BIOBIBLIOGRAPHIE
BIOBIBLIOGRAPHIE
Idole errante, récit poétique, Montréal, Éditions Lèvres Urbaines, 1983.
Memory, scénario poétique, Montréal, la Nouvelle Barre du Jour, 1985.
Fiction-nuit, poésie avec quatre dessins de Monique Dussault, St-Lambert, Éditions Le Noroît, 1987.
La dernière femme , poésie avec une linogravure de Célyne Fortin, St-Lambert, Éditions Le Noroît, 1991 (tirage épuisé) 2e édition bilingue tchèque et française, traduction de Jana Boxberger, Prague, Protis, 2000.
La passion au féminin, entretiens, co-auteur avec Josée Bonneville, Montréal, XYZ Éditeur, 1994.
Une main contre le délire, poésie, avec une illustration de Roch Plante, Montréal/Paris, Le Noroît/Erti éditeur, 1995.
L’amoureuse intérieure, suivi de La montagne sacrée, poésie, avec quatre originaux de Roland Giguère, Montréal/Paris, Le Noroît/Le Dé Bleu, 1997, Prix de la Société des Écrivains Canadiens, Prix de la Renaissance française; 2e édition traduite en catalan par Anna Montero, Barcelone, Tandem Edicions, 2002.
Tomber du jour, poésie avec une illustration de Marcelle Ferron, Montréal, Éditions Le Noroît, 1999.
Le corps en tête, poésie, l’Atelier des Brisants, France, 2001, Prix international de poésie Tristan Tzara.
Jardin des vertiges, poésie, illustration de Chan Ky-Yut, Montréal, Hexagone, 2002.
Nouvelles épiphanies, poésie, Trait d’Union/Autres Temps, 2003.
Chute de voyelles, poésie, Trait d’Union/ Montréal/ Autres Temps/ France/ 2004.
Pierres sauvages, poésie, Édition de l’Harmattan, France, 2005 (préface de Jean-Pierre Faye).
Ailleurs en soi, poésie, Éditions Domens, France, 2006.
The last woman, selected poems: 1991-2001, Guernica Edition, 2008 (traduction Antonio D’Alfonso).
Livres d’artistes
Chercheuse d’images, poèmes, livre-sculpture avec dix estampes de Claire Dufresne, peintre-conceptrice, Montréal, Éditions Ming, 1995.
Vue d’un rêve, poèmes, livre-objet avec des peintures originales de Jean-Luc Herman, Paris, Éditions de la Séranne, 1998.
Liturgie du corps, poèmes, livre peint par Jean-Michel Marchetti, Paris, Éditions AEncrages, 1998.
Homme de silence, poème, avec des estampes de Chantal Legendre, Grenoble, Éditions Les Îles en Feuilles, 2000.
L’Errante, suite poétique avec des gravures de Thérèse Boucraut, Paris, Éditions René Tazé, 2001.
La Recluse, poèmes avec quatre rêveries poétiques de l’artiste Mariette, Voiron France, Éditions Le Musée de Mariette, 2001. Prix Henri Caudron/France
L’Énigme du futur, poèmes avec des huiles de Chantal Legendre, édition bilingue Prague/France, Protis/Les Iles en Feuilles, traduction en tchèque de Jana Boxberger, 2001, prix international Saint-Denys Garneau 2002.
Ce que les mots ne peuvent dire, poèmes, livre-concept avec des illustrations de Claire Dufresne, Montréal, Éditions Ming, 2001.
Éclosion du poème, poèmes typographiés avec des aquarelles originales de Chan Ky-Yut, Ottawa, Lyric Edition, 2001.
A ciel ouvert, poèmes manuscrits avec des aquarelles originales de Chan Ky-Yut, Ottawa, Édition de l’artiste, 2002.
Mémoire voilée, suite poétique avec des œuvres de papier moulé, aquarelle et matériaux mixtes de Ginette Trépanier, Champs Vallons, Édition Bell’Arte, 2002.
Jamais loin, poèmes avec des encres de couleur de Michel Mousseau, Éditions TranSignum, Paris, 2004.
Lumière, Bleu de nuit, Démesure, Ivresse, Jardin intérieur, 5 recueils de poèmes avec des encres de Youl, Éditions Architypes, France, 2007.
Éclats de braise, poèmes avec des encres de Anne Slacik, livre peint à la main, no 1 à 16, Éditions Slacik, Paris, 2008.
Poème-affiche
La mutation en noir, accompagné d’une sérigraphie originale de Jaros, Grenoble, maison de la poésie Rhônes-Alpes Éditeur, 1987.
Souffle et Soupir , accompagné d’une sérigraphie originale de Jean-Luc Herman, Paris, Éditions de la Séranne, 1998.
A 2000 années-lumières d’ici, accompagné de deux œuvres de Marcelle Ferron, Outremont, Lanctôt Éditeur, 1999, traduction en roumain par Magda Carneci, Bucarest, 2000, sélectionné par l’Assemblée nationale de France pour l’Anthologie du millénaire, Paris, Éditions Bartillat, 2000.
Nouvelle odyssée, poème-paravent avec des eaux-fortes de Monique Dussault, Éditions du Pôle, Montréal, 2006.
ANTHOLOGIES
Anthologie des écrivains lavallois d’ajourd’hui (1988) 285 p.
Anthologie de la Barre du jour/La nouvelle Barre du Jour, «FIN» (vingt cinq ans de littérature) 1990, 702 p.
Anthologie «Montréal est une ville de poèmes» de Claude Beausoleil, Hexagone, 1992, 316 p.
Anthologie de la poésie des femmes au Québec de Nicole Brossard et Lisette Girouard, 1991, Éditions Remue-ménage.
Anthologie de textes de femmes, traduction en chinois, publiée en Chine, 1995.
Anthologie «Mille poètes, mille poèmes brefs», Éditions l’Arbre à parole, Belgique, 1997.
Anthologie de poètes contemporains, Autour du temps, disque compact et livre, Le Noroît, 1997.
Anthologie «101 poèmes sur les femmes», Éditions Le Temps des Cerises, France, 1997.
Anthologie «Êtres femmes», poèmes de femmes du Québec et de la France, Éditions Le Temps des Cerises/Forges, 1999 (co-réalisé).
Anthologie parlementaire, «Poésie», Éditions Bartillat, Paris, 1999.
Anthologie, «L’Évidence d’aimer» (Éros et les poètes) de Louis Dubost, Éditions Le Dé Bleu, France, 2000.
Anthologie, «Dans les bruits du monde», de Bernadette Griot, Éditions Le Hêtre Pourpre, Belgique, 2000.
Anthologie de la poésie française, Éditions Larousse, Paris, 2007, par Jean Orizet (1000 pages).
Anthologie de la poésie québécoise, Éditions L’Hexagone, Montréal, 2007 par Neveu/Mailhot.
Idole errante, récit poétique, Montréal, Éditions Lèvres Urbaines, 1983.
Memory, scénario poétique, Montréal, la Nouvelle Barre du Jour, 1985.
Fiction-nuit, poésie avec quatre dessins de Monique Dussault, St-Lambert, Éditions Le Noroît, 1987.
La dernière femme , poésie avec une linogravure de Célyne Fortin, St-Lambert, Éditions Le Noroît, 1991 (tirage épuisé) 2e édition bilingue tchèque et française, traduction de Jana Boxberger, Prague, Protis, 2000.
La passion au féminin, entretiens, co-auteur avec Josée Bonneville, Montréal, XYZ Éditeur, 1994.
Une main contre le délire, poésie, avec une illustration de Roch Plante, Montréal/Paris, Le Noroît/Erti éditeur, 1995.
L’amoureuse intérieure, suivi de La montagne sacrée, poésie, avec quatre originaux de Roland Giguère, Montréal/Paris, Le Noroît/Le Dé Bleu, 1997, Prix de la Société des Écrivains Canadiens, Prix de la Renaissance française; 2e édition traduite en catalan par Anna Montero, Barcelone, Tandem Edicions, 2002.
Tomber du jour, poésie avec une illustration de Marcelle Ferron, Montréal, Éditions Le Noroît, 1999.
Le corps en tête, poésie, l’Atelier des Brisants, France, 2001, Prix international de poésie Tristan Tzara.
Jardin des vertiges, poésie, illustration de Chan Ky-Yut, Montréal, Hexagone, 2002.
Nouvelles épiphanies, poésie, Trait d’Union/Autres Temps, 2003.
Chute de voyelles, poésie, Trait d’Union/ Montréal/ Autres Temps/ France/ 2004.
Pierres sauvages, poésie, Édition de l’Harmattan, France, 2005 (préface de Jean-Pierre Faye).
Ailleurs en soi, poésie, Éditions Domens, France, 2006.
The last woman, selected poems: 1991-2001, Guernica Edition, 2008 (traduction Antonio D’Alfonso).
Livres d’artistes
Chercheuse d’images, poèmes, livre-sculpture avec dix estampes de Claire Dufresne, peintre-conceptrice, Montréal, Éditions Ming, 1995.
Vue d’un rêve, poèmes, livre-objet avec des peintures originales de Jean-Luc Herman, Paris, Éditions de la Séranne, 1998.
Liturgie du corps, poèmes, livre peint par Jean-Michel Marchetti, Paris, Éditions AEncrages, 1998.
Homme de silence, poème, avec des estampes de Chantal Legendre, Grenoble, Éditions Les Îles en Feuilles, 2000.
L’Errante, suite poétique avec des gravures de Thérèse Boucraut, Paris, Éditions René Tazé, 2001.
La Recluse, poèmes avec quatre rêveries poétiques de l’artiste Mariette, Voiron France, Éditions Le Musée de Mariette, 2001. Prix Henri Caudron/France
L’Énigme du futur, poèmes avec des huiles de Chantal Legendre, édition bilingue Prague/France, Protis/Les Iles en Feuilles, traduction en tchèque de Jana Boxberger, 2001, prix international Saint-Denys Garneau 2002.
Ce que les mots ne peuvent dire, poèmes, livre-concept avec des illustrations de Claire Dufresne, Montréal, Éditions Ming, 2001.
Éclosion du poème, poèmes typographiés avec des aquarelles originales de Chan Ky-Yut, Ottawa, Lyric Edition, 2001.
A ciel ouvert, poèmes manuscrits avec des aquarelles originales de Chan Ky-Yut, Ottawa, Édition de l’artiste, 2002.
Mémoire voilée, suite poétique avec des œuvres de papier moulé, aquarelle et matériaux mixtes de Ginette Trépanier, Champs Vallons, Édition Bell’Arte, 2002.
Jamais loin, poèmes avec des encres de couleur de Michel Mousseau, Éditions TranSignum, Paris, 2004.
Lumière, Bleu de nuit, Démesure, Ivresse, Jardin intérieur, 5 recueils de poèmes avec des encres de Youl, Éditions Architypes, France, 2007.
Éclats de braise, poèmes avec des encres de Anne Slacik, livre peint à la main, no 1 à 16, Éditions Slacik, Paris, 2008.
Poème-affiche
La mutation en noir, accompagné d’une sérigraphie originale de Jaros, Grenoble, maison de la poésie Rhônes-Alpes Éditeur, 1987.
Souffle et Soupir , accompagné d’une sérigraphie originale de Jean-Luc Herman, Paris, Éditions de la Séranne, 1998.
A 2000 années-lumières d’ici, accompagné de deux œuvres de Marcelle Ferron, Outremont, Lanctôt Éditeur, 1999, traduction en roumain par Magda Carneci, Bucarest, 2000, sélectionné par l’Assemblée nationale de France pour l’Anthologie du millénaire, Paris, Éditions Bartillat, 2000.
Nouvelle odyssée, poème-paravent avec des eaux-fortes de Monique Dussault, Éditions du Pôle, Montréal, 2006.
ANTHOLOGIES
Anthologie des écrivains lavallois d’ajourd’hui (1988) 285 p.
Anthologie de la Barre du jour/La nouvelle Barre du Jour, «FIN» (vingt cinq ans de littérature) 1990, 702 p.
Anthologie «Montréal est une ville de poèmes» de Claude Beausoleil, Hexagone, 1992, 316 p.
Anthologie de la poésie des femmes au Québec de Nicole Brossard et Lisette Girouard, 1991, Éditions Remue-ménage.
Anthologie de textes de femmes, traduction en chinois, publiée en Chine, 1995.
Anthologie «Mille poètes, mille poèmes brefs», Éditions l’Arbre à parole, Belgique, 1997.
Anthologie de poètes contemporains, Autour du temps, disque compact et livre, Le Noroît, 1997.
Anthologie «101 poèmes sur les femmes», Éditions Le Temps des Cerises, France, 1997.
Anthologie «Êtres femmes», poèmes de femmes du Québec et de la France, Éditions Le Temps des Cerises/Forges, 1999 (co-réalisé).
Anthologie parlementaire, «Poésie», Éditions Bartillat, Paris, 1999.
Anthologie, «L’Évidence d’aimer» (Éros et les poètes) de Louis Dubost, Éditions Le Dé Bleu, France, 2000.
Anthologie, «Dans les bruits du monde», de Bernadette Griot, Éditions Le Hêtre Pourpre, Belgique, 2000.
Anthologie de la poésie française, Éditions Larousse, Paris, 2007, par Jean Orizet (1000 pages).
Anthologie de la poésie québécoise, Éditions L’Hexagone, Montréal, 2007 par Neveu/Mailhot.
ARTICLES
JARDIN DES VERTIGES (L’Hexagone, Québec, Canada)
La Québécoise Claudine Bertrand nous livre une de ses meilleures inspirations poétiques avec ce recueil. Son titre en dit l’apparent paradoxe : un jardin est une création délibérée, gouvernée par l’homme, à l’inverse des vertiges qui le surprennent et l’étourdissent. Mais la poésie n’est-elle justement pas cette emprise forte et irrésistible sur les sens, qui pourtant est connue et dirigée par les mots? Le début du livre le dit en beaux vers : «La vie s’est pendue au cou / puis dans la pénombre a cogné / comme tête contre poitrine// Chacun de ses mots / peut offrir du jour / peut manger du ciel.» Joie souvent, parfois amertume : «Mots contre nature / on les met en terre / pour faire venir l’aigreur// Dieu est une saveur / dans la bouche basse / il sécrète sa semence// sait-on ce qu’aimer veut dire?».
On sent assez que rien n’est abstrait, théorique, dans cette poésie pleine de souffles, de plantes, d’animaux, d’eaux qui métamorphosent jusqu’à la réalité urbaine : «Chargée de cascades / au mollet nerveux et musclé / la ville n’est plus la ville.» Une poésie qui herborise l’hellébore, le nombril-de-Vénus, la «Circée des Alpes / à deux pétales», qui interpelle des «clochers en cavale». Une fraîcheur, au goût de vivre si rares dans la poésie contemporaine! La sensualité du corps se transmet à la nature : «De la cuisse des aubépines / s’affole la tombée du jour», et réciproquement le corps amoureux est traversé d’une exaltation panique : «Grâce à l’odorat / les yeux fermés / on sait que l’amant est là// Elle tend les bras / Et sa bouche tourmente / comme la mer à boire// Devant le fenouil feuillage en nuage / le corps à corps se noue / se fout de tout.» L’élan va de la fragilité des arbres et de la chair à la voie lactée, dans une appropriation panthéiste fervente : «Balcon en forêt / offre une liturgie nouvelle / chaque jour ouvre le missel de tes mains / la parole nous exprime.»
Comment, lors du séjour en Rhône-Alpes qui a suscité ce recueil, Claudine Bertrand n’aurait-elle pas aimé les pages de Rousseau sur son bonheur aux Charmettes, les vieilles histoires paysannes, et cette femme guérisseuse, un peu magicienne, «qui parle à la nature», enseignant que «pour provoquer les rêves on boit / une infusion de clefs de noix»? Cette femme, c’est elle-même dans le jardin des mots. Comme pour le corps les décoctions de bardane, la lecture de ses pages est tonique pour l’esprit. «Traversée de matière vivante / je vibre comme pas une en bout de souffle» : oui, avec des mots précis, vifs ou tendres, une rythmique concertée.
Claudine Bertrand déploie au Québec beaucoup d’activité, dirigeant la revue Arcade et une collection de poésie; mais elle est aussi, surtout, un notable poète – disons comme au Québec une poète, c’est tellement mieux! – dont le portrait serait bien celui-ci : «Sans gêne et sans retenue / les lieux la courtisent// Avec mots images / et pointe de malice// Attise le sang des cigales / près de la roche pleureuse / plus elle s’approche / plus les larmes s’assèchent.»
Marie-Claire BANCQUART
Europe, Automne 2002
UN LIVRE À L’ENVERS
Avez-vous remarqué comme la lecture, au gré même de votre intérêt, peut aller de soi dans un mouvement dont la régularité vous double d’une sorte de volume agréablement neutre? On dirait que la conscience a trouvé là une compagnie intelligente, qui entretient son éveil mécaniquement. L’habitude se loge ainsi partout, y compris dans l’acte qui a pris son départ dans la passion. Mais cet acte attend toujours la secousse première, quitte à ne l’espérer plus qu’à l’improviste.
Vous avez donc «pris ce qui a toutes les chances de n’être qu’un livre de plus quand, soudain, la ligne s’effondre et vous voici à bout de souffle. Vous aviez oublié que lire est une respiration mentale et qu’il suffit à la phrase de rompre le rythme ordinaire pour qu’aussitôt – sujet, verbe, complément, qualificatifs, propositions principale et subordonnées étant déchaînés – advienne un désaccordement qui précipite en vous une présence. Tout va très vite, sans approche, sans alerte, car la structure de la phrase est une forme qui vous envahit, vous occupe.
Bien sûr, vous examinez cet effet, c’est-à-dire que vous remontez la page et relisez : «Je sens le drap une tendre partition nous nous perdons en étreintes rien n’est arrivé ton désir épars dernier croquis.» Oui, un seul point au bout, et cette succession par petites saccades qui s’accolent en battant de vitesse la logique et en faisant trembler le sens. S’agit-il d’images ou bien de sensations? Cette phrase, déjà, vous entraîne dans une autre dimension qui, brouillant tête et cœur, émeut toute votre épaisseur charnelle. Ou plutôt va l’émouvoir à mesure que l’effet produit par cette phrase sera multiplié par les suivantes.
Cependant, plus la lecture vous entraîne dans un engagement proche de l’étreinte – une étreinte aérienne -, plus vous devenez vigilant car cette résistance intensifie la relation avec le livre. Vous remarquez alors que, étant à présent accordé à la phrase, vous commencez à percevoir quelque chose qui, pour apparaître, avait justement besoin de cet accord, et qui est un espace très efficient et très étrange. C’est que La dernière femme de Claudine Bertrand n’est pas qu’un récitatif poétique à la bizarre douceur syncopée, mais un livre à l’envers puisqu’il établit ses références depuis l’intérieur de lui-même.
Cette impression de renversement interne s’enrichit encore quand vous prenez conscience que, dans son élan, frémit un désir bien plus secret. Vous hésitez longuement avant d’y reconnaître une vie à la recherche du modèle originel dont elle dépend et dont elle voudrait, ici, provoquer l’apparition afin d’y lire son propre sens. Claudine Bertrand ne compose pas seulement un poème : elle tente, à travers son élaboration, d’en réanimer la fonction la plus ancienne, qui est d’être le révélateur de la Figure. Autrement dit de la force naturelle la plus intime, avec sa chair de ténèbres et sa volonté de tirer de l’obscur une forme éclaircie.
Peut-être tout cela est-il au fond une remontée vers l’enfance, non pas telle que la reconstitue la mémoire, mais telle qu’au contraire elle échappe au souvenir dans son tourbillon de violences et d’enchantements. Après tout, l’enfance elle aussi est une sorte d’élément à l’état sauvage tant que son énergie n’a pas été captivée dans un Visage! L’étonnant, dans cette Dernière femme, est que l’auteur y soit allée par le poème vers le sens de sa vie, et en utilisant le perpétuel présent de l’écriture comme une surface miroitante où viennent se projeter les vieilles ombres.
Bernard Noël
In Lettres québécoises, automne 2001
MAIN DE DERNIÈRE FEMME
Le corps en tête de Claudine Bertrand
L’Atelier des brisants, 111 p.
La dernière femme de Claudine Bertrand
Traduit en tchèque par Jana Boxberger, Protis, 1140 p.
L’année 2000 est celle de La dernière femme. En plusieurs lieux, par Claudine Bertrand. «Elle se répète le même film rejoué en accéléré écarte un peu les jambes sa langue à plein corps.» Je veux dire : elle survient à Prague neuf ans après Montréal, et deux fois traduite : en langue tchèque, par une femme; en dessin par un homme. «Le siècle appartient à la nuit il fait très chaud ce soir elle encourt la chance et se réveille enroulée d’un autre corps.» «…le visage peint moitié de nuit moitié de jour.» Voici la moitié/moitié du passage de siècle au travers du corps féminin. Celui qu’annonce trois ans plus tôt la dédicace d’un livre «pour une fille qui naîtra de moi et moi d’elle Marie-Anaïs Nadja…»
Nadja? «6 octobre -…je sors vers quatre heures pour l’intention de me rendre à pied à «la Nouvelle France» où je dois rejoindre Nadja à cinq heures et demis.» Voici donc André Breton en personne, partant pour la Nouvelle France. Mais j’y suis déjà arrivé, qui se nomme désormais Canada, et Québec, en écriture de poésie. Une écriture s’y délivre, d’un an l’autre, d’année en année. Idole errante. Memory. Fiction-nuit. La dernière femme (La passion au féminin). Une main contre le délire. L’amoureuse intérieure. Liturgie du corps. Tomber du jour. À 2000 années-lumière d’ici. L’énigme du futur. Le corps en tête.
L’un des livres me parlait en premier : Une main contre le délire. Portant sur la page de couverture la composition en panoplie de Roch Plante – qui n’est autre que Réjean Ducharme. Je le lis à Senago, près de Milan, dans la Villa Borromee : «D’hier à demain/et plus loin/ne se souvient de rien/pas même d’ici//……Ses yeux/la zone grise/qu’elle pose/sur les heures/sans rien retenir//… Le corps de l’autre/à bout de souffle/l’homme/d’un soir trop long/à écouter//…Un opéra lointain/lui bouleverse/un futur intérieur.» Quel sera ce salon au fond d’un lac aménagé par une femme qui adresse les signes de la dénégation par cette distance du tout près : «…elle reprend goût/à la nuit/de tous les jours.» Cette Femme à fables en invente par lignes : «…s’invente/un dieu/à force d’écrire.» Une espèce d’imperturbable évidence, écrira Bernard Noël : sentiment étrange d’une action en cours.
Femme épique
Il est vrai que Le corps en tête est une singulière avance : «Des mains poussent. Elles soufflent sous ma robe…Enlangue-moi, ô loup de mer… Plante tes dents… chairis-moi…» J’aperçois une épopée au féminin qui serait un épique taoïste, par le moins-dit. Car aucune femme peut-être ne fut épopiste. Imagine-t-on La Jérusalem délivrée ou La Messiade ou Paradise lost écrites par une femme? Mais au-dessus de ces monstres de poésie s’esquisse l’ombre plus haute du poème au féminin. Pernette du Guillet, avec son nom d’héroïne d’une simple fable de La Fontaine, nous enchante infiniment plus que ces vastes machines : «L’heur de mon mal enflammant le désir// …Qui fait que mort tient l’autre en son pouvoir// …Dieu aveuglé, tu nous as fait avoir / Du bien le mal…» Je vois, par Claudine Bertrand, approcher de minces et violents dangers : «Le jour s’arme de regards sans yeux // ,,,il lui use les hanches. Plus rien n’est à lui… devenu ce qu’il voit.» Et «l’infatigable sorcier» est mis à merci par celle qui «mange un signe dans chaque tableau». Or, «le feu coule de toi en moi, et c’est mon sang. Il siffle dans mes veines». Or chaque page est alors épisode. «Je m’allonge à vos côtés. Nos corps s’en vont de fable en fable.»
Au centre de la suite sans repère une dramatique. «L’ultime nuit, plus vaste et noire que les autres, enlace nos corps / seins et cuisses gémissent / Une histoire délirante / Le dernier matin, on se baigne / Dans la lumière crue je songe à ce corps. / Je cache mon visage en larmes, l’orage de profil / Je n’entends que la rage / Ce matin où tout s’est joué en un éclair.» L’amoureuse intérieure : mais en quel «épisode»? «Une image floue dans l’audace de la lumière…» Or, «elle retrouve invariablement son existence entre les lignes».
L’audace de la lumière
Épisode et fable. «Derrière une voix suppliante, j’entends celle du père, du frère, de l’amant, puis de l’enfant. Tant de choses à taire / le désir n’est-il qu’une passion orpheline dans ce pays de sable…» «Voix au-dedans de la voix, jets de vie…» «Reprise de la scène primitive / Mon côté femme, je le camoufle / sous la chair, veillent des griffures / Le café dans la tasse, je n’en ai pas bu.» Ainsi, le poème dit plus vite, plus fort, ce qui serait un romanesque longtemps. Il marque au fer la fragilité. Voici donc l’audace de la lumière.
S’il y a «québécoiserie» - comme disait Leiris – en cette forme d’imperturbable douleur, c’est bien dans cette façon de laisser basculer le paysage. Cette fois, là encore; autour du corps féminin. Ici plus qu’ailleurs on voit l’univers bouger soudain. Il n’y avait pas de voie fluviale, pas de bec avancé, avant le récit corporel qui conduit sous cette falaise et au bord de cette île le navire mallarméen porteur de femmes et d’hommes : «Au seul souci de voyager / Outre une Inde splendide et trouble / Ce salut soit le messager / Du temps, cap que ta poupe double // …Solitude récif étoile / À n’importe ce qui valut / Le blanc souci de notre toile.» L’écoute mallarméenne m’a fait longtemps penser, avant de le voir, au pays de Nelligan. Le Huron à Versailles, dont les belles dames vérifient, à l’instant de son baptême debout dans l’eau, qu’il n’est pas celui de l’ennuque raconté par les Actes des Apôtres, le voilà façonné par le corps au féminin, qui lui donne pouvoir de continuer l’univers sans que celui-ci s’abîme au chaos.
Or, de même qu’il s’en faut d’être deux pour pouvoir poursuivre le tracé du monde, il fallait la double langue fécondante sur le Saint-Laurent. Aujourd’hui, pas de meilleure «Défense et illustration de la langue québécoise», que cette langue de poésie en dix livres où Claudine Bertrand, porteuse d’Arcade et cariatide elle-même, porte l’imperturbable évidence d’une prosepoésie de parfaite langue française : lumineuse fenêtre au même continent, pour l’ample toile en la langue anglaise – celle que rencontre soudain Baudelaire en Poe et dont il a ramené le filet au continent européen.
«Ici, dans le silence» où «la dernière femme {est} enfermée dans le roman d’un sujet inavouable appelé délire». Une main vient et devient «contre le délire», qui est poème. Quand le F de femme «tient lieu de mémoire d’une enfance à l’eau de prose». Car «la forme du journal intime tient à l’œil nu». Or la nudité de l’œil est poésie. «Tu me hâtes en toi», dans les mots de Gaston Miron. Dont elle est la successeur authentique et la sauvage parèdre.
Jean-Pierre Faye
In Revue Spirale, 2003
JARDIN DES VERTIGES (L’Hexagone, Québec, Canada)
La Québécoise Claudine Bertrand nous livre une de ses meilleures inspirations poétiques avec ce recueil. Son titre en dit l’apparent paradoxe : un jardin est une création délibérée, gouvernée par l’homme, à l’inverse des vertiges qui le surprennent et l’étourdissent. Mais la poésie n’est-elle justement pas cette emprise forte et irrésistible sur les sens, qui pourtant est connue et dirigée par les mots? Le début du livre le dit en beaux vers : «La vie s’est pendue au cou / puis dans la pénombre a cogné / comme tête contre poitrine// Chacun de ses mots / peut offrir du jour / peut manger du ciel.» Joie souvent, parfois amertume : «Mots contre nature / on les met en terre / pour faire venir l’aigreur// Dieu est une saveur / dans la bouche basse / il sécrète sa semence// sait-on ce qu’aimer veut dire?».
On sent assez que rien n’est abstrait, théorique, dans cette poésie pleine de souffles, de plantes, d’animaux, d’eaux qui métamorphosent jusqu’à la réalité urbaine : «Chargée de cascades / au mollet nerveux et musclé / la ville n’est plus la ville.» Une poésie qui herborise l’hellébore, le nombril-de-Vénus, la «Circée des Alpes / à deux pétales», qui interpelle des «clochers en cavale». Une fraîcheur, au goût de vivre si rares dans la poésie contemporaine! La sensualité du corps se transmet à la nature : «De la cuisse des aubépines / s’affole la tombée du jour», et réciproquement le corps amoureux est traversé d’une exaltation panique : «Grâce à l’odorat / les yeux fermés / on sait que l’amant est là// Elle tend les bras / Et sa bouche tourmente / comme la mer à boire// Devant le fenouil feuillage en nuage / le corps à corps se noue / se fout de tout.» L’élan va de la fragilité des arbres et de la chair à la voie lactée, dans une appropriation panthéiste fervente : «Balcon en forêt / offre une liturgie nouvelle / chaque jour ouvre le missel de tes mains / la parole nous exprime.»
Comment, lors du séjour en Rhône-Alpes qui a suscité ce recueil, Claudine Bertrand n’aurait-elle pas aimé les pages de Rousseau sur son bonheur aux Charmettes, les vieilles histoires paysannes, et cette femme guérisseuse, un peu magicienne, «qui parle à la nature», enseignant que «pour provoquer les rêves on boit / une infusion de clefs de noix»? Cette femme, c’est elle-même dans le jardin des mots. Comme pour le corps les décoctions de bardane, la lecture de ses pages est tonique pour l’esprit. «Traversée de matière vivante / je vibre comme pas une en bout de souffle» : oui, avec des mots précis, vifs ou tendres, une rythmique concertée.
Claudine Bertrand déploie au Québec beaucoup d’activité, dirigeant la revue Arcade et une collection de poésie; mais elle est aussi, surtout, un notable poète – disons comme au Québec une poète, c’est tellement mieux! – dont le portrait serait bien celui-ci : «Sans gêne et sans retenue / les lieux la courtisent// Avec mots images / et pointe de malice// Attise le sang des cigales / près de la roche pleureuse / plus elle s’approche / plus les larmes s’assèchent.»
Marie-Claire BANCQUART
Europe, Automne 2002
UN LIVRE À L’ENVERS
Avez-vous remarqué comme la lecture, au gré même de votre intérêt, peut aller de soi dans un mouvement dont la régularité vous double d’une sorte de volume agréablement neutre? On dirait que la conscience a trouvé là une compagnie intelligente, qui entretient son éveil mécaniquement. L’habitude se loge ainsi partout, y compris dans l’acte qui a pris son départ dans la passion. Mais cet acte attend toujours la secousse première, quitte à ne l’espérer plus qu’à l’improviste.
Vous avez donc «pris ce qui a toutes les chances de n’être qu’un livre de plus quand, soudain, la ligne s’effondre et vous voici à bout de souffle. Vous aviez oublié que lire est une respiration mentale et qu’il suffit à la phrase de rompre le rythme ordinaire pour qu’aussitôt – sujet, verbe, complément, qualificatifs, propositions principale et subordonnées étant déchaînés – advienne un désaccordement qui précipite en vous une présence. Tout va très vite, sans approche, sans alerte, car la structure de la phrase est une forme qui vous envahit, vous occupe.
Bien sûr, vous examinez cet effet, c’est-à-dire que vous remontez la page et relisez : «Je sens le drap une tendre partition nous nous perdons en étreintes rien n’est arrivé ton désir épars dernier croquis.» Oui, un seul point au bout, et cette succession par petites saccades qui s’accolent en battant de vitesse la logique et en faisant trembler le sens. S’agit-il d’images ou bien de sensations? Cette phrase, déjà, vous entraîne dans une autre dimension qui, brouillant tête et cœur, émeut toute votre épaisseur charnelle. Ou plutôt va l’émouvoir à mesure que l’effet produit par cette phrase sera multiplié par les suivantes.
Cependant, plus la lecture vous entraîne dans un engagement proche de l’étreinte – une étreinte aérienne -, plus vous devenez vigilant car cette résistance intensifie la relation avec le livre. Vous remarquez alors que, étant à présent accordé à la phrase, vous commencez à percevoir quelque chose qui, pour apparaître, avait justement besoin de cet accord, et qui est un espace très efficient et très étrange. C’est que La dernière femme de Claudine Bertrand n’est pas qu’un récitatif poétique à la bizarre douceur syncopée, mais un livre à l’envers puisqu’il établit ses références depuis l’intérieur de lui-même.
Cette impression de renversement interne s’enrichit encore quand vous prenez conscience que, dans son élan, frémit un désir bien plus secret. Vous hésitez longuement avant d’y reconnaître une vie à la recherche du modèle originel dont elle dépend et dont elle voudrait, ici, provoquer l’apparition afin d’y lire son propre sens. Claudine Bertrand ne compose pas seulement un poème : elle tente, à travers son élaboration, d’en réanimer la fonction la plus ancienne, qui est d’être le révélateur de la Figure. Autrement dit de la force naturelle la plus intime, avec sa chair de ténèbres et sa volonté de tirer de l’obscur une forme éclaircie.
Peut-être tout cela est-il au fond une remontée vers l’enfance, non pas telle que la reconstitue la mémoire, mais telle qu’au contraire elle échappe au souvenir dans son tourbillon de violences et d’enchantements. Après tout, l’enfance elle aussi est une sorte d’élément à l’état sauvage tant que son énergie n’a pas été captivée dans un Visage! L’étonnant, dans cette Dernière femme, est que l’auteur y soit allée par le poème vers le sens de sa vie, et en utilisant le perpétuel présent de l’écriture comme une surface miroitante où viennent se projeter les vieilles ombres.
Bernard Noël
In Lettres québécoises, automne 2001
MAIN DE DERNIÈRE FEMME
Le corps en tête de Claudine Bertrand
L’Atelier des brisants, 111 p.
La dernière femme de Claudine Bertrand
Traduit en tchèque par Jana Boxberger, Protis, 1140 p.
L’année 2000 est celle de La dernière femme. En plusieurs lieux, par Claudine Bertrand. «Elle se répète le même film rejoué en accéléré écarte un peu les jambes sa langue à plein corps.» Je veux dire : elle survient à Prague neuf ans après Montréal, et deux fois traduite : en langue tchèque, par une femme; en dessin par un homme. «Le siècle appartient à la nuit il fait très chaud ce soir elle encourt la chance et se réveille enroulée d’un autre corps.» «…le visage peint moitié de nuit moitié de jour.» Voici la moitié/moitié du passage de siècle au travers du corps féminin. Celui qu’annonce trois ans plus tôt la dédicace d’un livre «pour une fille qui naîtra de moi et moi d’elle Marie-Anaïs Nadja…»
Nadja? «6 octobre -…je sors vers quatre heures pour l’intention de me rendre à pied à «la Nouvelle France» où je dois rejoindre Nadja à cinq heures et demis.» Voici donc André Breton en personne, partant pour la Nouvelle France. Mais j’y suis déjà arrivé, qui se nomme désormais Canada, et Québec, en écriture de poésie. Une écriture s’y délivre, d’un an l’autre, d’année en année. Idole errante. Memory. Fiction-nuit. La dernière femme (La passion au féminin). Une main contre le délire. L’amoureuse intérieure. Liturgie du corps. Tomber du jour. À 2000 années-lumière d’ici. L’énigme du futur. Le corps en tête.
L’un des livres me parlait en premier : Une main contre le délire. Portant sur la page de couverture la composition en panoplie de Roch Plante – qui n’est autre que Réjean Ducharme. Je le lis à Senago, près de Milan, dans la Villa Borromee : «D’hier à demain/et plus loin/ne se souvient de rien/pas même d’ici//……Ses yeux/la zone grise/qu’elle pose/sur les heures/sans rien retenir//… Le corps de l’autre/à bout de souffle/l’homme/d’un soir trop long/à écouter//…Un opéra lointain/lui bouleverse/un futur intérieur.» Quel sera ce salon au fond d’un lac aménagé par une femme qui adresse les signes de la dénégation par cette distance du tout près : «…elle reprend goût/à la nuit/de tous les jours.» Cette Femme à fables en invente par lignes : «…s’invente/un dieu/à force d’écrire.» Une espèce d’imperturbable évidence, écrira Bernard Noël : sentiment étrange d’une action en cours.
Femme épique
Il est vrai que Le corps en tête est une singulière avance : «Des mains poussent. Elles soufflent sous ma robe…Enlangue-moi, ô loup de mer… Plante tes dents… chairis-moi…» J’aperçois une épopée au féminin qui serait un épique taoïste, par le moins-dit. Car aucune femme peut-être ne fut épopiste. Imagine-t-on La Jérusalem délivrée ou La Messiade ou Paradise lost écrites par une femme? Mais au-dessus de ces monstres de poésie s’esquisse l’ombre plus haute du poème au féminin. Pernette du Guillet, avec son nom d’héroïne d’une simple fable de La Fontaine, nous enchante infiniment plus que ces vastes machines : «L’heur de mon mal enflammant le désir// …Qui fait que mort tient l’autre en son pouvoir// …Dieu aveuglé, tu nous as fait avoir / Du bien le mal…» Je vois, par Claudine Bertrand, approcher de minces et violents dangers : «Le jour s’arme de regards sans yeux // ,,,il lui use les hanches. Plus rien n’est à lui… devenu ce qu’il voit.» Et «l’infatigable sorcier» est mis à merci par celle qui «mange un signe dans chaque tableau». Or, «le feu coule de toi en moi, et c’est mon sang. Il siffle dans mes veines». Or chaque page est alors épisode. «Je m’allonge à vos côtés. Nos corps s’en vont de fable en fable.»
Au centre de la suite sans repère une dramatique. «L’ultime nuit, plus vaste et noire que les autres, enlace nos corps / seins et cuisses gémissent / Une histoire délirante / Le dernier matin, on se baigne / Dans la lumière crue je songe à ce corps. / Je cache mon visage en larmes, l’orage de profil / Je n’entends que la rage / Ce matin où tout s’est joué en un éclair.» L’amoureuse intérieure : mais en quel «épisode»? «Une image floue dans l’audace de la lumière…» Or, «elle retrouve invariablement son existence entre les lignes».
L’audace de la lumière
Épisode et fable. «Derrière une voix suppliante, j’entends celle du père, du frère, de l’amant, puis de l’enfant. Tant de choses à taire / le désir n’est-il qu’une passion orpheline dans ce pays de sable…» «Voix au-dedans de la voix, jets de vie…» «Reprise de la scène primitive / Mon côté femme, je le camoufle / sous la chair, veillent des griffures / Le café dans la tasse, je n’en ai pas bu.» Ainsi, le poème dit plus vite, plus fort, ce qui serait un romanesque longtemps. Il marque au fer la fragilité. Voici donc l’audace de la lumière.
S’il y a «québécoiserie» - comme disait Leiris – en cette forme d’imperturbable douleur, c’est bien dans cette façon de laisser basculer le paysage. Cette fois, là encore; autour du corps féminin. Ici plus qu’ailleurs on voit l’univers bouger soudain. Il n’y avait pas de voie fluviale, pas de bec avancé, avant le récit corporel qui conduit sous cette falaise et au bord de cette île le navire mallarméen porteur de femmes et d’hommes : «Au seul souci de voyager / Outre une Inde splendide et trouble / Ce salut soit le messager / Du temps, cap que ta poupe double // …Solitude récif étoile / À n’importe ce qui valut / Le blanc souci de notre toile.» L’écoute mallarméenne m’a fait longtemps penser, avant de le voir, au pays de Nelligan. Le Huron à Versailles, dont les belles dames vérifient, à l’instant de son baptême debout dans l’eau, qu’il n’est pas celui de l’ennuque raconté par les Actes des Apôtres, le voilà façonné par le corps au féminin, qui lui donne pouvoir de continuer l’univers sans que celui-ci s’abîme au chaos.
Or, de même qu’il s’en faut d’être deux pour pouvoir poursuivre le tracé du monde, il fallait la double langue fécondante sur le Saint-Laurent. Aujourd’hui, pas de meilleure «Défense et illustration de la langue québécoise», que cette langue de poésie en dix livres où Claudine Bertrand, porteuse d’Arcade et cariatide elle-même, porte l’imperturbable évidence d’une prosepoésie de parfaite langue française : lumineuse fenêtre au même continent, pour l’ample toile en la langue anglaise – celle que rencontre soudain Baudelaire en Poe et dont il a ramené le filet au continent européen.
«Ici, dans le silence» où «la dernière femme {est} enfermée dans le roman d’un sujet inavouable appelé délire». Une main vient et devient «contre le délire», qui est poème. Quand le F de femme «tient lieu de mémoire d’une enfance à l’eau de prose». Car «la forme du journal intime tient à l’œil nu». Or la nudité de l’œil est poésie. «Tu me hâtes en toi», dans les mots de Gaston Miron. Dont elle est la successeur authentique et la sauvage parèdre.
Jean-Pierre Faye
In Revue Spirale, 2003
EXTRAITS
LE CORPS EN TÊTE
Un peu de nuit s’attarde à nos pieds
comme un reste de nos paroles.
Le corps est une signature enfantine
depuis longtemps oubliée.
Quelqu’un piétine le givre craquant
des lettres.
***
Quelqu’un tire un rideau et voilà
qu’apparaît la fêlure du monde.
C’est un cheveu sur l’œil.
C’est une lézarde au milieu de la langue.
Un vieux foyer bordé de dents.
***
L’ombre du ciel se frotte contre toi.
Tu es le contre jour qui passe
à côté du présent.
Elle rassemble ses doigts. Elle en fait un bouquet. Elle four-
re cela d’un coup dans ta bouche. Elle veut que tu suces le goût du temps.
***
Peut-on offrir toute la profondeur
d’un coup de surface? Il y a des seins
dans le toucher, des cœurs dans la pulpe.
Celui qui aime n’a qu’un désir :
violer les règles du je.
***
Quand la respiration devient la langue
du silence, je souffle un peu plus fort.
Tu ne vois peut-être que ma buée.
Tu lèches ma pensée en l’air.
**
Elle accueille de toute sa peau
des signes que son corps déchiffre
en dessous. Les grands mots du désir
coulent dans l’invisible. Elle écoute
cette longue phrase pénétrante.
***
Le poème est une aventure à
mener pour lui.
Son mouvement absorbe celui
de la vie. Il rend sensible
la peau du silence.
**
Comme dans un tableau, les personnages
sont des couleurs,
donc de la matière vivante.
Leur sexe n'est pas sexuel,
il est l'ombre de la chair.
**
Le réel se rêve dans l'écriture,
c'est ainsi que le sang se réalise
dans la main.
Plus tard, on ne sait où est l'entrée
du miroir, ni de quel côté l'image,
de quel côté le corps.
**
Tes yeux ont touché ma figure.
Peut-être n'étais-je que leur projection,
peut-être les avais-je créés afin
d'être vue telle que je le veux.
Ainsi soit-il, dit le lecteur qui, toujours,
dit la vérité.
Regarder vers le passé est une manière
de creuser dans la direction de la source,
mais aucune âme n’a de lèvre pour
faire venir l’eau. Il ne nous reste
par conséquent qu’à faire venir les larmes.
Elles seules donnent un fond au visage et
dissipent l’illusion.
L'Atelier des Brisants
PIERRES SAUVAGES
Patrie des pierres
on enterre les vivants
Un homme
chaque jour
dépose une pensée
quelques mots
sur un tombeau inconnu
Quand l'air tranche la gorge
se taisent ses mots
Certaines pierres
renaissent
et repoussent la douleur
Tout peut tenir en ces paroles
Plus de portes
ni de fenêtres
Je n’habite plus les demeures
qui me dépossèdent
Surprise
à lécher la pierre
pour étancher la soif
Derrière des barreaux
se touchent des lèvres
La pierre crève les yeux des miroirs
Je ne vois plus la pluie
chaque mot l’étreint
tel le dévolu de son ombre
Pour l’étrangère
nul endroit
où déposer son nom
Les nids abandonnés
par la guerre
détournent le printemps
Ce qui était n’est plus
ce qui est à venir n’est pas
ce qui est n’est pas encore tracé
Au lieu du sommeil
chaque nuit grignote un souvenir
et fait naufrage
La passion
une courte phrase
qui hurle toute une vie
Tu implores la nuit
de cacher tes yeux
pour mieux voir
Quand la lumière chancelle
l’existence s’écrit mieux
Le poète condamné
promène sa carapace
arrache son manteau de colère
Les battements du cosmos
remuent dan tes veines
et te conduisent vers la mort
J’ai les mains remplies
de rivières
de forêts noyées
d’arbres hantés
Les pierres se gorgent de pluie
retrouvent leur insolence
donnent chair aux habitations
La feuille tombe avec les mots
comme une réalité
en fin de partie
Une maison sans toit
un puits sans eau
découragent tout bonheur
Un bûcher seule demeure
tant de jours tant de nuits
pour tout déraciner
Qui se souviendra
de ses râles
de ses vérités tronquées
Sur des haillons
de pierre
elle aura appris à se lever
Et à marcher
telle une vivante
ÉDITIONS L’HARMATTAN, collection poètes des cinq continents, PARIS, 2005 (Préface de Jean Pierre Faye)
Char gée de cas ca des
au mol let ner veux et mus clé
la ville n’est plus la ville
Une allée d’au bé pi nes
s’en file comme des cha pel les
les unes aux autres
l’em prun te rons-nous de nou veau
L’herbe trébuche étouffe
et seule pleure
Vivre sans mot dire
der rière les lourds volets
est-ce vivre
Sous le foi son ne ment des arbres
je quête le silence des feuilles
Parmi le bavardage
ver tige cher che
voca bu laire
de véri tés tou tes nues
Prise tout entière
dans les filets de l’ins tant
rom pre le dés en chan te ment
Un bai ser la fit sur sau ter
demi-tour vers la réalité
Il pose l’an nu laire sur ses pru nel les
elle mur mure te voilà enfin !
Ailleurs intérieur
Sous le foi son ne ment des arbres
je quête le silence des feuilles
Parmi le bavar dage
ver tige cher che
voca bu laire
de véri tés tou tes nues
Prise tout entière
dans les filets de l’ins tant
rom pre le dés en chan te ment
Un bai ser la fit sur sau ter
demi-tour vers la réalité
Il pose l’an nu laire sur ses pru nel les
elle mur mure te voilà enfin !