’oiseaux migrateurs qui
Ne peuvent
Pas s’arrêter à mi-chemin
*
Jadis
Chacun le connaissait
Et le moment
De sa venue
Etait une fête à laquelle
Il était bon
De s’adonner en silence
Et de garder
Une part pour les autres
Il y a peu
Seuls certains prêtres
Libres d’église
Mais fidèles au poème
Pour
Etre prêts à sa venue
Pouvaient
Encore le reconnaître
Ils parlaient
En son nom de la fête
Silencieuse
A laquelle il serait bon
Disaient-ils
Que d’autres
S’adonnent à leur tour
En gardant une part
Pour après
Il n’est pas sûr
Qu’aujourd’hui un seul
D’entre nous
Le reconnaisse et sache
Encore
Le moment de sa venue
Ni garder
Une part pour les autres
Cependant il reste bon
De s’abandonner
Même
Si on n’a
Pour cette part d’émois
Que le bruit
Maladroit de nos mots
Et la rumeur
Anonyme de nos chants
*
Si le poème
Se tenait uniquement
Dans le poème
Il ne serait que vents
Dans une cage
D’osier
Un oiseau de paradis
A qui tordre le cou
Pour avoir gardé
Le chant pour lui seul
*
Que faire de la petite voix
Sans voix
Qui dit des choses
Qu’on ne dit pas
Même
A l’oreille qui n’entend pas
On la connaît grain de sable
Tombée des meules
De la montagne
Où presque personne ne va
On la savait goutte de pluie
D’une pluie
Dont les dernières
Moussons faisaient cadeaux
On traîne ce lambeau d’âme
Comme une carie
Parmi les canines aiguisées
Du quotidien
Et les molaires
Mâcheuses de crépuscules
La parole sans verbe envoie
Ses marteaux-piqueurs
Défoncer
La mosaïque de nos images
Et les parpaings mal ajustés
Du silence
Ecrasent le reste en tombant
Laissant
Sur ces gravats
Les luzernes dorées et folles
*
Le grand rire silencieux
De l’univers est
Une intelligence amicale
Qui ne veut pas que nous
Nous sentions plus
Petits ni inférieurs à elle
Juste encore
Un peu sans expériences
Quand il s’agit
Du temps et de l’éternité
*
Ton regard
Dont le monde a besoin pour
Savoir sa beauté
L’instant avide
Dont le néant se servira pour
Me convaincre
Qu’il laissera un peu de place
A ce qui est plutôt qu’à
Ce qui ne pourrait pas sans toi
*
Un bonheur est un bonheur
Ne me demandez pas
Pourquoi
Je me trouve soudain assis
En haut
D’une montagne au soleil
Ne me demandez pas
Comment
Combien de temps
Ni l’ampleur que cela prit
Un amour reste un amour
Même si on
Ne peut reconnaître
Sa voix son pas
Le frottement de son jupon
Entre les bruits dans la rue
La radio et la tévé
Du voisin
Mais il suffit
D’un crayon et d’un peu de
Papier pour écrire :
L’Aimée est
Au sommet d’une montagne
Et fait de larges
Signes de bras dans le soleil
Un bonheur reste un bonheur
*
Je riais
Du centre vers la périphérie
Je riais
Du ventre et de la gorge
Des mains et des omoplates
Cela secouait tout l’espace
Faisait danser les fantômes
Comme ce mouchoir
Noué aux 4 coins
Dont la poupée dansait sous
Tes doigts
Avant d’aller enfant
Me coucher entre des draps
Amidonnés et froids
Sous la présence
Parfumée d’une chevelure
En chute libre
Je riais pour faire tomber
Les fruits de l’arbre
Du souffle
Au milieu du jardin d’Eden
Maintenant je ris
De la périphérie des autres
Vers le ventre
Avec des mains
Qui essorent les poumons
Comme du linge
Pour en sortir ce qui reste
Avant de passer le fer chaud
Sur les faux plis
De l’âme
*
Qui pour
Prétendre avoir un jour
Fait l’amour
S’il ne sent pas
Le vent dans l’herbe
Qui respire
L’azur
Comme un plongeur
Livré
A l’ivresse des hauts
Fonds
L’eau de pluie
A cloche-pied dans
La marelle d’une flaque
La source
Qui éveille la montagne
Où dort le magma
Paresseux
Sous
La moustiquaire légère
Des galaxies
Qui pour prétendre
A l’amour s’il n’est pas
Le dernier arbre
Avant la porte du désert
*
Je vis
A la vitesse de la lumière
Celle du soleil
Qui met la sainte matinée
Pour voyager
D’une fenêtre
A l’autre de ma chambre
Je cours
A la vitesse de l’eau vive
Celle de la goutte
Qui d’une feuille à l’autre
Fait du trapèze
En espérant
Que la suivante
L’épouse en plein vol au
Sein du vide
Je vais
Avec les chiens courants
De la meute du vent
Celui qui trébuche
Et tombe en traversant
Parce qu’un jupon l’attire
Ou qu’un parfum
L’a fait se retourner
Ainsi qu’un vol d’abeille
Et peut-être parce qu’il ne
Veut plus aller
Sans un nuage à promener
Dans un landau
De drap rose ou bleu
Autour d’une aube fraiche
*
Je rêve à la façon des nuits
Quand les jeunes-filles
N’ont pas sommeil
Et que s’ennuient
Les femmes insomniaques
Je tourne
La page de l’incertaine vie
Comme celui
Qui ne sait pas s’il prendra
Un livre pour le lire
Ou retardera
Le désir de connaître la fin
*
Quatre tonnes de plancton
Par jour
Pour contenter une baleine
Quarante baleines par jour
Pour les produits
Cosmétiques
Dont je frotte ton derme nu
*
La beauté
C’est d’abord ce qui désire
L’horreur
Qui n’est que satisfactions
Vous le dira
Même l’absence
Dont témoigne l’obstination
Des voluptés
Mon âme
Tient toute dans les regards
Qu’elle jette
Comme un rat
Guette à l’entrée de son trou
Mon âme
Est toute dans l’insatisfaction
Qu’elle procure
C’est sa façon d’être éternelle
Même la souffrance
Et l’abandon de toute illusion
Vous le diront
*
Malheur à celui qui ment
Pour être aimés
Ou qui se ment pour cela
Car le désir est un joueur
De poker
Et le plaisir
Un soldat qui se rue
Hors des tranchées tenues
Sous la mitraille des mots
*
Que je dorme
M’assoupisse veille
Une chose me relie
A l’ensemble
Tant que je respire
Je ne suis coupé
De rien
Une maille à l’envers
Une maille à l’endroit
Le souffle tricote
L’univers
*
Qu’avons-nous vécu ensemble
Qu’on puisse superposer
Exactement
Ou emboîter comme les pièces
D’un puzzle dont rien
Ne serait perdu
Sinon les très féroces et doux
Sentiments
D’être tout un
L’être qui existe et celui
Qui n’existerait pas sans nous
Sinon ce calme et vertigineux
Délire
D’être la pointe d’une aiguille
Sur quoi repose
La bulle de savon de l’univers
Sinon d’être
Entre l’enclume et le marteau
Des heures
La gerbe
D’étincelles qui
De nous fit des étoiles filantes
*
La terre de ce corps
Veut
Retourner à la terre
L’eau de mon corps
Veut
Remonter au nuage
L’air de mon corps
Veut
Retrouver l’espace
Le feu de mon corps
Veut
Brûler n’importe où
Les cendres du désir
Veulent renaître
Et je n’aurai jamais
Qu’une âme
Unique pour répéter
Ces mensonges
*
Je n’ai connu ni la haute
Mer ni la haute
Montagne
Pas la grande misère ni
La grande vie
Je n’ai connu la guerre
Que de loin
Et de loin la justice
La police les politiques
Ou la pègre
Je ne sais
Si j’ai connu ma lignée
Ni certaines amours
Je ne connais
Qu’à peine ma personne
Et moins encore
L’agitation de sa pensée
Dans la pensée
Indifférente de l’univers
Je ne connais qu’à peine
L’âme
Un peu la durée du désir
Et moins encore
La pure
Exaltation de mon extase
Qu’ai-je connu
Que je ne connaissais déjà
Dis-moi
Qu’ai-je connu
Qui n’était pas reconnaître
*
Avec l’âge la peau tourne
Au pruneau d’Agen
Ou à l’olive
Fruit à noyau que la terre
Aime reprendre
L’âme
Est un chaume
Promis à des incendiaires
Qui la rendraient au néant
Ou du moins aux absolues
Perfections de nos abîmes
Là où
Comme ici
Se tient le paradis
Perdu de notre nuit sans fin
On ne sait d’elle
Que les bourgeons en fleur
De la lumière
Nous
Qui aimons tant mordre
La pulpe ténébreuse du fruit
*
C’est n‘avoir rien écrit
Tant qu’on n’a
Pas jeté
Sa seule perle
Aux cochons ni l’écrit
Avec l’encre
C’est n’avoir
Rien osé tant que tout
N’est pas perdu
C’est n’avoir
Rien donné tant
Que la vie veut encore
Tant qu’aimer
Reste un refuge en
Montagne avant l’abîme
*
Ils disent « paix »
Mais c’est de l’arsenic rose
En sachets
Qu’on dépose sous la porte
Contre les rats
Contre les gens dont on dira
Plus tard
En jetant leurs cadavres nus
Ils ne sont pas comme nous
*
Comment croire au bois mort
Aux natures mortes
Ils font simplement le chemin
Leur paisible travail
De traverser
Je ne pense pas que l’habitude
Soit uniquement une répétition
C’est une façon rebelle de dire
Jamais assez
A ce qui passe et semble perdu
Je ne crois pas que nos visages
Finissent au-dessous
Du menton
Mes mains mon sexe mon dos
Et mes genoux savent
Rire et pleurer
*
Poème
Pour reconnaître l’autre
Et l’amour
Imprononçable à force
D’être lavé
Dans la machine à mots
Poèmes
A peau dure de poivrons
Et son mystère
Comme il ne reste d’aile
De la raie
Qu’éventail transparent
De cartilages
Poèmes
Où jamais ne savoir
Ce qui vraiment est écrit
*
Conversation
A l’intérieur d’un mur
Pour que personne n’entende
Que l’âme
Dans le ciment des certitudes
Est en train de mourir
Le livre
Serait une suite de pages
Blanches
Où n’écrire
Que les mots en miroirs
Du silence
Certains s’y jetteront
Comme dans un torrent
Dont on ignore tout
Chacun sait
Qu’au bout il y a l’océan
Qui rassemble
Les bruits de l’âme
Et les poèmes de l’écume
*
La Grande Marée de tes regards
S’est retirée au loin
Des kilomètres de varechs sont
Apparus
Et des cailloux qui font très mal
Le ciel a remonté son drap blanc
Jusqu’au ras du menton
De l’horizon
La plage est comme ces péages
D’autoroute fermée
Au trafic
Un vent froid
Passe le pic des dunes à l’émeri
On aperçoit des creux de vagues
Où les voiliers se couchent
Comme des chevaux
Leurs mâts déshabillés pointant
Ce coin du vide où
Poser la question sans réponses
*
Trou de taupes
De mes poèmes dans les gazons
De la pensée
Petits cônes de terres meubles
Que le mystère a repoussé
En creusant
Le nœud obscur de ses galeries
Sous la raison
On dit qu’Homère était aveugle
Lui aussi
*
Escalade
Poussée de fièvre
De bas en haut des sèves fauves
Grand tremblement
Peu visible de l’herbe inexorable
Qui obstinée fait un pas en avant
Marinades dans la cuve à teinture
Du crépuscule
D’odeurs et des parfums du corps
Qui serviront dès l’horizon en vue
A battre en neige la lumière
Et déployer dans le sang bannière
De feuilles et fanions de pétales
Pour la secrète rosée des moiteurs
Après l’amour
*
Demain à 300.000 Km seconde
Les charrues
Du soleil reprendront l’ouvrage
Couché dans le jardin je regarde
La Terre foncer
Dans la nuit à 37.000 Km/heure
Sans qu’une seule
Feuille de mes bouleaux ne bouge
Sans disperser
La volute paresseuse de ma pipe
Tandis que je repense
A celle qui fait trembler l’âme
A 300.000 Km seconde
Et entrer ma solitude silencieuse
A 37.000 Km/heure
Dans les zones stratosphériques
De sa volupté
Comme la lune surgit des nuages
*
Je ne sais pas danser
Mais je danse
Je ne sais pas chanter
Mais je chante
Je ne sais pas exister
Mais j’existe
Je ne sais pas souffrir
Mais je souffre
Je ne veux pas aimer
Mais j’aime
Je n’ai pas voulu être
Mais je suis
J’ai voulu apprendre
Mais déjà
La mort ne voulait pas
*
Au nom
De ce que personne ne saura
Et ne pourra jamais savoir
Au nom
De ce qu’aucun d’eux n’a vu
Ni entendu nulle part
Au nom
D’une loi que les oiseaux ni
Les arbres
Ne connaissent et dont la vie
N’a pas besoin
Ils ont tué massacré torturé
Parce qu’ils ne s’aiment pas
Et ont horreur
D’être au monde sans raison
*
L’encombrement des morts
Dans les tiroirs
D’en bas
N’empêche pas le tournesol
De tourner la tête
A la fenêtre
La fleur de pomme de terre
De danser ni l’arbre
D’avancer entre les pierres
Et l’herbe
Parfois de faire la coquette
Avec ses jupes
Tellement
Que le vent vient s’y rouler
L’idée de dieu
Pose une forme d’entropie
De l’homme
La liberté
Celle de trouver l’harmonie
Instable de l’univers
Être tout suppose n’être rien
*
Qui est-il donc
Qui est-elle
Dans ce dos nu
Et rond
Et long
Et lisse comme
L’hélice en bois
D’un avion
Qui est-elle qui
Qui est-il
Dans ce corps
Qui des épaules
Aux fesses
Offre une piste
D’envol
Et qu’importe
Si le désir
Qui veut intacte
Cette beauté
Y touche ou non
*
L’air
Autour de tes lèvres
Est léger
Tant il y flottent peu
De mots
A peine
Comme un ou deux
Cheveux
Laissés sur l’oreiller
Puis sur la baignoire
Qui disent combien
Tu étais nue
Détendue en ce bain
Où nos baisers
Faisaient des bulles
Je pense à ta bouche
Sur ma peau
Chaque fois que dans
Le parc sous la neige
Je vois traverser
L’écureuil
Qui vient pour jouer
Avec moi
Quand je rentre seul
*
La mer
Est notre nuit
C’est de là que nous venons
L’ombre
S’y tient parmi les animaux
Aveugles
Et les algues
Qui se nourrissent des restes
De nos soleils
Dont la lumière est couchée
Et sommeille entre
Les sels
La mer
Est cette nuit
Qui nous poursuit de son aile
Alors que nos nageoires déjà
Sont tombées
Et que l’âme
A inventé les lunettes solaires
*
Pour Patricia
Amants
Surpris la main
Dans le sac de la peau
Amants
Dans les phares
Du désir qui braconne
Amants
Dans l’incendie
D’une pinède à l’autre
Amants
Dans les champs
De mines des caresses
Amants
Toujours à l’écoute
Des sirènes sur le port
Amants
Comme le mulot
Dans la gueule du boa
Amants
Dont le voilier
Veut remonter au vent
Ou la pouliche
A la corde des Grands
Prix
Amants
Dans la saison
Des palmes exotiques
Des kalpas
De la dissolution suave
Des temps
Amants
Qui vous aimez
Par d’imprononçables
Prénoms
De sons de cris
De gorge et de combe
De gémissements
Sur des mugissements
De mascarets
Amants qui vous aimez
Comme personne
Auparavant
Ainsi que dit
La floraison du bouquet
Des comètes
Amants qui vous aimez
D’une longue vie
Sans âge
Comme levure présure
Et fermentations
D’instants
Amants
Qui reculez
Dans la lumière aveugle
Comme on avance
Vers l’abîme ténébreux
Du début
Soyez
L’arbre dans les quatre
Eléments
La ronde
De l’aubier tendre
Sous l’écorce des nuits
Le rire aussi
De la feuille qui tremble
Si souvent
Et de ce trouble
Qui fouille dans l’espace
*
Pour les 5 ans de Johanna
Il aime bien
Sa petite vie de petit
Nuage
Un jour
Il va en queue
De traîne de l’orage
Comme un jeune
Eléphant qui sagement
Suit le troupeau
La trompe
Comme virgule grise
A l’envers
Ou le bras
D’une ancienne pompe
De ferme
Car il aime
Qu’on le prenne
Pour ce qu’il n’est pas
Un jour
Il promène son ombre
Comme en laisse
Un chien
Dans les jardins
Où l’on sèche du linge
Qui a peur
Et lui fait signe
D’aller voir plus loin
Il joue
A la course en sac
Au mouchoir
A qui perd
Gagne à bonhomme
Pendu
A deviner qui c’est
Mais il
Se met en boule
Quand la fille rousse
Qui fait
La lune triche
Et se cache derrière
L’horizon
Parce qu’il est
Las d’être le mouton
La fumée
Sur un toit une niche
Pour l’Ourse
Etc etc etc etc
Mais il aime
Bien sa petite vie de
Petit nuage
Parce qu’il te fait rêver
*
Pour Anaëlle et Laurent
L’arbre
N’a pas dit
Son nom pourquoi faire
L’herbe non plus
Ni les fleurs des champs
Déjà la pluie
Et les gens se montrent
Tellement bavards
L’arbre occupe un bon
Placer de chercheur d’or
Dans le ciel
En automne
Il enverra quelques cartes
Pour les fêtes
Au printemps
Il mettra des habits neufs
Pour accueillir
Les oiseaux qui reviennent
Il danse
Dans les cortèges roses
Et rouges
Des crépuscules du soir
Et du matin
De ses racines
Et d’un tapis de feuilles
Il réchauffe
Les vieux os de la mort
Et l’âme
Pelotonnée des cailloux
Il donne des ailes
A l’ange des feux de bois
Il n’a besoin
D’aucune guerre
Il ne demande qu’à être là
Parfois avec des fleurs
Avec des fruits
Ou simplement sans rien
Et le manteau
Qu’il jette sur les épaules
De qui s’égare
Et la maison d’ombrages
Qu’il promet
A celui qui se promène et
Veut se reposer
Il les offrira sans compter
En ville il ne doit changer
De trottoir pour personne
La lune
Pour lui lèvera le chapeau
Les arbres sont faits pour
S’appuyer
En soutenant l’air et le vent
A chaque heure du jour
Il change les mots de passe
De l’ombre
Il boit
L’eau pure des pluies
Et mange
En gourmet la lumière
Il se sent bien
Et dort sous les grands draps
De l’horizon
Parfois il rêve
Et récite des mots
Qui donnent la chair de poule
Demain il en fera des poèmes
Que ceux qui passent et
S’arrêtent écouteront
Heureux sans savoir pourquoi
*
Gisement de l’ordinaire
Infini ! Infini !cependant
Pas facile à exploiter
Il faut racler
Creuser dénicher
Parfois pas bien profond
Mais dans les crues
Inondations des galeries
Des terres basses
Le Temps Le Temps
A fleur de roche le Temps
Et la Terre
Comme un compteur à gaz
Remis à zéro !
Combien de fois ?
Combien depuis les débuts
L’ordinaire tout simple
Taillé dans le cristal
Dur comme le diamant
C’est ce qu’on croit !
Mais ça fond
Dès qu’on y touche
A peine du bout des doigts
De la mémoire
Richesse pourtant
Comme pépite ou poussière
D’or au tamis
Richesses pour l’espérance
Richesse dans le noir
De trouver
Infini Infini
Mais la patience en veut
Toujours plus
Alors
On raconte des histoires
Des trucs imaginés
Des miracles mais c’est
Tricher
Gisements de l’ordinaire
Il n’y a que les morts
Pour savoir
Parfois quelques malades
En fin de parcours
Condamnés à des suicides
Quelques égarés comme
Des cheveux
Sur le potage de la parole
Mais qui les croit ?
On dit c’est là juste sous les
Narines
Mais sous le nez que sait-on
Des lèvres
Si elles se taisent ou remuent
Pour mentir
On ne peut
Qu’écouter ou regarder sous
Le nez des autres
Mais c’est tricher !
Le gisement de l’ordinaire
N’est pas un filon
L’ordinaire de celui-ci n’est
Pas l’ordinaire de celui-là
Aussi
Dès qu’on a trouvé il ne faut
Pas s’en vanter
Non ! Non au contraire
Il faut qu’il reste ordinaire
L’ordinaire
Sinon ça ne vaut plus rien
Cependant infinie ! Infinie
Alors la contemplation
Le bonheur qui en découle
Comme après une chute
Lorsqu’on est rassuré
De n’avoir rien abîmé pour
De bon mais
Juste un peu de souffrances
Le bonheur on vous le dit
N’en parlez à personne
Vous feriez des jaloux
Certains rêveurs
Inconscients des suites
Ont parfois laissé des sortes
De cartes
Des peintres des musiciens
Des poètes des rêveurs
On vous répète
Qu’on se le tienne pour dit !
*
Vu du fond des fosses pacifiques
L’Himalaya fait 20 km
De hauteur
Et elle qui se demande encore s’il
Faut mettre ce matin
Sa jupe bleue et des bottes neuves
Ou un jean troué avec des baskets
Combien fait-elle sur ces trottoirs
Le talon à 5 cm au-dessus
Du pavé où naviguent ses hanches
Comme dans l’onde d’une lagune
Où frétillent des poissons
Peu farouches
Et que fend l’aileron d’un requin ?
Car je ne sais pas d’où me revient
Ce vertige
D’être à la fois un ventre sans fond
Et un sommet
Dans le désert blanc sous les astres
Avec entre eux
Cette femme funambule
Dansant sur le fil oblique du plaisir
*
Bach
Dans les grands arbres
Et Mozart dans l’herbe
Mon fils
Dans l’œil du taureau et
De l’abeille
Mes filles
L’une dans l’hirondelle
Et l’autre
Dans la rose et les orties
Et cette femme
Près de moi la seule qui
Sait porter
Le manteau des silences
Et boutonner
L’œillet mal boutonné de
Ma vie
*
Trop d’encre
Dans cette nuit jamais
Je ne pourrai
Tout dire
Trop de mots dont
La lumière s’est éteinte
Avant d’arriver jusqu’à
Nous
Je dormais
Je m’en souviens
Je comptais la poussière
*
J’ai gardé ma part de neige
Celle qui protège
Du grand gel
J’ai gardé ma part de feu
Celle qui dévore
Mon corps
Comme un piment cache
L’aliment fade
J’ai gardé la part du souffle
Celle qui jamais
N’appartiendra à personne
Mais qu’il faudra restituer
Aux mots
Quand le déplacement d’air
Que j’étais aura trouvé
Sa place
Et se tiendra bien tranquille
On a déjà tout
Ecrit mais ce n’était
Pas moi…Et ça change tout
*
Maintenant Parviz mon ami
Je sais pourquoi le cerf
Que tu as vu
Se tenait tout seul au sommet
De la plus haute montagne
De ton pays
C’était pour mourir car mourir
C’est voir de tous les côtés
En même temps
Et faire
De l’horizon quelque chose
Qui ne ressemble pas à la porte
Tournante du hasard
Mais à la coquille d’œuf
Où frapper en éternel poussin
*
Li Po devant l’étang le brin
D’herbe entre les dents
Michaux devant l’encre
Où ses figures jettent l’ancre
Et bientôt devant le temple
De l’écran qu’il contemple
Le poète sans le moindre mot
*
Nous ne sommes pas là
Depuis longtemps
Et sans doute
Pour moins longtemps
Encore
Que les pierres
Qui traversent notre ciel
Juste
Entre deux coups de feu
De quelques soleils
Qui chassent
Et braconnent à la lisière
D’une galaxie
Ou le crin lumineux
De ce vide dont la bourre
Crève le ciel
Le cuir du sofa malmené
Du cosmos
Alors mon amour ne dors
Pas trop
Et donne- moi ton corps nu
Par où je puis entrer
Par la petite porte
Dans un moment d’éternité
*
Les enfants sont partis Oh
Pas loin mais
Ce ne sont plus des enfants
Les amis ne viennent plus
Certains ont du mal à ranger
Leurs nuages
Dans les boîtes de couleurs
De l’enfance
D’autres se servent
D’une canne qui chaque jour
Devient plus courte
Mais il y a
Les oiseaux dans notre cour
Qui se racontent
Encore les dernières branches
D’arbre et les sémaphores
Perdus de l’âme
Et ceux que leurs générations
Avaient connus
Avant les longs bitumes noirs
Déjà l’eau
Sombre du soir mouille le bas
Des éponges
Qui servent à effacer l’homme
Déjà la lune
Passe sur l’ardoise des choses
A faire
Que l’âme avait si bien notées
*
Plus de vin
Plus de tabac pour la pipe
A cette heure
Les magasins sont fermés
Plus de place
Pour les raisonnements
Philosophiques
Ni l’illusion
Ni la sagesse incertaine
Du renoncement
A peine la planche étroite
Du plongeoir vide
Au-dessus
De la piscine des poèmes
*
Astraca
« Au pied du temple, vous laisserez
…c’est ainsi qu’on se…et la mer
Innombrable !
Chaque matin …les outils et votre
bouche…Oui : purifiez, respirez…
eux aussi, ô vous haleurs d’azur…
ensemble, aux uns, aux autres salut »
*
J’avais rencontré mon âme
Ou quelque chose
De cela
Dans la rue où elle mendie
J’ai fait semblant de ne pas
La voir
J’ai croisé mon cœur triste
Ou quelque chose
De cela
Au premier rang d’un défilé
Derrière les drapeaux
Noirs
Et j’ai filé comme si j’avais à
Faire ailleurs
Alors en entrant j’ai bu le bol
De lait du chat
Car
Quelque part au fond de moi
La solitude
Ou bien quelque chose de ça
Miaulait pour qu’on l’adopte
*
Regardez où vous posez
Les pieds Attention
Il y a des morts partout
Certains sont sable
Très doux mais froid
Dès le coucher du soleil
Et quand le vent Se lève
Ils restent
Sous la dent et crissent
Dans l’écrou
D’autres sont toujours
Des cailloux
Mais plus lisses à cause
Des larmes
Ou des chiens
Sans laisse qui se frottent
Aux jambes
Nues des jeunes femmes
Beaucoup sont de la terre
Grasse où vont brouter
Les ruminants du souvenir
Quelques uns de la cendre
Comme la matière
Grise et chaude du monde
Et les volcans qui parlent
Bien plus fort que
Les vivants
Nous rappellent
Que tout ce qu’ils lancent
Retourne
Vers la lumière dont nous
Restons les fils
Lorsque nous retournons
La lampe de poche
De l’esprit vers l’intérieur
*
cantar era una razao
de morte e de alegria
Heberto Helder
Tous les mots sont des mots
D’amour
Même l’anathème les jurons
Et la malédiction
Jusqu’à la dernière génération
Tous les mots sont des mots
D’amour
Car ils parlent de la louange
D’être vivant
Un être qui s’adresse à l’autre
Seul le silence
Parce qu’il y a des mots peut
Choisir de ne rien dire
Ou de tout dire sans un signe
D’amour
Seul le silence est
Une robe de bure un cilice
De nonne
Tous les mots sont des mots
D’amour
Ils ne peuvent que célébrer
Le corps
Celui d’un univers resté pur
*
Nos chairs
Sont devenues des îles
Le désertique
Amour du large océan
Les ronge
Et l’espace stérile des
Galaxies
En fait des objets nus
Quelque chose
Qui sépare les sables
De la passe
Brassés par les ventres
Et les saveurs
Salivées par une bouche
Qui mastique
L’élastique
Instant de mourir comblé
*
Le souffle
Habitait la maison des os
Avec quelle volupté
Claquait la porte sur ceux
Qui cherchent l’amour
Maintenant
Avec l’âge il faut briser la
Vitre et jeter nos trésors
Par les fenêtres
Pour qu’entrent encore ces
Vents qui dehors
Déchirent les grands arbres
*
Tout est donné de néant
A néant
Et la mort n’a là-dessus
Ni défaite ni victoire
Le désir d’effondrement
Du sexe
Est d’effacer les fatigues
Le plaisir de nos extases
Est de goûter
A nouveau au chaos de
L‘abandon
*
La parole plonge ses rames
Et souque
Dans l’eau pesante
Du silence
Et les lentilles d’eau du mot
Là naissent aussitôt effacés
Les noirs remous
Et les troublants tourbillons
De nos souffles
Puis le poème de son étrave
Etroite et brève
Brave
Un instant
Le front taciturne des cieux
*
Pour passer le temps
Qui est long
Quand on est mort
Il faut apprendre
A compter les feuilles
Et les cailloux
Là où l’on est enterré
Pour profiter du temps
Qui est si court
Lorsqu’ on est vivant
Il faut apprendre
A compter
Sur les doigts de l’eau
Du nuage
A la pluie et de la pluie
Aux ruisseaux
Dans les deux cas
Vu de l’éternité
C’est pas la mer à boire
*
Les drones
Du sexe fouillent
Les replis du paysage
Parfois les batteries
Antiaériennes du nerf
Interviennent
Les obus
Font alors des fleurs
Dans le ciel
Et la nuit c’est encore
Plus beau
Mais l’avion furtif qui
Nous survole
De haut
Que vient-il faire ici
Lui
Dont nous ne savons
Que les débris
Au sol
Quand par hasard l’un
D’entre eux est
Touché
Et tombe
Dans un sillage de feu
* jardins Khaan
Le lent
Mouvement lent
De la tunique de Tagore
Qui balaie
Les feuilles mortes
Dans la poussière dorée
De l’automne
Quand la pluie
Dans les pins noirs
Laisse un mica parfumé
Et cette mouette lançant
D’intraduisibles
Poèmes
Où il est question de mer
Qu’elle n’a jamais
Vue à Paris
Comme nous
Qui ne verrons jamais
Tagore
Qu’en noir et blanc sur
La photo
*
Paris est gris
Ce n’est pas là son principal défaut
Mais plein de gens
Brutaux
Parce qu’ils sont tellement pauvres
D’avenir
Qu’ils sont tout gris
Dans le même vêtement à très peu
De choses près
Et le même air sans joie du menton
Aux sourcils
Quelques affiches dans les couloirs
Du métro
Evoquent les alambics
Cuivrés d’un coucher de soleil aux
Tropiques
Et une femme mûre en face de moi
Parle d’amour sans
Rien en dire
Comme la bande annonce d’un film
*
Montagnes
Métronomes ô si lents
Que le silence vous entend à peine
La paix
Sur vos sommets
Comme un socle d’îles sous la mer
Montagnes
Conservatrices de poids et mesures
Des balances de l’air
Quand l’œil qui regarde votre calme
Est comme une aile
Sur le vent
Montagnes
Aux mufles noirs ô si patients qu’on
Dirait qu’ils vont boire
Aux bords d’un gué que fréquentent
Seulement la nuit
Les fauves
Des steppes assoiffées de nos astres
*
Une petite pluie tiède
Et sans bruit
Prend tout son temps
Le billot
Sous la hache de soie
Est un bois
De loupe aux coudes
Indociles
Ainsi nos corps
Comme des cartes aux
Vingt millième
La nuit marcotte
Un buisson d’épineux
Sous la peau
Le souffle
Dans la frondaison nue
Des cheveux
Appelle les feuilles
Et la lune
A trembler comme les
Genoux
Des chevaux de course
*
Comme un vagin dans l’ombre
L’icône avec sa lampe
Vermillon
Jours ordinaires de l’adoration
Où communier avec
La langue
Les yeux clos
Comme des bogues en grappes
Lourds candélabres
Sous les clés de voûte du ventre
Flamme indéchiffrable
Voici que monte le lait de lueur
Qui fait sève au monde
Et que le ciel
Prenant ton visage ouvre
Des orages dans ses immensités
*
Marchant sur la lune
Pour la première fois
Ils n’ont dit
Que des mots appris
Sur Terre
Lorsqu’enfant
On leur imposait de
Faire pareil
Sur la mort
Ils ont répété sans fin
Ce qu’on sait depuis
Qu’on sait
Qu’un jour on meurt
Sur l’amour
Ils ne disent rien sauf
Qu’en parler sans fin
Ne suffit pas
Si le silence n’est pas
Le dernier mot
Ni la stupeur du poète
*
Ce fut le calme une sorte de
Silence
Profond sans portes ni murs
Celui où peut-être l’on prie
Sans le savoir
Sans les mots sans personne
Et rien à faire
De plus qu’être là immobile
Et heureux
La paix
Comme un fruit
Mûr reposant dans sa coupe
L’attente
Par un parfum qui ne promet
Paresseux
Rien d’autre que sa promesse
*
Petit homme
Tu as dit que la lune
A 3 saisons
Celle des jonquilles
Quand elle est jaune
Mais c’est rare
Celle des coquelicots
Quand elle est rouge
Mais c’est court
Et des roses pompons
Blanches
Qui sont rondes
Et penchent d’un côté
Puis de l’autre
En perdant des pétales
Avant de tomber avec
Toi dans ce trou
Entre la nuit et le jour
*
Pour connaître l’âge
D’un arbre
Il faut trancher le cou
Du tronc
Et compter le nombre
De colliers
Portés par les saisons
Pour deviner la route
D’un homme
Il faut suivre les rides
Autour du coude
Et mesurer l’opacité
De l’ongle de l’orteil
Pour croire connaître
L’âge d’une femme
Il faut observer le nid
De ses yeux
Les regards
Abandonnés et vides
Qui servent parfois
A d’autres
Et ceux dont la place
Restée libre
N’attend que l’amour
Alors que face au vent
Et nues de cœur
Elles s’offrent
Au coureur sacré
Des plaines odorantes
Et aux savanes
Obscures de son sexe
*
Comme on va d’une vaisselle
A l’autre
Et d’un lit à refaire au suivant
Rustines minuscules des jours
Pour le canot
Pneumatique troué des heures
Plombage des dents de sagesse
Du quotidien
Comme on trempe des journaux
Pour le fond des bottes
Qui font mal
Paix si possible comme coupées
Les fleurs d’un bouquet
Un peu de familiarité
Comme un chien de garde
Qui boite ou un vélo qui grince
*
J’apprends
A respirer comme les laves
Descendent dans la mer
Comme l’eau qui se change
En neige en glace en nuages
Ou en rosée
Je rends un souffle
Qui bondit comme tigre ou
Se couche comme l’éléphant
J’apprends ce qu’il faut faire
Quand je serai plein
De terre
Ma voix ne vous arrivera pas :
Trop courte l’échelle de corde
De l’évadé
Elle se perdra
Dans la poussière des papiers
Reste qu’elle en avait poursuivi
Certains qui n’avaient
Que des poèmes
Et la rumeur têtue de l’âme qui
Les faisaient chanter
Elle dégaine ses épices
Comme une lime
A ongle
Peut vous user les nerfs
Elle fait tourner autour
D’elle
Des satellites spatiaux
Transformés en jardins
Suspendus
Ses jambes
Comme un bec de plume
Pour écrire
S’ouvrent
Comme des huîtres
Où goûter l’iode et la mer
Les terrils roses
De ses seins sont des nids
De guêpes
Et ses cheveux très courts
Sont des appels
De phares
Croisés la nuit
A toute vitesse sur la route
C’est le printemps qui parle
Les premiers crocus
Et la grêle
C’est la mie du pain rassis
De mes mains
*
Elle dort
Dans mon sommeil
Comme un bateau
A l’ancre dans le port
Elle dans son corps
Sans doute est-elle oui
A côté de moi
Puisque nous dormions
Sans les draps
Que nous n’avons pas
Supporté
Tant nous étions nus
Sous la même tente
De peau et d’orties
Tant nous étions lourds
D’une âme en sueur
Qui colle au regard
Et qu’on on écope
Comme un schooner
Toutes voiles
Dehors dans l’écume
Elle dort
Et je dors autour d’elle
Comme la bouteille
Autour d’un alcool rare
*
Seul le désir est resté jeune
Sans réfléchir
Ni au comment ni au pourquoi
Mais il descend de plus en plus
Dans la mine
Du corps où épuiser à coups de
Pic le filon d’anthracite
Dont la salamandre des chairs
A tant besoin
Comme aux confins
De l’espace ces constellations
Dont nous n’avons plus
Que la lumière froide
Et la courbe pure de l’horizon
*
Où est la Chine
Traversée sac au dos
De cantines grasses
En boutiques
Encombrées de vélos
Et l’Inde brumeuse
Aux échoppes
A thé
Sur le bord du trottoir
A deux pas du barbier
Et d’un vieux sage nu
Et le Yang Tsé
Qui porte les bateaux
Ainsi que des colliers
De perles sur l’épaule
Et des radeaux
Avec des hérons
Patients sur leur proue
Le Mékong
Comme un bandeau
De front tenant la forêt
Et le Gange
Comme la peau
D’un beau cul sous le
Sari trempé
Le Saint Laurent
Qui va prendre la mer
Comme on met
La table d’un banquet
D’amis
Le plat Mississipi
Et l’Amazone touffu
Dans les rouges velours
Du coucher de soleil
D’un opéra
L’Escaut
Où sont rangées
Les boîtes de conserves
De la chimie et du pétrole
Et le Rhin
Aux péniches écumeuses
Et la Meuse
Aux écluses paresseuses
Et le Rhône
Aux chevaux attelés à des
Nuages bleus
Et le Danube
Aux larges jupes en vols
De migrateurs
Et le Nil
Où embarquent les morts
Et le reste que j’ignore
Et la Loire souveraine et
Tranquille
Où je m’assieds les pieds
Dans l’eau
Sur les cailloux obliques
Et usés
Pour parler aux mouettes
Moi qui ne vais plus que
Du jardin au dictionnaire
Et d’un amour au même
Comme l’eau
Dans l’eau qui se poursuit
Elle-même
*
Il faut faire la paix
Avec le sable et le poussier
Demain nous serons cela
Quelque chose qu’on pousse
Du pied
Que la jeune femme déteste
Et chasse
Avec des gestes de moulins
Il faudra faire un pacte avec
Les eaux
Pour qu’elles nous acceptent
Parmi les larmes
Qui s’évaporent moins vite
Que la rosée
Il faudrait faire confiance aux
Mots pour qu’ils se taisent
Et ne disent pas ce qu’on était
*
Tu téléphones
Au fin fond des galaxies
Comme on joue au jokari
Sur une digue
Tu pisses dans les vagues
Comme les poisons
Tu ficelles
Un paquet de paroles
Qu’on envoie dans les airs
Comme on cache
La poussière sous un coin
Du tapis
Quand on fait le ménage
Dans la tête
Et dans l’âme
Où tu installes un fauteuil
Tu écoutes des musiques
Que ne font
Plus l’oiseau ni les enfants
Ni la rue où tout est devenu
Si dangereux
*
Ne reste
Dans la délicate main
De l’espace
Que le rasoir
A l’ancienne d’un
Quartier courbe de lune
Sur la peau douce
De la gorge du nocturne
Parfois la joue
Du jour saigne un peu et
La pierre d’alun
Des nuages panse la plaie
Ne reste
Une nouvelle fois
Que le drap d’ombre pour
Recouvrir
Le corps assassiné des uns
Ou le charnier chaulé
Des autres
Où nous avons jeté les gens
D’en face
Qui se croyaient comme nous
*
Chers
Ne soyez pas inquiets
Ici tout va bien
Nous vivons heureux
P.S.. :
nous manquons de sucre
et de bougies
Personne parmi les sages
Ne sut à quoi
Ni à quel passage
De la Thora
Cette lettre faisait allusion
Un jeune
Poète finit par oser lancer :
C’est simple : nous vivons
Dans l’amertume
Et l’obscurantisme. Amen !
*
Parmi les anges
Qui me parlaient tout bas
Des femmes
Ceux qui avaient des ailes
Les repliaient
Sous la peau
Et devant leurs regards nus
Je tombais
Dans l’oreiller et la couette
De plumes de leurs caresses
Tandis que se creusaient
Les lourds matelas de vagues
De l’impatience
De ceux
Qui avaient perdus leurs ailes
Les hommes
Dans les hachoirs à viande
De l’argent
De la guerre et du pouvoir
Faisant ce qu’ils pouvaient
(Châteaux de sable
Que les marées grignotent
Avec des larmes d’enfants
Et des effondrements
De falaises)
Tandis qu’on entend
Jouer un vieil air de jazz ou
De hard rock
Sous le manteau troué d’une
Mémoire mélancolique
Et que l’amour
Cloue ses étoiles de mer sur
Les portes du ciel
*
On croyait impossibles
Dans ce monde
Sans pitié
Ces vergers
Aux pieds d’un Vercors
Sous la neige
Il semblait incroyable
Que des hommes en bleu
De travail
Discutent appuyés au bar
Dans la ouate
Bruyante du percolateur
Le coude
Sur les journaux du matin
Pleins de sang noir
Déjà les femmes au dehors
Osaient
Leurs premiers chemisiers
De couleur
Sur l’épaule largement nue
Et les seins
En bourgeons du printemps
*
Si je te fais l’amour
Mon amour
N’attend rien
J’en demande pardon
Qui te fassent danser
Comme ces nacelles
D’aérostats
Les tapis de bal
Sont roulés au salon
De mon corps
Car l’herbe a poussé
Haut dans le ventre
De mes terres
Et les cailloux
De ma route tournent
En rond
Comme
Des tortues d’eau
Dans le bocal de l’azur
*
L’espace et le temps
Devraient suffire
Pourtant jamais ni l’un
Ni l’autre
Ne se montrent entiers
Quand le bonheur est là
Sans qu’on le sache
Ici est toujours du passé
Et maintenant
Ailleurs
Le métro n’a pas
De station espace-temps
*
Jamais une mouche
Ne se serait posée
Sur ta langue
Jamais !
Une bête à bon dieu
Peut-être
Lorsqu’on murmure
L’amour
Qu’on ne comprend
Jamais
Et un plein lot
De papillons énervés
Quand elle ouvre
Un à un les boutons
De sa robe
*
La torréfaction
Des grains de café du
Discours amoureux
Est un art délicat
Entre l’arôme de l’âme
Et l’amertume
Légère qui s’en dégage
Saveurs en jupes
Où le parfum fait passer
Des images
Déjà dans le corps
C’est le frisson qui parle
Comme ces rafiots dont
Les tôles
Au-dessus de la chambre
Des machines
Tremblent
En attaquant chaque vague
Un coup de vin comme une
Comme une couche
De minium
Et c’est parti !
Pour l’aventure d’un passage
De la mer rouge
*
J’ai fait euh !
Sans dire un mot
J’ai fait euh sans
Un geste
Sans bouger un cil
Tant elle était
Belle
J’étais broussaille
Dans une cour
D’usine
Où il pleuvait
Presque sans arrêt
Où les machines
Rouillées
Broutaient muettes
Des fleurs
De terrains vagues
Et lapaient
Au goutte à gouttes
Le ciel noir
Elle est partie
Sur un brusque coup
De vent
Par les carreaux
Cassés de mes yeux
J’ai fait euh ! mais
Déjà c’était trop tard
*
Ils ne sont jamais contents
Là-dedans
Comme s’ils avaient connu
Mieux avant
D’être pris
Au piège de cette naissance
Où le corps
Retenait une âme en prison
Dans la peau
Ailleurs d’où ils venaient
A les entendre
C’était ceci ! C’était cela
Ici à la cantine de la matière
Tout le monde
Parle en même temps et crie
Alors
Qui suis-je pour les aligner
Sur deux rangs
Et même quand il pleut jouer
Sous les platanes
Du sexe
A la marelle du plaisir
Ou bien à la barre de séduire
Les anges
Sont hélas ! des gens sérieux
*
Par le Saint Lait de la Vierge
Qu’on promène
A travers de nos campagnes
Dans une fiole
Par la Sainte Sandale
De Saint Joseph ramenée des
Croisades
Par le Saint Prépuce du Christ
Dont les morceaux
Tous recousus
Doivent ressembler à un pneu
D’avion cargo
Par les Saints Poils des Saints
Et ceux de la barbe
De tant d’apôtres et prophètes
On ne craint pas
Pour la crédulité des hommes
Sauf quand on songe
A l’amour qui tant les terrorise
*
Il faut se faire une raison
Femmes jeunes filles
Et garçons
Ne me voient plus comme
Pouvant
Encore faire l’affaire
Ne me suivent
Que de petits nuages
A condition de lever l’œil
Quelques pluies
Quand j’oublie mon pépin
Et la nuit
Toujours fidèle
Comme un cachou sans fin
Dan la bouche
Infatigable de mon souffle
*
Lors du pillage
D’une caravane d’Ethiopie
On a trouvé
Deux malles en fer
Pour le bateau de Marseille
Qui part de Djibouti
Dedans il n’y avait
Que des carnets griffonnés
Et des bouts de papier
Beaucoup
Dont l’encre semblait pâle
On s’en servit
Parce qu’ici le bois est rare
Pour allumer le feu
Du bivouac
C’était mieux que la crotte
De chamelle
Quelqu’un a reconnu écrite
En français
Et en arabe l’en-tête
De lettre
Du marchand d’armes A. R.
*
Pourquoi le temps s’est-il mis
A tourner en rond
Les jours à ressembler au jour
D’avant et les nuits
Sans sommeil
A vider les eaux
Usées de nos veilles infertiles
J’aime cependant d’un vague
Amour irraisonné
Le soleil qui se lève sur la mer
Et aussi
Quand il retombe sur elle pour
S’enlacer à l’horizon
Que s’est-il donc passé la mort
N’est plus cette bulle
Qu’on fait danser
En soufflant vers l’autre coin
De l’univers
*
Lentement j’entre dans l’ombre
Comme l’hippopotame
Dans l’énorme boue
Où personne
Ne viendra lui chercher querelle
Doucement
Le soleil s’éteindra
Longuement la nuit va tomber
Longuement
Nous demeurerons dans la nuit
Nous aurons besoin de la durée
Pour réparer les dégâts
Werner Lambersy, 2005/2010
CONVERSATION A L’INTERIEUR D’UN MUR
Pour Pierre et Jacqueline Dhainaut
« Ich brauche den schritt aus der wand »
Werner Lutz
« Je me souviens de ce que j’ai vécu
et de tout ce que je n’ai pas vécu »
Ungaretti
Déjà
Ce que j’écris
S’efface en l’écrivant
Comme une lampe
Encore chaude
Que la lumière a fui
Un phare
Qui ne sait plus
Où la mer s’est retirée
Un oiseau
Qui se retourne
Et ne voit rien du vent
Qu’il a brassé
Où est l’amour
Et que s’est- il passé ?
Ces derniers dix
Mille ans
*
Le corps s’est fatigué
La photo d’identité
Qui avait
Une laideur d’avance
Sur l’ourlet
Des lèvres l’arrondi
Des joues
A aujourd’hui raison
Qui sait quel tampon
De douanes
Ou de police du temps
A pu frapper
Avec tant de vigueurs
Quelle agrafe
A rouillé sur la tempe
Pourtant
On se servait de ça
Pour passer
La frontière du sexe
Et voyager
Dans le lit des yeux
De filles
*
Rien de plus dur que
Les noix
De muscade du passé
Mais la râpe du temps
Est en inox
Alors
Pour aimer encore un
Peu
On feuillette
Les cahiers d’écoliers
Les brouillons
Et les livres d’images
Défraîchis
Où la vie a griffonnés
Sur la peau
Pour passer
L’examen de savoir
Si l’âme avait
Autre chose à espérer
Un serment de mots
Par exemple
Un billet aller-simple
Pour ailleurs
N’importe où à deux
*
Je me souviens
Des instants où j’étais
L’univers
Quand il n’y avait rien
D’autre que l’évidence
Je me rappelle être sorti
Du temps
Pendant que tu donnais
Mon nom
A chaque goutte de pluie
Qui tombait
Sur la vague en désordre
Des longues
Inondations de nos sens
Et on faisait l’amour de
Toutes les façons
Sans limites des nuages
Je me rappelle
De chaque fabuleux
Vagin des crépuscules
De la chair de poule
Des étoiles sur
La peau douce du ciel
Des brusques
Automates en vitrines
De tes noëls
Des coups de reins du
Vent dans l’arbre
Des désirs
Et des lampions
Colorés et clignotants
De nos caresses
Et de la digue
Déserte en face du trou
Noir de l’océan
De la houle sans répons
Du plaisir
Jusqu’à ce que le soleil
Frotte son zeste
De citron
Sur les canines
Et les gencives de l’aube
*
Rien n’est venu
De ce que nous attendions
Avec l’obstination
De ceux qui grattent
Dans le plâtre des cellules
Le compte des jours
Aucune aube
Qui soit restée une aube
Aucune lumière
Que l’ombre ne rattrape
Et nous nous sommes mis
A aimer
La persistance du vinaigre
Et l’amertume
Insatisfaite de nos alcools
Rien n’est venu
De ce que nous attendions
L’instant
N’est pas dans ce qui attend
*
Nous sommes devenus
Ce que l’attente a
Fait de nous
Quand viennent
Ces paroles entendues
Chaque fois
Que vente en tempête
L’écho
De serments non tenus
Sans deviner ni par qui
Ni de quoi il
S’agit
Et qui dira
Si l’ignorance est
Ce qu’on attend ou non
*
Malheur à ceux qui volent
Ils se volent à eux-mêmes
Le peu en leur possession
Et cela pour des biens que
La mort
Leur ôtera encore une fois
*
Mausolée de nos exploits
Car nous avons survécu
Plus longtemps
Que le vent dans l’arbre
Et résisté plus fort
Que l’écume aux vagues
Mausolée pour la prouesse
Car nous vivons
Dans la trop courte lignée
D’un soleil
Qui se dévore
Avec de somptueux
Acharnements d’épilepsie
Mausolée
Dans la clameur des chants
Car nous avons posé
Près des dépouilles en terre
De nos morts
La fine épée de l’éphémère
*
à mes enfants
Parmi tant de météores
Dans mes sèves
Comme fourmis sur un
Morceau de sucre
Lentement
Vous êtes sortis
Du ventre de votre mère
Et vous avez tourné vers
Moi vos premières
Rides et des cris des cris
Des années ! Des années
Pour apprendre à aimer
Le petit lait
Caillé de mes manières !
Des années ! Des années
Pour le pain bis
Tendu de mes tendresses
Le pain perdu de caresser
Peut-être même
Attendiez-vous ma mort
Ou la fin
De l’acné de vos révoltes
Tout ce temps avec entre
Nous à peine ce filet
De lumières sous la porte
Ces bruits de clés
Dans la serrure du secret
*
Une envie de jardins
De potager pour
Le partage
De la soupe des jours
De vérité
Pour le corps resté en
Friches
Une envie d’être tenu
Tubercule
Dans la motte ou vêtu
Comme l’échalote
Ou l’oignon
L’envie d’être grappes
Sous le gel ou
La grêle
Ou tomate sans saison
Dans la serre
Envie encore d’être là
Mais que sait-on
De l’âme
Pour la déshabiller
Des yeux comme
Un œuf dur
Sous une eau froide
Que sait-on de l’âme sinon
Le couteau de cuisine
L’économe entre les lames
Qui épluche trop fin le mot
Et le bombyx ténébreux qui
N’est pas beau
Mais vole
Une envie comme de cesser
De boire
Parce qu’on ne souffre plus
Une envie de rêve voilà tout
Des caprices de
Gosse
Comme on ramasse
La monnaie tombée à terre
Des quelques sous du poème
*
Malheur
Aux gens trop heureux !
Mais
Nos corps ne voulaient
Rien savoir
Ils se parlaient de soleils
Très anciens
Et de mondes habitables
Tellement
Que les moindres amours
Soulevaient
Des océans de plumes sur
La peau enfantine
De nos âmes
Où la paix
Pourrait se poser comme
Se pose
Sur le rouleau des vagues
Le vol têtu
D’oiseaux migrateurs qui
Ne peuvent
Pas s’arrêter à mi-chemin
*
Jadis
Chacun le connaissait
Et le moment
De sa venue
Etait une fête à laquelle
Il était bon
De s’adonner en silence
Et de garder
Une part pour les autres
Il y a peu
Seuls certains prêtres
Libres d’église
Mais fidèles au poème
Pour
Etre prêts à sa venue
Pouvaient
Encore le reconnaître
Ils parlaient
En son nom de la fête
Silencieuse
A laquelle il serait bon
Disaient-ils
Que d’autres
S’adonnent à leur tour
En gardant une part
Pour après
Il n’est pas sûr
Qu’aujourd’hui un seul
D’entre nous
Le reconnaisse et sache
Encore
Le moment de sa venue
Ni garder
Une part pour les autres
Cependant il reste bon
De s’abandonner
Même
Si on n’a
Pour cette part d’émois
Que le bruit
Maladroit de nos mots
Et la rumeur
Anonyme de nos chants
*
Si le poème
Se tenait uniquement
Dans le poème
Il ne serait que vents
Dans une cage
D’osier
Un oiseau de paradis
A qui tordre le cou
Pour avoir gardé
Le chant pour lui seul
*
Que faire de la petite voix
Sans voix
Qui dit des choses
Qu’on ne dit pas
Même
A l’oreille qui n’entend pas
On la connaît grain de sable
Tombée des meules
De la montagne
Où presque personne ne va
On la savait goutte de pluie
D’une pluie
Dont les dernières
Moussons faisaient cadeaux
On traîne ce lambeau d’âme
Comme une carie
Parmi les canines aiguisées
Du quotidien
Et les molaires
Mâcheuses de crépuscules
La parole sans verbe envoie
Ses marteaux-piqueurs
Défoncer
La mosaïque de nos images
Et les parpaings mal ajustés
Du silence
Ecrasent le reste en tombant
Laissant
Sur ces gravats
Les luzernes dorées et folles
*
Le grand rire silencieux
De l’univers est
Une intelligence amicale
Qui ne veut pas que nous
Nous sentions plus
Petits ni inférieurs à elle
Juste encore
Un peu sans expériences
Quand il s’agit
Du temps et de l’éternité
*
Ton regard
Dont le monde a besoin pour
Savoir sa beauté
L’instant avide
Dont le néant se servira pour
Me convaincre
Qu’il laissera un peu de place
A ce qui est plutôt qu’à
Ce qui ne pourrait pas sans toi
*
Un bonheur est un bonheur
Ne me demandez pas
Pourquoi
Je me trouve soudain assis
En haut
D’une montagne au soleil
Ne me demandez pas
Comment
Combien de temps
Ni l’ampleur que cela prit
Un amour reste un amour
Même si on
Ne peut reconnaître
Sa voix son pas
Le frottement de son jupon
Entre les bruits dans la rue
La radio et la tévé
Du voisin
Mais il suffit
D’un crayon et d’un peu de
Papier pour écrire :
L’Aimée est
Au sommet d’une montagne
Et fait de larges
Signes de bras dans le soleil
Un bonheur reste un bonheur
*
Je riais
Du centre vers la périphérie
Je riais
Du ventre et de la gorge
Des mains et des omoplates
Cela secouait tout l’espace
Faisait danser les fantômes
Comme ce mouchoir
Noué aux 4 coins
Dont la poupée dansait sous
Tes doigts
Avant d’aller enfant
Me coucher entre des draps
Amidonnés et froids
Sous la présence
Parfumée d’une chevelure
En chute libre
Je riais pour faire tomber
Les fruits de l’arbre
Du souffle
Au milieu du jardin d’Eden
Maintenant je ris
De la périphérie des autres
Vers le ventre
Avec des mains
Qui essorent les poumons
Comme du linge
Pour en sortir ce qui reste
Avant de passer le fer chaud
Sur les faux plis
De l’âme
*
Qui pour
Prétendre avoir un jour
Fait l’amour
S’il ne sent pas
Le vent dans l’herbe
Qui respire
L’azur
Comme un plongeur
Livré
A l’ivresse des hauts
Fonds
L’eau de pluie
A cloche-pied dans
La marelle d’une flaque
La source
Qui éveille la montagne
Où dort le magma
Paresseux
Sous
La moustiquaire légère
Des galaxies
Qui pour prétendre
A l’amour s’il n’est pas
Le dernier arbre
Avant la porte du désert
*
Je vis
A la vitesse de la lumière
Celle du soleil
Qui met la sainte matinée
Pour voyager
D’une fenêtre
A l’autre de ma chambre
Je cours
A la vitesse de l’eau vive
Celle de la goutte
Qui d’une feuille à l’autre
Fait du trapèze
En espérant
Que la suivante
L’épouse en plein vol au
Sein du vide
Je vais
Avec les chiens courants
De la meute du vent
Celui qui trébuche
Et tombe en traversant
Parce qu’un jupon l’attire
Ou qu’un parfum
L’a fait se retourner
Ainsi qu’un vol d’abeille
Et peut-être parce qu’il ne
Veut plus aller
Sans un nuage à promener
Dans un landau
De drap rose ou bleu
Autour d’une aube fraiche
*
Je rêve à la façon des nuits
Quand les jeunes-filles
N’ont pas sommeil
Et que s’ennuient
Les femmes insomniaques
Je tourne
La page de l’incertaine vie
Comme celui
Qui ne sait pas s’il prendra
Un livre pour le lire
Ou retardera
Le désir de connaître la fin
*
Quatre tonnes de plancton
Par jour
Pour contenter une baleine
Quarante baleines par jour
Pour les produits
Cosmétiques
Dont je frotte ton derme nu
*
La beauté
C’est d’abord ce qui désire
L’horreur
Qui n’est que satisfactions
Vous le dira
Même l’absence
Dont témoigne l’obstination
Des voluptés
Mon âme
Tient toute dans les regards
Qu’elle jette
Comme un rat
Guette à l’entrée de son trou
Mon âme
Est toute dans l’insatisfaction
Qu’elle procure
C’est sa façon d’être éternelle
Même la souffrance
Et l’abandon de toute illusion
Vous le diront
*
Malheur à celui qui ment
Pour être aimés
Ou qui se ment pour cela
Car le désir est un joueur
De poker
Et le plaisir
Un soldat qui se rue
Hors des tranchées tenues
Sous la mitraille des mots
*
Que je dorme
M’assoupisse veille
Une chose me relie
A l’ensemble
Tant que je respire
Je ne suis coupé
De rien
Une maille à l’envers
Une maille à l’endroit
Le souffle tricote
L’univers
*
Qu’avons-nous vécu ensemble
Qu’on puisse superposer
Exactement
Ou emboîter comme les pièces
D’un puzzle dont rien
Ne serait perdu
Sinon les très féroces et doux
Sentiments
D’être tout un
L’être qui existe et celui
Qui n’existerait pas sans nous
Sinon ce calme et vertigineux
Délire
D’être la pointe d’une aiguille
Sur quoi repose
La bulle de savon de l’univers
Sinon d’être
Entre l’enclume et le marteau
Des heures
La gerbe
D’étincelles qui
De nous fit des étoiles filantes
*
La terre de ce corps
Veut
Retourner à la terre
L’eau de mon corps
Veut
Remonter au nuage
L’air de mon corps
Veut
Retrouver l’espace
Le feu de mon corps
Veut
Brûler n’importe où
Les cendres du désir
Veulent renaître
Et je n’aurai jamais
Qu’une âme
Unique pour répéter
Ces mensonges
*
Je n’ai connu ni la haute
Mer ni la haute
Montagne
Pas la grande misère ni
La grande vie
Je n’ai connu la guerre
Que de loin
Et de loin la justice
La police les politiques
Ou la pègre
Je ne sais
Si j’ai connu ma lignée
Ni certaines amours
Je ne connais
Qu’à peine ma personne
Et moins encore
L’agitation de sa pensée
Dans la pensée
Indifférente de l’univers
Je ne connais qu’à peine
L’âme
Un peu la durée du désir
Et moins encore
La pure
Exaltation de mon extase
Qu’ai-je connu
Que je ne connaissais déjà
Dis-moi
Qu’ai-je connu
Qui n’était pas reconnaître
*
Avec l’âge la peau tourne
Au pruneau d’Agen
Ou à l’olive
Fruit à noyau que la terre
Aime reprendre
L’âme
Est un chaume
Promis à des incendiaires
Qui la rendraient au néant
Ou du moins aux absolues
Perfections de nos abîmes
Là où
Comme ici
Se tient le paradis
Perdu de notre nuit sans fin
On ne sait d’elle
Que les bourgeons en fleur
De la lumière
Nous
Qui aimons tant mordre
La pulpe ténébreuse du fruit
*
C’est n‘avoir rien écrit
Tant qu’on n’a
Pas jeté
Sa seule perle
Aux cochons ni l’écrit
Avec l’encre
C’est n’avoir
Rien osé tant que tout
N’est pas perdu
C’est n’avoir
Rien donné tant
Que la vie veut encore
Tant qu’aimer
Reste un refuge en
Montagne avant l’abîme
*
Ils disent « paix »
Mais c’est de l’arsenic rose
En sachets
Qu’on dépose sous la porte
Contre les rats
Contre les gens dont on dira
Plus tard
En jetant leurs cadavres nus
Ils ne sont pas comme nous
*
Comment croire au bois mort
Aux natures mortes
Ils font simplement le chemin
Leur paisible travail
De traverser
Je ne pense pas que l’habitude
Soit uniquement une répétition
C’est une façon rebelle de dire
Jamais assez
A ce qui passe et semble perdu
Je ne crois pas que nos visages
Finissent au-dessous
Du menton
Mes mains mon sexe mon dos
Et mes genoux savent
Rire et pleurer
*
Poème
Pour reconnaître l’autre
Et l’amour
Imprononçable à force
D’être lavé
Dans la machine à mots
Poèmes
A peau dure de poivrons
Et son mystère
Comme il ne reste d’aile
De la raie
Qu’éventail transparent
De cartilages
Poèmes
Où jamais ne savoir
Ce qui vraiment est écrit
*
Conversation
A l’intérieur d’un mur
Pour que personne n’entende
Que l’âme
Dans le ciment des certitudes
Est en train de mourir
Le livre
Serait une suite de pages
Blanches
Où n’écrire
Que les mots en miroirs
Du silence
Certains s’y jetteront
Comme dans un torrent
Dont on ignore tout
Chacun sait
Qu’au bout il y a l’océan
Qui rassemble
Les bruits de l’âme
Et les poèmes de l’écume
*
La Grande Marée de tes regards
S’est retirée au loin
Des kilomètres de varechs sont
Apparus
Et des cailloux qui font très mal
Le ciel a remonté son drap blanc
Jusqu’au ras du menton
De l’horizon
La plage est comme ces péages
D’autoroute fermée
Au trafic
Un vent froid
Passe le pic des dunes à l’émeri
On aperçoit des creux de vagues
Où les voiliers se couchent
Comme des chevaux
Leurs mâts déshabillés pointant
Ce coin du vide où
Poser la question sans réponses
*
Trou de taupes
De mes poèmes dans les gazons
De la pensée
Petits cônes de terres meubles
Que le mystère a repoussé
En creusant
Le nœud obscur de ses galeries
Sous la raison
On dit qu’Homère était aveugle
Lui aussi
*
Escalade
Poussée de fièvre
De bas en haut des sèves fauves
Grand tremblement
Peu visible de l’herbe inexorable
Qui obstinée fait un pas en avant
Marinades dans la cuve à teinture
Du crépuscule
D’odeurs et des parfums du corps
Qui serviront dès l’horizon en vue
A battre en neige la lumière
Et déployer dans le sang bannière
De feuilles et fanions de pétales
Pour la secrète rosée des moiteurs
Après l’amour
*
Demain à 300.000 Km seconde
Les charrues
Du soleil reprendront l’ouvrage
Couché dans le jardin je regarde
La Terre foncer
Dans la nuit à 37.000 Km/heure
Sans qu’une seule
Feuille de mes bouleaux ne bouge
Sans disperser
La volute paresseuse de ma pipe
Tandis que je repense
A celle qui fait trembler l’âme
A 300.000 Km seconde
Et entrer ma solitude silencieuse
A 37.000 Km/heure
Dans les zones stratosphériques
De sa volupté
Comme la lune surgit des nuages
*
Je ne sais pas danser
Mais je danse
Je ne sais pas chanter
Mais je chante
Je ne sais pas exister
Mais j’existe
Je ne sais pas souffrir
Mais je souffre
Je ne veux pas aimer
Mais j’aime
Je n’ai pas voulu être
Mais je suis
J’ai voulu apprendre
Mais déjà
La mort ne voulait pas
*
Au nom
De ce que personne ne saura
Et ne pourra jamais savoir
Au nom
De ce qu’aucun d’eux n’a vu
Ni entendu nulle part
Au nom
D’une loi que les oiseaux ni
Les arbres
Ne connaissent et dont la vie
N’a pas besoin
Ils ont tué massacré torturé
Parce qu’ils ne s’aiment pas
Et ont horreur
D’être au monde sans raison
*
L’encombrement des morts
Dans les tiroirs
D’en bas
N’empêche pas le tournesol
De tourner la tête
A la fenêtre
La fleur de pomme de terre
De danser ni l’arbre
D’avancer entre les pierres
Et l’herbe
Parfois de faire la coquette
Avec ses jupes
Tellement
Que le vent vient s’y rouler
L’idée de dieu
Pose une forme d’entropie
De l’homme
La liberté
Celle de trouver l’harmonie
Instable de l’univers
Être tout suppose n’être rien
*
Qui est-il donc
Qui est-elle
Dans ce dos nu
Et rond
Et long
Et lisse comme
L’hélice en bois
D’un avion
Qui est-elle qui
Qui est-il
Dans ce corps
Qui des épaules
Aux fesses
Offre une piste
D’envol
Et qu’importe
Si le désir
Qui veut intacte
Cette beauté
Y touche ou non
*
L’air
Autour de tes lèvres
Est léger
Tant il y flottent peu
De mots
A peine
Comme un ou deux
Cheveux
Laissés sur l’oreiller
Puis sur la baignoire
Qui disent combien
Tu étais nue
Détendue en ce bain
Où nos baisers
Faisaient des bulles
Je pense à ta bouche
Sur ma peau
Chaque fois que dans
Le parc sous la neige
Je vois traverser
L’écureuil
Qui vient pour jouer
Avec moi
Quand je rentre seul
*
La mer
Est notre nuit
C’est de là que nous venons
L’ombre
S’y tient parmi les animaux
Aveugles
Et les algues
Qui se nourrissent des restes
De nos soleils
Dont la lumière est couchée
Et sommeille entre
Les sels
La mer
Est cette nuit
Qui nous poursuit de son aile
Alors que nos nageoires déjà
Sont tombées
Et que l’âme
A inventé les lunettes solaires
*
Pour Patricia
Amants
Surpris la main
Dans le sac de la peau
Amants
Dans les phares
Du désir qui braconne
Amants
Dans l’incendie
D’une pinède à l’autre
Amants
Dans les champs
De mines des caresses
Amants
Toujours à l’écoute
Des sirènes sur le port
Amants
Comme le mulot
Dans la gueule du boa
Amants
Dont le voilier
Veut remonter au vent
Ou la pouliche
A la corde des Grands
Prix
Amants
Dans la saison
Des palmes exotiques
Des kalpas
De la dissolution suave
Des temps
Amants
Qui vous aimez
Par d’imprononçables
Prénoms
De sons de cris
De gorge et de combe
De gémissements
Sur des mugissements
De mascarets
Amants qui vous aimez
Comme personne
Auparavant
Ainsi que dit
La floraison du bouquet
Des comètes
Amants qui vous aimez
D’une longue vie
Sans âge
Comme levure présure
Et fermentations
D’instants
Amants
Qui reculez
Dans la lumière aveugle
Comme on avance
Vers l’abîme ténébreux
Du début
Soyez
L’arbre dans les quatre
Eléments
La ronde
De l’aubier tendre
Sous l’écorce des nuits
Le rire aussi
De la feuille qui tremble
Si souvent
Et de ce trouble
Qui fouille dans l’espace
*
Pour les 5 ans de Johanna
Il aime bien
Sa petite vie de petit
Nuage
Un jour
Il va en queue
De traîne de l’orage
Comme un jeune
Eléphant qui sagement
Suit le troupeau
La trompe
Comme virgule grise
A l’envers
Ou le bras
D’une ancienne pompe
De ferme
Car il aime
Qu’on le prenne
Pour ce qu’il n’est pas
Un jour
Il promène son ombre
Comme en laisse
Un chien
Dans les jardins
Où l’on sèche du linge
Qui a peur
Et lui fait signe
D’aller voir plus loin
Il joue
A la course en sac
Au mouchoir
A qui perd
Gagne à bonhomme
Pendu
A deviner qui c’est
Mais il
Se met en boule
Quand la fille rousse
Qui fait
La lune triche
Et se cache derrière
L’horizon
Parce qu’il est
Las d’être le mouton
La fumée
Sur un toit une niche
Pour l’Ourse
Etc etc etc etc
Mais il aime
Bien sa petite vie de
Petit nuage
Parce qu’il te fait rêver
*
Pour Anaëlle et Laurent
L’arbre
N’a pas dit
Son nom pourquoi faire
L’herbe non plus
Ni les fleurs des champs
Déjà la pluie
Et les gens se montrent
Tellement bavards
L’arbre occupe un bon
Placer de chercheur d’or
Dans le ciel
En automne
Il enverra quelques cartes
Pour les fêtes
Au printemps
Il mettra des habits neufs
Pour accueillir
Les oiseaux qui reviennent
Il danse
Dans les cortèges roses
Et rouges
Des crépuscules du soir
Et du matin
De ses racines
Et d’un tapis de feuilles
Il réchauffe
Les vieux os de la mort
Et l’âme
Pelotonnée des cailloux
Il donne des ailes
A l’ange des feux de bois
Il n’a besoin
D’aucune guerre
Il ne demande qu’à être là
Parfois avec des fleurs
Avec des fruits
Ou simplement sans rien
Et le manteau
Qu’il jette sur les épaules
De qui s’égare
Et la maison d’ombrages
Qu’il promet
A celui qui se promène et
Veut se reposer
Il les offrira sans compter
En ville il ne doit changer
De trottoir pour personne
La lune
Pour lui lèvera le chapeau
Les arbres sont faits pour
S’appuyer
En soutenant l’air et le vent
A chaque heure du jour
Il change les mots de passe
De l’ombre
Il boit
L’eau pure des pluies
Et mange
En gourmet la lumière
Il se sent bien
Et dort sous les grands draps
De l’horizon
Parfois il rêve
Et récite des mots
Qui donnent la chair de poule
Demain il en fera des poèmes
Que ceux qui passent et
S’arrêtent écouteront
Heureux sans savoir pourquoi
*
Gisement de l’ordinaire
Infini ! Infini !cependant
Pas facile à exploiter
Il faut racler
Creuser dénicher
Parfois pas bien profond
Mais dans les crues
Inondations des galeries
Des terres basses
Le Temps Le Temps
A fleur de roche le Temps
Et la Terre
Comme un compteur à gaz
Remis à zéro !
Combien de fois ?
Combien depuis les débuts
L’ordinaire tout simple
Taillé dans le cristal
Dur comme le diamant
C’est ce qu’on croit !
Mais ça fond
Dès qu’on y touche
A peine du bout des doigts
De la mémoire
Richesse pourtant
Comme pépite ou poussière
D’or au tamis
Richesses pour l’espérance
Richesse dans le noir
De trouver
Infini Infini
Mais la patience en veut
Toujours plus
Alors
On raconte des histoires
Des trucs imaginés
Des miracles mais c’est
Tricher
Gisements de l’ordinaire
Il n’y a que les morts
Pour savoir
Parfois quelques malades
En fin de parcours
Condamnés à des suicides
Quelques égarés comme
Des cheveux
Sur le potage de la parole
Mais qui les croit ?
On dit c’est là juste sous les
Narines
Mais sous le nez que sait-on
Des lèvres
Si elles se taisent ou remuent
Pour mentir
On ne peut
Qu’écouter ou regarder sous
Le nez des autres
Mais c’est tricher !
Le gisement de l’ordinaire
N’est pas un filon
L’ordinaire de celui-ci n’est
Pas l’ordinaire de celui-là
Aussi
Dès qu’on a trouvé il ne faut
Pas s’en vanter
Non ! Non au contraire
Il faut qu’il reste ordinaire
L’ordinaire
Sinon ça ne vaut plus rien
Cependant infinie ! Infinie
Alors la contemplation
Le bonheur qui en découle
Comme après une chute
Lorsqu’on est rassuré
De n’avoir rien abîmé pour
De bon mais
Juste un peu de souffrances
Le bonheur on vous le dit
N’en parlez à personne
Vous feriez des jaloux
Certains rêveurs
Inconscients des suites
Ont parfois laissé des sortes
De cartes
Des peintres des musiciens
Des poètes des rêveurs
On vous répète
Qu’on se le tienne pour dit !
*
Vu du fond des fosses pacifiques
L’Himalaya fait 20 km
De hauteur
Et elle qui se demande encore s’il
Faut mettre ce matin
Sa jupe bleue et des bottes neuves
Ou un jean troué avec des baskets
Combien fait-elle sur ces trottoirs
Le talon à 5 cm au-dessus
Du pavé où naviguent ses hanches
Comme dans l’onde d’une lagune
Où frétillent des poissons
Peu farouches
Et que fend l’aileron d’un requin ?
Car je ne sais pas d’où me revient
Ce vertige
D’être à la fois un ventre sans fond
Et un sommet
Dans le désert blanc sous les astres
Avec entre eux
Cette femme funambule
Dansant sur le fil oblique du plaisir
*
Bach
Dans les grands arbres
Et Mozart dans l’herbe
Mon fils
Dans l’œil du taureau et
De l’abeille
Mes filles
L’une dans l’hirondelle
Et l’autre
Dans la rose et les orties
Et cette femme
Près de moi la seule qui
Sait porter
Le manteau des silences
Et boutonner
L’œillet mal boutonné de
Ma vie
*
Trop d’encre
Dans cette nuit jamais
Je ne pourrai
Tout dire
Trop de mots dont
La lumière s’est éteinte
Avant d’arriver jusqu’à
Nous
Je dormais
Je m’en souviens
Je comptais la poussière
*
J’ai gardé ma part de neige
Celle qui protège
Du grand gel
J’ai gardé ma part de feu
Celle qui dévore
Mon corps
Comme un piment cache
L’aliment fade
J’ai gardé la part du souffle
Celle qui jamais
N’appartiendra à personne
Mais qu’il faudra restituer
Aux mots
Quand le déplacement d’air
Que j’étais aura trouvé
Sa place
Et se tiendra bien tranquille
On a déjà tout
Ecrit mais ce n’était
Pas moi…Et ça change tout
*
Maintenant Parviz mon ami
Je sais pourquoi le cerf
Que tu as vu
Se tenait tout seul au sommet
De la plus haute montagne
De ton pays
C’était pour mourir car mourir
C’est voir de tous les côtés
En même temps
Et faire
De l’horizon quelque chose
Qui ne ressemble pas à la porte
Tournante du hasard
Mais à la coquille d’œuf
Où frapper en éternel poussin
*
Li Po devant l’étang le brin
D’herbe entre les dents
Michaux devant l’encre
Où ses figures jettent l’ancre
Et bientôt devant le temple
De l’écran qu’il contemple
Le poète sans le moindre mot
*
Nous ne sommes pas là
Depuis longtemps
Et sans doute
Pour moins longtemps
Encore
Que les pierres
Qui traversent notre ciel
Juste
Entre deux coups de feu
De quelques soleils
Qui chassent
Et braconnent à la lisière
D’une galaxie
Ou le crin lumineux
De ce vide dont la bourre
Crève le ciel
Le cuir du sofa malmené
Du cosmos
Alors mon amour ne dors
Pas trop
Et donne- moi ton corps nu
Par où je puis entrer
Par la petite porte
Dans un moment d’éternité
*
Les enfants sont partis Oh
Pas loin mais
Ce ne sont plus des enfants
Les amis ne viennent plus
Certains ont du mal à ranger
Leurs nuages
Dans les boîtes de couleurs
De l’enfance
D’autres se servent
D’une canne qui chaque jour
Devient plus courte
Mais il y a
Les oiseaux dans notre cour
Qui se racontent
Encore les dernières branches
D’arbre et les sémaphores
Perdus de l’âme
Et ceux que leurs générations
Avaient connus
Avant les longs bitumes noirs
Déjà l’eau
Sombre du soir mouille le bas
Des éponges
Qui servent à effacer l’homme
Déjà la lune
Passe sur l’ardoise des choses
A faire
Que l’âme avait si bien notées
*
Plus de vin
Plus de tabac pour la pipe
A cette heure
Les magasins sont fermés
Plus de place
Pour les raisonnements
Philosophiques
Ni l’illusion
Ni la sagesse incertaine
Du renoncement
A peine la planche étroite
Du plongeoir vide
Au-dessus
De la piscine des poèmes
*
Astraca
« Au pied du temple, vous laisserez
…c’est ainsi qu’on se…et la mer
Innombrable !
Chaque matin …les outils et votre
bouche…Oui : purifiez, respirez…
eux aussi, ô vous haleurs d’azur…
ensemble, aux uns, aux autres salut »
*
J’avais rencontré mon âme
Ou quelque chose
De cela
Dans la rue où elle mendie
J’ai fait semblant de ne pas
La voir
J’ai croisé mon cœur triste
Ou quelque chose
De cela
Au premier rang d’un défilé
Derrière les drapeaux
Noirs
Et j’ai filé comme si j’avais à
Faire ailleurs
Alors en entrant j’ai bu le bol
De lait du chat
Car
Quelque part au fond de moi
La solitude
Ou bien quelque chose de ça
Miaulait pour qu’on l’adopte
*
Regardez où vous posez
Les pieds Attention
Il y a des morts partout
Certains sont sable
Très doux mais froid
Dès le coucher du soleil
Et quand le vent Se lève
Ils restent
Sous la dent et crissent
Dans l’écrou
D’autres sont toujours
Des cailloux
Mais plus lisses à cause
Des larmes
Ou des chiens
Sans laisse qui se frottent
Aux jambes
Nues des jeunes femmes
Beaucoup sont de la terre
Grasse où vont brouter
Les ruminants du souvenir
Quelques uns de la cendre
Comme la matière
Grise et chaude du monde
Et les volcans qui parlent
Bien plus fort que
Les vivants
Nous rappellent
Que tout ce qu’ils lancent
Retourne
Vers la lumière dont nous
Restons les fils
Lorsque nous retournons
La lampe de poche
De l’esprit vers l’intérieur
*
cantar era una razao
de morte e de alegria
Heberto Helder
Tous les mots sont des mots
D’amour
Même l’anathème les jurons
Et la malédiction
Jusqu’à la dernière génération
Tous les mots sont des mots
D’amour
Car ils parlent de la louange
D’être vivant
Un être qui s’adresse à l’autre
Seul le silence
Parce qu’il y a des mots peut
Choisir de ne rien dire
Ou de tout dire sans un signe
D’amour
Seul le silence est
Une robe de bure un cilice
De nonne
Tous les mots sont des mots
D’amour
Ils ne peuvent que célébrer
Le corps
Celui d’un univers resté pur
*
Nos chairs
Sont devenues des îles
Le désertique
Amour du large océan
Les ronge
Et l’espace stérile des
Galaxies
En fait des objets nus
Quelque chose
Qui sépare les sables
De la passe
Brassés par les ventres
Et les saveurs
Salivées par une bouche
Qui mastique
L’élastique
Instant de mourir comblé
*
Le souffle
Habitait la maison des os
Avec quelle volupté
Claquait la porte sur ceux
Qui cherchent l’amour
Maintenant
Avec l’âge il faut briser la
Vitre et jeter nos trésors
Par les fenêtres
Pour qu’entrent encore ces
Vents qui dehors
Déchirent les grands arbres
*
Tout est donné de néant
A néant
Et la mort n’a là-dessus
Ni défaite ni victoire
Le désir d’effondrement
Du sexe
Est d’effacer les fatigues
Le plaisir de nos extases
Est de goûter
A nouveau au chaos de
L‘abandon
*
La parole plonge ses rames
Et souque
Dans l’eau pesante
Du silence
Et les lentilles d’eau du mot
Là naissent aussitôt effacés
Les noirs remous
Et les troublants tourbillons
De nos souffles
Puis le poème de son étrave
Etroite et brève
Brave
Un instant
Le front taciturne des cieux
*
Pour passer le temps
Qui est long
Quand on est mort
Il faut apprendre
A compter les feuilles
Et les cailloux
Là où l’on est enterré
Pour profiter du temps
Qui est si court
Lorsqu’ on est vivant
Il faut apprendre
A compter
Sur les doigts de l’eau
Du nuage
A la pluie et de la pluie
Aux ruisseaux
Dans les deux cas
Vu de l’éternité
C’est pas la mer à boire
*
Les drones
Du sexe fouillent
Les replis du paysage
Parfois les batteries
Antiaériennes du nerf
Interviennent
Les obus
Font alors des fleurs
Dans le ciel
Et la nuit c’est encore
Plus beau
Mais l’avion furtif qui
Nous survole
De haut
Que vient-il faire ici
Lui
Dont nous ne savons
Que les débris
Au sol
Quand par hasard l’un
D’entre eux est
Touché
Et tombe
Dans un sillage de feu
* jardins Khaan
Le lent
Mouvement lent
De la tunique de Tagore
Qui balaie
Les feuilles mortes
Dans la poussière dorée
De l’automne
Quand la pluie
Dans les pins noirs
Laisse un mica parfumé
Et cette mouette lançant
D’intraduisibles
Poèmes
Où il est question de mer
Qu’elle n’a jamais
Vue à Paris
Comme nous
Qui ne verrons jamais
Tagore
Qu’en noir et blanc sur
La photo
*
Paris est gris
Ce n’est pas là son principal défaut
Mais plein de gens
Brutaux
Parce qu’ils sont tellement pauvres
D’avenir
Qu’ils sont tout gris
Dans le même vêtement à très peu
De choses près
Et le même air sans joie du menton
Aux sourcils
Quelques affiches dans les couloirs
Du métro
Evoquent les alambics
Cuivrés d’un coucher de soleil aux
Tropiques
Et une femme mûre en face de moi
Parle d’amour sans
Rien en dire
Comme la bande annonce d’un film
*
Montagnes
Métronomes ô si lents
Que le silence vous entend à peine
La paix
Sur vos sommets
Comme un socle d’îles sous la mer
Montagnes
Conservatrices de poids et mesures
Des balances de l’air
Quand l’œil qui regarde votre calme
Est comme une aile
Sur le vent
Montagnes
Aux mufles noirs ô si patients qu’on
Dirait qu’ils vont boire
Aux bords d’un gué que fréquentent
Seulement la nuit
Les fauves
Des steppes assoiffées de nos astres
*
Une petite pluie tiède
Et sans bruit
Prend tout son temps
Le billot
Sous la hache de soie
Est un bois
De loupe aux coudes
Indociles
Ainsi nos corps
Comme des cartes aux
Vingt millième
La nuit marcotte
Un buisson d’épineux
Sous la peau
Le souffle
Dans la frondaison nue
Des cheveux
Appelle les feuilles
Et la lune
A trembler comme les
Genoux
Des chevaux de course
*
Comme un vagin dans l’ombre
L’icône avec sa lampe
Vermillon
Jours ordinaires de l’adoration
Où communier avec
La langue
Les yeux clos
Comme des bogues en grappes
Lourds candélabres
Sous les clés de voûte du ventre
Flamme indéchiffrable
Voici que monte le lait de lueur
Qui fait sève au monde
Et que le ciel
Prenant ton visage ouvre
Des orages dans ses immensités
*
Marchant sur la lune
Pour la première fois
Ils n’ont dit
Que des mots appris
Sur Terre
Lorsqu’enfant
On leur imposait de
Faire pareil
Sur la mort
Ils ont répété sans fin
Ce qu’on sait depuis
Qu’on sait
Qu’un jour on meurt
Sur l’amour
Ils ne disent rien sauf
Qu’en parler sans fin
Ne suffit pas
Si le silence n’est pas
Le dernier mot
Ni la stupeur du poète
*
Ce fut le calme une sorte de
Silence
Profond sans portes ni murs
Celui où peut-être l’on prie
Sans le savoir
Sans les mots sans personne
Et rien à faire
De plus qu’être là immobile
Et heureux
La paix
Comme un fruit
Mûr reposant dans sa coupe
L’attente
Par un parfum qui ne promet
Paresseux
Rien d’autre que sa promesse
*
Petit homme
Tu as dit que la lune
A 3 saisons
Celle des jonquilles
Quand elle est jaune
Mais c’est rare
Celle des coquelicots
Quand elle est rouge
Mais c’est court
Et des roses pompons
Blanches
Qui sont rondes
Et penchent d’un côté
Puis de l’autre
En perdant des pétales
Avant de tomber avec
Toi dans ce trou
Entre la nuit et le jour
*
Pour connaître l’âge
D’un arbre
Il faut trancher le cou
Du tronc
Et compter le nombre
De colliers
Portés par les saisons
Pour deviner la route
D’un homme
Il faut suivre les rides
Autour du coude
Et mesurer l’opacité
De l’ongle de l’orteil
Pour croire connaître
L’âge d’une femme
Il faut observer le nid
De ses yeux
Les regards
Abandonnés et vides
Qui servent parfois
A d’autres
Et ceux dont la place
Restée libre
N’attend que l’amour
Alors que face au vent
Et nues de cœur
Elles s’offrent
Au coureur sacré
Des plaines odorantes
Et aux savanes
Obscures de son sexe
*
Comme on va d’une vaisselle
A l’autre
Et d’un lit à refaire au suivant
Rustines minuscules des jours
Pour le canot
Pneumatique troué des heures
Plombage des dents de sagesse
Du quotidien
Comme on trempe des journaux
Pour le fond des bottes
Qui font mal
Paix si possible comme coupées
Les fleurs d’un bouquet
Un peu de familiarité
Comme un chien de garde
Qui boite ou un vélo qui grince
*
J’apprends
A respirer comme les laves
Descendent dans la mer
Comme l’eau qui se change
En neige en glace en nuages
Ou en rosée
Je rends un souffle
Qui bondit comme tigre ou
Se couche comme l’éléphant
J’apprends ce qu’il faut faire
Quand je serai plein
De terre
Ma voix ne vous arrivera pas :
Trop courte l’échelle de corde
De l’évadé
Elle se perdra
Dans la poussière des papiers
Reste qu’elle en avait poursuivi
Certains qui n’avaient
Que des poèmes
Et la rumeur têtue de l’âme qui
Les faisaient chanter
Elle dégaine ses épices
Comme une lime
A ongle
Peut vous user les nerfs
Elle fait tourner autour
D’elle
Des satellites spatiaux
Transformés en jardins
Suspendus
Ses jambes
Comme un bec de plume
Pour écrire
S’ouvrent
Comme des huîtres
Où goûter l’iode et la mer
Les terrils roses
De ses seins sont des nids
De guêpes
Et ses cheveux très courts
Sont des appels
De phares
Croisés la nuit
A toute vitesse sur la route
C’est le printemps qui parle
Les premiers crocus
Et la grêle
C’est la mie du pain rassis
De mes mains
*
Elle dort
Dans mon sommeil
Comme un bateau
A l’ancre dans le port
Elle dans son corps
Sans doute est-elle oui
A côté de moi
Puisque nous dormions
Sans les draps
Que nous n’avons pas
Supporté
Tant nous étions nus
Sous la même tente
De peau et d’orties
Tant nous étions lourds
D’une âme en sueur
Qui colle au regard
Et qu’on on écope
Comme un schooner
Toutes voiles
Dehors dans l’écume
Elle dort
Et je dors autour d’elle
Comme la bouteille
Autour d’un alcool rare
*
Seul le désir est resté jeune
Sans réfléchir
Ni au comment ni au pourquoi
Mais il descend de plus en plus
Dans la mine
Du corps où épuiser à coups de
Pic le filon d’anthracite
Dont la salamandre des chairs
A tant besoin
Comme aux confins
De l’espace ces constellations
Dont nous n’avons plus
Que la lumière froide
Et la courbe pure de l’horizon
*
Où est la Chine
Traversée sac au dos
De cantines grasses
En boutiques
Encombrées de vélos
Et l’Inde brumeuse
Aux échoppes
A thé
Sur le bord du trottoir
A deux pas du barbier
Et d’un vieux sage nu
Et le Yang Tsé
Qui porte les bateaux
Ainsi que des colliers
De perles sur l’épaule
Et des radeaux
Avec des hérons
Patients sur leur proue
Le Mékong
Comme un bandeau
De front tenant la forêt
Et le Gange
Comme la peau
D’un beau cul sous le
Sari trempé
Le Saint Laurent
Qui va prendre la mer
Comme on met
La table d’un banquet
D’amis
Le plat Mississipi
Et l’Amazone touffu
Dans les rouges velours
Du coucher de soleil
D’un opéra
L’Escaut
Où sont rangées
Les boîtes de conserves
De la chimie et du pétrole
Et le Rhin
Aux péniches écumeuses
Et la Meuse
Aux écluses paresseuses
Et le Rhône
Aux chevaux attelés à des
Nuages bleus
Et le Danube
Aux larges jupes en vols
De migrateurs
Et le Nil
Où embarquent les morts
Et le reste que j’ignore
Et la Loire souveraine et
Tranquille
Où je m’assieds les pieds
Dans l’eau
Sur les cailloux obliques
Et usés
Pour parler aux mouettes
Moi qui ne vais plus que
Du jardin au dictionnaire
Et d’un amour au même
Comme l’eau
Dans l’eau qui se poursuit
Elle-même
*
Il faut faire la paix
Avec le sable et le poussier
Demain nous serons cela
Quelque chose qu’on pousse
Du pied
Que la jeune femme déteste
Et chasse
Avec des gestes de moulins
Il faudra faire un pacte avec
Les eaux
Pour qu’elles nous acceptent
Parmi les larmes
Qui s’évaporent moins vite
Que la rosée
Il faudrait faire confiance aux
Mots pour qu’ils se taisent
Et ne disent pas ce qu’on était
*
Tu téléphones
Au fin fond des galaxies
Comme on joue au jokari
Sur une digue
Tu pisses dans les vagues
Comme les poisons
Tu ficelles
Un paquet de paroles
Qu’on envoie dans les airs
Comme on cache
La poussière sous un coin
Du tapis
Quand on fait le ménage
Dans la tête
Et dans l’âme
Où tu installes un fauteuil
Tu écoutes des musiques
Que ne font
Plus l’oiseau ni les enfants
Ni la rue où tout est devenu
Si dangereux
*
Ne reste
Dans la délicate main
De l’espace
Que le rasoir
A l’ancienne d’un
Quartier courbe de lune
Sur la peau douce
De la gorge du nocturne
Parfois la joue
Du jour saigne un peu et
La pierre d’alun
Des nuages panse la plaie
Ne reste
Une nouvelle fois
Que le drap d’ombre pour
Recouvrir
Le corps assassiné des uns
Ou le charnier chaulé
Des autres
Où nous avons jeté les gens
D’en face
Qui se croyaient comme nous
*
Chers
Ne soyez pas inquiets
Ici tout va bien
Nous vivons heureux
P.S.. :
nous manquons de sucre
et de bougies
Personne parmi les sages
Ne sut à quoi
Ni à quel passage
De la Thora
Cette lettre faisait allusion
Un jeune
Poète finit par oser lancer :
C’est simple : nous vivons
Dans l’amertume
Et l’obscurantisme. Amen !
*
Parmi les anges
Qui me parlaient tout bas
Des femmes
Ceux qui avaient des ailes
Les repliaient
Sous la peau
Et devant leurs regards nus
Je tombais
Dans l’oreiller et la couette
De plumes de leurs caresses
Tandis que se creusaient
Les lourds matelas de vagues
De l’impatience
De ceux
Qui avaient perdus leurs ailes
Les hommes
Dans les hachoirs à viande
De l’argent
De la guerre et du pouvoir
Faisant ce qu’ils pouvaient
(Châteaux de sable
Que les marées grignotent
Avec des larmes d’enfants
Et des effondrements
De falaises)
Tandis qu’on entend
Jouer un vieil air de jazz ou
De hard rock
Sous le manteau troué d’une
Mémoire mélancolique
Et que l’amour
Cloue ses étoiles de mer sur
Les portes du ciel
*
On croyait impossibles
Dans ce monde
Sans pitié
Ces vergers
Aux pieds d’un Vercors
Sous la neige
Il semblait incroyable
Que des hommes en bleu
De travail
Discutent appuyés au bar
Dans la ouate
Bruyante du percolateur
Le coude
Sur les journaux du matin
Pleins de sang noir
Déjà les femmes au dehors
Osaient
Leurs premiers chemisiers
De couleur
Sur l’épaule largement nue
Et les seins
En bourgeons du printemps
*
Si je te fais l’amour
Mon amour
N’attend rien
J’en demande pardon
Qui te fassent danser
Comme ces nacelles
D’aérostats
Les tapis de bal
Sont roulés au salon
De mon corps
Car l’herbe a poussé
Haut dans le ventre
De mes terres
Et les cailloux
De ma route tournent
En rond
Comme
Des tortues d’eau
Dans le bocal de l’azur
*
L’espace et le temps
Devraient suffire
Pourtant jamais ni l’un
Ni l’autre
Ne se montrent entiers
Quand le bonheur est là
Sans qu’on le sache
Ici est toujours du passé
Et maintenant
Ailleurs
Le métro n’a pas
De station espace-temps
*
Jamais une mouche
Ne se serait posée
Sur ta langue
Jamais !
Une bête à bon dieu
Peut-être
Lorsqu’on murmure
L’amour
Qu’on ne comprend
Jamais
Et un plein lot
De papillons énervés
Quand elle ouvre
Un à un les boutons
De sa robe
*
La torréfaction
Des grains de café du
Discours amoureux
Est un art délicat
Entre l’arôme de l’âme
Et l’amertume
Légère qui s’en dégage
Saveurs en jupes
Où le parfum fait passer
Des images
Déjà dans le corps
C’est le frisson qui parle
Comme ces rafiots dont
Les tôles
Au-dessus de la chambre
Des machines
Tremblent
En attaquant chaque vague
Un coup de vin comme une
Comme une couche
De minium
Et c’est parti !
Pour l’aventure d’un passage
De la mer rouge
*
J’ai fait euh !
Sans dire un mot
J’ai fait euh sans
Un geste
Sans bouger un cil
Tant elle était
Belle
J’étais broussaille
Dans une cour
D’usine
Où il pleuvait
Presque sans arrêt
Où les machines
Rouillées
Broutaient muettes
Des fleurs
De terrains vagues
Et lapaient
Au goutte à gouttes
Le ciel noir
Elle est partie
Sur un brusque coup
De vent
Par les carreaux
Cassés de mes yeux
J’ai fait euh ! mais
Déjà c’était trop tard
*
Ils ne sont jamais contents
Là-dedans
Comme s’ils avaient connu
Mieux avant
D’être pris
Au piège de cette naissance
Où le corps
Retenait une âme en prison
Dans la peau
Ailleurs d’où ils venaient
A les entendre
C’était ceci ! C’était cela
Ici à la cantine de la matière
Tout le monde
Parle en même temps et crie
Alors
Qui suis-je pour les aligner
Sur deux rangs
Et même quand il pleut jouer
Sous les platanes
Du sexe
A la marelle du plaisir
Ou bien à la barre de séduire
Les anges
Sont hélas ! des gens sérieux
*
Par le Saint Lait de la Vierge
Qu’on promène
A travers de nos campagnes
Dans une fiole
Par la Sainte Sandale
De Saint Joseph ramenée des
Croisades
Par le Saint Prépuce du Christ
Dont les morceaux
Tous recousus
Doivent ressembler à un pneu
D’avion cargo
Par les Saints Poils des Saints
Et ceux de la barbe
De tant d’apôtres et prophètes
On ne craint pas
Pour la crédulité des hommes
Sauf quand on songe
A l’amour qui tant les terrorise
*
Il faut se faire une raison
Femmes jeunes filles
Et garçons
Ne me voient plus comme
Pouvant
Encore faire l’affaire
Ne me suivent
Que de petits nuages
A condition de lever l’œil
Quelques pluies
Quand j’oublie mon pépin
Et la nuit
Toujours fidèle
Comme un cachou sans fin
Dan la bouche
Infatigable de mon souffle
*
Lors du pillage
D’une caravane d’Ethiopie
On a trouvé
Deux malles en fer
Pour le bateau de Marseille
Qui part de Djibouti
Dedans il n’y avait
Que des carnets griffonnés
Et des bouts de papier
Beaucoup
Dont l’encre semblait pâle
On s’en servit
Parce qu’ici le bois est rare
Pour allumer le feu
Du bivouac
C’était mieux que la crotte
De chamelle
Quelqu’un a reconnu écrite
En français
Et en arabe l’en-tête
De lettre
Du marchand d’armes A. R.
*
Pourquoi le temps s’est-il mis
A tourner en rond
Les jours à ressembler au jour
D’avant et les nuits
Sans sommeil
A vider les eaux
Usées de nos veilles infertiles
J’aime cependant d’un vague
Amour irraisonné
Le soleil qui se lève sur la mer
Et aussi
Quand il retombe sur elle pour
S’enlacer à l’horizon
Que s’est-il donc passé la mort
N’est plus cette bulle
Qu’on fait danser
En soufflant vers l’autre coin
De l’univers
*
Lentement j’entre dans l’ombre
Comme l’hippopotame
Dans l’énorme boue
Où personne
Ne viendra lui chercher querelle
Doucement
Le soleil s’éteindra
Longuement la nuit va tomber
Longuement
Nous demeurerons dans la nuit
Nous aurons besoin de la durée
Pour réparer les dégâts
Werner Lambersy, 2005/2010
Mes nuits au jour le jour, (extraits) Inédit
Soudain
Tous les arbres font le
Même signe
Et désignent l’horizon
Soudain
Tous les oiseaux rangent
Leurs plumes
Dans la virgule des ailes
Et je ne sais
Pourquoi je vois pour la
Première
Fois mon ombre qui se
Détache
Et fait tache
Contre le mur d’en face
Qui me sépare du souffle
**
L’air passe
Comme s’il partait à la guerre
Sans idée
De retour dans les poumons
Il reste le creux de ta main
Dans l’oreiller
Et les parfums de ton corps
Je regarde dans la lucarne
S’il faut attendre
Que les étoiles
Tombent à côté de la terre
***
Un oiseau inconnu
Qui se pose sur une antenne tv
Un sous-marin
Qui sort soudain son périscope
Un mort qui dort
la bouche ouverte sur un mot
le kaki qui pend
Sur l’arbre pendant tout l’hiver
L’ouvrier qui n’a
Plus que sa main sans ouvrages
Ton amour qui
Fait du stop au bord de la route
Les mal enterrés
De la Shoa et de nos génocides
L’horrible sort
De ceux dont on ne veut pas :
Un mot un mot
Encore et peut-être un poème
A paraître courant 2023 aux éditions La chouette imprévue, Amiens
-------------------------------------------
Mémento du Chant des archers de Shu (Extraits)
MaelstrÖm reEvolution, Bruxelles - 2021
Quand
Le soleil emplira totalement
Immensément
La boule flamboyante du ciel
Qu’il montrera sa bave rouge
Ses babines en sang
D’avoir dévoré
Goulument la planète Terre
Nous ne serons plus là !
Pour en parler avec
Enthousiasme et les hourras
Nécessaires devant
Un apéro en terrasse au bord
D’une onde océane
Qui murmure solennelle son
Inlassable rengaine
Tandis que nous profiterons
D’un crépuscule théâtral
Quand tu t’en vas Ô soleil
Pour une nuit à l’autre bout
De l’Infranchissable
Pour revenir avec les
Vêtements neufs d’une aube
Pleine d’oiseaux
Nous ne serons plus là !
Mais nous aurons été et qui
Sait ! serons-nous
En filigrane à ton apothéose
Nous aurons vécu victimes
Et prédateurs
D’une vie toujours obstinée
Jamais nous ne fûmes petits
Dans le mystère tyrannique
L’énigme insupportable et
Impardonnable de naître
De connaître la mort
Quand
Le soleil aura gorgé l’éponge
Rouge
Rongé l’horizon dans un zona
Dantesque
Et meurtri l’éther
D’une ecchymose ineffaçable
Nous ne serons plus là depuis
Très longtemps !
Pas plus que l’herbe qui riait
Quand le vent lui
Chatouillait la plante du pied
Ou que l’arbre
Qui chuchotait un secret dans
Les feuilles
Qu’il tenait devant sa bouche
Nous ne serons plus là depuis
Longtemps
Pas plus que la machine ronde
Des nuages
Dont nous suivons la promesse
-----------------------------------------
Soudain
Tous les arbres font le
Même signe
Et désignent l’horizon
Soudain
Tous les oiseaux rangent
Leurs plumes
Dans la virgule des ailes
Et je ne sais
Pourquoi je vois pour la
Première
Fois mon ombre qui se
Détache
Et fait tache
Contre le mur d’en face
Qui me sépare du souffle
**
L’air passe
Comme s’il partait à la guerre
Sans idée
De retour dans les poumons
Il reste le creux de ta main
Dans l’oreiller
Et les parfums de ton corps
Je regarde dans la lucarne
S’il faut attendre
Que les étoiles
Tombent à côté de la terre
***
Un oiseau inconnu
Qui se pose sur une antenne tv
Un sous-marin
Qui sort soudain son périscope
Un mort qui dort
la bouche ouverte sur un mot
le kaki qui pend
Sur l’arbre pendant tout l’hiver
L’ouvrier qui n’a
Plus que sa main sans ouvrages
Ton amour qui
Fait du stop au bord de la route
Les mal enterrés
De la Shoa et de nos génocides
L’horrible sort
De ceux dont on ne veut pas :
Un mot un mot
Encore et peut-être un poème
A paraître courant 2023 aux éditions La chouette imprévue, Amiens
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Mémento du Chant des archers de Shu (Extraits)
MaelstrÖm reEvolution, Bruxelles - 2021
Quand
Le soleil emplira totalement
Immensément
La boule flamboyante du ciel
Qu’il montrera sa bave rouge
Ses babines en sang
D’avoir dévoré
Goulument la planète Terre
Nous ne serons plus là !
Pour en parler avec
Enthousiasme et les hourras
Nécessaires devant
Un apéro en terrasse au bord
D’une onde océane
Qui murmure solennelle son
Inlassable rengaine
Tandis que nous profiterons
D’un crépuscule théâtral
Quand tu t’en vas Ô soleil
Pour une nuit à l’autre bout
De l’Infranchissable
Pour revenir avec les
Vêtements neufs d’une aube
Pleine d’oiseaux
Nous ne serons plus là !
Mais nous aurons été et qui
Sait ! serons-nous
En filigrane à ton apothéose
Nous aurons vécu victimes
Et prédateurs
D’une vie toujours obstinée
Jamais nous ne fûmes petits
Dans le mystère tyrannique
L’énigme insupportable et
Impardonnable de naître
De connaître la mort
Quand
Le soleil aura gorgé l’éponge
Rouge
Rongé l’horizon dans un zona
Dantesque
Et meurtri l’éther
D’une ecchymose ineffaçable
Nous ne serons plus là depuis
Très longtemps !
Pas plus que l’herbe qui riait
Quand le vent lui
Chatouillait la plante du pied
Ou que l’arbre
Qui chuchotait un secret dans
Les feuilles
Qu’il tenait devant sa bouche
Nous ne serons plus là depuis
Longtemps
Pas plus que la machine ronde
Des nuages
Dont nous suivons la promesse
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ARTICLES
Jean Claude Bologne : Werner Lambersy, Mémento du Chant des archers de Shu
Le Chant des archers de Shu, voici quelque trois mille ans, évoquait la nostalgie de soldats chinois en campagne contre les Mongols et leur sentiment, à leur retour, de n’être plus vraiment chez eux. La souffrance les a marqués à jamais. En 1915, Ezra Pound en publie une adaptation personnelle, à laquelle fait écho le Mémento de Werner Lambersy. La transmission constitue le cœur même des deux longs poèmes qui constituent ce recueil, jusqu’à la postface d’Otto Ganz qui a son tour s’approprie le texte de Werner Lambersy.
Le premier poème, « Mémento du Chant des archers de Shu », se construit autour d’une formule obsessionnelle, « Nous ne serons plus là » ; le second, « Contumace », se construit autour d’une formule opposée : « Je n’étais pas là ». Le passé, le futur ; le singulier, le pluriel ; l’éternité qui nous précède et celle qui nous suivra. Entre les deux, ce bref passage de la vie où l’on ne fait, en fin de compte, que rejoindre le grand troupeau de ceux qui ne sont plus. C’est pour ceux-là aussi que l’on vit, par contumace, — « Ô vous / mes débranchés de / la surface ». Tous ceux qui nous ont été repris « comme on coupe à table / et au couteau / un fruit tombé de l’arbre ». Cela pourrait paraître désespérant, désespéré ; c’est au contraire apaisé, apaisant. Car « le vide est plein / de vos voix et c’est une chose qu’on n’est / pas prêt de me reprendre ! »
Ce second poème pourrait servir d’introduction au Mémento qui le précède. Ne sont-ce pas aussi les archers de Shu, ces disparus dont nous porterons à tout jamais la trace ? Et en assumant la longue plainte des archers — « Nous ne serons plus là » — le poète ne les rejoint-il pas dans ce lointain passé qui sera notre futur ? Le poème évoque longuement la fin — la fin du monde, la fin de l’homme — dans un camaïeu de rouge qui s’élève au cosmique — l’incendie, le soleil mourant — en se fondant sur le plus banal quotidien — la betterave, le rouge-gorge, les fruits… ou la prétentieuse rosette au revers des vestes. Le rouge du sang, le rouge du feu, le rouge du vin, mais aussi le rideau rouge que le soleil tirera un jour sur le théâtre du monde.
Ici encore, ce qui pourrait apparaître comme désespérant, désespéré, n’est qu’un chant apaisé de confiance. « Nous ne serons plus là ! / Mais nous aurons été » : celui qui a pleinement vécu aura participé à la beauté du monde, et cela, rien, pas même la mort, ne le lui reprendra. Et pour cela, peut-être, lorsque le soleil même s’éteindra, longtemps après les derniers hommes, peut-être le poète se retrouvera-t-il « en filigrane à [son] apothéose ». Oui, ce chant qui s’ancre dans la fin, dans le néant, est un grand chant d’espoir, pour ceux qui sont « pétris de plénitude », car en se fondant au monde ils ont échappé à la contingence. « Souviens-toi comme l’univers / Faisait / De nous la totalité de l’avenir ». Ceux qui ne sont pas là, à l’inverse, sont ceux qui n’ont connu que les fleurs sans parfum, le sexe sans amour. Chanter, même la fin du monde, c’est entrer dans une autre dimension. Nous ne serons plus là… « Mais nous aurons chanté / Dansé bu ri et loué de n’être plus là ».
Cette confiance absolue dans les forces de l’amour, de la fusion cosmique, de la poésie est une constante dans l’œuvre de Werner Lambersy — ce n’est pas un hasard si apparaissent, au détour d’un vers, Ulysse, les komboloï, le chant d’Orphée qui font de ce Mémento un regard rétrospectif sur son œuvre. Rarement elle n’a été si lucide, si évidente, jusque dans ses paradoxes, car en fin de compte, « On meurt / toujours d’un poème sans pouvoir / l’achever ». Qu’importe, puisque le poème nous dépasse et nous emporte avec lui ? En cela, le chant des archers de Shu, qui ne se sentent plus chez eux à leur retour, est un chant de victoire. Le poète, avec eux, a conquis un ailleurs qui échappe au temps et à la destruction. (à consulter : http://www.jean-claude-bologne.com )
Le Chant des archers de Shu, voici quelque trois mille ans, évoquait la nostalgie de soldats chinois en campagne contre les Mongols et leur sentiment, à leur retour, de n’être plus vraiment chez eux. La souffrance les a marqués à jamais. En 1915, Ezra Pound en publie une adaptation personnelle, à laquelle fait écho le Mémento de Werner Lambersy. La transmission constitue le cœur même des deux longs poèmes qui constituent ce recueil, jusqu’à la postface d’Otto Ganz qui a son tour s’approprie le texte de Werner Lambersy.
Le premier poème, « Mémento du Chant des archers de Shu », se construit autour d’une formule obsessionnelle, « Nous ne serons plus là » ; le second, « Contumace », se construit autour d’une formule opposée : « Je n’étais pas là ». Le passé, le futur ; le singulier, le pluriel ; l’éternité qui nous précède et celle qui nous suivra. Entre les deux, ce bref passage de la vie où l’on ne fait, en fin de compte, que rejoindre le grand troupeau de ceux qui ne sont plus. C’est pour ceux-là aussi que l’on vit, par contumace, — « Ô vous / mes débranchés de / la surface ». Tous ceux qui nous ont été repris « comme on coupe à table / et au couteau / un fruit tombé de l’arbre ». Cela pourrait paraître désespérant, désespéré ; c’est au contraire apaisé, apaisant. Car « le vide est plein / de vos voix et c’est une chose qu’on n’est / pas prêt de me reprendre ! »
Ce second poème pourrait servir d’introduction au Mémento qui le précède. Ne sont-ce pas aussi les archers de Shu, ces disparus dont nous porterons à tout jamais la trace ? Et en assumant la longue plainte des archers — « Nous ne serons plus là » — le poète ne les rejoint-il pas dans ce lointain passé qui sera notre futur ? Le poème évoque longuement la fin — la fin du monde, la fin de l’homme — dans un camaïeu de rouge qui s’élève au cosmique — l’incendie, le soleil mourant — en se fondant sur le plus banal quotidien — la betterave, le rouge-gorge, les fruits… ou la prétentieuse rosette au revers des vestes. Le rouge du sang, le rouge du feu, le rouge du vin, mais aussi le rideau rouge que le soleil tirera un jour sur le théâtre du monde.
Ici encore, ce qui pourrait apparaître comme désespérant, désespéré, n’est qu’un chant apaisé de confiance. « Nous ne serons plus là ! / Mais nous aurons été » : celui qui a pleinement vécu aura participé à la beauté du monde, et cela, rien, pas même la mort, ne le lui reprendra. Et pour cela, peut-être, lorsque le soleil même s’éteindra, longtemps après les derniers hommes, peut-être le poète se retrouvera-t-il « en filigrane à [son] apothéose ». Oui, ce chant qui s’ancre dans la fin, dans le néant, est un grand chant d’espoir, pour ceux qui sont « pétris de plénitude », car en se fondant au monde ils ont échappé à la contingence. « Souviens-toi comme l’univers / Faisait / De nous la totalité de l’avenir ». Ceux qui ne sont pas là, à l’inverse, sont ceux qui n’ont connu que les fleurs sans parfum, le sexe sans amour. Chanter, même la fin du monde, c’est entrer dans une autre dimension. Nous ne serons plus là… « Mais nous aurons chanté / Dansé bu ri et loué de n’être plus là ».
Cette confiance absolue dans les forces de l’amour, de la fusion cosmique, de la poésie est une constante dans l’œuvre de Werner Lambersy — ce n’est pas un hasard si apparaissent, au détour d’un vers, Ulysse, les komboloï, le chant d’Orphée qui font de ce Mémento un regard rétrospectif sur son œuvre. Rarement elle n’a été si lucide, si évidente, jusque dans ses paradoxes, car en fin de compte, « On meurt / toujours d’un poème sans pouvoir / l’achever ». Qu’importe, puisque le poème nous dépasse et nous emporte avec lui ? En cela, le chant des archers de Shu, qui ne se sentent plus chez eux à leur retour, est un chant de victoire. Le poète, avec eux, a conquis un ailleurs qui échappe au temps et à la destruction. (à consulter : http://www.jean-claude-bologne.com )