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09/02/2011



L'invité du mois

Werner LAMBERSY



BIOBIBLIOGRAPHIE

Werner LAMBERSY
Lambersy Werner, est né en 1941 à Anvers et mort en 2021 à Paris où il a vécu et travaillé depuis 1980 ; carrière commerciale et voyages (Amérique, Asie, Afrique du Nord, Europe de l’Est) . En 1982 il devient attaché littéraire au Centre Wallonie-Bruxelles jusqu’en 2002. Poète important dans le domaine francophone, il a remporté de nombreux prix et est traduit dans plus de 20 langues. Sa poésie, tout en variant dans le ton et la forme, de l’extrême dépouillement à une respiration ample, poursuit à travers plus de 60 ouvrages une méditation ininterrompue sur le dépassement de soi dans l’amour et l’écriture.
A noter : « Maîtres et maisons de thé »chez Le Cormier et réédité chez Labor et chez Rhubarbe; Plusieurs recueils chez Cadex, Phi, Le Dé bleu, L’Age d’Homme, L’Amourier, Le Taillis Pré, Dumerchez, V. Rougier, Ed du Cygne, Pippa, Al Manar, Le Castor Astral…deux anthologies personnelles : « Présence de la poésie » chez Les Vanneaux (en 2 volumes ) et « L’Eternité est un battement d’ailes » chez Actes Sud . Parmi les dernières parutions en 2020 : « Le jour du chien qui boite » (éd Henry), « les convoyeurs attendent »(Rhubarbe) et en 2021 : « L’égarement d’écrire » ( Collodion), « Mémento du Chant des archers de Shu » (MaelstrÖm reEvolution) et « De la fenêtre »(Ed à l’index. Posthume, en 2022).



EXTRAITS

EXTRAITS D'OUVRAGES

CONVERSATION A L’INTERIEUR D’UN MUR
Pour Pierre et Jacqueline Dhainaut
« Ich brauche den schritt aus der wand »
Werner Lutz
« Je me souviens de ce que j’ai vécu
et de tout ce que je n’ai pas vécu »
Ungaretti




Déjà
Ce que j’écris
S’efface en l’écrivant

Comme une lampe
Encore chaude
Que la lumière a fui

Un phare
Qui ne sait plus
Où la mer s’est retirée

Un oiseau
Qui se retourne
Et ne voit rien du vent
Qu’il a brassé

Où est l’amour
Et que s’est- il passé ?
Ces derniers dix
Mille ans


*



Le corps s’est fatigué

La photo d’identité
Qui avait
Une laideur d’avance
Sur l’ourlet
Des lèvres l’arrondi
Des joues

A aujourd’hui raison

Qui sait quel tampon
De douanes
Ou de police du temps
A pu frapper
Avec tant de vigueurs

Quelle agrafe
A rouillé sur la tempe

Pourtant
On se servait de ça
Pour passer
La frontière du sexe

Et voyager
Dans le lit des yeux
De filles


*





Rien de plus dur que
Les noix
De muscade du passé

Mais la râpe du temps
Est en inox
Alors
Pour aimer encore un
Peu

On feuillette
Les cahiers d’écoliers

Les brouillons
Et les livres d’images
Défraîchis
Où la vie a griffonnés
Sur la peau

Pour passer
L’examen de savoir
Si l’âme avait
Autre chose à espérer

Un serment de mots
Par exemple

Un billet aller-simple
Pour ailleurs
N’importe où à deux


*





Je me souviens
Des instants où j’étais
L’univers

Quand il n’y avait rien
D’autre que l’évidence

Je me rappelle être sorti
Du temps
Pendant que tu donnais
Mon nom

A chaque goutte de pluie
Qui tombait

Sur la vague en désordre
Des longues
Inondations de nos sens

Et on faisait l’amour de
Toutes les façons
Sans limites des nuages

Je me rappelle
De chaque fabuleux
Vagin des crépuscules

De la chair de poule
Des étoiles sur
La peau douce du ciel











Des brusques
Automates en vitrines
De tes noëls

Des coups de reins du
Vent dans l’arbre
Des désirs

Et des lampions
Colorés et clignotants
De nos caresses

Et de la digue
Déserte en face du trou
Noir de l’océan

De la houle sans répons
Du plaisir

Jusqu’à ce que le soleil
Frotte son zeste
De citron

Sur les canines
Et les gencives de l’aube


*






Rien n’est venu
De ce que nous attendions

Avec l’obstination
De ceux qui grattent
Dans le plâtre des cellules
Le compte des jours

Aucune aube
Qui soit restée une aube

Aucune lumière
Que l’ombre ne rattrape

Et nous nous sommes mis
A aimer

La persistance du vinaigre
Et l’amertume
Insatisfaite de nos alcools
Rien n’est venu
De ce que nous attendions

L’instant
N’est pas dans ce qui attend


*



Nous sommes devenus
Ce que l’attente a
Fait de nous

Quand viennent
Ces paroles entendues
Chaque fois

Que vente en tempête
L’écho
De serments non tenus

Sans deviner ni par qui
Ni de quoi il
S’agit

Et qui dira
Si l’ignorance est
Ce qu’on attend ou non


*


Malheur à ceux qui volent
Ils se volent à eux-mêmes
Le peu en leur possession

Et cela pour des biens que
La mort
Leur ôtera encore une fois


*








Mausolée de nos exploits

Car nous avons survécu
Plus longtemps
Que le vent dans l’arbre

Et résisté plus fort
Que l’écume aux vagues

Mausolée pour la prouesse

Car nous vivons
Dans la trop courte lignée
D’un soleil


Qui se dévore
Avec de somptueux
Acharnements d’épilepsie

Mausolée
Dans la clameur des chants

Car nous avons posé
Près des dépouilles en terre
De nos morts

La fine épée de l’éphémère


*



à mes enfants

Parmi tant de météores
Dans mes sèves
Comme fourmis sur un
Morceau de sucre

Lentement
Vous êtes sortis
Du ventre de votre mère

Et vous avez tourné vers
Moi vos premières
Rides et des cris  des cris

Des années ! Des années
Pour apprendre à aimer
Le petit lait
Caillé de mes manières !

Des années ! Des années
Pour le pain bis
Tendu de mes tendresses

Le pain perdu de caresser

Peut-être même
Attendiez-vous ma mort 
Ou la fin
De l’acné de vos révoltes

Tout ce temps avec entre
Nous à peine ce filet
De lumières sous la porte

Ces bruits de clés
Dans la serrure du secret


*



Une envie de jardins
De potager pour
Le partage
De la soupe des jours

De vérité
Pour le corps resté en
Friches

Une envie d’être tenu
Tubercule
Dans la motte ou vêtu
Comme l’échalote
Ou l’oignon

L’envie d’être grappes
Sous le gel ou
La grêle

Ou tomate sans saison
Dans la serre

Envie encore d’être là
Mais que sait-on
De l’âme

Pour la déshabiller
Des yeux comme
Un œuf dur
Sous une eau froide

Que sait-on de l’âme sinon
Le couteau de cuisine
L’économe entre les lames

Qui épluche trop fin le mot

Et le bombyx ténébreux qui
N’est pas beau 
Mais vole

Une envie comme de cesser
De boire
Parce qu’on ne souffre plus

Une envie de rêve voilà tout 
Des caprices de
Gosse

Comme on ramasse
La monnaie tombée à terre
Des quelques sous du poème


*






Malheur
Aux gens trop heureux !

Mais
Nos corps ne voulaient
Rien savoir

Ils se parlaient de soleils
Très anciens
Et de mondes habitables

Tellement
Que les moindres amours
Soulevaient

Des océans de plumes sur
La peau enfantine
De nos âmes

Où la paix
Pourrait se poser comme
Se pose

Sur le rouleau des vagues
Le vol têtu
D’oiseaux migrateurs qui
Ne peuvent
Pas s’arrêter à mi-chemin


*



Jadis
Chacun le connaissait
Et le moment
De sa venue
Etait une fête à laquelle
Il était bon
De s’adonner en silence
Et de garder
Une part pour les autres

Il y a peu
Seuls certains prêtres
Libres d’église
Mais fidèles au poème
Pour
Etre prêts à sa venue
Pouvaient
Encore le reconnaître

Ils parlaient
En son nom de la fête
Silencieuse
A laquelle il serait bon
Disaient-ils

Que d’autres
S’adonnent à leur tour
En gardant une part
Pour après

Il n’est pas sûr
Qu’aujourd’hui un seul
D’entre nous
Le reconnaisse et sache
Encore
Le moment de sa venue


Ni garder
Une part pour les autres

Cependant il reste bon
De s’abandonner
Même

Si on n’a
Pour cette part d’émois

Que le bruit
Maladroit de nos mots
Et la rumeur
Anonyme de nos chants


*


Si le poème
Se tenait uniquement
Dans le poème

Il ne serait que vents
Dans une cage
D’osier

Un oiseau de paradis
A qui tordre le cou

Pour avoir gardé
Le chant pour lui seul


*





Que faire de la petite voix
Sans voix
Qui dit des choses
Qu’on ne dit pas
Même
A l’oreille qui n’entend pas

On la connaît grain de sable
Tombée des meules
De la montagne
Où presque personne ne va

On la savait goutte de pluie
D’une pluie
Dont les dernières
Moussons faisaient cadeaux

On traîne ce lambeau d’âme
Comme une carie
Parmi les canines aiguisées
Du quotidien

Et les molaires
Mâcheuses de crépuscules

La parole sans verbe envoie
Ses marteaux-piqueurs
Défoncer
La mosaïque de nos images

Et les parpaings mal ajustés
Du silence
Ecrasent le reste en tombant

Laissant
Sur ces gravats
Les luzernes dorées et folles


*



Le grand rire silencieux
De l’univers est
Une intelligence amicale

Qui ne veut pas que nous
Nous sentions plus
Petits ni inférieurs à elle

Juste encore
Un peu sans expériences
Quand il s’agit
Du temps et de l’éternité



*



Ton regard
Dont le monde a besoin pour
Savoir sa beauté

L’instant avide
Dont le néant se servira pour
Me convaincre

Qu’il laissera un peu de place
A ce qui est plutôt qu’à
Ce qui ne pourrait pas sans toi


*

Un bonheur est un bonheur

Ne me demandez pas
Pourquoi
Je me trouve soudain assis
En haut

D’une montagne au soleil

Ne me demandez pas
Comment
Combien de temps
Ni l’ampleur que cela prit

Un amour reste un amour
Même si on
Ne peut reconnaître
Sa voix son pas
Le frottement de son jupon

Entre les bruits dans la rue
La radio et la tévé
Du voisin

Mais il suffit
D’un crayon et d’un peu de
Papier pour écrire :

L’Aimée est
Au sommet d’une montagne
Et fait de larges
Signes de bras dans le soleil 

Un bonheur reste un bonheur


*



Je riais
Du centre vers la périphérie

Je riais
Du ventre et de la gorge
Des mains et des omoplates
Cela secouait tout l’espace
Faisait danser les fantômes
Comme ce mouchoir
Noué aux 4 coins

Dont la poupée dansait sous
Tes doigts
Avant d’aller enfant
Me coucher entre des draps
Amidonnés et froids
Sous la présence
Parfumée d’une chevelure
En chute libre

Je riais pour faire tomber
Les fruits de l’arbre
Du souffle
Au milieu du jardin d’Eden

Maintenant je ris
De la périphérie des autres
Vers le ventre
Avec des mains
Qui essorent les poumons
Comme du linge

Pour en sortir ce qui reste
Avant de passer le fer chaud
Sur les faux plis
De l’âme

*


Qui pour
Prétendre avoir un jour
Fait l’amour
S’il ne sent pas
Le vent dans l’herbe
Qui respire
L’azur
Comme un plongeur
Livré
A l’ivresse des hauts
Fonds

L’eau de pluie
A cloche-pied dans
La marelle d’une flaque
La source
Qui éveille la montagne
Où dort le magma
Paresseux
Sous
La moustiquaire légère
Des galaxies

Qui pour prétendre
A l’amour s’il n’est pas
Le dernier arbre

Avant la porte du désert


*



Je vis
A la vitesse de la lumière

Celle du soleil
Qui met la sainte matinée
Pour voyager
D’une fenêtre
A l’autre de ma chambre

Je cours
A la vitesse de l’eau vive
Celle de la goutte
Qui d’une feuille à l’autre
Fait du trapèze
En espérant
Que la suivante
L’épouse en plein vol au
Sein du vide

Je vais
Avec les chiens courants
De la meute du vent
Celui qui trébuche
Et tombe en traversant
Parce qu’un jupon l’attire

Ou qu’un parfum
L’a fait se retourner
Ainsi qu’un vol d’abeille
Et peut-être parce qu’il ne
Veut plus aller
Sans un nuage à promener

Dans un landau
De drap rose ou bleu
Autour d’une aube fraiche

*




Je rêve à la façon des nuits
Quand les jeunes-filles
N’ont pas sommeil

Et que s’ennuient
Les femmes insomniaques

Je tourne
La page de l’incertaine vie

Comme celui
Qui ne sait pas s’il prendra
Un livre pour le lire

Ou retardera
Le désir de connaître la fin



*

Quatre tonnes de plancton
Par jour
Pour contenter une baleine

Quarante baleines par jour
Pour les produits
Cosmétiques

Dont je frotte ton derme nu



*

La beauté
C’est d’abord ce qui désire

L’horreur
Qui n’est que satisfactions
Vous le dira

Même l’absence
Dont témoigne l’obstination
Des voluptés

Mon âme
Tient toute dans les regards
Qu’elle jette

Comme un rat
Guette à l’entrée de son trou

Mon âme
Est toute dans l’insatisfaction
Qu’elle procure

C’est sa façon d’être éternelle

Même la souffrance
Et l’abandon de toute illusion
Vous le diront


*


Malheur à celui qui ment
Pour être aimés
Ou qui se ment pour cela

Car le désir est un joueur
De poker

Et le plaisir
Un soldat qui se rue
Hors des tranchées tenues

Sous la mitraille des mots


*


Que je dorme
M’assoupisse veille

Une chose me relie
A l’ensemble

Tant que je respire
Je ne suis coupé
De rien

Une maille à l’envers
Une maille à l’endroit

Le souffle tricote
L’univers


*




Qu’avons-nous vécu ensemble
Qu’on puisse superposer
Exactement

Ou emboîter comme les pièces
D’un puzzle dont rien
Ne serait perdu

Sinon les très féroces et doux
Sentiments

D’être tout un
L’être qui existe et celui
Qui n’existerait pas sans nous

Sinon ce calme et vertigineux
Délire

D’être la pointe d’une aiguille
Sur quoi repose
La bulle de savon de l’univers

Sinon d’être
Entre l’enclume et le marteau
Des heures

La gerbe
D’étincelles qui
De nous fit des étoiles filantes


*






La terre de ce corps
Veut
Retourner à la terre

L’eau de mon corps
Veut
Remonter au nuage

L’air de mon corps
Veut
Retrouver l’espace

Le feu de mon corps
Veut
Brûler n’importe où

Les cendres du désir
Veulent renaître

Et je n’aurai jamais

Qu’une âme
Unique pour répéter
Ces mensonges


*








Je n’ai connu ni la haute
Mer ni la haute
Montagne
Pas la grande misère ni
La grande vie

Je n’ai connu la guerre
Que de loin
Et de loin la justice
La police les politiques
Ou la pègre

Je ne sais
Si j’ai connu ma lignée
Ni certaines amours
Je ne connais
Qu’à peine ma personne

Et moins encore
L’agitation de sa pensée

Dans la pensée
Indifférente de l’univers
Je ne connais qu’à peine
L’âme

Un peu la durée du désir
Et moins encore
La pure
Exaltation de mon extase

Qu’ai-je connu
Que je ne connaissais déjà
Dis-moi
Qu’ai-je connu
Qui n’était pas reconnaître

*





Avec l’âge la peau tourne
Au pruneau d’Agen
Ou à l’olive

Fruit à noyau que la terre
Aime reprendre

L’âme

Est un chaume
Promis à des incendiaires

Qui la rendraient au néant
Ou du moins aux absolues
Perfections de nos abîmes

Là où

Comme ici
Se tient le paradis
Perdu de notre nuit sans fin

On ne sait d’elle
Que les bourgeons en fleur
De la lumière

Nous

Qui aimons tant mordre
La pulpe ténébreuse du fruit


*





C’est n‘avoir rien écrit
Tant qu’on n’a
Pas jeté

Sa seule perle
Aux cochons ni l’écrit
Avec l’encre

C’est n’avoir
Rien osé tant que tout
N’est pas perdu

C’est n’avoir
Rien donné tant
Que la vie veut encore

Tant qu’aimer
Reste un refuge en
Montagne avant l’abîme


*

Ils disent « paix »
Mais c’est de l’arsenic rose
En sachets
Qu’on dépose sous la porte
Contre les rats

Contre les gens dont on dira
Plus tard
En jetant leurs cadavres nus

Ils ne sont pas comme nous


*





Comment croire au bois mort
Aux natures mortes

Ils font simplement le chemin
Leur paisible travail
De traverser

Je ne pense pas que l’habitude
Soit uniquement une répétition

C’est une façon rebelle de dire
Jamais assez
A ce qui passe et semble perdu

Je ne crois pas que nos visages
Finissent au-dessous
Du menton

Mes mains mon sexe mon dos
Et mes genoux savent
Rire et pleurer


*








Poème
Pour reconnaître l’autre

Et l’amour
Imprononçable à force
D’être lavé
Dans la machine à mots

Poèmes
A peau dure de poivrons

Et son mystère
Comme il ne reste d’aile
De la raie

Qu’éventail transparent
De cartilages

Poèmes
Où jamais ne savoir
Ce qui vraiment est écrit


*





Conversation
A l’intérieur d’un mur
Pour que personne n’entende

Que l’âme
Dans le ciment des certitudes
Est en train de mourir

Le livre
Serait une suite de pages
Blanches

Où n’écrire
Que les mots en miroirs
Du silence

Certains s’y jetteront
Comme dans un torrent
Dont on ignore tout

Chacun sait
Qu’au bout il y a l’océan
Qui rassemble

Les bruits de l’âme
Et les poèmes de l’écume


*











La Grande Marée de tes regards
S’est retirée au loin

Des kilomètres de varechs sont
Apparus
Et des cailloux qui font très mal

Le ciel a remonté son drap blanc
Jusqu’au ras du menton
De l’horizon

La plage est comme ces péages
D’autoroute fermée
Au trafic

Un vent froid
Passe le pic des dunes à l’émeri

On aperçoit des creux de vagues
Où les voiliers se couchent
Comme des chevaux

Leurs mâts déshabillés pointant
Ce coin du vide où
Poser la question sans réponses


*









Trou de taupes
De mes poèmes dans les gazons
De la pensée

Petits cônes de terres meubles
Que le mystère a repoussé
En creusant
Le nœud obscur de ses galeries
Sous la raison

On dit qu’Homère était aveugle
Lui aussi

*

Escalade 
Poussée de fièvre
De bas en haut des sèves fauves

Grand tremblement
Peu visible de l’herbe inexorable

Qui obstinée fait un pas en avant

Marinades dans la cuve à teinture
Du crépuscule
D’odeurs et des parfums du corps

Qui serviront dès l’horizon en vue
A battre en neige la lumière

Et déployer dans le sang bannière
De feuilles et fanions de pétales

Pour la secrète rosée des moiteurs
Après l’amour


*






Demain à 300.000 Km seconde
Les charrues
Du soleil reprendront l’ouvrage

Couché dans le jardin je regarde
La Terre foncer
Dans la nuit à 37.000 Km/heure

Sans qu’une seule
Feuille de mes bouleaux ne bouge

Sans disperser
La volute paresseuse de ma pipe

Tandis que je repense
A celle qui fait trembler l’âme
A 300.000 Km seconde

Et entrer ma solitude silencieuse
A 37.000 Km/heure

Dans les zones stratosphériques
De sa volupté
Comme la lune surgit des nuages


*





Je ne sais pas danser
Mais je danse

Je ne sais pas chanter
Mais je chante

Je ne sais pas exister
Mais j’existe

Je ne sais pas souffrir
Mais je souffre

Je ne veux pas aimer
Mais j’aime

Je n’ai pas voulu être
Mais je suis

J’ai voulu apprendre
Mais déjà

La mort ne voulait pas


*




Au nom
De ce que personne ne saura
Et ne pourra jamais savoir

Au nom

De ce qu’aucun d’eux n’a vu
Ni entendu nulle part

Au nom

D’une loi que les oiseaux ni
Les arbres

Ne connaissent et dont la vie
N’a pas besoin

Ils ont tué massacré torturé

Parce qu’ils ne s’aiment pas

Et ont horreur
D’être au monde sans raison


*





L’encombrement des morts
Dans les tiroirs
D’en bas

N’empêche pas le tournesol
De tourner la tête
A la fenêtre

La fleur de pomme de terre
De danser ni l’arbre
D’avancer entre les pierres

Et l’herbe
Parfois de faire la coquette
Avec ses jupes

Tellement
Que le vent vient s’y rouler

L’idée de dieu
Pose une forme d’entropie
De l’homme

La liberté
Celle de trouver l’harmonie
Instable de l’univers

Être tout suppose n’être rien

*




Qui est-il donc
Qui est-elle
Dans ce dos nu
Et rond

Et long
Et lisse comme
L’hélice en bois
D’un avion

Qui est-elle qui
Qui est-il
Dans ce corps
Qui des épaules

Aux fesses
Offre une piste
D’envol
Et qu’importe

Si le désir
Qui veut intacte
Cette beauté
Y touche ou non



*



L’air
Autour de tes lèvres
Est léger

Tant il y flottent peu
De mots

A peine
Comme un ou deux
Cheveux
Laissés sur l’oreiller

Puis sur la baignoire

Qui disent combien
Tu étais nue

Détendue en ce bain
Où nos baisers
Faisaient des bulles

Je pense à ta bouche
Sur ma peau
Chaque fois que dans

Le parc sous la neige
Je vois traverser
L’écureuil

Qui vient pour jouer
Avec moi
Quand je rentre seul



*

La mer
Est notre nuit
C’est de là que nous venons

L’ombre
S’y tient parmi les animaux
Aveugles

Et les algues
Qui se nourrissent des restes
De nos soleils

Dont la lumière est couchée
Et sommeille entre
Les sels

La mer
Est cette nuit
Qui nous poursuit de son aile


Alors que nos nageoires déjà
Sont tombées

Et que l’âme
A inventé les lunettes solaires



*
Pour Patricia

Amants
Surpris la main
Dans le sac de la peau

Amants
Dans les phares
Du désir qui braconne

Amants
Dans l’incendie
D’une pinède à l’autre

Amants
Dans les champs
De mines des caresses

Amants
Toujours à l’écoute
Des sirènes sur le port

Amants
Comme le mulot
Dans la gueule du boa

Amants
Dont le voilier
Veut remonter au vent

Ou la pouliche
A la corde des Grands
Prix

Amants
Dans la saison
Des palmes exotiques


Des kalpas
De la dissolution suave
Des temps

Amants
Qui vous aimez
Par d’imprononçables


Prénoms
De sons de cris
De gorge et de combe

De gémissements
Sur des mugissements
De mascarets

Amants qui vous aimez
Comme personne
Auparavant

Ainsi que dit
La floraison du bouquet
Des comètes

Amants qui vous aimez
D’une longue vie
Sans âge

Comme levure présure
Et fermentations
D’instants

Amants
Qui reculez
Dans la lumière aveugle

Comme on avance
Vers l’abîme ténébreux
Du début

Soyez
L’arbre dans les quatre
Eléments

La ronde
De l’aubier tendre
Sous l’écorce des nuits

Le rire aussi
De la feuille qui tremble
Si souvent

Et de ce trouble
Qui fouille dans l’espace



*


Pour les 5 ans de Johanna
Il aime bien
Sa petite vie de petit
Nuage

Un jour
Il va en queue
De traîne de l’orage

Comme un jeune
Eléphant qui sagement
Suit le troupeau

La trompe
Comme virgule grise
A l’envers

Ou le bras
D’une ancienne pompe
De ferme

Car il aime
Qu’on le prenne
Pour ce qu’il n’est pas

Un jour
Il promène son ombre
Comme en laisse

Un chien
Dans les jardins
Où l’on sèche du linge

Qui a peur
Et lui fait signe
D’aller voir plus loin

Il joue
A la course en sac
Au mouchoir

A qui perd
Gagne à bonhomme
Pendu

A deviner qui c’est

Mais il
Se met en boule
Quand la fille rousse

Qui fait
La lune triche
Et se cache derrière

L’horizon
Parce qu’il est
Las d’être le mouton



La fumée
Sur un toit une niche
Pour l’Ourse

Etc etc etc etc

Mais il aime
Bien sa petite vie de
Petit nuage
Parce qu’il te fait rêver

*


Pour Anaëlle et Laurent
L’arbre
N’a pas dit
Son nom pourquoi faire
L’herbe non plus
Ni les fleurs des champs

Déjà la pluie
Et les gens se montrent
Tellement bavards

L’arbre occupe un bon
Placer de chercheur d’or
Dans le ciel

En automne
Il enverra quelques cartes
Pour les fêtes

Au printemps
Il mettra des habits neufs
Pour accueillir
Les oiseaux qui reviennent

Il danse
Dans les cortèges roses
Et rouges
Des crépuscules du soir
Et du matin

De ses racines
Et d’un tapis de feuilles
Il réchauffe
Les vieux os de la mort
Et l’âme
Pelotonnée des cailloux

Il donne des ailes
A l’ange des feux de bois

Il n’a besoin
D’aucune guerre
Il ne demande qu’à être là

Parfois avec des fleurs
Avec des fruits
Ou simplement sans rien

Et le manteau
Qu’il jette sur les épaules
De qui s’égare

Et la maison d’ombrages
Qu’il promet
A celui qui se promène et
Veut se reposer

Il les offrira sans compter

En ville il ne doit changer
De trottoir pour personne

La lune
Pour lui lèvera le chapeau

Les arbres sont faits pour
S’appuyer
En soutenant l’air et le vent

A chaque heure du jour
Il change les mots de passe
De l’ombre

Il boit
L’eau pure des pluies
Et mange
En gourmet la lumière

Il se sent bien
Et dort sous les grands draps
De l’horizon

Parfois il rêve
Et récite des mots
Qui donnent la chair de poule

Demain il en fera des poèmes
Que ceux qui passent et
S’arrêtent écouteront

Heureux sans savoir pourquoi



*






Gisement de l’ordinaire

Infini ! Infini !cependant
Pas facile à exploiter

Il faut racler
Creuser dénicher
Parfois pas bien profond

Mais dans les crues
Inondations des galeries
Des terres basses

Le Temps Le Temps 
A fleur de roche le Temps 

Et la Terre
Comme un compteur à gaz
Remis à zéro !

Combien de fois ?
Combien depuis les débuts 

L’ordinaire tout simple
Taillé dans le cristal
Dur comme le diamant 

C’est ce qu’on croit !

Mais ça fond
Dès qu’on y touche
A peine du bout des doigts
De la mémoire

Richesse pourtant
Comme pépite ou poussière
D’or au tamis

Richesses pour l’espérance
Richesse dans le noir
De trouver

Infini Infini 
Mais la patience en veut
Toujours plus

Alors
On raconte des histoires
Des trucs imaginés
Des miracles mais c’est
Tricher

Gisements de l’ordinaire
Il n’y a que les morts
Pour savoir

Parfois quelques malades
En fin de parcours
Condamnés à des suicides

Quelques égarés comme
Des cheveux
Sur le potage de la parole

Mais qui les croit ?

On dit c’est là juste sous les
Narines
Mais sous le nez que sait-on
Des lèvres 

Si elles se taisent ou remuent
Pour mentir

On ne peut
Qu’écouter ou regarder sous
Le nez des autres

Mais c’est tricher !

Le gisement de l’ordinaire
N’est pas un filon

L’ordinaire de celui-ci n’est
Pas l’ordinaire de celui-là

Aussi
Dès qu’on a trouvé il ne faut
Pas s’en vanter

Non ! Non au contraire 
Il faut qu’il reste ordinaire
L’ordinaire

Sinon ça ne vaut plus rien

Cependant infinie ! Infinie
Alors la contemplation

Le bonheur qui en découle
Comme après une chute

Lorsqu’on est rassuré
De n’avoir rien abîmé pour
De bon mais

Juste un peu de souffrances

Le bonheur on vous le dit 
N’en parlez à personne
Vous feriez des jaloux 


Certains rêveurs
Inconscients des suites

Ont parfois laissé des sortes
De cartes

Des peintres des musiciens
Des poètes des rêveurs
On vous répète

Qu’on se le tienne pour dit !



*

Vu du fond des fosses pacifiques
L’Himalaya fait 20 km
De hauteur

Et elle qui se demande encore s’il
Faut mettre ce matin
Sa jupe bleue et des bottes neuves

Ou un jean troué avec des baskets 

Combien fait-elle sur ces trottoirs
Le talon à 5 cm au-dessus
Du pavé où naviguent ses hanches 

Comme dans l’onde d’une lagune
Où frétillent des poissons
Peu farouches

Et que fend l’aileron d’un requin ?

Car je ne sais pas d’où me revient
Ce vertige

D’être à la fois un ventre sans fond
Et un sommet
Dans le désert blanc sous les astres

Avec entre eux
Cette femme funambule
Dansant sur le fil oblique du plaisir



*




Bach
Dans les grands arbres
Et Mozart dans l’herbe

Mon fils
Dans l’œil du taureau et
De l’abeille

Mes filles
L’une dans l’hirondelle
Et l’autre
Dans la rose et les orties

Et cette femme
Près de moi la seule qui
Sait porter

Le manteau des silences
Et boutonner
L’œillet mal boutonné de
Ma vie

*

Trop d’encre
Dans cette nuit jamais
Je ne pourrai

Tout dire
Trop de mots dont
La lumière s’est éteinte

Avant d’arriver jusqu’à
Nous

Je dormais
Je m’en souviens
Je comptais la poussière

*





J’ai gardé ma part de neige
Celle qui protège
Du grand gel

J’ai gardé ma part de feu
Celle qui dévore
Mon corps

Comme un piment cache
L’aliment fade

J’ai gardé la part du souffle
Celle qui jamais
N’appartiendra à personne

Mais qu’il faudra restituer
Aux mots
Quand le déplacement d’air
Que j’étais aura trouvé
Sa place

Et se tiendra bien tranquille

On a déjà tout
Ecrit mais ce n’était
Pas moi…Et ça change tout



*

Maintenant Parviz mon ami
Je sais pourquoi le cerf
Que tu as vu

Se tenait tout seul au sommet
De la plus haute montagne
De ton pays

C’était pour mourir car mourir
C’est voir de tous les côtés
En même temps

Et faire
De l’horizon quelque chose
Qui ne ressemble pas à la porte
Tournante du hasard

Mais à la coquille d’œuf
Où frapper en éternel poussin


*


Li Po devant l’étang le brin
D’herbe entre les dents

Michaux devant l’encre
Où ses figures jettent l’ancre

Et bientôt devant le temple
De l’écran qu’il contemple

Le poète sans le moindre mot



*







Nous ne sommes pas là
Depuis longtemps
Et sans doute
Pour moins longtemps
Encore
Que les pierres
Qui traversent notre ciel

Juste
Entre deux coups de feu
De quelques soleils
Qui chassent
Et braconnent à la lisière
D’une galaxie

Ou le crin lumineux
De ce vide dont la bourre
Crève le ciel

Le cuir du sofa malmené
Du cosmos

Alors mon amour ne dors
Pas trop

Et donne- moi ton corps nu
Par où je puis entrer
Par la petite porte
Dans un moment d’éternité



*


Les enfants sont partis Oh 
Pas loin mais
Ce ne sont plus des enfants

Les amis ne viennent plus
Certains ont du mal à ranger
Leurs nuages
Dans les boîtes de couleurs
De l’enfance

D’autres se servent
D’une canne qui chaque jour
Devient plus courte
Mais il y a
Les oiseaux dans notre cour
Qui se racontent

Encore les dernières branches
D’arbre et les sémaphores
Perdus de l’âme

Et ceux que leurs générations
Avaient connus
Avant les longs bitumes noirs

Déjà l’eau
Sombre du soir mouille le bas
Des éponges
Qui servent à effacer l’homme

Déjà la lune
Passe sur l’ardoise des choses
A faire
Que l’âme avait si bien notées



*


Plus de vin
Plus de tabac pour la pipe

A cette heure
Les magasins sont fermés

Plus de place
Pour les raisonnements
Philosophiques

Ni l’illusion
Ni la sagesse incertaine
Du renoncement

A peine la planche étroite
Du plongeoir vide
Au-dessus

De la piscine des poèmes


*


Astraca

« Au pied du temple, vous laisserez
…c’est ainsi qu’on se…et la mer
Innombrable !

Chaque matin …les outils et votre
bouche…Oui : purifiez, respirez…
eux aussi, ô vous haleurs d’azur…
ensemble, aux uns, aux autres salut »


*






J’avais rencontré mon âme
Ou quelque chose
De cela

Dans la rue où elle mendie

J’ai fait semblant de ne pas
La voir

J’ai croisé mon cœur triste
Ou quelque chose
De cela

Au premier rang d’un défilé
Derrière les drapeaux
Noirs

Et j’ai filé comme si j’avais à
Faire ailleurs

Alors en entrant j’ai bu le bol
De lait du chat

Car
Quelque part au fond de moi

La solitude
Ou bien quelque chose de ça

Miaulait pour qu’on l’adopte



*




Regardez où vous posez 
Les pieds Attention
Il y a des morts partout

Certains sont sable
Très doux mais froid
Dès le coucher du soleil

Et quand le vent Se lève
Ils restent
Sous la dent et crissent
Dans l’écrou

D’autres sont toujours
Des cailloux
Mais plus lisses à cause
Des larmes

Ou des chiens
Sans laisse qui se frottent
Aux jambes
Nues des jeunes femmes

Beaucoup sont de la terre
Grasse où vont brouter
Les ruminants du souvenir

Quelques uns de la cendre
Comme la matière
Grise et chaude du monde








Et les volcans qui parlent
Bien plus fort que
Les vivants

Nous rappellent
Que tout ce qu’ils lancent

Retourne
Vers la lumière dont nous
Restons les fils

Lorsque nous retournons
La lampe de poche
De l’esprit vers l’intérieur

*









cantar era una razao
de morte e de alegria
Heberto Helder














Tous les mots sont des mots
D’amour
Même l’anathème les jurons

Et la malédiction
Jusqu’à la dernière génération

Tous les mots sont des mots
D’amour
Car ils parlent de la louange
D’être vivant

Un être qui s’adresse à l’autre

Seul le silence
Parce qu’il y a des mots peut
Choisir de ne rien dire

Ou de tout dire sans un signe
D’amour

Seul le silence est
Une robe de bure un cilice
De nonne

Tous les mots sont des mots
D’amour
Ils ne peuvent que célébrer
Le corps
Celui d’un univers resté pur

*




Nos chairs
Sont devenues des îles

Le désertique
Amour du large océan
Les ronge

Et l’espace stérile des
Galaxies
En fait des objets nus

Quelque chose
Qui sépare les sables
De la passe

Brassés par les ventres

Et les saveurs
Salivées par une bouche
Qui mastique

L’élastique
Instant de mourir comblé


*

Le souffle
Habitait la maison des os

Avec quelle volupté
Claquait la porte sur ceux
Qui cherchent l’amour


Maintenant
Avec l’âge il faut briser la
Vitre et jeter nos trésors
Par les fenêtres

Pour qu’entrent encore ces
Vents qui dehors
Déchirent les grands arbres

*
Tout est donné de néant
A néant

Et la mort n’a là-dessus
Ni défaite ni victoire

Le désir d’effondrement
Du sexe
Est d’effacer les fatigues

Le plaisir de nos extases
Est de goûter
A nouveau au chaos de
L‘abandon


*








La parole plonge ses rames
Et souque

Dans l’eau pesante
Du silence
Et les lentilles d’eau du mot

Là naissent aussitôt effacés
Les noirs remous

Et les troublants tourbillons
De nos souffles

Puis le poème de son étrave
Etroite et brève

Brave
Un instant
Le front taciturne des cieux

*

Pour passer le temps
Qui est long
Quand on est mort

Il faut apprendre
A compter les feuilles

Et les cailloux
Là où l’on est enterré

Pour profiter du temps
Qui est si court
Lorsqu’ on est vivant

Il faut apprendre
A compter
Sur les doigts de l’eau 

Du nuage
A la pluie et de la pluie
Aux ruisseaux

Dans les deux cas
Vu de l’éternité
C’est pas la mer à boire

*


Les drones
Du sexe fouillent
Les replis du paysage

Parfois les batteries
Antiaériennes du nerf
Interviennent

Les obus
Font alors des fleurs
Dans le ciel

Et la nuit c’est encore
Plus beau

Mais l’avion furtif qui
Nous survole
De haut

Que vient-il faire ici

Lui
Dont nous ne savons
Que les débris
Au sol

Quand par hasard l’un
D’entre eux est
Touché

Et tombe
Dans un sillage de feu


* jardins Khaan





Le lent
Mouvement lent
De la tunique de Tagore

Qui balaie
Les feuilles mortes
Dans la poussière dorée
De l’automne

Quand la pluie
Dans les pins noirs
Laisse un mica parfumé

Et cette mouette lançant
D’intraduisibles
Poèmes

Où il est question de mer
Qu’elle n’a jamais
Vue à Paris

Comme nous
Qui ne verrons jamais
Tagore

Qu’en noir et blanc sur
La photo

*


Paris est gris
Ce n’est pas là son principal défaut

Mais plein de gens
Brutaux

Parce qu’ils sont tellement pauvres
D’avenir

Qu’ils sont tout gris
Dans le même vêtement à très peu
De choses près

Et le même air sans joie du menton
Aux sourcils

Quelques affiches dans les couloirs
Du métro

Evoquent les alambics
Cuivrés d’un coucher de soleil aux
Tropiques

Et une femme mûre en face de moi
Parle d’amour sans
Rien en dire

Comme la bande annonce d’un film



*



Montagnes
Métronomes ô si lents
Que le silence vous entend à peine

La paix
Sur vos sommets
Comme un socle d’îles sous la mer

Montagnes
Conservatrices de poids et mesures
Des balances de l’air


Quand l’œil qui regarde votre calme
Est comme une aile
Sur le vent

Montagnes
Aux mufles noirs ô si patients qu’on
Dirait qu’ils vont boire

Aux bords d’un gué que fréquentent
Seulement la nuit
Les fauves

Des steppes assoiffées de nos astres



*




Une petite pluie tiède
Et sans bruit
Prend tout son temps

Le billot
Sous la hache de soie
Est un bois
De loupe aux coudes
Indociles

Ainsi nos corps
Comme des cartes aux
Vingt millième

La nuit marcotte
Un buisson d’épineux
Sous la peau

Le souffle
Dans la frondaison nue
Des cheveux

Appelle les feuilles
Et la lune

A trembler comme les
Genoux
Des chevaux de course



*

Comme un vagin dans l’ombre
L’icône avec sa lampe
Vermillon

Jours ordinaires de l’adoration
Où communier avec
La langue

Les yeux clos
Comme des bogues en grappes

Lourds candélabres
Sous les clés de voûte du ventre

Flamme indéchiffrable
Voici que monte le lait de lueur
Qui fait sève au monde

Et que le ciel
Prenant ton visage ouvre
Des orages dans ses immensités



*





Marchant sur la lune
Pour la première fois

Ils n’ont dit
Que des mots appris
Sur Terre

Lorsqu’enfant
On leur imposait de
Faire pareil

Sur la mort
Ils ont répété sans fin

Ce qu’on sait depuis
Qu’on sait
Qu’un jour on meurt

Sur l’amour
Ils ne disent rien sauf

Qu’en parler sans fin
Ne suffit pas

Si le silence n’est pas
Le dernier mot

Ni la stupeur du poète



*








Ce fut le calme une sorte de
Silence
Profond sans portes ni murs

Celui où peut-être l’on prie
Sans le savoir
Sans les mots sans personne

Et rien à faire
De plus qu’être là immobile
Et heureux

La paix
Comme un fruit
Mûr reposant dans sa coupe

L’attente

Par un parfum qui ne promet
Paresseux
Rien d’autre que sa promesse



*




Petit homme
Tu as dit que la lune
A 3 saisons

Celle des jonquilles
Quand elle est jaune
Mais c’est rare

Celle des coquelicots
Quand elle est rouge
Mais c’est court

Et des roses pompons
Blanches
Qui sont rondes
Et penchent d’un côté

Puis de l’autre
En perdant des pétales

Avant de tomber avec
Toi dans ce trou
Entre la nuit et le jour



*








Pour connaître l’âge
D’un arbre

Il faut trancher le cou
Du tronc
Et compter le nombre
De colliers
Portés par les saisons

Pour deviner la route
D’un homme
Il faut suivre les rides
Autour du coude
Et mesurer l’opacité
De l’ongle de l’orteil

Pour croire connaître
L’âge d’une femme
Il faut observer le nid
De ses yeux

Les regards
Abandonnés et vides
Qui servent parfois
A d’autres

Et ceux dont la place
Restée libre
N’attend que l’amour

Alors que face au vent
Et nues de cœur

Elles s’offrent
Au coureur sacré
Des plaines odorantes
Et aux savanes
Obscures de son sexe

*





Comme  on va d’une vaisselle
A l’autre
Et d’un lit à refaire au suivant

Rustines minuscules des jours
Pour le canot
Pneumatique troué des heures

Plombage des dents de sagesse
Du quotidien

Comme on trempe des journaux
Pour le fond des bottes
Qui font mal

Paix si possible comme coupées
Les fleurs d’un bouquet

Un peu de familiarité
Comme un chien de garde
Qui boite ou un vélo qui grince



*

J’apprends
A respirer comme les laves
Descendent dans la mer

Comme l’eau qui se change
En neige en glace en nuages
Ou en rosée

Je rends un souffle
Qui bondit comme tigre ou
Se couche comme l’éléphant

J’apprends ce qu’il faut faire
Quand je serai plein
De terre

Ma voix ne vous arrivera pas :
Trop courte l’échelle de corde
De l’évadé

Elle se perdra
Dans la poussière des papiers

Reste qu’elle en avait poursuivi
Certains qui n’avaient
Que des poèmes

Et la rumeur têtue de l’âme qui
Les faisaient chanter









Elle dégaine ses épices
Comme une lime
A ongle
Peut vous user les nerfs

Elle fait tourner autour
D’elle
Des satellites spatiaux

Transformés en jardins
Suspendus
Ses jambes
Comme un bec de plume
Pour écrire

S’ouvrent
Comme des huîtres
Où goûter l’iode et la mer

Les terrils roses
De ses seins sont des nids
De guêpes

Et ses cheveux très courts
Sont des appels
De phares

Croisés la nuit
A toute vitesse sur la route

C’est le printemps qui parle
Les premiers crocus
Et la grêle

C’est la mie du pain rassis
De mes mains

*






Elle dort
Dans mon sommeil
Comme un bateau
A l’ancre dans le port

Elle dans son corps
Sans doute est-elle oui 
A côté de moi

Puisque nous dormions
Sans les draps
Que nous n’avons pas
Supporté

Tant nous étions nus
Sous la même tente
De peau et d’orties

Tant nous étions lourds
D’une âme en sueur
Qui colle au regard

Et qu’on on écope
Comme un schooner
Toutes voiles
Dehors dans l’écume

Elle dort
Et je dors autour d’elle
Comme la bouteille
Autour d’un alcool rare



*

Seul le désir est resté jeune
Sans réfléchir
Ni au comment ni au pourquoi

Mais il descend de plus en plus
Dans la mine
Du corps où épuiser à coups de
Pic le filon d’anthracite

Dont la salamandre des chairs
A tant besoin

Comme aux confins
De l’espace ces constellations
Dont nous n’avons plus
Que la lumière froide

Et la courbe pure de l’horizon



*

Où est la Chine
Traversée sac au dos

De cantines grasses
En boutiques
Encombrées de vélos

Et l’Inde brumeuse
Aux échoppes
A thé

Sur le bord du trottoir
A deux pas du barbier
Et d’un vieux sage nu

Et le Yang Tsé
Qui porte les bateaux

Ainsi que des colliers
De perles sur l’épaule

Et des radeaux
Avec des hérons
Patients sur leur proue

Le Mékong
Comme un bandeau
De front tenant la forêt

Et le Gange
Comme la peau
D’un beau cul sous le
Sari trempé

Le Saint Laurent
Qui va prendre la mer


Comme on met
La table d’un banquet
D’amis

Le plat Mississipi
Et l’Amazone touffu

Dans les rouges velours
Du coucher de soleil
D’un opéra

L’Escaut
Où sont rangées
Les boîtes de conserves

De la chimie et du pétrole

Et le Rhin
Aux péniches écumeuses

Et la Meuse
Aux écluses paresseuses

Et le Rhône
Aux chevaux attelés à des
Nuages bleus

Et le Danube
Aux larges jupes en vols
De migrateurs

Et le Nil
Où embarquent les morts
Et le reste que j’ignore

Et la Loire souveraine et
Tranquille
Où je m’assieds les pieds
Dans l’eau

Sur les cailloux obliques
Et usés
Pour parler aux mouettes

Moi qui ne vais plus que
Du jardin au dictionnaire

Et d’un amour au même

Comme l’eau
Dans l’eau qui se poursuit
Elle-même



*

Il faut faire la paix
Avec le sable et le poussier
Demain nous serons cela

Quelque chose qu’on pousse
Du pied

Que la jeune femme déteste
Et chasse
Avec des gestes de moulins

Il faudra faire un pacte avec
Les eaux
Pour qu’elles nous acceptent
Parmi les larmes


Qui s’évaporent moins vite
Que la rosée

Il faudrait faire confiance aux
Mots pour qu’ils se taisent
Et ne disent pas ce qu’on était


*

Tu téléphones
Au fin fond des galaxies

Comme on joue au jokari
Sur une digue

Tu pisses dans les vagues
Comme les poisons

Tu ficelles
Un paquet de paroles
Qu’on envoie dans les airs

Comme on cache
La poussière sous un coin
Du tapis

Quand on fait le ménage
Dans la tête

Et dans l’âme
Où tu installes un fauteuil

Tu écoutes des musiques
Que ne font
Plus l’oiseau ni les enfants

Ni la rue où tout est devenu
Si dangereux


*

Ne reste
Dans la délicate main
De l’espace

Que le rasoir
A l’ancienne d’un
Quartier courbe de lune
Sur la peau douce
De la gorge du nocturne

Parfois la joue
Du jour saigne un peu et
La pierre d’alun

Des nuages panse la plaie

Ne reste
Une nouvelle fois
Que le drap d’ombre pour
Recouvrir

Le corps assassiné des uns
Ou le charnier chaulé
Des autres

Où nous avons jeté les gens
D’en face
Qui se croyaient comme nous


*


Chers

Ne soyez pas inquiets
Ici tout va bien
Nous vivons heureux

P.S.. :
nous manquons de sucre
et de bougies


Personne parmi les sages
Ne sut à quoi
Ni à quel passage
De la Thora
Cette lettre faisait allusion

Un jeune
Poète finit par oser lancer :

C’est simple : nous vivons
Dans l’amertume
Et l’obscurantisme. Amen !


*

Parmi les anges
Qui me parlaient tout bas
Des femmes

Ceux qui avaient des ailes
Les repliaient

Sous la peau
Et devant leurs regards nus

Je tombais
Dans l’oreiller et la couette
De plumes de leurs caresses

Tandis que se creusaient
Les lourds matelas de vagues
De l’impatience

De ceux
Qui avaient perdus leurs ailes

Les hommes
Dans les hachoirs à viande
De l’argent
De la guerre et du pouvoir

Faisant ce qu’ils pouvaient

(Châteaux de sable
Que les marées grignotent

Avec des larmes d’enfants
Et des effondrements
De falaises)

Tandis qu’on entend
Jouer un vieil air de jazz ou
De hard rock

Sous le manteau troué d’une
Mémoire mélancolique

Et que l’amour
Cloue ses étoiles de mer sur
Les portes du ciel


*

On croyait impossibles
Dans ce monde
Sans pitié

Ces vergers
Aux pieds d’un Vercors
Sous la neige

Il semblait incroyable
Que des hommes en bleu
De travail

Discutent appuyés au bar
Dans la ouate
Bruyante du percolateur

Le coude
Sur les journaux du matin
Pleins de sang noir

Déjà les femmes au dehors
Osaient
Leurs premiers chemisiers
De couleur

Sur l’épaule largement nue
Et les seins
En bourgeons du printemps


*

Si je te fais l’amour
Mon amour

N’attend rien
J’en demande pardon


Qui te fassent danser
Comme ces nacelles
D’aérostats

Les tapis de bal
Sont roulés au salon
De mon corps

Car l’herbe a poussé
Haut dans le ventre
De mes terres

Et les cailloux
De ma route tournent
En rond

Comme
Des tortues d’eau
Dans le bocal de l’azur



*








L’espace et le temps
Devraient suffire

Pourtant jamais ni l’un
Ni l’autre
Ne se montrent entiers

Quand le bonheur est là
Sans qu’on le sache

Ici est toujours du passé
Et maintenant
Ailleurs

Le métro n’a pas
De station espace-temps


*

Jamais une mouche
Ne se serait posée
Sur ta langue

Jamais !
Une bête à bon dieu
Peut-être
Lorsqu’on murmure
L’amour
Qu’on ne comprend
Jamais

Et un plein lot
De papillons énervés

Quand elle ouvre
Un à un les boutons
De sa robe

*

La torréfaction
Des grains de café du
Discours amoureux

Est un art délicat
Entre l’arôme de l’âme

Et l’amertume
Légère qui s’en dégage

Saveurs en jupes
Où le parfum fait passer
Des images

Déjà dans le corps
C’est le frisson qui parle

Comme ces rafiots dont
Les tôles
Au-dessus de la chambre
Des machines

Tremblent
En attaquant chaque vague

Un coup de vin comme une
Comme une couche
De minium

Et c’est parti !
Pour l’aventure d’un passage
De la mer rouge


*



J’ai fait euh !
Sans dire un mot

J’ai fait euh sans
Un geste

Sans bouger un cil
Tant elle était
Belle

J’étais broussaille
Dans une cour
D’usine

Où il pleuvait
Presque sans arrêt

Où les machines
Rouillées

Broutaient muettes
Des fleurs
De terrains vagues

Et lapaient
Au goutte à gouttes
Le ciel noir

Elle est partie
Sur un brusque coup
De vent

Par les carreaux
Cassés de mes yeux

J’ai fait euh ! mais
Déjà c’était trop tard


*



Ils ne sont jamais contents
Là-dedans
Comme s’ils avaient connu
Mieux avant

D’être pris
Au piège de cette naissance
Où le corps

Retenait une âme en prison
Dans la peau

Ailleurs d’où ils venaient
A les entendre
C’était ceci ! C’était cela 

Ici à la cantine de la matière
Tout le monde
Parle en même temps et crie

Alors
Qui suis-je pour les aligner
Sur deux rangs

Et même quand il pleut jouer
Sous les platanes
Du sexe

A la marelle du plaisir
Ou bien à la barre de séduire

Les anges
Sont hélas ! des gens sérieux



*
Par le Saint Lait de la Vierge
Qu’on promène
A travers de nos campagnes
Dans une fiole

Par la Sainte Sandale
De Saint Joseph ramenée des
Croisades

Par le Saint Prépuce du Christ
Dont les morceaux

Tous recousus
Doivent ressembler à un pneu
D’avion cargo

Par les Saints Poils des Saints
Et ceux de la barbe
De tant d’apôtres et prophètes

On ne craint pas
Pour la crédulité des hommes

Sauf quand on songe
A l’amour qui tant les terrorise


*

Il faut se faire une raison

Femmes jeunes filles
Et garçons
Ne me voient plus comme
Pouvant
Encore faire l’affaire

Ne me suivent
Que de petits nuages
A condition de lever l’œil

Quelques pluies
Quand j’oublie mon pépin

Et la nuit
Toujours fidèle
Comme un cachou sans fin

Dan la bouche
Infatigable de mon souffle



*

Lors du pillage
D’une caravane d’Ethiopie
On a trouvé
Deux malles en fer
Pour le bateau de Marseille
Qui part de Djibouti

Dedans il n’y avait
Que des carnets griffonnés
Et des bouts de papier
Beaucoup
Dont l’encre semblait pâle

On s’en servit
Parce qu’ici le bois est rare
Pour allumer le feu
Du bivouac
C’était mieux que la crotte
De chamelle

Quelqu’un a reconnu écrite
En français
Et en arabe l’en-tête
De lettre
Du marchand d’armes A. R.



*


Pourquoi le temps s’est-il mis
A tourner en rond

Les jours à ressembler au jour
D’avant et les nuits
Sans sommeil

A vider les eaux
Usées de nos veilles infertiles

J’aime cependant d’un vague
Amour irraisonné
Le soleil qui se lève sur la mer

Et aussi
Quand il retombe sur elle pour
S’enlacer à l’horizon

Que s’est-il donc passé la mort
N’est plus cette bulle

Qu’on fait danser
En soufflant vers l’autre coin
De l’univers



*

Lentement j’entre dans l’ombre
Comme l’hippopotame
Dans l’énorme boue

Où personne
Ne viendra lui chercher querelle

Doucement
Le soleil s’éteindra
Longuement la nuit va tomber

Longuement
Nous demeurerons dans la nuit

Nous aurons besoin de la durée
Pour réparer les dégâts


Werner Lambersy, 2005/2010

Mes nuits au jour le jour, (extraits) Inédit

Soudain
Tous les arbres font le
Même signe
Et désignent l’horizon

Soudain
Tous les oiseaux rangent
Leurs plumes
Dans la virgule des ailes

Et je ne sais
Pourquoi je vois pour la
Première
Fois mon ombre qui se


Détache

Et fait tache
Contre le mur d’en face
Qui me sépare du souffle
**

L’air passe
Comme s’il partait à la guerre
Sans idée
De retour dans les poumons

Il reste le creux de ta main
Dans l’oreiller
Et les parfums de ton corps

Je regarde dans la lucarne
S’il faut attendre
Que les étoiles
Tombent à côté de la terre
***
Un oiseau inconnu
Qui se pose sur une antenne tv

Un sous-marin
Qui sort soudain son périscope

Un mort qui dort
la bouche ouverte sur un mot

le kaki qui pend
Sur l’arbre pendant tout l’hiver

L’ouvrier qui n’a
Plus que sa main sans ouvrages

Ton amour qui
Fait du stop au bord de la route

Les mal enterrés
De la Shoa et de nos génocides

L’horrible sort
De ceux dont on ne veut pas :

Un mot un mot
Encore et peut-être un poème


A paraître courant 2023 aux éditions La chouette imprévue, Amiens
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Mémento du Chant des archers de Shu (Extraits)
MaelstrÖm reEvolution, Bruxelles - 2021


Quand
Le soleil emplira totalement
Immensément
La boule flamboyante du ciel

Qu’il montrera sa bave rouge
Ses babines en sang
D’avoir dévoré
Goulument la planète Terre

Nous ne serons plus là !

Pour en parler avec
Enthousiasme et les hourras
Nécessaires devant
Un apéro en terrasse au bord
D’une onde océane
Qui murmure solennelle son
Inlassable rengaine
Tandis que nous profiterons
D’un crépuscule théâtral

Quand tu t’en vas Ô soleil
Pour une nuit à l’autre bout
De l’Infranchissable
Pour revenir avec les
Vêtements neufs d’une aube
Pleine d’oiseaux

Nous ne serons plus là !

Mais nous aurons été et qui
Sait ! serons-nous
En filigrane à ton apothéose

Nous aurons vécu victimes
Et prédateurs
D’une vie toujours obstinée

Jamais nous ne fûmes petits
Dans le mystère tyrannique

L’énigme insupportable et
Impardonnable de naître
De connaître la mort

Quand
Le soleil aura gorgé l’éponge
Rouge

Rongé l’horizon dans un zona
Dantesque
Et meurtri l’éther
D’une ecchymose ineffaçable

Nous ne serons plus là depuis
Très longtemps !

Pas plus que l’herbe qui riait
Quand le vent lui
Chatouillait la plante du pied
Ou que l’arbre
Qui chuchotait un secret dans
Les feuilles
Qu’il tenait devant sa bouche

Nous ne serons plus là depuis
Longtemps
Pas plus que la machine ronde
Des nuages
Dont nous suivons la promesse

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ARTICLES

Jean Claude Bologne : Werner Lambersy, Mémento du Chant des archers de Shu

Le Chant des archers de Shu, voici quelque trois mille ans, évoquait la nostalgie de soldats chinois en campagne contre les Mongols et leur sentiment, à leur retour, de n’être plus vraiment chez eux. La souffrance les a marqués à jamais. En 1915, Ezra Pound en publie une adaptation personnelle, à laquelle fait écho le Mémento de Werner Lambersy. La transmission constitue le cœur même des deux longs poèmes qui constituent ce recueil, jusqu’à la postface d’Otto Ganz qui a son tour s’approprie le texte de Werner Lambersy.
Le premier poème, « Mémento du Chant des archers de Shu », se construit autour d’une formule obsessionnelle, « Nous ne serons plus là » ; le second, « Contumace », se construit autour d’une formule opposée : « Je n’étais pas là ». Le passé, le futur ; le singulier, le pluriel ; l’éternité qui nous précède et celle qui nous suivra. Entre les deux, ce bref passage de la vie où l’on ne fait, en fin de compte, que rejoindre le grand troupeau de ceux qui ne sont plus. C’est pour ceux-là aussi que l’on vit, par contumace, — « Ô vous / mes débranchés de / la surface ». Tous ceux qui nous ont été repris « comme on coupe à table / et au couteau / un fruit tombé de l’arbre ». Cela pourrait paraître désespérant, désespéré ; c’est au contraire apaisé, apaisant. Car « le vide est plein / de vos voix et c’est une chose qu’on n’est / pas prêt de me reprendre ! »
Ce second poème pourrait servir d’introduction au Mémento qui le précède. Ne sont-ce pas aussi les archers de Shu, ces disparus dont nous porterons à tout jamais la trace ? Et en assumant la longue plainte des archers — « Nous ne serons plus là » — le poète ne les rejoint-il pas dans ce lointain passé qui sera notre futur ? Le poème évoque longuement la fin — la fin du monde, la fin de l’homme — dans un camaïeu de rouge qui s’élève au cosmique — l’incendie, le soleil mourant — en se fondant sur le plus banal quotidien — la betterave, le rouge-gorge, les fruits… ou la prétentieuse rosette au revers des vestes. Le rouge du sang, le rouge du feu, le rouge du vin, mais aussi le rideau rouge que le soleil tirera un jour sur le théâtre du monde.
Ici encore, ce qui pourrait apparaître comme désespérant, désespéré, n’est qu’un chant apaisé de confiance. « Nous ne serons plus là ! / Mais nous aurons été » : celui qui a pleinement vécu aura participé à la beauté du monde, et cela, rien, pas même la mort, ne le lui reprendra. Et pour cela, peut-être, lorsque le soleil même s’éteindra, longtemps après les derniers hommes, peut-être le poète se retrouvera-t-il « en filigrane à [son] apothéose ». Oui, ce chant qui s’ancre dans la fin, dans le néant, est un grand chant d’espoir, pour ceux qui sont « pétris de plénitude », car en se fondant au monde ils ont échappé à la contingence. « Souviens-toi comme l’univers / Faisait / De nous la totalité de l’avenir ». Ceux qui ne sont pas là, à l’inverse, sont ceux qui n’ont connu que les fleurs sans parfum, le sexe sans amour. Chanter, même la fin du monde, c’est entrer dans une autre dimension. Nous ne serons plus là… « Mais nous aurons chanté / Dansé bu ri et loué de n’être plus là ».
Cette confiance absolue dans les forces de l’amour, de la fusion cosmique, de la poésie est une constante dans l’œuvre de Werner Lambersy — ce n’est pas un hasard si apparaissent, au détour d’un vers, Ulysse, les komboloï, le chant d’Orphée qui font de ce Mémento un regard rétrospectif sur son œuvre. Rarement elle n’a été si lucide, si évidente, jusque dans ses paradoxes, car en fin de compte, « On meurt / toujours d’un poème sans pouvoir / l’achever ». Qu’importe, puisque le poème nous dépasse et nous emporte avec lui ? En cela, le chant des archers de Shu, qui ne se sentent plus chez eux à leur retour, est un chant de victoire. Le poète, avec eux, a conquis un ailleurs qui échappe au temps et à la destruction. (à consulter : http://www.jean-claude-bologne.com )



Lundi 14 Novembre 2022
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