BIOBIBLIOGRAPHIE
CHRISTIANE SCHAPIRA
J’ai commencé à lire quand d’autres avaient déjà presque tout lu.
Quand le cauchemar qui hanta mes nuits prit fin et révéla le sens je pus commencer à écrire.
Ainsi fut la Loi de mon père.
Née à Nice dans le quartier de la Madeleine. Pose comme modèle pour payer ses études aux Arts Décoratifs. Elle fait 36 petits boulots avant de devenir journaliste. Entreprend parallèlement un cursus universitaire en études théâtrales à Nanterre.
R o m a n s
“ Le lit de ma mère”, Editions L’Amandier (2006) préfacé par Joël SCHMIDT
“ L’été de Lou “ (inédit)
“ L’héritage “ Editions DCL (2000)
“ Avenue Kalinine “( inédit)
“ Un homme sur le quai “ (inédit)
“ Enfance “ (inédit)
T h é â t r e
“ LELLA, Danielle Casanova, une vie “, Editions L’Amandier 2004 (préfacé par Marcel BLUWAL)
“ Des Bruits sans importance “, Editions Comp’Act (2OO3). Lauréate des Journées de
Lyon des Auteurs de Théâtre.
“ Flash “ in La plus grande grande pièce du monde Editions L’Amandier 2002
“ Un après-midi au soleil ” drame intimiste (inédit)
“ Racket “ pièce policière (inédit)
“ Ce qui appartient aux nuages “ drame intimiste (inédit)
“ Une journée exceptionnelle “ drame intimiste (inédit)
Pièces courtes : “Un beau voyage “, “ La femme assise sous le couteau “, “Dernier métro “
Quand le cauchemar qui hanta mes nuits prit fin et révéla le sens je pus commencer à écrire.
Ainsi fut la Loi de mon père.
Née à Nice dans le quartier de la Madeleine. Pose comme modèle pour payer ses études aux Arts Décoratifs. Elle fait 36 petits boulots avant de devenir journaliste. Entreprend parallèlement un cursus universitaire en études théâtrales à Nanterre.
R o m a n s
“ Le lit de ma mère”, Editions L’Amandier (2006) préfacé par Joël SCHMIDT
“ L’été de Lou “ (inédit)
“ L’héritage “ Editions DCL (2000)
“ Avenue Kalinine “( inédit)
“ Un homme sur le quai “ (inédit)
“ Enfance “ (inédit)
T h é â t r e
“ LELLA, Danielle Casanova, une vie “, Editions L’Amandier 2004 (préfacé par Marcel BLUWAL)
“ Des Bruits sans importance “, Editions Comp’Act (2OO3). Lauréate des Journées de
Lyon des Auteurs de Théâtre.
“ Flash “ in La plus grande grande pièce du monde Editions L’Amandier 2002
“ Un après-midi au soleil ” drame intimiste (inédit)
“ Racket “ pièce policière (inédit)
“ Ce qui appartient aux nuages “ drame intimiste (inédit)
“ Une journée exceptionnelle “ drame intimiste (inédit)
Pièces courtes : “Un beau voyage “, “ La femme assise sous le couteau “, “Dernier métro “
EXTRAITS
LE LIT DE MA MÈRE
1
Je l’aurais suivie n’importe où ma mère, là où personne n’était jamais allé, et plus loin encore si elle me l’avait demandé. Ma docilité n’était ni remarquable ni extraordinaire. Elle tenait naturellement dans l’amour qui m’unissait à elle. Ma main dans la sienne, je retrouvais contre sa peau fine et délicieusement moite, son ventre obscur et chaud d’où, ayant pris mes aises, on avait dû me déloger par force. J’en étais sortie fort en colère. Le teint jaune et les genoux cagneux.
Ce jour-là aussi elle m’avait tendu sa main. J’avais quitté sans regrets mon jeu d’osselets. Depuis un moment je répétais l’ouverture sans pouvoir retenir sur le dos de ma main gauche que deux ou trois pièces. Tout ce qu’elle avait dit à mon père au sujet de la promenade où elle m’emmenait n’avait guère retenu mon attention. Je n’avais pensé qu’au monde à venir qui aurait le visage et la couleur des yeux de ma mère où rarement je me vis. Je l’avais suivie.
On avait pris l’autobus numéro trois juste en dessous de chez nous, avec mes oncles, mes tantes et ma mère. Coincée sur la banquette entre mes deux tantes j’avais commencé à rêver de la mer. Mais à Magnan, tout en bas du boulevard de la Madeleine où les immeubles cachent la mer, l’autobus avait tourné à droite au lieu de tourner à gauche. Tout contre mon oreille la voix de mon père m’avait soufflé, c’est un rapt, tu le sais, les cartes le disent, et sa voix avait rempli ma tête d’une sono aux décibels fous. Je m’étais levée d’un bond, le bras tendu dans l’autre direction. C’est là, c’est là, je pleurnichais. Mais ils m’ ignoraient. Ils regardaient par la fenêtre, apparemment captivés par le spectacle de la rue. Je m’étais glissée entre leurs jambes pour voir ce qu’ils voyaient, mais l’oncle Edouard, comme pour parer un mauvais coup, avait tendu son bras. Stop ! on ne passe pas. Et les paroles oubliées de ma mère revinrent avec la force d’un boomerang. On irait au Château, on partirait du Port, on goûterait à la Cascade. Et mon père : c’est bon.
Ma mère m’avait menti. Je la regardais avec une telle intensité que mon regard aurait dû la brûler, mais elle ne sentait rien, elle était toute au spectacle de la rue, seule, sans moi. Et l’autobus filait dans l’avenue bordée de platanes. Le soleil ricochait sur leur visage et celui de ma mère léché aussi par l’ombre avait de brusques effarements qui durcissaient ses traits. Devina t-elle enfin que je la regardais ? Elle tourna la tête vers moi sans me sourire et se replongea vite dans le spectacle du dehors. Son buste avait à peine pivoté, mais j’eus le temps de voir que sa pupille d’ordinaire si sombre semblait éclaircie. Elle paraissait gênée, mal à l’aise, et l’espace d’une minuscule seconde j’eus pitié d’elle. J’aperçus au loin une coulée blanche dévalant la colline. Je me demandais où nous allions.
Bientôt le Trois nous jeta sur la place de Caucade. Il faisait beau. Une brise légère et molle berçait ce temps printanier. Pourtant, quelque chose n’était pas au diapason. Je sentais autour de moi s’étendre un vide illimité, puis je perçus le silence. Un silence étrange. Comme en attente de quelque chose . Je regardai de tous côtés. La mer n’était nulle part.
Et maintenant je marchais à leur suite, la peur au ventre, dans le silence habité par le thrène des graviers, regardant droit devant, brûlée au passage par les regards figés dans les médaillons postés comme une haie à ma peur, redoutant de rencontrer les yeux de Paulina puisqu’il était désormais acquis que ma mère m’avait menti pour m’emmener ici. Je ne baissais pas les yeux malgré la lumière aveuglante réflêchie par la blancheur des marbres et des stèles historiées, gravées à l’or, ou effacées par le temps, et devenues ce vide où le ciseau du graveur ne parlait plus que d’oubli. Puis l’odeur, cette odeur si particulière des fleurs des cimetières croupissant dans une eau oubliée depuis des siècles et pourrissant le métal même, me sauta à la gorge. Elle devait être là depuis que nous avions franchi les grilles du cimetière, mais je n’avais pu la percevoir à cause de ma stupeur, de ma mère qui serrait ma main à la broyer, des visages dans les médaillons avec leur beau sourire et leurs yeux qui faisaient si mal, et le chant funèbre des graviers. C’est alors que pour échapper à la peur j’avais commencé mon jeu derrière l’oncle Edouard qui, appuyé sur sa canne, arrachait au sol sa mauvaise jambe. Et puis soudain une trouée bleue là-bas, tout au bout de l’allée, qui s’agrandissait dans les cyprès. Une allégresse infinie de tout mon être déborda et ce fut si fort, si inespérée cette joie qui m’ailait, que je craignis qu’ils n’entendissent ce chant . J’allais m’enfuir par là, par ce trou dont j’ignorais si c’était la mer ou le ciel, et rien ni personne ne me rattraperait quand je m’élancerais, et l’oncle Edouard moins que les autres avec son mauvais pied qui faisait souffrir les graviers.
Voilà pourquoi je les suivais, apparemment docile. Je m’appliquais à ne rien changer au jeu commencé après que ma mère, me croyant ferrée, eût lâché ma main pour prendre sa place entre l’oncle Edouard et l’oncle Joseph qui tripotait sa moustache, et les tantes Ida et Jeanne à chaque bout du rang. Calquant leur pas sur celui de l’oncle Edouard, ils pratiquaient une sorte de lévitation dansante .
La tante Jeanne, l’épouse de l’oncle Edouard, portait un chrysanthème comme si elle eut porté le Saint-Sacrement. Mon autre tante, Ida, l’épouse de l’oncle Joseph, ne portait rien. En passant elle m’avait jetée tout bas : tu n’as pas froid ? Ma mère tenait à la main son éternel cabas noir. Et le rang s’était fait. Et tout de suite j’avais commencé de singer l’oncle Edouard. Pied droit dressé sur la pointe, le gauche posé bien à plat, ce qui donnait un élan fauché et raide à mon corps à cause de mes genoux plâtrés. A chaque pas l’oncle faisait un effort terrible pour compenser la jambe courte du pied bot. Un peu de poussière retombait sur ses chaussures noires frottées au bas de nylon par la tante Jeanne, un truc qu’elle avait donné à ma mère pour faire briller le cuir et j’ignore pourquoi, alors qu’il était question de chaussures, à cet instant le mensonge de ma mère m’apparut comme très grave et l’absence de mes cousins comme une injustice que je ne m’expliquais pas. Tout en surveillant les tombes du coin de l’oeil, j’avais inconsciemment accentué mes grimaces au point qu’à un certain moment, perdant l’équilibre dans le pas que j’allongeais, mes genoux s’entrechoquèrent et je faillis tomber, mais je me redressai vivement et continuai de me moquer sans rien perdre de ce qui défilait en tressautant de part et d’autre de l’allée. On aurait dit la mauvaise copie d’un film de débutant où la vedette se faisait attendre. D’où surgirait Paulina ? D’un médaillon sur ma gauche ? Sur ma droite ? Plus que dans la chambre de ma mère où elle me surveillait sans relâche, je redoutais de rencontrer ses yeux. Quel regard aurait-elle ici dans le silence habité par l’odeur infecte et le bardit des graviers ? Dès mon réveil, ses yeux épiaient le moindre de mes gestes et jusque dans mon lit où, pour qu’elle ne me vît pas nue, je m’habillais en me trémoussant sous mes draps. Le dimanche, l’oncle Edouard venait chez nous avec les autres. Il me prenait sur ses genoux et la joute commençait. Tu seras institutrice comme elle, disait l’oncle, à quoi mon père répondait que je serais ce qu’il voudra. L’oncle n’avait pas un regard pour lui. Il poursuivait : tu auras ses livres, sa tresse, tu as vu comme sa tresse est belle ? Ta mère en prend grand soin ; elle l’aère, la poudre, la peigne. Tu en sera fière, elle est de la même couleur que tes cheveux. Je m’ordonnais de me taire de peur qu’un seul mot ne ressuscitât la morte. L’oncle Edouard continuait. Mais pourquoi les bons partent-ils les premiers ? Tu peux me le dire ? Je n’en savais rien. Mais l’eussè-je su, je me serais gardée de le dire. Le silence m’habitait plus sûrement que le babillage des enfants de mon âge. Eux, ils appelaient ça ma fausseté.
Mon père insistait : elle fera comme je voudrai. Il blêmissait sous le regard que lui consentait l’oncle Edouard, un regard agacé de géant pour la sussuration d’un moustique. Ma mère tentait une diversion, des banalités qui n’intéressaient personne. Pftt, prétextant du papier de cigarettes à acheter, mon père filait en douce.
“ - Mais qu’est-ce qu’elle fait ! regardez-la cette mauvaise !”
Le cri de ma mère m’avait fait sursauter. Arrêtés tous les cinq, groupés et tournés vers moi, ils paraissaient imiter dans leur pose figée une de ces scènes particulières au théâtre meyerholdien (scène que j’identifie aujourd’hui comme appartenant au jeu de scène de Meyerhold depuis que, initiée par Jean, je cours les théâtres). Leur air scandalisé n’était pas feint. Je m’approchai. Tout de suite je vis la photo dans l’ovale du médaillon, et tout de suite les yeux de Paulina me fixèrent sans sourire.
Les autres ne me regardaient plus. Ils vaquaient à d’étranges occupations. La tante Jeanne avait posé le chrysanthème sur le tertre, et, avec l’aide de ma mère, arrachait les mauvaises herbes. Les yeux de Paulina et tout ce blanc me brûlaient cruellement mais je ne bougeais pas. Retranchée dans des ressassements infinis, j’anticipais sur ce temps futur où rien de ce qu’elle avait été ne serait visible dans ma personne : je n’aurais pas de tresses, mes cheveux seraient courts, mes sourcils ne seraient pas en friche sur ma paupière, et l’oncle Edouard et les autres ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. Et puis le chrysanthème tomba et ma mère cria que ça portait malheur. Elle dit cela dans sa langue mais je compris, et tout aussitôt l’oncle Edouard la tança pour ce qu’elle venait de dire. J’aperçus les pétales blancs épars sur la terre, mais je vis surtout, semblables à celles de mon lit, les arabesques blanches de la tombe que l’oncle Joseph avait entrepris de repeindre. A ce moment-là, quelqu’un mit sa main dans mon ventre et de toutes ses forces appuya dedans. J’étais stupéfaite, terrorisée par l’intrusion intime et suppliai ma mère du regard, mais je rencontrai les yeux de Paulina. Elle me regardait encore, pas comme tout à l’heure, mais plus durement. Je me mis à trembler. Puis quelqu’un hurla à vous glacer le sang. Les cris me terrifiaient mais j’étais incapable de bouger. Ma mère m’avait brusquement saisie par la taille et me baillonnait de sa main gauche. Je secouai la ferraille de toutes mes forces en lui donnant des coups de pied. Je me blessai. Un peu de sang coula le long de ma jambe. Et ma mère qui cherchait à fourrer son poing dans ma bouche. Je tremblais. Suffoquais. Mes oncles et mes tantes m’encerclaient comme une meute la proie. Je compris alors que c’était moi qui me vidais de mon souffle, de ma vie, répandant dans le soleil, sur tout ce blanc et sur la pourriture, un peu de ce qui aurait pu me faire et qui s’en allait dans les allées du cimetière où sur mes cris les graviers bémolisaient.
Ma mère me gifla. Puis elle défit mes doigts des arabesques en me traitant de peste. Je me laissai emporter dans l’allée avec la main qui tenait toujours serré le dedans de mon ventre. C’est à ce moment-là que j’entendis le bruit. Un martèlement sourd pââââm pam pââââm pam pââââm pam. Je me retournai vivement et je le vis.
L'ÉTÉ DE LOU
1
Louise se pencha sur le bastingage. Un boulevard d’écume vers l’infini se perdait dans un bleu presque noir où jouait le soleil. Sur la coque du navire le bouillonnement laiteux troublait à peine le silence du grand large. Louise ferma les yeux et s’offrit au soleil. C’était toujours comme ça que commençaient ses vacances : avec la traversée le soleil et le silence. Sous ses paupières closes elle revoyait à la proue les femmes à demi nues. Elle s’amusa à deviner celles qui iraient sur la côte Ouest, et celles qui choisiraient la côte Est. Elle aimait ce jeu pour son seul goût de l’observation puisque rien ne le validerait. Elle ouvrit les yeux et son regard se fixa soudain vers le lointain. Elle appela les jumeaux qui couraient dans les coursives et saisit d’autorité la main de la petite fille. Elle se pencha vers elle : Là-bas, regarde ! et posa ses lèvres sur la tempe de l’enfant à l’endroit précis où elle devinait leur fièvre.
Une masse grise et floue avait brusquement surgi de l’eau. Ce n’était encore qu’un bloc informe et sombre, mais au fur et à mesure que le navire déchirait l’eau, la forme se précisait, et dans le contre-jour on aperçevait les entailles du Cap.
Maintenant, le contour des montagnes se dessinait nettement. Quelque part dans l’intérieur, se cachait Campo, le village paisible, la maison aux volets verts, clos onze mois sur douze, et Louise savait que les jours à venir ressembleraient à ceux des étés passés : Elle ouvrirait la maison, ferait ses visites deux jours après, dix jours plus tard Lucas arriverait. Ils feraient des promenades en montagne, Lucas pècherait, Louise se mettrait en cuisine, ils liraient, écouteraient de la musique, et le soir ils se retrouveraient chez Antoine et Marina à l’heure de l’apéritif. Ils seraient en vacances. Heureux avec ces petits riens..
La voiture de Louise filait à vive allure sur la Nationale. Elle ajusta le rétroviseur et regarda ses enfants dormir sur la banquette, la petite fille blottie entre ses frères, sa jupe gonflée par le vent. Elle faillit oublier la bifurcation et freina sèchement pour quitter la Nationale.
A présent accouraient à elle quelques pâturages. Mais vite ils disparurent et la route ne fut plus qu’une succession de virages, de profonds replis avec les montagnes qui surveillaient tout cela de haut. La végétation avait changé. C’était devenu un fouillis de lierres, de ronciers, d’ arbousiers, de fougères, de renouées, de lianes enlacées aux poteaux télégraphiques, et de cette folie végétale émergeaient parfois des châtaigniers, ou des tombeaux.
Ils roulèrent encore longtemps. N’en finissant pas de monter, de tourner. A gauche, à droite. Puis à droite à gauche sans fin. Quand ils s’engagèrent sur une mauvaise petite route, ils avaient épuisé les virages de la départementale. Au détour d’une boucle raide Campo fut là. Louise coupa le moteur et sortit sur la place.
2
Au bruit de la portière que claqua Louise, Mario Paolini bondit à la fenêtre. Sa main se crispa sur la banane où il sentit la crosse du revolver qui ne le quittait plus. Il ajusta son regard derrière les jalousies entrebâillées depuis le matin par sa mère. Un piège !? Il redoutait des hommes et ils envoyaient une femme ! Celle-ci s’étirait devant la portière ouverte de sa voiture. Elle se retourna, considéra un instant la maison des Paolini derrière ses lunettes noires, puis se détourna. Ce visage lui rappelait vaguement quelqu’un. Une porte se ferma doucement dans la maison et il entendit le frottement de pas légers sur le plancher. Etait-ce Battista qui changeait de poste ou sa mère ? Il reporta son attention sur la place. La jeune femme n’y était plus. Sa main à nouveau se crispa sur l’arme, mais il la retrouva un peu plus loin. Elle était montée sur le parapet surplombant le fameux à pic de Campo et contemplait les villages environnants. Elle portait un short, des baskets blancs. Ses jambes étaient élancées, ses mollets ronds, musclés. Ses cheveux mi-longs étaient retenus par un chouchou. Sportive, pensa Mario. Des cris le firent sursauter. De la voiture surgirent deux garçonnets et une petite fille qui coururent vers le parapet. Il se traita d’idiot. : Il aurait peur d’une femme maintenant !?
Ses enfants pendus à ses bras la faisaient trébucher et Louise riait. Elle se pencha pour les embrasser et déjà ils l’abandonnaient pour courir à la voiture d’où ils sortirent un ballon, des sacs, des chapeaux, des paquets de biscuits, une bouteille de coca-cola. Mario vit Battista s’approcher de la jeune femme. Lui, il dévala les escaliers. Entra chez sa mère. Il la trouva assise derrière la fenêtre, jalousies baissées, sa place préférée depuis qu’il était venu se mettre à l’abri au village.
“ - Tu ne dors pas avec cette chaleur ?
“ - Qui est-ce ?
“ - Qui ?
“ - Elle...
Mimi Paolini haussa les épaules. “ Les neveux de Perfettini... Elle vient tous les ans depuis quelques années...Tu sais qu’on ne se parle pas “....
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......Elle dépassa donc le sentier de la fontaine et le coeur battant aborda le tournant. Alors tout se décida. Elle eut la sensation que tout s’était tu en elle et tout autour et dans cette immobilité illusoire l’air devint brusquement étouffant. Une brume légère froissait la lumière déclinante et Louise entra lentement dans le tournant dans le ralenti d’une scène de film dont elle avait conscience. Le pas léger, le corps libre, elle était heureuse de sentir la vie battre de ses tempes à ses talons, et son corps vibrait d’une attente qu’elle ne savait nommer.
Elle le vit au sortir du tournant, juste sur la route au-dessus, accompagné de Battista. C’est à ce moment-là qu’elle entendit tonner. Un grondement qui déboula avec fureur en elle. Mais l’instant d’après elle ne sut pas si elle avait réellement entendu le tonnerre ou si elle l’avair rêvé. Dans un souffle elle récita “ Un coup de tonnerre dans un ciel serein ”. Les larmes à ses yeux annonçaient la fin de quelque chose qui n’avait pas commencé. Elle l’ignorait.”
L’HÉRITAGE
28
Hyacinthe s’aventure dans le village
Le village attendait dans la fièvre. Où se rencontreraient les Evangelista ? Puisqu’il était impossible qu’ils ne se rencontrent point dans cette rue unique écrasée par ce soleil promis aux mouches, où le moindre des pas ne pouvait être que faux car il se trouvait toujours quelqu’un pour dire qu’au lieu du gauche, c’est le droit que vous eussiez dû mettre, et que si vous aviez mis le droit, c’eût été évidemment le gauche qu’il aurait fallu poser en premier. Tout allait donc de travers. Mais aller droit eût été aller contre quelqu’un, aussi la sagesse conseillait de ne pas trop en faire.
(..................) Cinquante années d’absence avaient sans doute fait oublier ces petites conventions à l’oncle Hyacinthe qui, chapeauté, vêtu de blanc, jouant de sa canne se pavanait comme un coq.Les excès de l’enfant prodigue qui d’abord les avaient fait se gausser, enchantaient les villageois. Ils ne perdaient rien de ses moulinets, de sa manière de porter deux doigts à son canotier enrubanné pour saluer un inconnu, d’étreindre quelqu’un en l’assurant qu’il ne l’avait pas oublié en laissant choir ses syllabes de cette manière si particulière, et on se rendit bien vite compte qu’en effet, il n’avait oublié personne. Il avait une manière distinguée de s’incliner sur la main des femmes, jeunes ou vieilles, d’effleurer leur peau de ses lèvres encore fraîches et, l’étonnement passé, on conclut que Hyacinthe avait de bien belles manières. En très peu de temps, en quelques heures à peine, on commua son crime en erreur de jeunesse que l’on voulait oublier, mais qui, malgré eux, malgré tout, était là.
Donc, ils attendaient. Ils supputaient, imaginaient, espéraient, pariaient, oui ! pariaient aussi. Ils visitaient les recoins de leurs désirs, espoirs ou hypothèses, pas toujours avouables. Mais ç’en était presque touchant de les voir tout d’un coup fouettés d’un sang neuf, partis pour vivre l’éternité, pour qu’après Hyacinthe les plus jeunes puissent dire“ j’y étais”.
Et lui, le veuf d’Aurore, le voleur d’épouse, le paria, le renégat, mis au ban des salauds par sa mère, faisait ses moulinets, portait deux doigts à son chapeau. “Hé, toi, le petit, comment tu t’appelles ?” sachant pertinemment que l’enfant, petit-fils de la Susini portait le même prénom que Toussaint, le défunt mari de la Susini, qui lui-même avait le même prénom que son père mort à Soissons, ce qui donnait lieu à d’avantageuses méprises .
Son retour au lieu de ses origines, de son discrédit aussi, curieusement enthousiasmait Hyacinthe. Il en oubliait presque le serment fait sur le Sampiero avant de retrouver Aurore sur le quai de Nice. Cette langue reniée pendant cinquante ans malgré tout était la sienne. Ainsi, au lieu de circonscrire ses pas à la place de Casidéria, lieu neutre et éloigné de Valdella, malgré les protestations de ses cousines Hyacinthe s’aventura dans le village.
La respiration de l’après-midi était encore plus brûlante, et dans cette fournaise où les odeurs du maquis énervaient les sens, Hyacinthe alla de son pas dansant, le canotier désinvolte, la canne coquette rythmant le pas. Les persiennes étaient baissées sur une sieste improbable. Les portes fermées. Il passa trop vite et sans un regard devant la haute maison de grand-mère, et mes Félicie, quoique à l’affût, mais venues trop tard derrière leurs volets, durent se pencher surf la croisée pour apercevoir près de la cabine téléphonique, un peu cachés par les branches du mûrier, le pantalon blanc et la canne. Intriguées par l’immobilité de Hyacinthe, elles se penchèrent un peu et virent une jupe, ma jupe à larges fleurs rouges, frôler le pantalon. Elles s’en prirent aux branchers trop basses, à la cîme trop haute. Pourquoi tant d’ombre puisque la maison de Titus y pourvoyaient en courant bien au-delà de la rue et jusqu’au jardin du maire ? Et pourquoi ces branches n’avaient-elles pas été coupées, hein !? Malgré tous leurs efforts pour tenter d’apercevoir quelque chose de cette rencontre, ne fut-ce qu’une ombre, elles ne virent rien.
J’étais émue. Je devinais qu’il l’était aussi car il eut une infime crispation de la bouche pour refouler des larmes je suppose. Il m’enlaça, dit qu’il regrettait. Je me retins pour ne pas demander quoi. IL savait que je peignais et m’avoua posséder une petite peinture qu’il avait achetée lors de ma première exposition à la galerie Gioffredo. C’est drôle, moi qui n’oubliais rien, j’avais oublié celle-là. Puis, disant qu’on se reverrait bientôt, brusquement il me tourna le dos et s’en alla de son pas dansant, gracieux et désinvolte, jouant de sa canne.
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Cinquante années d’absence avaient sans doute fait oublier ces petites conventions à l’oncle Hyacinthe qui, chapeauté, vêtu de blanc, jouant de sa canne se pavanait comme un coq.Les excès de l’enfant prodigue qui d’abord les avaient fait se gausser, enchantaient les villageois. Ils ne perdaient rien de ses moulinets, de sa manière de porter deux doigts à son canotier enrubanné pour saluer un inconnu, d’étreindre quelqu’un en l’assurant qu’il ne l’avait pas oublié en laissant choir ses syllabes de cette manière si particulière, et on se rendit bien vite compte qu’en effet, il n’avait oublié personne. Il avait une manière distinguée de s’incliner sur la main des femmes, jeunes ou vieilles, d’effleurer leur peau de ses lèvres encore fraîches et, l’étonnement passé, on conclut que Hyacinthe avait de bien belles manières. En très peu de temps, en quelques heures à peine, on commua son crime en erreur de jeunesse que l’on voulait oublier, mais qui, malgré eux, malgré tout, était là.
Donc, ils attendaient. Ils supputaient, imaginaient, espéraient, pariaient, oui ! pariaient aussi. Ils visitaient les recoins de leurs désirs, espoirs ou hypothèses, pas toujours avouables.Mais ç’en était presque touchant de les voir tout d’un coup fouettés d’un sang neuf, partis pour vivre l’éternité, pour qu’après Hyacinthe, les plus jeunes puissent dire “ j’y étais”.
Et lui, le veuf d’Aurore, le voleur d’épouse, le paria, le renégat, mis au ban des salauds par sa mère, faisait ses moulinets, portait deux doigts à son chapeau. “Hé, toi, le petit, comment tu t’appelles ?” sachant pertinemment que l’enfant, petit-fils de la Susini portait le même prénom que Toussaint, le défunt mari de la Susini, qui lui-même avait le même prénom que son père mort à Soissons, ce qui donnait lieu à d’avantageuses méprises .
AVENUE KALININE
J’ai brusquement compris ce qui m’exaspérait. C’était leur jeu. Oui, leur jeu amoureux. Cette fausse fuite, ce ballet infernal qui n’en finissait pas là-haut et m’obsédait.
Etait-ce cela aussi qui m’avait perdue ? Mon incapacité à jouer ? Allons ! les joueurs perdent aussi. Mais pourquoi toujours continuer à me tourmenter ? N’avais-je donc pas tout épuisé de mes questions pour qu’ici encore i!l me faille trouver une raison pour comprendre ? Comprendre...Comme si tout n’avait pas déjà été passé au crible. Mais quoi ! Ce sont peut-être ces heures à venir et ce temps immobile qui m’angoissent. Parce que j’approche du but ? Ou parce que je m’éloigne un peu plus de nous ?
La nuit est tombée en emportant tout. Les câbles électriques, les rails, les quelques signes de vie dans la campagne. De loin en loin, un éclat furtif sur les rails, ou la crête luisante d’un poussier crève la nuit. Je me blottis un peu plus sur la banquette. Je revois notre chambre, le feu dans la cheminée, l’avenue de l’opéra sous l’averse, ma course éperdue sous l’eau, ma peur de ne pas pouvoir partir, ma colère à l’agence de voyage. Et puis la chambre, le feu dans la cheminée. Nos rires. Nos rires...
J’ai prononcé son nom, bien haut, comme s’il avait été là, et cette chair dessinée dans le vide entre les cloisons trop minces a enclos ma peur.
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Je marchais, marchais sans fin. Des frissons furtifs quelquefois me saisissaient mais je n’avais pas froid; J’étais attirée par un halo incertain et tremblant qui apparaissait par à coups dans la tranquillité brumeuse de l’après-midi finissant. Et j’allais vers cette hallucination en semant mes pas qui s’imprimaient dans la neige. Qui aurait suivi cette femme dont l’air absent suffisait à détourner le regard ? Qui se serait arrêté sur ce visage livide et défait aux yeux gonflés ? Combien de fois avais-je fait le tour du Kremlin et arpenté la rue Arbat ? Combien de fois étais-je entrée au Goum ? Les pieds meurtris par une foule pressée j’avais parcouru chacun des étages, l’allée la plus retirée, sans avoir jamais la curiosité de pénétrer dans les alvéoles où l’on vendait je ne sais quels objets dérisoires, sans jamais me dire, ne serait-ce qu’une seule fois, qu’à cette heure-ci Christophje était sans doute à l’Institut Elorg, dans un bureau de l’Intourist, ou dans une administration quelconque dont j’ignorais l’existence.
Je m’étais encore présentée en vain à l’hôtel Mezhdunarodnaya, au Droujba. A l’hôtel Belgrade j’avais insisté, au bord des larmes “- Frantsouskaïa, Frantsouskaïa “, mais le portier m’avait renvoyée avec de vigoureux niet. Je n’avais pas songé à lui glisser le billet de cinq roubles préparé à son intention et serré entre mes doigts gantés au fond de la poche de mon manteau dont la doublure à force d’être triturée se décousait. Maintenant je rêvais de m’asseoir, mais l’ombre noire d’un banc se profilant entre deux arbres nus m’en éloignait. J’y voyais un piège et modifiais ma trajectoire pour contourner l’obstacle.
La neige soudain changea. De larges auréoles jaunies s’étalèrent sur la chaussée, et la clarté diffuse des réverbères parut flotter sur des eaux blanchies par une aurore incertaine. Il y avait longtemps déjà que les skieurs de fond ne glissaient plus sur la neige, et les passants, noirs d’ombre, ressemblaient à de gros pions se mouvant dans l’espace d’un jeu sans fin. Le bras tendu, l’index et le pouce écartés, je les touchais, les réduisais, les déplaçais selon mon bon vouloir. Quand je décidais de les supprimer, je les faisais disparaître de mon champ visuel. Hop ! d’un coup, comme ça, et je souriais. Et j’en prenais d’autres tout aussi dociles que je manipulais à ma guise. Qui était ces ombres ? Pourquoi aucune d’elles ne m’était familière ? Pourquoi ne s’arrêtaient-elles pas ? Etaient-elles condamnées elles aussi à marcher de cet éternel pas lent dans la nuit de Moscou ? D’imposantes grilles sombres se dressèrent soudain sur ma gauche et un réverbère divulgua le fronton du parc Gorki. J’entrai. J’aurais pu continuer d’aller droit devant moi mais j’entrai. Le grand silence inerte m’oppressa. On aurait dit que toute vie s’était retirée depuis longtemps de l’endroit ou qu’elle n’y eût jamais pénétrée. Les branches malingres des bouleaux prétendaient à la conquête possible d’un ciel bas. Les allées étaient vides. Au loin, une tâche noire faisait comme un trou dans la neige. Etait-ce moi qui oscillait ou bien elle qui s’élargissait, s’allongeait, se ramassait sur elle-même, s’arrêtait enfin pour à nouveau s’étirer lentement ? J’étais intriguée. Qu’était-ce? Quand je ne fus plus qu’à quelques mètres de la tâche je frémis d’horreur et m’immobilisai. Des dizaines de corbeaux agglutinés au milieu de l’allée étaient une profanation sur la neige. Je les regardai effroyablement fascinée. Que feraient-ils si pour continuer ma route je m’ aventurais au milieu de leur corps funèbres ? Deux bêtes quittèrent le groupe et s’avancèrent avec une allure si hautaine et si raide qu’elle paraissait humaine. La neige crissait sous leurs serres dures. C’était inaudible, mais le grand silence du parc me laissait percevoir l’infime crissement comme ma respiration angoissée. J’abandonnai la doublure du manteau que je tripotais nerveusement et sortis mes mains de mes poches. Je reculai d’un pas. Puis d’un autre. Les deux corbeaux continuaient d’’avancer tandis que les autres paraissaient piétiner d’impatience. Il me revint avec une fulgurance inouïe des images d’une lecture ancienne dont je ne me souvenais ni du titre ni du nom de l’auteur. Je me souvenais seulement de la lutte, d’une lutte acharnée, à mort, entre un homme et un corbeau. Qui avait attaqué le premier ? De cela non plus je ne me souvenais pas. Mais je fus prise de terreur. Je les regardais s’approcher et il me sembla qu’ils me fixaient de leurs yeux noirs et cruels. Cherchaient-ils un point d’attaque. Je me mis à reculer pas à pas. Lentement, comme eux. Soudain je fis une brusque volte-face et me mis à courir dans l’allée. Au vrai, je m’y efforçais tant j’étais alourdie de fatigue comme pas mes bottes et mes vêtements. Je n’avais qu’une hantise, ne pas trébucher, ne pas tomber. Me poursuivaient-ils ? J’entendais leurs puissants croassements et tout à coup flotta au-dessus de ma tête un épais crêpe noir. Ils volaient en rase-mottes et leurs cris lugubres en martelant mes pas semblaient trouer la neige. Je courais, titubante, l’oeil désespérément fixé sur la monumentale grille. Pourquoi n’accourait-elle pas à moi? Mes jambes parurent se dérober. Une violente morsure fulgura dans mon ventre et l’urine brûlante coula le long de mes cuisses. Il me fallait me mettre hors d’atteinte et je me demandai avec angoisse si mon salut se trouverai en dehors du parc. Reculeraient-ils devant les autres ombres noires ces corbeaux dont les ailes dures frôlaient mes épaules en lançant leurs sinistres cris comme des jets de pierre ? J’avais peur de leur bec, de leurs serres, de leurs ailes. Et c’était ma peur qui me donnait ce souffle cahoteux et me traînait chancelante vers cette grille que, à bout de souffle, j’atteignis enfin. IL y eut derrière moi un grand bruit de sarclage et de feuilles froissées, des croassements convulsifs et je me retrouvai sous le réverbère auquel je m’adossais en tremblant. Je respirais avec peine, ne quittant pas des yeux les corbeaux qui piétinaient derrière la grille comme dans un no man’s land. Lorsque je fus enfin calmée, j’abandonnai lentement le métal glacé sous une huée de croassements hargneux.
UN HOMME SUR LE QUAI
1
J’étais nu. Je suais. L’air était irrespirable. La pièce où je me trouvais ressemblait à une misérable cahute faite de paille de branchages et percée d’un unique trou. Une meurtrière. Il faisait sombre. Dans l’étouffante atmosphère du lieu clos, je sentais s’accomplir quelque chose d’étrange, quelque chose de secret que réprouvait jusqu’à l’aigre souffle de l’air. Je me taisais. Attentif.
Suspendue au bout d’un fil une lampe brûlait. Une lampe de bouge. Minable. Elle oscillait. A moins que ce fût mon balancement qui laissait croire à l’oscillation de la lampe. J’enlaçais un corps nu et nous nous laissions doucement tomber sur la terre battue. Au même instant une nuée d’insectes s’abattit sur nous. Puis d’étonnants coquillages plats planèrent au-dessus de nos corps. Je n’étais pas sûr qu’il y eut de la lumière car j’avais du mal à distinguer précisément ce qu’étaient ces formes volantes. Je frissonnai. Dans la confusion de ces incertitudes je fis la seule chose qu’il convenait de faire : J’actionnai la poire électrique au-dessus de ma tête. La pluie d’insectes s’arrêta net. Sous mon corps l’autre était moite. Immobile. Tendu. Il me vint soudain une idée. Je lui demandai de ne pas bouger, me redressai doucement et me mis à croupetons. Je me croyais dans la pénombre, mais c’est en pleine clarté que je m’approchais de ces formes plates. A nouveau il faisait sombre. J’avançais ma main en tâtonnant et celle-ci entra en contact avec une peau visqueuse. Je la retirai en poussant un hurlement de terreur. J’avais réveillé des crapauds qui en de fantastiques bonds se posaient sur mon corps. Je me souviens très bien que j’hurlai de plus belle et allumai la lampe. Tout s’immobilisa dans l’instant. Je m’enfuis en courant. Oppressé. La route était noire. Je la devinais à peine. Mes talons, mon coeur, mes tempes battaient à un rythme fou. J’arrivai essoufflé dans une maison violemment éclairée. Quelqu’un m’attendait. On me questionna. Je ne sus comment expliquer mon retard. Je mentis. Moins à cause des crapauds que du corps nu que j’enlaçais avant de tomber avec lui sur la terre battue. La fenêtre crissa soudain. Je me retournai lentement. Une nuée d’insectes frappaient le carreau. Je voyais distinctement leurs yeux. Des boursouflures saillantes pas plus grosses que des têtes d’épingles. Je reculai. Craignant à nouveau le vol des crapauds. Je m’éveillai d’un coup. Haletant. L’avant-bras sur mon visage. Ce n’était qu’un rêve. Un de ces sales rêves qui vous font douter d’être éveillé et dont les images vous troublent longtemps. J’y repensais durant des jours et des jours. Il revint me harceler la nuit, par bribes. Tantôt les crapauds m’agressaient. Tantôt les insectes se glissaient entre les corps nus. Et cela toujours dans la même confusion : clarté-ténèbres, peur-volupté. Un jour il disparut subitement. Peut-être en raison des évènements qui suivirent.
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.....Je frémis quand je la vis quitter son siège et s’avancer dans la nef, seule, superbe, mystérieuse sous une voilette noire au tissage fin dont les bords étaient délicatement brodés. Je trouvai indécent son tailleur noir faussement strict cintré à la taille et dont l’échancrure révélait la naissance de ses seins. Le noir l’embellissait et le silence de l’endroit, son austère lumière ajoutait du mystère à sa beauté. Sa respiration brève comme une palpitation, le frôlement de sa jupe sur ses bas, son parfum léger, donnaient à ceux qui, le souffle retenu, la regardaient s’avancer, l’étrange impression d’un être fugitif venu dispenser le rêve.
Elle prit le violon contre le catafalque entre deux gerbes de roses et le coucha sur son épaule. Hébété, je vis son visage se poser contre la mentonnière, sa main se lever, l’archet frôler les cordes, s’y appuyer. Je vis la main de l’Amiral lentement se lever, Sonia se moucher puis tamponner ses yeux. Prépare la monnaie, me dit Renaud, et il me sembla que sa voix avait couvert la musique. Elle joua magnifiquement l’andante du trio numéro trois de Schubert et je me rappelai que c’était cette même musique que j’avais entendue deux jours plus tôt dans la cuisine où sur le sol reposait Diane..............
“Personnellement je trouve ce roman d’une force rare”. Pascal Quignard (1988)
DES BRUITS SANS IMPORTANCE
Mises en espace à Lyon, Paris et au Québec
Il dormait quand je suis entrée dans la chambre.
J’ai fermé la porte sans bruit derrière moi et je me suis accroupie.
Je m’étais déchaussée par précaution et j’ai avancé comme ça à quatre pattes jusqu’au lit.
Quand je suis arrivée tout près, j’ai levé la tête pour m’assurer qu’il dormait bien.
Ses yeux étaient fermés, sa bouche entr’ouverte.
Il respirait un peu fort et son haleine empestait à cause de tous les médicaments qu’il avale.
Et du vin aussi.
Je suis restée un moment immobile à l’observer. Il avait encore maigri. Ses joues étaient creusées.Ma mère n’avait pas eu le temps de le raser avant de partir et ses joues noircies lui donnaient un air sale dans tout ce blanc.
Ses paupières ne cillaient pas.
Il s’est soudain mis à ronfler.
J’ai avancé doucement la main sous le lit en surveillant le ronflement. Il avait pris un rythme régulier.
Mes mains touchaient des moutons, de la poussière, mais pas le portefeuille. Il avait du le déplacer...
LELLA, Danielle Casanova, une vie
La pièce a été créée en 2004 aux Rencontres Internationales de Théâtre de Corse dirigées par Robin Renuccci.
“.... Et tout ce qui reste en vous de naïveté vraie, de capacité à éprouver très fort remonte irrésistiblement et prend à la gorge (....) Par des lettres adressées par une femme à une femme et ne parlant que de femmes constituées en choeur de femmes détenues à Birkenau. Et que tout cela, poétique au sens vrai du mot, c’est à dire, disant métaphoriquement la vérité avec une véritable exactitude me touchait au foie comme soixante ans plus tôt, jeune homme, je l’avais été quand, dans les petites éditions clandestines des Editions de Minuit, je lisais ARAGON et ELUARD sans même savoir que c’est eux que je lisais. Totalement historique et totalement a-historique. Osant “ La Marseillaise“ et parlant des “ Boches “ sans le moindre ridicule. Totalement optimiste mais avec des mots à chaque fois lestés du poids de l’horreur absolue du quotidien des camps. La vie “ d’avant ” revécue de plus en plus fort par “ LELLA “, Danielle CASANOVA, pour résister à la mort. La vie, triomphant finalement de la mort dans cette mort même.
Et on se dit que ça ne va pas pouvoir durer comme ça jusqu’au bout du manuscrit, dans cette naïveté première soigneusement calculée. Et ça dure. Maîtrisé jusqu’au dernier mot. Et théâtral .
J’ai été très impressionné. Voilà.”
Extrait de la préface de Marcel BLUWAL
ENFANCE
Aux côtés de Charles elle marchait en silence. Elle pensa qu’elle pourrait presque aller les yeux fermés dans cet hôpital. Il y avait toujours ces mêmes odeurs fades de corps moites, de désinfectants, de linges souillés, de cuisine insipide, et ces odeurs lui rappelèrent ce temps d’apprentissage où elle lisait dans les ballots de linges arrivant à la Niçoise. Mais bien avant déjà elles avaient été celles de son enfance, ses premières odeurs elle pourrait dire. Ont-elles été aussi celles de Charles ? Elle voulait dire : s’en souvient-il comme elle ? Bof, il répondit. Elle insista.
“- Je ne m’en souviens pas et je m’en fous..... Le passé ça ne compte pas”.
Elle s’insurgea : “- Faux ! Je n’ai rien oublié, moi.
- Toi, tu es trop fière.
- Ce n’est pas une tare.
A la dérobée elle observa ce frère taciturne. Qu’est-ce qui les liait ? Le sang ? Elle haussa les épaules. Idiotie. Louis lui avait appris que rien ne serait jamais acquis, que toujours elle aurait à monter au front et il n’était pas sûr que Charles eût à en faire autant. Ni par nécessité, ni par choix. Curieusement l’idée l’effleura qu’elle ne l’enviait pas.
Rien n’avait changé. Leurs talons claquaient toujours sur le dallage. Les peintures sur les murs avaient toujours la même couleur indéfinie : pas vraiment grise, pas vraiment bleue, pas vraiment beige, mais un ton délavé, indécis, où rien, nulle part, ne rappelait la couleur du premier jour ; pas une rainure, pas un coin, pas un plafond, pas une porte que le temps n’eût épargné.
Rien n’avait changé. Depuis quand n’était-elle pas venue ici ? C’était quand la dernière fois ? Elle n’eut que peu d’effort à faire pour revoir le corps gonflé d’eau nu sous sous le drap, les bandelettes serrant les poignées et les chevilles, mais encore la force de gueuler “ t’aim’rais m’voir crever, hein, mais j’ ai pas crevé...ça t’la coupe, hein !... Et avant ? C’était où avant ? C’était quand ? Hurler. Hurler jusqu’à la fin pour qu’on l’entende.
Dans le couloir interminable Charles marche sans se soucier d’elle. Voit-il comme elle à travers les vitres sales le jardin central planté de bégonias et de pensées et les malades en pyjamas assis sur les bancs ?
Rien n’a changé. Même tableaux, mêmes gestes, mêmes odeurs singulières.
“ -C’est ici “.
Charles pousse la porte. Même chambre. Même lumière. Même odeur. Non ! une autre ici....une nouvelle. Marie la hume.
Louis n’a pas un regard pour la porte, pas un clignement d’yeux, pas un tressaillement du visage ou des mains inertes abandonnées sur le drap.Il voyage dans un monde parallèle, le regard fixe, la bouche entrouverte exhalant une odeur pestilentielle. Sous la couverture le corps semble encore plus maigre.
L’infirmière doucement reposa le poignet de Louis sur le drap puis elle baissa le store. Marie l’enviait. Comment ça battait là-dessous ? Comment ça vivait là-dedans ? Elle fit mine de ne pas voir Charles se pencher pour embrasser leur père. Elle n’avait d’yeux que pour le médecin et l’infirmière. Scrutait leur visage intensément, y cherchait la réponse à la question qu’elle brûlait de poser, et comme elle se heurta à leur étonnement, elle transporta son regard vers son père.
Louis tourna un peu la tête vers elle. Sa bouche s’ouvrit. Mais rien.
- Ne vous fatiguez pas dit le médecin en lui tapotant le poignet.
Mais lui voulait. Seul un râle porté par l’effort s’éteignit sur ses lèvres blanchies.
- Allons, allons, gronda le médecin, ne vous fatiguez pas.
Se fatiguer ! ....lui !....Duguet ! Pas un coss...lllui...
Il essayait encore, faisait d’étranges mimiques pour dire le mot qui le libèrerait de cette douleur qui lui broyait la tête, écorchait sa mémoire. Pas fou, Duguet...les yeux...Ils criaient ses yeux, ils criaient ce qu’elle était tandis que ses lèvres luttaient pour réapprendre la parole.
“ - C...cc...est...e...ee...lle.....
Elle soutint sans ciller leur regard interrogatif. Cela elle savait le faire. C’était comme au jeu du bras de fer, et à ce jeu-là maintenant elle gagnait. C’est étrange pensa t-elle, comme la valeur des pions change sur un échiquier : voici que le roi est devenu fou, que le pion est transformé en reine, qu’il n’y a plus de roi et que quoique fasse le fou, il est perdu. Sa jubilation intérieure toucha son visage. Elle en prit conscience et s’efforça de l’effacer en durcissant ses traits. Mais si ce durcissement était l’aveu criant de ce qu’elle était sans choix puisqu’elle ne pouvait que céder à ce qui rugissait en elle ?
Charles s’assit sur le lit et l’infirmière lui ordonna der se lever.
Dans la pénombre silencieuse et confinée de la chambre le père luttait. Il voulait trouver ce mot pour qu’ils sachent qui était Marie, pour qu’il n’y ait pour elle pas d’autre issue que sa condamnation. Un oeil partout...tout le temps...où il avait vu ça... où...oui ! il savait....un maton il comptait les punaises à Melun...Longtemps cet oeil sur lui. Il le voyait tout le temps. Et puis un jour fini. Disparu...Avec les médailles. Et c e mot....ce putain de mot...Madame Griest le connaît. Mais Madame Griest ne vient plus. L’affaire Duguet est une affaire classée...Il l’avait !...il le tenait !... “- E...e...el...a...fat...c...cc...est.... “... Mais le mot encore une fois glissait, s’échappait. Mais où bb...bbo....bobor...Charles pressa la main de son père essuya son visage en sueur. Une voix s’éleva. Et c’est en voyant leur regard scandalisé que Marie se rendit compte que cette voix dure et posée était la sienne, que c’était bien sa voix à elle qui au mépris des convenances avait anticipé sur le temps. Mais ce qui les dérangeait au fond c’était qu’elle ait pu nommer sa pensée secrète. Son désir ? Elle ne pouvait faire autrement et surtout pas semblant. Elle, elle ne respirait pas comme l’on ment. Elle ignorait les vertus du mensonge et ne croyait qu’en la volupté de la vérité. Et comme le père criait encore une fois :
“ - C’...ccc...est.....eeelllle “, elle ouvrit la porte et s’enfuit.
Elle c ourait toujours en arrivant en bas des marches.
Dans le jardin central l’air froid la saisit. Elle serra son duffle-coat, s’arrêta, haletante, chercha son souffle, puis une cigarette. Elle n’avait pas de feu. Malgré elle elle leva les yeux. Là-haut, au troisième étage il y avait une chambre dont le store, elle en était sûre, était encore un peu plus baissé.
FLASH
Conte de la haine ordinaire
J’avais un chien. FLASH, je l’appelais.
Vous allez me dire : Quel drôle de nom pour un chien. T’es sûr que c’était pas une lanterne ?
Si vous me posez cette question je vous répondrais que j’en suis sûr. C’était un chien, un sacré chien même : Un labrador retriewer tout blanc, un chien unique, originaire de Terre Neuve. Un vrai bosseur. Les pêcheurs utilisent les labradors pour récupérer les filets cassés et la morue à la dérive. On peut leur faire confiance. Ils sont calmes, équilibrés. Ce qu’il nous faut, à nous.
Vous pourriez me dire alors : Ouais, on connaît la chanson. Tous les proprios trouvent leur clébard unique. Comme si un clebs, ça n’était pas qu’un clebs, avec ses limites, ses réflexes conditionnés Donne la papatte Couché Assis Aux pieds Tranquille Tais-toi Gentil Su-sucre.
Si vous me disiez ça j’insisterais et je vous dirais qu’il était vraiment unique mon chien. Oui, unique. Il captait cinquante mots, FLASH, oui, cinquante, pas un de moins.
Et là je vous entends ricaner : T’es sûr qu’il était pas polytechnicien, ton clebs ? C’est ce que vous pourriez me dire.
Je vous répondrais alors qu’ il n’était pas polytechnicien. Il était mieux que ça. Il comprenait tout. Il était bien dans sa tête. Mieux que moi dans la mienne... et que vous dans la vôtre, j’en suis sûr.
FLASH, il m’emmenait partout. Et toujours prévenant : Fais gaffe où tu mets les pieds, Petit ! mets tes pas dans mes pattes. Voilà ! comme ça, c’est bien.
On se comprenait.
Sifflement admiratif. Voix off. Dis-donc ! c’était une nounou, ton clebs. Il te torchait aussi ? (rires)
FLASH, il aboyait pas à la lune. Il savait se tenir.
Je l’emmenais au concert, au théâtre. Il aimait ça, mon chien. Je réservais toujours une place au bord de l’allée et FLASH se couchait là, près de moi. Et pas un gémissement pendant le spectacle. Rien. Il écoutait.
La musique ça devait lui rappeler les aboiements des chiens la nuit dans la campagne, vous savez, quand ils hurlent et qu’ on croit que c’est pour rien, eh bien c’est pas pour rien, c’est pour vérifier qu’ils ne sont pas seuls dans le noir, que les copains sont bien là, et quand les copains répondent ça veut dire qu’on n’est pas seul, et c’est mieux de savoir qu’on n’est pas seul au monde à hurler pour rien. Quand on est sûr de ça on peut enfin dormir, même au bout de sa laisse, même si t’as pas de niche...
FLASH, c’était mon ami...
Voix off. Ça aussi on connaît l’histoire du type qu’a pas d’amis et qui dit que les bêtes c’est mieux que les humains. Hein !? C’est ça aussi que tu penses !?
Ce soir-là pour varier un peu j’avais pris une place pour le concert de Pollini. Ce mec-là, il a un jeu pur et limpide, tu planes, t’es au ciel quand il joue les variations de Brahms. Sifflotement de quelques mesures. Oui tu planes. Mes parents pendant ce temps ils dorment tranquilles. Ils savent que je suis avec FLASH. En sécurité.
On a pris le métro à Laumière.
En bas des escaliers j’ai dit “distributeur” et FLASH direct au distributeur, tranquillement, sans bousculer personne. C’est un des mots que je lui ai appris “distributeur”. Presque tous les autres mots c’est l’école de Vincennes où il est allé qui les lui a appris.
Voix off. Ho ! tu nous prendrais pas pour des cons, petit ? Faut arrêter ton délire !
Hé ! Est-ce qu’il a eu son BAC au moins ton clebs ?
FLASH ne faisait jamais un faux-pas. Toujours la truffe au vent à sentir tout ce qui se
passait, ou ce qui pourrait se passer, et que nous, pauvres humains on ne sent pas
parce qu’on est limité dans nos sensations. L’odorat des chiens est vingt à cinquante fois supérieur au notre.Ça dépend des races. C’est vrai je l’ai lu.
On a changé à République et on a attendu la correspondance sur le quai, direction Place d’Italie. La rame tardait un peu mais je n’étais pas encore inquiet. J’avais tout calculé : y a quatre stations pour la Bastille plus le couloir. C’était bon.
FLASH, lui, n’aime pas les quais de métro, ce qu’il y a au-delà du quai pour lui c’est un trou, donc un danger. Et il n’aime pas ça les dangers organisés. Il ne s’avance pas au bord du quai. Jamais. J’entre d’abord dans la rame et il me suit. Par contre il est toujours le premier pour sortir de la rame. Sacré FLASH.
Des types sont arrivés au bout du quai. Ils chahutaient un peu.
On étaient seuls.
Moi avec FLASH.
Eux ensemble. Trois ou quatre. Je les entendais.
Tout à coup il y a eu un silence.
Comme s’il n’y avait plus personne sur le quai. Sauf FLASH et moi.
J’avais bien en main la laisse de FLASH. Grâce au harnais je sens les mouvements de sa tête et de ses pattes, et alors j’ai senti qu’il tournait la tête vers la droite, vers l’endroit où les types étaient arrivés. Ça voulait donc dire qu’ils étaient encore là. Et juste à ce moment-là il y en a un qui a gueulé.
Voix off. Hé les mecs ! visez un peu ! C’est le monde à l’envers. Un Blanc qu’est le larbin d’un Black.
Hé Négro ! quel effet ça te fait d’avoir un larbin à tes pieds ?
Les types se sont approchés.
Ce n’est qu’après que j’ai su que FLASH avait compris avant moi, bien après.
Après...
Un temps.
FLASH s’est un peu avancé vers le bord du quai, donnant un peu de mou à la laisse, juste un peu, comme ça, et je n’ai pas cherché à comprendre pourquoi il faisait ça. Je n’ai pas serré davantage sa laisse, je pensais maintenant au retard de la rame et au
concert que je risquais de rater. Je ne pensais qu’à ça.
FLASH, lui, il avait autre chose en tête.
Les types sont venus tout près.
Voix off. Ho le clebs ! Où t’as appris qu’un Blanc y se vautre aux pieds d’un Black connard de clébard !
Il y en a un qui a dit :
Voix off. Hé Max ! t’es un vrai poète ! ha, ha, ha. Ça rime du con, ça rime !
Ils me cherchaient mais je ne savais pas ce qu’ils me voulaient.
Et puis tout est allé très vite.
J’ai entendu la rame au loin.
J’ai senti le souffle des types tout près de ma nuque.
Soudain FLASH s’est redressé sur ses pattes arrières. Il était devenu plus grand que moi. Tellement plus grand. Il a donné un puissant coup de reins qui m’a fait lâcher la laisse et il s’est mis entre eux et moi, comme s’il voulait se battre, d’homme à homme.
La rame arrivait
elle était là
je l’ai entendue
j’ai senti un vide près de moi
et j’ai entendu un aboiement bref “ tchao Petit, tchao ”.
et la rame qui freinait à mort.
Et puis il y a eu les rires des types, leurs rires, leurs rires terribles...
Un silence
Je m’appelle Jean-Baptiste , Jean-Baptiste Boussama. Je suis né il y a vingt ans une nuit de septembre et la nuit ne m’a jamais quitté. On s’habitue.
Mais je donnerais dix ans de ma vie, oui dix ans, pour voir une seconde, juste une seconde à quoi ressemble le visage de la haine.
F I N
MAUX DES MOTS
Les mots tuent
je te le dis
je te le redis
Les mots tuent
et tu dis ma chaleur
et tu dis ma brûlure
et tu dis mon rivage
mais je suis glacée dedans
Tu vas et tu viens
dans mes glaces
et me tue
un peu plus
Le souffle exaspéré
du jadis pense le présent
et absorbe la lumière
Où étais-tu en ce temps là ?
Les voix oubliées me pressent
de dire ce que tu ne sais pas
et s’avancent
et m’encerclent
et me prennent et m’étouffent
Ah ! de l’air
Laisse-moi retrouver
ce qui ne peut être
et que je cherche
et que je cherche
que je cherche
je cherche
En moi
1
Je l’aurais suivie n’importe où ma mère, là où personne n’était jamais allé, et plus loin encore si elle me l’avait demandé. Ma docilité n’était ni remarquable ni extraordinaire. Elle tenait naturellement dans l’amour qui m’unissait à elle. Ma main dans la sienne, je retrouvais contre sa peau fine et délicieusement moite, son ventre obscur et chaud d’où, ayant pris mes aises, on avait dû me déloger par force. J’en étais sortie fort en colère. Le teint jaune et les genoux cagneux.
Ce jour-là aussi elle m’avait tendu sa main. J’avais quitté sans regrets mon jeu d’osselets. Depuis un moment je répétais l’ouverture sans pouvoir retenir sur le dos de ma main gauche que deux ou trois pièces. Tout ce qu’elle avait dit à mon père au sujet de la promenade où elle m’emmenait n’avait guère retenu mon attention. Je n’avais pensé qu’au monde à venir qui aurait le visage et la couleur des yeux de ma mère où rarement je me vis. Je l’avais suivie.
On avait pris l’autobus numéro trois juste en dessous de chez nous, avec mes oncles, mes tantes et ma mère. Coincée sur la banquette entre mes deux tantes j’avais commencé à rêver de la mer. Mais à Magnan, tout en bas du boulevard de la Madeleine où les immeubles cachent la mer, l’autobus avait tourné à droite au lieu de tourner à gauche. Tout contre mon oreille la voix de mon père m’avait soufflé, c’est un rapt, tu le sais, les cartes le disent, et sa voix avait rempli ma tête d’une sono aux décibels fous. Je m’étais levée d’un bond, le bras tendu dans l’autre direction. C’est là, c’est là, je pleurnichais. Mais ils m’ ignoraient. Ils regardaient par la fenêtre, apparemment captivés par le spectacle de la rue. Je m’étais glissée entre leurs jambes pour voir ce qu’ils voyaient, mais l’oncle Edouard, comme pour parer un mauvais coup, avait tendu son bras. Stop ! on ne passe pas. Et les paroles oubliées de ma mère revinrent avec la force d’un boomerang. On irait au Château, on partirait du Port, on goûterait à la Cascade. Et mon père : c’est bon.
Ma mère m’avait menti. Je la regardais avec une telle intensité que mon regard aurait dû la brûler, mais elle ne sentait rien, elle était toute au spectacle de la rue, seule, sans moi. Et l’autobus filait dans l’avenue bordée de platanes. Le soleil ricochait sur leur visage et celui de ma mère léché aussi par l’ombre avait de brusques effarements qui durcissaient ses traits. Devina t-elle enfin que je la regardais ? Elle tourna la tête vers moi sans me sourire et se replongea vite dans le spectacle du dehors. Son buste avait à peine pivoté, mais j’eus le temps de voir que sa pupille d’ordinaire si sombre semblait éclaircie. Elle paraissait gênée, mal à l’aise, et l’espace d’une minuscule seconde j’eus pitié d’elle. J’aperçus au loin une coulée blanche dévalant la colline. Je me demandais où nous allions.
Bientôt le Trois nous jeta sur la place de Caucade. Il faisait beau. Une brise légère et molle berçait ce temps printanier. Pourtant, quelque chose n’était pas au diapason. Je sentais autour de moi s’étendre un vide illimité, puis je perçus le silence. Un silence étrange. Comme en attente de quelque chose . Je regardai de tous côtés. La mer n’était nulle part.
Et maintenant je marchais à leur suite, la peur au ventre, dans le silence habité par le thrène des graviers, regardant droit devant, brûlée au passage par les regards figés dans les médaillons postés comme une haie à ma peur, redoutant de rencontrer les yeux de Paulina puisqu’il était désormais acquis que ma mère m’avait menti pour m’emmener ici. Je ne baissais pas les yeux malgré la lumière aveuglante réflêchie par la blancheur des marbres et des stèles historiées, gravées à l’or, ou effacées par le temps, et devenues ce vide où le ciseau du graveur ne parlait plus que d’oubli. Puis l’odeur, cette odeur si particulière des fleurs des cimetières croupissant dans une eau oubliée depuis des siècles et pourrissant le métal même, me sauta à la gorge. Elle devait être là depuis que nous avions franchi les grilles du cimetière, mais je n’avais pu la percevoir à cause de ma stupeur, de ma mère qui serrait ma main à la broyer, des visages dans les médaillons avec leur beau sourire et leurs yeux qui faisaient si mal, et le chant funèbre des graviers. C’est alors que pour échapper à la peur j’avais commencé mon jeu derrière l’oncle Edouard qui, appuyé sur sa canne, arrachait au sol sa mauvaise jambe. Et puis soudain une trouée bleue là-bas, tout au bout de l’allée, qui s’agrandissait dans les cyprès. Une allégresse infinie de tout mon être déborda et ce fut si fort, si inespérée cette joie qui m’ailait, que je craignis qu’ils n’entendissent ce chant . J’allais m’enfuir par là, par ce trou dont j’ignorais si c’était la mer ou le ciel, et rien ni personne ne me rattraperait quand je m’élancerais, et l’oncle Edouard moins que les autres avec son mauvais pied qui faisait souffrir les graviers.
Voilà pourquoi je les suivais, apparemment docile. Je m’appliquais à ne rien changer au jeu commencé après que ma mère, me croyant ferrée, eût lâché ma main pour prendre sa place entre l’oncle Edouard et l’oncle Joseph qui tripotait sa moustache, et les tantes Ida et Jeanne à chaque bout du rang. Calquant leur pas sur celui de l’oncle Edouard, ils pratiquaient une sorte de lévitation dansante .
La tante Jeanne, l’épouse de l’oncle Edouard, portait un chrysanthème comme si elle eut porté le Saint-Sacrement. Mon autre tante, Ida, l’épouse de l’oncle Joseph, ne portait rien. En passant elle m’avait jetée tout bas : tu n’as pas froid ? Ma mère tenait à la main son éternel cabas noir. Et le rang s’était fait. Et tout de suite j’avais commencé de singer l’oncle Edouard. Pied droit dressé sur la pointe, le gauche posé bien à plat, ce qui donnait un élan fauché et raide à mon corps à cause de mes genoux plâtrés. A chaque pas l’oncle faisait un effort terrible pour compenser la jambe courte du pied bot. Un peu de poussière retombait sur ses chaussures noires frottées au bas de nylon par la tante Jeanne, un truc qu’elle avait donné à ma mère pour faire briller le cuir et j’ignore pourquoi, alors qu’il était question de chaussures, à cet instant le mensonge de ma mère m’apparut comme très grave et l’absence de mes cousins comme une injustice que je ne m’expliquais pas. Tout en surveillant les tombes du coin de l’oeil, j’avais inconsciemment accentué mes grimaces au point qu’à un certain moment, perdant l’équilibre dans le pas que j’allongeais, mes genoux s’entrechoquèrent et je faillis tomber, mais je me redressai vivement et continuai de me moquer sans rien perdre de ce qui défilait en tressautant de part et d’autre de l’allée. On aurait dit la mauvaise copie d’un film de débutant où la vedette se faisait attendre. D’où surgirait Paulina ? D’un médaillon sur ma gauche ? Sur ma droite ? Plus que dans la chambre de ma mère où elle me surveillait sans relâche, je redoutais de rencontrer ses yeux. Quel regard aurait-elle ici dans le silence habité par l’odeur infecte et le bardit des graviers ? Dès mon réveil, ses yeux épiaient le moindre de mes gestes et jusque dans mon lit où, pour qu’elle ne me vît pas nue, je m’habillais en me trémoussant sous mes draps. Le dimanche, l’oncle Edouard venait chez nous avec les autres. Il me prenait sur ses genoux et la joute commençait. Tu seras institutrice comme elle, disait l’oncle, à quoi mon père répondait que je serais ce qu’il voudra. L’oncle n’avait pas un regard pour lui. Il poursuivait : tu auras ses livres, sa tresse, tu as vu comme sa tresse est belle ? Ta mère en prend grand soin ; elle l’aère, la poudre, la peigne. Tu en sera fière, elle est de la même couleur que tes cheveux. Je m’ordonnais de me taire de peur qu’un seul mot ne ressuscitât la morte. L’oncle Edouard continuait. Mais pourquoi les bons partent-ils les premiers ? Tu peux me le dire ? Je n’en savais rien. Mais l’eussè-je su, je me serais gardée de le dire. Le silence m’habitait plus sûrement que le babillage des enfants de mon âge. Eux, ils appelaient ça ma fausseté.
Mon père insistait : elle fera comme je voudrai. Il blêmissait sous le regard que lui consentait l’oncle Edouard, un regard agacé de géant pour la sussuration d’un moustique. Ma mère tentait une diversion, des banalités qui n’intéressaient personne. Pftt, prétextant du papier de cigarettes à acheter, mon père filait en douce.
“ - Mais qu’est-ce qu’elle fait ! regardez-la cette mauvaise !”
Le cri de ma mère m’avait fait sursauter. Arrêtés tous les cinq, groupés et tournés vers moi, ils paraissaient imiter dans leur pose figée une de ces scènes particulières au théâtre meyerholdien (scène que j’identifie aujourd’hui comme appartenant au jeu de scène de Meyerhold depuis que, initiée par Jean, je cours les théâtres). Leur air scandalisé n’était pas feint. Je m’approchai. Tout de suite je vis la photo dans l’ovale du médaillon, et tout de suite les yeux de Paulina me fixèrent sans sourire.
Les autres ne me regardaient plus. Ils vaquaient à d’étranges occupations. La tante Jeanne avait posé le chrysanthème sur le tertre, et, avec l’aide de ma mère, arrachait les mauvaises herbes. Les yeux de Paulina et tout ce blanc me brûlaient cruellement mais je ne bougeais pas. Retranchée dans des ressassements infinis, j’anticipais sur ce temps futur où rien de ce qu’elle avait été ne serait visible dans ma personne : je n’aurais pas de tresses, mes cheveux seraient courts, mes sourcils ne seraient pas en friche sur ma paupière, et l’oncle Edouard et les autres ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. Et puis le chrysanthème tomba et ma mère cria que ça portait malheur. Elle dit cela dans sa langue mais je compris, et tout aussitôt l’oncle Edouard la tança pour ce qu’elle venait de dire. J’aperçus les pétales blancs épars sur la terre, mais je vis surtout, semblables à celles de mon lit, les arabesques blanches de la tombe que l’oncle Joseph avait entrepris de repeindre. A ce moment-là, quelqu’un mit sa main dans mon ventre et de toutes ses forces appuya dedans. J’étais stupéfaite, terrorisée par l’intrusion intime et suppliai ma mère du regard, mais je rencontrai les yeux de Paulina. Elle me regardait encore, pas comme tout à l’heure, mais plus durement. Je me mis à trembler. Puis quelqu’un hurla à vous glacer le sang. Les cris me terrifiaient mais j’étais incapable de bouger. Ma mère m’avait brusquement saisie par la taille et me baillonnait de sa main gauche. Je secouai la ferraille de toutes mes forces en lui donnant des coups de pied. Je me blessai. Un peu de sang coula le long de ma jambe. Et ma mère qui cherchait à fourrer son poing dans ma bouche. Je tremblais. Suffoquais. Mes oncles et mes tantes m’encerclaient comme une meute la proie. Je compris alors que c’était moi qui me vidais de mon souffle, de ma vie, répandant dans le soleil, sur tout ce blanc et sur la pourriture, un peu de ce qui aurait pu me faire et qui s’en allait dans les allées du cimetière où sur mes cris les graviers bémolisaient.
Ma mère me gifla. Puis elle défit mes doigts des arabesques en me traitant de peste. Je me laissai emporter dans l’allée avec la main qui tenait toujours serré le dedans de mon ventre. C’est à ce moment-là que j’entendis le bruit. Un martèlement sourd pââââm pam pââââm pam pââââm pam. Je me retournai vivement et je le vis.
L'ÉTÉ DE LOU
1
Louise se pencha sur le bastingage. Un boulevard d’écume vers l’infini se perdait dans un bleu presque noir où jouait le soleil. Sur la coque du navire le bouillonnement laiteux troublait à peine le silence du grand large. Louise ferma les yeux et s’offrit au soleil. C’était toujours comme ça que commençaient ses vacances : avec la traversée le soleil et le silence. Sous ses paupières closes elle revoyait à la proue les femmes à demi nues. Elle s’amusa à deviner celles qui iraient sur la côte Ouest, et celles qui choisiraient la côte Est. Elle aimait ce jeu pour son seul goût de l’observation puisque rien ne le validerait. Elle ouvrit les yeux et son regard se fixa soudain vers le lointain. Elle appela les jumeaux qui couraient dans les coursives et saisit d’autorité la main de la petite fille. Elle se pencha vers elle : Là-bas, regarde ! et posa ses lèvres sur la tempe de l’enfant à l’endroit précis où elle devinait leur fièvre.
Une masse grise et floue avait brusquement surgi de l’eau. Ce n’était encore qu’un bloc informe et sombre, mais au fur et à mesure que le navire déchirait l’eau, la forme se précisait, et dans le contre-jour on aperçevait les entailles du Cap.
Maintenant, le contour des montagnes se dessinait nettement. Quelque part dans l’intérieur, se cachait Campo, le village paisible, la maison aux volets verts, clos onze mois sur douze, et Louise savait que les jours à venir ressembleraient à ceux des étés passés : Elle ouvrirait la maison, ferait ses visites deux jours après, dix jours plus tard Lucas arriverait. Ils feraient des promenades en montagne, Lucas pècherait, Louise se mettrait en cuisine, ils liraient, écouteraient de la musique, et le soir ils se retrouveraient chez Antoine et Marina à l’heure de l’apéritif. Ils seraient en vacances. Heureux avec ces petits riens..
La voiture de Louise filait à vive allure sur la Nationale. Elle ajusta le rétroviseur et regarda ses enfants dormir sur la banquette, la petite fille blottie entre ses frères, sa jupe gonflée par le vent. Elle faillit oublier la bifurcation et freina sèchement pour quitter la Nationale.
A présent accouraient à elle quelques pâturages. Mais vite ils disparurent et la route ne fut plus qu’une succession de virages, de profonds replis avec les montagnes qui surveillaient tout cela de haut. La végétation avait changé. C’était devenu un fouillis de lierres, de ronciers, d’ arbousiers, de fougères, de renouées, de lianes enlacées aux poteaux télégraphiques, et de cette folie végétale émergeaient parfois des châtaigniers, ou des tombeaux.
Ils roulèrent encore longtemps. N’en finissant pas de monter, de tourner. A gauche, à droite. Puis à droite à gauche sans fin. Quand ils s’engagèrent sur une mauvaise petite route, ils avaient épuisé les virages de la départementale. Au détour d’une boucle raide Campo fut là. Louise coupa le moteur et sortit sur la place.
2
Au bruit de la portière que claqua Louise, Mario Paolini bondit à la fenêtre. Sa main se crispa sur la banane où il sentit la crosse du revolver qui ne le quittait plus. Il ajusta son regard derrière les jalousies entrebâillées depuis le matin par sa mère. Un piège !? Il redoutait des hommes et ils envoyaient une femme ! Celle-ci s’étirait devant la portière ouverte de sa voiture. Elle se retourna, considéra un instant la maison des Paolini derrière ses lunettes noires, puis se détourna. Ce visage lui rappelait vaguement quelqu’un. Une porte se ferma doucement dans la maison et il entendit le frottement de pas légers sur le plancher. Etait-ce Battista qui changeait de poste ou sa mère ? Il reporta son attention sur la place. La jeune femme n’y était plus. Sa main à nouveau se crispa sur l’arme, mais il la retrouva un peu plus loin. Elle était montée sur le parapet surplombant le fameux à pic de Campo et contemplait les villages environnants. Elle portait un short, des baskets blancs. Ses jambes étaient élancées, ses mollets ronds, musclés. Ses cheveux mi-longs étaient retenus par un chouchou. Sportive, pensa Mario. Des cris le firent sursauter. De la voiture surgirent deux garçonnets et une petite fille qui coururent vers le parapet. Il se traita d’idiot. : Il aurait peur d’une femme maintenant !?
Ses enfants pendus à ses bras la faisaient trébucher et Louise riait. Elle se pencha pour les embrasser et déjà ils l’abandonnaient pour courir à la voiture d’où ils sortirent un ballon, des sacs, des chapeaux, des paquets de biscuits, une bouteille de coca-cola. Mario vit Battista s’approcher de la jeune femme. Lui, il dévala les escaliers. Entra chez sa mère. Il la trouva assise derrière la fenêtre, jalousies baissées, sa place préférée depuis qu’il était venu se mettre à l’abri au village.
“ - Tu ne dors pas avec cette chaleur ?
“ - Qui est-ce ?
“ - Qui ?
“ - Elle...
Mimi Paolini haussa les épaules. “ Les neveux de Perfettini... Elle vient tous les ans depuis quelques années...Tu sais qu’on ne se parle pas “....
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......Elle dépassa donc le sentier de la fontaine et le coeur battant aborda le tournant. Alors tout se décida. Elle eut la sensation que tout s’était tu en elle et tout autour et dans cette immobilité illusoire l’air devint brusquement étouffant. Une brume légère froissait la lumière déclinante et Louise entra lentement dans le tournant dans le ralenti d’une scène de film dont elle avait conscience. Le pas léger, le corps libre, elle était heureuse de sentir la vie battre de ses tempes à ses talons, et son corps vibrait d’une attente qu’elle ne savait nommer.
Elle le vit au sortir du tournant, juste sur la route au-dessus, accompagné de Battista. C’est à ce moment-là qu’elle entendit tonner. Un grondement qui déboula avec fureur en elle. Mais l’instant d’après elle ne sut pas si elle avait réellement entendu le tonnerre ou si elle l’avair rêvé. Dans un souffle elle récita “ Un coup de tonnerre dans un ciel serein ”. Les larmes à ses yeux annonçaient la fin de quelque chose qui n’avait pas commencé. Elle l’ignorait.”
L’HÉRITAGE
28
Hyacinthe s’aventure dans le village
Le village attendait dans la fièvre. Où se rencontreraient les Evangelista ? Puisqu’il était impossible qu’ils ne se rencontrent point dans cette rue unique écrasée par ce soleil promis aux mouches, où le moindre des pas ne pouvait être que faux car il se trouvait toujours quelqu’un pour dire qu’au lieu du gauche, c’est le droit que vous eussiez dû mettre, et que si vous aviez mis le droit, c’eût été évidemment le gauche qu’il aurait fallu poser en premier. Tout allait donc de travers. Mais aller droit eût été aller contre quelqu’un, aussi la sagesse conseillait de ne pas trop en faire.
(..................) Cinquante années d’absence avaient sans doute fait oublier ces petites conventions à l’oncle Hyacinthe qui, chapeauté, vêtu de blanc, jouant de sa canne se pavanait comme un coq.Les excès de l’enfant prodigue qui d’abord les avaient fait se gausser, enchantaient les villageois. Ils ne perdaient rien de ses moulinets, de sa manière de porter deux doigts à son canotier enrubanné pour saluer un inconnu, d’étreindre quelqu’un en l’assurant qu’il ne l’avait pas oublié en laissant choir ses syllabes de cette manière si particulière, et on se rendit bien vite compte qu’en effet, il n’avait oublié personne. Il avait une manière distinguée de s’incliner sur la main des femmes, jeunes ou vieilles, d’effleurer leur peau de ses lèvres encore fraîches et, l’étonnement passé, on conclut que Hyacinthe avait de bien belles manières. En très peu de temps, en quelques heures à peine, on commua son crime en erreur de jeunesse que l’on voulait oublier, mais qui, malgré eux, malgré tout, était là.
Donc, ils attendaient. Ils supputaient, imaginaient, espéraient, pariaient, oui ! pariaient aussi. Ils visitaient les recoins de leurs désirs, espoirs ou hypothèses, pas toujours avouables. Mais ç’en était presque touchant de les voir tout d’un coup fouettés d’un sang neuf, partis pour vivre l’éternité, pour qu’après Hyacinthe les plus jeunes puissent dire“ j’y étais”.
Et lui, le veuf d’Aurore, le voleur d’épouse, le paria, le renégat, mis au ban des salauds par sa mère, faisait ses moulinets, portait deux doigts à son chapeau. “Hé, toi, le petit, comment tu t’appelles ?” sachant pertinemment que l’enfant, petit-fils de la Susini portait le même prénom que Toussaint, le défunt mari de la Susini, qui lui-même avait le même prénom que son père mort à Soissons, ce qui donnait lieu à d’avantageuses méprises .
Son retour au lieu de ses origines, de son discrédit aussi, curieusement enthousiasmait Hyacinthe. Il en oubliait presque le serment fait sur le Sampiero avant de retrouver Aurore sur le quai de Nice. Cette langue reniée pendant cinquante ans malgré tout était la sienne. Ainsi, au lieu de circonscrire ses pas à la place de Casidéria, lieu neutre et éloigné de Valdella, malgré les protestations de ses cousines Hyacinthe s’aventura dans le village.
La respiration de l’après-midi était encore plus brûlante, et dans cette fournaise où les odeurs du maquis énervaient les sens, Hyacinthe alla de son pas dansant, le canotier désinvolte, la canne coquette rythmant le pas. Les persiennes étaient baissées sur une sieste improbable. Les portes fermées. Il passa trop vite et sans un regard devant la haute maison de grand-mère, et mes Félicie, quoique à l’affût, mais venues trop tard derrière leurs volets, durent se pencher surf la croisée pour apercevoir près de la cabine téléphonique, un peu cachés par les branches du mûrier, le pantalon blanc et la canne. Intriguées par l’immobilité de Hyacinthe, elles se penchèrent un peu et virent une jupe, ma jupe à larges fleurs rouges, frôler le pantalon. Elles s’en prirent aux branchers trop basses, à la cîme trop haute. Pourquoi tant d’ombre puisque la maison de Titus y pourvoyaient en courant bien au-delà de la rue et jusqu’au jardin du maire ? Et pourquoi ces branches n’avaient-elles pas été coupées, hein !? Malgré tous leurs efforts pour tenter d’apercevoir quelque chose de cette rencontre, ne fut-ce qu’une ombre, elles ne virent rien.
J’étais émue. Je devinais qu’il l’était aussi car il eut une infime crispation de la bouche pour refouler des larmes je suppose. Il m’enlaça, dit qu’il regrettait. Je me retins pour ne pas demander quoi. IL savait que je peignais et m’avoua posséder une petite peinture qu’il avait achetée lors de ma première exposition à la galerie Gioffredo. C’est drôle, moi qui n’oubliais rien, j’avais oublié celle-là. Puis, disant qu’on se reverrait bientôt, brusquement il me tourna le dos et s’en alla de son pas dansant, gracieux et désinvolte, jouant de sa canne.
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Cinquante années d’absence avaient sans doute fait oublier ces petites conventions à l’oncle Hyacinthe qui, chapeauté, vêtu de blanc, jouant de sa canne se pavanait comme un coq.Les excès de l’enfant prodigue qui d’abord les avaient fait se gausser, enchantaient les villageois. Ils ne perdaient rien de ses moulinets, de sa manière de porter deux doigts à son canotier enrubanné pour saluer un inconnu, d’étreindre quelqu’un en l’assurant qu’il ne l’avait pas oublié en laissant choir ses syllabes de cette manière si particulière, et on se rendit bien vite compte qu’en effet, il n’avait oublié personne. Il avait une manière distinguée de s’incliner sur la main des femmes, jeunes ou vieilles, d’effleurer leur peau de ses lèvres encore fraîches et, l’étonnement passé, on conclut que Hyacinthe avait de bien belles manières. En très peu de temps, en quelques heures à peine, on commua son crime en erreur de jeunesse que l’on voulait oublier, mais qui, malgré eux, malgré tout, était là.
Donc, ils attendaient. Ils supputaient, imaginaient, espéraient, pariaient, oui ! pariaient aussi. Ils visitaient les recoins de leurs désirs, espoirs ou hypothèses, pas toujours avouables.Mais ç’en était presque touchant de les voir tout d’un coup fouettés d’un sang neuf, partis pour vivre l’éternité, pour qu’après Hyacinthe, les plus jeunes puissent dire “ j’y étais”.
Et lui, le veuf d’Aurore, le voleur d’épouse, le paria, le renégat, mis au ban des salauds par sa mère, faisait ses moulinets, portait deux doigts à son chapeau. “Hé, toi, le petit, comment tu t’appelles ?” sachant pertinemment que l’enfant, petit-fils de la Susini portait le même prénom que Toussaint, le défunt mari de la Susini, qui lui-même avait le même prénom que son père mort à Soissons, ce qui donnait lieu à d’avantageuses méprises .
AVENUE KALININE
J’ai brusquement compris ce qui m’exaspérait. C’était leur jeu. Oui, leur jeu amoureux. Cette fausse fuite, ce ballet infernal qui n’en finissait pas là-haut et m’obsédait.
Etait-ce cela aussi qui m’avait perdue ? Mon incapacité à jouer ? Allons ! les joueurs perdent aussi. Mais pourquoi toujours continuer à me tourmenter ? N’avais-je donc pas tout épuisé de mes questions pour qu’ici encore i!l me faille trouver une raison pour comprendre ? Comprendre...Comme si tout n’avait pas déjà été passé au crible. Mais quoi ! Ce sont peut-être ces heures à venir et ce temps immobile qui m’angoissent. Parce que j’approche du but ? Ou parce que je m’éloigne un peu plus de nous ?
La nuit est tombée en emportant tout. Les câbles électriques, les rails, les quelques signes de vie dans la campagne. De loin en loin, un éclat furtif sur les rails, ou la crête luisante d’un poussier crève la nuit. Je me blottis un peu plus sur la banquette. Je revois notre chambre, le feu dans la cheminée, l’avenue de l’opéra sous l’averse, ma course éperdue sous l’eau, ma peur de ne pas pouvoir partir, ma colère à l’agence de voyage. Et puis la chambre, le feu dans la cheminée. Nos rires. Nos rires...
J’ai prononcé son nom, bien haut, comme s’il avait été là, et cette chair dessinée dans le vide entre les cloisons trop minces a enclos ma peur.
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Je marchais, marchais sans fin. Des frissons furtifs quelquefois me saisissaient mais je n’avais pas froid; J’étais attirée par un halo incertain et tremblant qui apparaissait par à coups dans la tranquillité brumeuse de l’après-midi finissant. Et j’allais vers cette hallucination en semant mes pas qui s’imprimaient dans la neige. Qui aurait suivi cette femme dont l’air absent suffisait à détourner le regard ? Qui se serait arrêté sur ce visage livide et défait aux yeux gonflés ? Combien de fois avais-je fait le tour du Kremlin et arpenté la rue Arbat ? Combien de fois étais-je entrée au Goum ? Les pieds meurtris par une foule pressée j’avais parcouru chacun des étages, l’allée la plus retirée, sans avoir jamais la curiosité de pénétrer dans les alvéoles où l’on vendait je ne sais quels objets dérisoires, sans jamais me dire, ne serait-ce qu’une seule fois, qu’à cette heure-ci Christophje était sans doute à l’Institut Elorg, dans un bureau de l’Intourist, ou dans une administration quelconque dont j’ignorais l’existence.
Je m’étais encore présentée en vain à l’hôtel Mezhdunarodnaya, au Droujba. A l’hôtel Belgrade j’avais insisté, au bord des larmes “- Frantsouskaïa, Frantsouskaïa “, mais le portier m’avait renvoyée avec de vigoureux niet. Je n’avais pas songé à lui glisser le billet de cinq roubles préparé à son intention et serré entre mes doigts gantés au fond de la poche de mon manteau dont la doublure à force d’être triturée se décousait. Maintenant je rêvais de m’asseoir, mais l’ombre noire d’un banc se profilant entre deux arbres nus m’en éloignait. J’y voyais un piège et modifiais ma trajectoire pour contourner l’obstacle.
La neige soudain changea. De larges auréoles jaunies s’étalèrent sur la chaussée, et la clarté diffuse des réverbères parut flotter sur des eaux blanchies par une aurore incertaine. Il y avait longtemps déjà que les skieurs de fond ne glissaient plus sur la neige, et les passants, noirs d’ombre, ressemblaient à de gros pions se mouvant dans l’espace d’un jeu sans fin. Le bras tendu, l’index et le pouce écartés, je les touchais, les réduisais, les déplaçais selon mon bon vouloir. Quand je décidais de les supprimer, je les faisais disparaître de mon champ visuel. Hop ! d’un coup, comme ça, et je souriais. Et j’en prenais d’autres tout aussi dociles que je manipulais à ma guise. Qui était ces ombres ? Pourquoi aucune d’elles ne m’était familière ? Pourquoi ne s’arrêtaient-elles pas ? Etaient-elles condamnées elles aussi à marcher de cet éternel pas lent dans la nuit de Moscou ? D’imposantes grilles sombres se dressèrent soudain sur ma gauche et un réverbère divulgua le fronton du parc Gorki. J’entrai. J’aurais pu continuer d’aller droit devant moi mais j’entrai. Le grand silence inerte m’oppressa. On aurait dit que toute vie s’était retirée depuis longtemps de l’endroit ou qu’elle n’y eût jamais pénétrée. Les branches malingres des bouleaux prétendaient à la conquête possible d’un ciel bas. Les allées étaient vides. Au loin, une tâche noire faisait comme un trou dans la neige. Etait-ce moi qui oscillait ou bien elle qui s’élargissait, s’allongeait, se ramassait sur elle-même, s’arrêtait enfin pour à nouveau s’étirer lentement ? J’étais intriguée. Qu’était-ce? Quand je ne fus plus qu’à quelques mètres de la tâche je frémis d’horreur et m’immobilisai. Des dizaines de corbeaux agglutinés au milieu de l’allée étaient une profanation sur la neige. Je les regardai effroyablement fascinée. Que feraient-ils si pour continuer ma route je m’ aventurais au milieu de leur corps funèbres ? Deux bêtes quittèrent le groupe et s’avancèrent avec une allure si hautaine et si raide qu’elle paraissait humaine. La neige crissait sous leurs serres dures. C’était inaudible, mais le grand silence du parc me laissait percevoir l’infime crissement comme ma respiration angoissée. J’abandonnai la doublure du manteau que je tripotais nerveusement et sortis mes mains de mes poches. Je reculai d’un pas. Puis d’un autre. Les deux corbeaux continuaient d’’avancer tandis que les autres paraissaient piétiner d’impatience. Il me revint avec une fulgurance inouïe des images d’une lecture ancienne dont je ne me souvenais ni du titre ni du nom de l’auteur. Je me souvenais seulement de la lutte, d’une lutte acharnée, à mort, entre un homme et un corbeau. Qui avait attaqué le premier ? De cela non plus je ne me souvenais pas. Mais je fus prise de terreur. Je les regardais s’approcher et il me sembla qu’ils me fixaient de leurs yeux noirs et cruels. Cherchaient-ils un point d’attaque. Je me mis à reculer pas à pas. Lentement, comme eux. Soudain je fis une brusque volte-face et me mis à courir dans l’allée. Au vrai, je m’y efforçais tant j’étais alourdie de fatigue comme pas mes bottes et mes vêtements. Je n’avais qu’une hantise, ne pas trébucher, ne pas tomber. Me poursuivaient-ils ? J’entendais leurs puissants croassements et tout à coup flotta au-dessus de ma tête un épais crêpe noir. Ils volaient en rase-mottes et leurs cris lugubres en martelant mes pas semblaient trouer la neige. Je courais, titubante, l’oeil désespérément fixé sur la monumentale grille. Pourquoi n’accourait-elle pas à moi? Mes jambes parurent se dérober. Une violente morsure fulgura dans mon ventre et l’urine brûlante coula le long de mes cuisses. Il me fallait me mettre hors d’atteinte et je me demandai avec angoisse si mon salut se trouverai en dehors du parc. Reculeraient-ils devant les autres ombres noires ces corbeaux dont les ailes dures frôlaient mes épaules en lançant leurs sinistres cris comme des jets de pierre ? J’avais peur de leur bec, de leurs serres, de leurs ailes. Et c’était ma peur qui me donnait ce souffle cahoteux et me traînait chancelante vers cette grille que, à bout de souffle, j’atteignis enfin. IL y eut derrière moi un grand bruit de sarclage et de feuilles froissées, des croassements convulsifs et je me retrouvai sous le réverbère auquel je m’adossais en tremblant. Je respirais avec peine, ne quittant pas des yeux les corbeaux qui piétinaient derrière la grille comme dans un no man’s land. Lorsque je fus enfin calmée, j’abandonnai lentement le métal glacé sous une huée de croassements hargneux.
UN HOMME SUR LE QUAI
1
J’étais nu. Je suais. L’air était irrespirable. La pièce où je me trouvais ressemblait à une misérable cahute faite de paille de branchages et percée d’un unique trou. Une meurtrière. Il faisait sombre. Dans l’étouffante atmosphère du lieu clos, je sentais s’accomplir quelque chose d’étrange, quelque chose de secret que réprouvait jusqu’à l’aigre souffle de l’air. Je me taisais. Attentif.
Suspendue au bout d’un fil une lampe brûlait. Une lampe de bouge. Minable. Elle oscillait. A moins que ce fût mon balancement qui laissait croire à l’oscillation de la lampe. J’enlaçais un corps nu et nous nous laissions doucement tomber sur la terre battue. Au même instant une nuée d’insectes s’abattit sur nous. Puis d’étonnants coquillages plats planèrent au-dessus de nos corps. Je n’étais pas sûr qu’il y eut de la lumière car j’avais du mal à distinguer précisément ce qu’étaient ces formes volantes. Je frissonnai. Dans la confusion de ces incertitudes je fis la seule chose qu’il convenait de faire : J’actionnai la poire électrique au-dessus de ma tête. La pluie d’insectes s’arrêta net. Sous mon corps l’autre était moite. Immobile. Tendu. Il me vint soudain une idée. Je lui demandai de ne pas bouger, me redressai doucement et me mis à croupetons. Je me croyais dans la pénombre, mais c’est en pleine clarté que je m’approchais de ces formes plates. A nouveau il faisait sombre. J’avançais ma main en tâtonnant et celle-ci entra en contact avec une peau visqueuse. Je la retirai en poussant un hurlement de terreur. J’avais réveillé des crapauds qui en de fantastiques bonds se posaient sur mon corps. Je me souviens très bien que j’hurlai de plus belle et allumai la lampe. Tout s’immobilisa dans l’instant. Je m’enfuis en courant. Oppressé. La route était noire. Je la devinais à peine. Mes talons, mon coeur, mes tempes battaient à un rythme fou. J’arrivai essoufflé dans une maison violemment éclairée. Quelqu’un m’attendait. On me questionna. Je ne sus comment expliquer mon retard. Je mentis. Moins à cause des crapauds que du corps nu que j’enlaçais avant de tomber avec lui sur la terre battue. La fenêtre crissa soudain. Je me retournai lentement. Une nuée d’insectes frappaient le carreau. Je voyais distinctement leurs yeux. Des boursouflures saillantes pas plus grosses que des têtes d’épingles. Je reculai. Craignant à nouveau le vol des crapauds. Je m’éveillai d’un coup. Haletant. L’avant-bras sur mon visage. Ce n’était qu’un rêve. Un de ces sales rêves qui vous font douter d’être éveillé et dont les images vous troublent longtemps. J’y repensais durant des jours et des jours. Il revint me harceler la nuit, par bribes. Tantôt les crapauds m’agressaient. Tantôt les insectes se glissaient entre les corps nus. Et cela toujours dans la même confusion : clarté-ténèbres, peur-volupté. Un jour il disparut subitement. Peut-être en raison des évènements qui suivirent.
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.....Je frémis quand je la vis quitter son siège et s’avancer dans la nef, seule, superbe, mystérieuse sous une voilette noire au tissage fin dont les bords étaient délicatement brodés. Je trouvai indécent son tailleur noir faussement strict cintré à la taille et dont l’échancrure révélait la naissance de ses seins. Le noir l’embellissait et le silence de l’endroit, son austère lumière ajoutait du mystère à sa beauté. Sa respiration brève comme une palpitation, le frôlement de sa jupe sur ses bas, son parfum léger, donnaient à ceux qui, le souffle retenu, la regardaient s’avancer, l’étrange impression d’un être fugitif venu dispenser le rêve.
Elle prit le violon contre le catafalque entre deux gerbes de roses et le coucha sur son épaule. Hébété, je vis son visage se poser contre la mentonnière, sa main se lever, l’archet frôler les cordes, s’y appuyer. Je vis la main de l’Amiral lentement se lever, Sonia se moucher puis tamponner ses yeux. Prépare la monnaie, me dit Renaud, et il me sembla que sa voix avait couvert la musique. Elle joua magnifiquement l’andante du trio numéro trois de Schubert et je me rappelai que c’était cette même musique que j’avais entendue deux jours plus tôt dans la cuisine où sur le sol reposait Diane..............
“Personnellement je trouve ce roman d’une force rare”. Pascal Quignard (1988)
DES BRUITS SANS IMPORTANCE
Mises en espace à Lyon, Paris et au Québec
Il dormait quand je suis entrée dans la chambre.
J’ai fermé la porte sans bruit derrière moi et je me suis accroupie.
Je m’étais déchaussée par précaution et j’ai avancé comme ça à quatre pattes jusqu’au lit.
Quand je suis arrivée tout près, j’ai levé la tête pour m’assurer qu’il dormait bien.
Ses yeux étaient fermés, sa bouche entr’ouverte.
Il respirait un peu fort et son haleine empestait à cause de tous les médicaments qu’il avale.
Et du vin aussi.
Je suis restée un moment immobile à l’observer. Il avait encore maigri. Ses joues étaient creusées.Ma mère n’avait pas eu le temps de le raser avant de partir et ses joues noircies lui donnaient un air sale dans tout ce blanc.
Ses paupières ne cillaient pas.
Il s’est soudain mis à ronfler.
J’ai avancé doucement la main sous le lit en surveillant le ronflement. Il avait pris un rythme régulier.
Mes mains touchaient des moutons, de la poussière, mais pas le portefeuille. Il avait du le déplacer...
LELLA, Danielle Casanova, une vie
La pièce a été créée en 2004 aux Rencontres Internationales de Théâtre de Corse dirigées par Robin Renuccci.
“.... Et tout ce qui reste en vous de naïveté vraie, de capacité à éprouver très fort remonte irrésistiblement et prend à la gorge (....) Par des lettres adressées par une femme à une femme et ne parlant que de femmes constituées en choeur de femmes détenues à Birkenau. Et que tout cela, poétique au sens vrai du mot, c’est à dire, disant métaphoriquement la vérité avec une véritable exactitude me touchait au foie comme soixante ans plus tôt, jeune homme, je l’avais été quand, dans les petites éditions clandestines des Editions de Minuit, je lisais ARAGON et ELUARD sans même savoir que c’est eux que je lisais. Totalement historique et totalement a-historique. Osant “ La Marseillaise“ et parlant des “ Boches “ sans le moindre ridicule. Totalement optimiste mais avec des mots à chaque fois lestés du poids de l’horreur absolue du quotidien des camps. La vie “ d’avant ” revécue de plus en plus fort par “ LELLA “, Danielle CASANOVA, pour résister à la mort. La vie, triomphant finalement de la mort dans cette mort même.
Et on se dit que ça ne va pas pouvoir durer comme ça jusqu’au bout du manuscrit, dans cette naïveté première soigneusement calculée. Et ça dure. Maîtrisé jusqu’au dernier mot. Et théâtral .
J’ai été très impressionné. Voilà.”
Extrait de la préface de Marcel BLUWAL
ENFANCE
Aux côtés de Charles elle marchait en silence. Elle pensa qu’elle pourrait presque aller les yeux fermés dans cet hôpital. Il y avait toujours ces mêmes odeurs fades de corps moites, de désinfectants, de linges souillés, de cuisine insipide, et ces odeurs lui rappelèrent ce temps d’apprentissage où elle lisait dans les ballots de linges arrivant à la Niçoise. Mais bien avant déjà elles avaient été celles de son enfance, ses premières odeurs elle pourrait dire. Ont-elles été aussi celles de Charles ? Elle voulait dire : s’en souvient-il comme elle ? Bof, il répondit. Elle insista.
“- Je ne m’en souviens pas et je m’en fous..... Le passé ça ne compte pas”.
Elle s’insurgea : “- Faux ! Je n’ai rien oublié, moi.
- Toi, tu es trop fière.
- Ce n’est pas une tare.
A la dérobée elle observa ce frère taciturne. Qu’est-ce qui les liait ? Le sang ? Elle haussa les épaules. Idiotie. Louis lui avait appris que rien ne serait jamais acquis, que toujours elle aurait à monter au front et il n’était pas sûr que Charles eût à en faire autant. Ni par nécessité, ni par choix. Curieusement l’idée l’effleura qu’elle ne l’enviait pas.
Rien n’avait changé. Leurs talons claquaient toujours sur le dallage. Les peintures sur les murs avaient toujours la même couleur indéfinie : pas vraiment grise, pas vraiment bleue, pas vraiment beige, mais un ton délavé, indécis, où rien, nulle part, ne rappelait la couleur du premier jour ; pas une rainure, pas un coin, pas un plafond, pas une porte que le temps n’eût épargné.
Rien n’avait changé. Depuis quand n’était-elle pas venue ici ? C’était quand la dernière fois ? Elle n’eut que peu d’effort à faire pour revoir le corps gonflé d’eau nu sous sous le drap, les bandelettes serrant les poignées et les chevilles, mais encore la force de gueuler “ t’aim’rais m’voir crever, hein, mais j’ ai pas crevé...ça t’la coupe, hein !... Et avant ? C’était où avant ? C’était quand ? Hurler. Hurler jusqu’à la fin pour qu’on l’entende.
Dans le couloir interminable Charles marche sans se soucier d’elle. Voit-il comme elle à travers les vitres sales le jardin central planté de bégonias et de pensées et les malades en pyjamas assis sur les bancs ?
Rien n’a changé. Même tableaux, mêmes gestes, mêmes odeurs singulières.
“ -C’est ici “.
Charles pousse la porte. Même chambre. Même lumière. Même odeur. Non ! une autre ici....une nouvelle. Marie la hume.
Louis n’a pas un regard pour la porte, pas un clignement d’yeux, pas un tressaillement du visage ou des mains inertes abandonnées sur le drap.Il voyage dans un monde parallèle, le regard fixe, la bouche entrouverte exhalant une odeur pestilentielle. Sous la couverture le corps semble encore plus maigre.
L’infirmière doucement reposa le poignet de Louis sur le drap puis elle baissa le store. Marie l’enviait. Comment ça battait là-dessous ? Comment ça vivait là-dedans ? Elle fit mine de ne pas voir Charles se pencher pour embrasser leur père. Elle n’avait d’yeux que pour le médecin et l’infirmière. Scrutait leur visage intensément, y cherchait la réponse à la question qu’elle brûlait de poser, et comme elle se heurta à leur étonnement, elle transporta son regard vers son père.
Louis tourna un peu la tête vers elle. Sa bouche s’ouvrit. Mais rien.
- Ne vous fatiguez pas dit le médecin en lui tapotant le poignet.
Mais lui voulait. Seul un râle porté par l’effort s’éteignit sur ses lèvres blanchies.
- Allons, allons, gronda le médecin, ne vous fatiguez pas.
Se fatiguer ! ....lui !....Duguet ! Pas un coss...lllui...
Il essayait encore, faisait d’étranges mimiques pour dire le mot qui le libèrerait de cette douleur qui lui broyait la tête, écorchait sa mémoire. Pas fou, Duguet...les yeux...Ils criaient ses yeux, ils criaient ce qu’elle était tandis que ses lèvres luttaient pour réapprendre la parole.
“ - C...cc...est...e...ee...lle.....
Elle soutint sans ciller leur regard interrogatif. Cela elle savait le faire. C’était comme au jeu du bras de fer, et à ce jeu-là maintenant elle gagnait. C’est étrange pensa t-elle, comme la valeur des pions change sur un échiquier : voici que le roi est devenu fou, que le pion est transformé en reine, qu’il n’y a plus de roi et que quoique fasse le fou, il est perdu. Sa jubilation intérieure toucha son visage. Elle en prit conscience et s’efforça de l’effacer en durcissant ses traits. Mais si ce durcissement était l’aveu criant de ce qu’elle était sans choix puisqu’elle ne pouvait que céder à ce qui rugissait en elle ?
Charles s’assit sur le lit et l’infirmière lui ordonna der se lever.
Dans la pénombre silencieuse et confinée de la chambre le père luttait. Il voulait trouver ce mot pour qu’ils sachent qui était Marie, pour qu’il n’y ait pour elle pas d’autre issue que sa condamnation. Un oeil partout...tout le temps...où il avait vu ça... où...oui ! il savait....un maton il comptait les punaises à Melun...Longtemps cet oeil sur lui. Il le voyait tout le temps. Et puis un jour fini. Disparu...Avec les médailles. Et c e mot....ce putain de mot...Madame Griest le connaît. Mais Madame Griest ne vient plus. L’affaire Duguet est une affaire classée...Il l’avait !...il le tenait !... “- E...e...el...a...fat...c...cc...est.... “... Mais le mot encore une fois glissait, s’échappait. Mais où bb...bbo....bobor...Charles pressa la main de son père essuya son visage en sueur. Une voix s’éleva. Et c’est en voyant leur regard scandalisé que Marie se rendit compte que cette voix dure et posée était la sienne, que c’était bien sa voix à elle qui au mépris des convenances avait anticipé sur le temps. Mais ce qui les dérangeait au fond c’était qu’elle ait pu nommer sa pensée secrète. Son désir ? Elle ne pouvait faire autrement et surtout pas semblant. Elle, elle ne respirait pas comme l’on ment. Elle ignorait les vertus du mensonge et ne croyait qu’en la volupté de la vérité. Et comme le père criait encore une fois :
“ - C’...ccc...est.....eeelllle “, elle ouvrit la porte et s’enfuit.
Elle c ourait toujours en arrivant en bas des marches.
Dans le jardin central l’air froid la saisit. Elle serra son duffle-coat, s’arrêta, haletante, chercha son souffle, puis une cigarette. Elle n’avait pas de feu. Malgré elle elle leva les yeux. Là-haut, au troisième étage il y avait une chambre dont le store, elle en était sûre, était encore un peu plus baissé.
FLASH
Conte de la haine ordinaire
J’avais un chien. FLASH, je l’appelais.
Vous allez me dire : Quel drôle de nom pour un chien. T’es sûr que c’était pas une lanterne ?
Si vous me posez cette question je vous répondrais que j’en suis sûr. C’était un chien, un sacré chien même : Un labrador retriewer tout blanc, un chien unique, originaire de Terre Neuve. Un vrai bosseur. Les pêcheurs utilisent les labradors pour récupérer les filets cassés et la morue à la dérive. On peut leur faire confiance. Ils sont calmes, équilibrés. Ce qu’il nous faut, à nous.
Vous pourriez me dire alors : Ouais, on connaît la chanson. Tous les proprios trouvent leur clébard unique. Comme si un clebs, ça n’était pas qu’un clebs, avec ses limites, ses réflexes conditionnés Donne la papatte Couché Assis Aux pieds Tranquille Tais-toi Gentil Su-sucre.
Si vous me disiez ça j’insisterais et je vous dirais qu’il était vraiment unique mon chien. Oui, unique. Il captait cinquante mots, FLASH, oui, cinquante, pas un de moins.
Et là je vous entends ricaner : T’es sûr qu’il était pas polytechnicien, ton clebs ? C’est ce que vous pourriez me dire.
Je vous répondrais alors qu’ il n’était pas polytechnicien. Il était mieux que ça. Il comprenait tout. Il était bien dans sa tête. Mieux que moi dans la mienne... et que vous dans la vôtre, j’en suis sûr.
FLASH, il m’emmenait partout. Et toujours prévenant : Fais gaffe où tu mets les pieds, Petit ! mets tes pas dans mes pattes. Voilà ! comme ça, c’est bien.
On se comprenait.
Sifflement admiratif. Voix off. Dis-donc ! c’était une nounou, ton clebs. Il te torchait aussi ? (rires)
FLASH, il aboyait pas à la lune. Il savait se tenir.
Je l’emmenais au concert, au théâtre. Il aimait ça, mon chien. Je réservais toujours une place au bord de l’allée et FLASH se couchait là, près de moi. Et pas un gémissement pendant le spectacle. Rien. Il écoutait.
La musique ça devait lui rappeler les aboiements des chiens la nuit dans la campagne, vous savez, quand ils hurlent et qu’ on croit que c’est pour rien, eh bien c’est pas pour rien, c’est pour vérifier qu’ils ne sont pas seuls dans le noir, que les copains sont bien là, et quand les copains répondent ça veut dire qu’on n’est pas seul, et c’est mieux de savoir qu’on n’est pas seul au monde à hurler pour rien. Quand on est sûr de ça on peut enfin dormir, même au bout de sa laisse, même si t’as pas de niche...
FLASH, c’était mon ami...
Voix off. Ça aussi on connaît l’histoire du type qu’a pas d’amis et qui dit que les bêtes c’est mieux que les humains. Hein !? C’est ça aussi que tu penses !?
Ce soir-là pour varier un peu j’avais pris une place pour le concert de Pollini. Ce mec-là, il a un jeu pur et limpide, tu planes, t’es au ciel quand il joue les variations de Brahms. Sifflotement de quelques mesures. Oui tu planes. Mes parents pendant ce temps ils dorment tranquilles. Ils savent que je suis avec FLASH. En sécurité.
On a pris le métro à Laumière.
En bas des escaliers j’ai dit “distributeur” et FLASH direct au distributeur, tranquillement, sans bousculer personne. C’est un des mots que je lui ai appris “distributeur”. Presque tous les autres mots c’est l’école de Vincennes où il est allé qui les lui a appris.
Voix off. Ho ! tu nous prendrais pas pour des cons, petit ? Faut arrêter ton délire !
Hé ! Est-ce qu’il a eu son BAC au moins ton clebs ?
FLASH ne faisait jamais un faux-pas. Toujours la truffe au vent à sentir tout ce qui se
passait, ou ce qui pourrait se passer, et que nous, pauvres humains on ne sent pas
parce qu’on est limité dans nos sensations. L’odorat des chiens est vingt à cinquante fois supérieur au notre.Ça dépend des races. C’est vrai je l’ai lu.
On a changé à République et on a attendu la correspondance sur le quai, direction Place d’Italie. La rame tardait un peu mais je n’étais pas encore inquiet. J’avais tout calculé : y a quatre stations pour la Bastille plus le couloir. C’était bon.
FLASH, lui, n’aime pas les quais de métro, ce qu’il y a au-delà du quai pour lui c’est un trou, donc un danger. Et il n’aime pas ça les dangers organisés. Il ne s’avance pas au bord du quai. Jamais. J’entre d’abord dans la rame et il me suit. Par contre il est toujours le premier pour sortir de la rame. Sacré FLASH.
Des types sont arrivés au bout du quai. Ils chahutaient un peu.
On étaient seuls.
Moi avec FLASH.
Eux ensemble. Trois ou quatre. Je les entendais.
Tout à coup il y a eu un silence.
Comme s’il n’y avait plus personne sur le quai. Sauf FLASH et moi.
J’avais bien en main la laisse de FLASH. Grâce au harnais je sens les mouvements de sa tête et de ses pattes, et alors j’ai senti qu’il tournait la tête vers la droite, vers l’endroit où les types étaient arrivés. Ça voulait donc dire qu’ils étaient encore là. Et juste à ce moment-là il y en a un qui a gueulé.
Voix off. Hé les mecs ! visez un peu ! C’est le monde à l’envers. Un Blanc qu’est le larbin d’un Black.
Hé Négro ! quel effet ça te fait d’avoir un larbin à tes pieds ?
Les types se sont approchés.
Ce n’est qu’après que j’ai su que FLASH avait compris avant moi, bien après.
Après...
Un temps.
FLASH s’est un peu avancé vers le bord du quai, donnant un peu de mou à la laisse, juste un peu, comme ça, et je n’ai pas cherché à comprendre pourquoi il faisait ça. Je n’ai pas serré davantage sa laisse, je pensais maintenant au retard de la rame et au
concert que je risquais de rater. Je ne pensais qu’à ça.
FLASH, lui, il avait autre chose en tête.
Les types sont venus tout près.
Voix off. Ho le clebs ! Où t’as appris qu’un Blanc y se vautre aux pieds d’un Black connard de clébard !
Il y en a un qui a dit :
Voix off. Hé Max ! t’es un vrai poète ! ha, ha, ha. Ça rime du con, ça rime !
Ils me cherchaient mais je ne savais pas ce qu’ils me voulaient.
Et puis tout est allé très vite.
J’ai entendu la rame au loin.
J’ai senti le souffle des types tout près de ma nuque.
Soudain FLASH s’est redressé sur ses pattes arrières. Il était devenu plus grand que moi. Tellement plus grand. Il a donné un puissant coup de reins qui m’a fait lâcher la laisse et il s’est mis entre eux et moi, comme s’il voulait se battre, d’homme à homme.
La rame arrivait
elle était là
je l’ai entendue
j’ai senti un vide près de moi
et j’ai entendu un aboiement bref “ tchao Petit, tchao ”.
et la rame qui freinait à mort.
Et puis il y a eu les rires des types, leurs rires, leurs rires terribles...
Un silence
Je m’appelle Jean-Baptiste , Jean-Baptiste Boussama. Je suis né il y a vingt ans une nuit de septembre et la nuit ne m’a jamais quitté. On s’habitue.
Mais je donnerais dix ans de ma vie, oui dix ans, pour voir une seconde, juste une seconde à quoi ressemble le visage de la haine.
F I N
MAUX DES MOTS
Les mots tuent
je te le dis
je te le redis
Les mots tuent
et tu dis ma chaleur
et tu dis ma brûlure
et tu dis mon rivage
mais je suis glacée dedans
Tu vas et tu viens
dans mes glaces
et me tue
un peu plus
Le souffle exaspéré
du jadis pense le présent
et absorbe la lumière
Où étais-tu en ce temps là ?
Les voix oubliées me pressent
de dire ce que tu ne sais pas
et s’avancent
et m’encerclent
et me prennent et m’étouffent
Ah ! de l’air
Laisse-moi retrouver
ce qui ne peut être
et que je cherche
et que je cherche
que je cherche
je cherche
En moi